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URBANISME
À Paris, il est actuellement recommandé de fréquenter :
la Contrescarpe (le Continent) ; le quartier chinois ; le quartier
juif ; la Butte-aux-Cailles (le labyrinthe) ; Aubervilliers (la
nuit) ; les squares du 7e arrondissement ; l'Institut
médico-légal ; la rue Dauphine (Nesles) ; les Buttes-Chaumont
(le jeu) ; le quartier Merri ; le parc Monceau ; l'île
louis (l'île) ; Pigalle ; les Halles (rue Denis, rue du
Jour) ; le quartier de l'Europe (la mémoire) ; la rue
Sauvage.
Il est recommandé de ne fréquenter en aucun cas : les
6e et 15e arrondissements ; les grands boulevards ;
le Luxembourg ; les Champs-Élysées ; la place Blanche ;
Montmartre ; l'École Militaire ; la place de la République,
l'Étoile et l'Opéra ; tout le 16e arrondissement.
POÉSIE
La disparition presque totale de cette activité, sous la forme qu'on
lui connaissait depuis ses débuts, disparition évidemment
liée au dépérissement continu de l'esthétique,
est un des phénomènes les plus marquants qui se produisent
sous nos yeux. Durant ces dernières années, la poésie
onomatopéique et la poésie néo-classique ont simultanément
manifesté la dépréciation complète de ce produit.
Malgré l'attachement normal d'une société mourante
à des expressions faisandées, il est à noter qu'aujourd'hui
une revue sérieuse n'ose plus publier de poèmes. Quand elle
s'y essaie, avec une évidente mauvaise conscience (voir un certain
du Bouchet dans le n° 117 des Temps Modernes), les résultats
se passent de commentaires.
Au nom du renouvellement progressiste de Coppée-Lamartine, Guillevic
vient de prendre les risques d'une explication à la loyale (" Expliquons-nous
sur le sonnet " Nouvelle Critique, n° 68) qui fait
éclater sa burlesque insuffisance. Passons sur l'aspect cocardier
du panégyrique (" notre sonnet " -- " cette
forme... n'est pas une création artificielle par hasard jetée
par Marot, du Bellay, Ronsard et les autres. Si elle a été
employée par eux, si elle a traversé plusieurs siècles,
c'est bien qu'elle répond à des nécessités
de l'esprit français "), puisque Guillevic a beau mentir,
il vient trop tard, tout le monde sait que " nous "
avons emprunté cette forme à l'Italie -- et qu'à l'époque,
des médiévaux attardés devaient en rester à
la ballade, préférant, comme Guillevic aujourd'hui, " lutter
contre l'envahissement de la culture cosmopolite ". Plus significative
est la référence à " la vie d'un des hommes
les plus sensibles, les plus nobles, les meilleurs, les plus grands que
le monde ait connus " : on a peine à le croire,
mais il s'agit de Louis Aragon. Dans ses lourdes tentatives pour conférer
quelque dimension mythique à la vie d'Aragon, Guillevic va si loin
au-delà de son talent qu'il arrive à gravement desservir
son lugubre chef de file : " Je revois Aragon un certain
soir de janvier 1954... J'entends son exclamation : Elsa, il écrit
des sonnets ! "
L'ensemble de l'argumentation est de la même encre. Reste de tant
de vide que des gens qui se recommandent du matérialisme dialectique
fondent toute leur malheureuse thèse sur l'exaltation inconditionnelle
des " formes fixes ".
Les " formes fixes " -- au sens de cadres répondant
aux besoins d'un travail donné -- qu'il convient maintenant de pratiquer,
pourront être momentanément : le procès-verbal
de dérive, le compte rendu d'ambiance, le plan de situation.
DÉCORATION
Projet de J. Fillon pour l'aménagement d'une salle de réception :
les trois quarts de la salle, constituant la partie que l'on traverse en
entrant par la seule porte du lieu, sont meublés élégamment
et n'ont aucune destination précise. Au fond de la salle se dresse
une barricade qui en délimite la partie utile, égale au quart
de la superficie totale. Cette barricade est on ne peut plus réelle,
constituée de pavés, sacs de sable, tonneaux et autres objets
consacrés par l'usage. Elle s'élève à peu près
à hauteur d'homme, avec quelques points culminants et quelques brèches
ébauchées. Plusieurs fusils chargés peuvent être
posés dessus. Une étroite chicane livre accès à
la partie utile de la pièce, également meublée avec
goût, où tout est disposé pour recevoir agréablement
les amis et connaissances.
Cette salle de réception, qui implique évidemment un éclairage
et un fond sonore appropriés, peut servir à varier l'ordonnance
d'une maison banale, et n'y introduire qu'un pittoresque superficiel. Mais
sa vraie destination est de s'intégrer dans un complexe architectural
étendu, où apparaît pleinement sa valeur déterminante
pour la construction d'une situation.
EXPLORATIONS
Dans un proche avenir une équipe de lettristes, opérant à
partir de la rue des Jardins-Paul, devra reconnaître entièrement
le quartier Merri, jusqu'à présent omis sur les cartes psychogéographiques.
ADHÉREZ EN MASSE à l'Internationale lettriste.
On en gardera quelques-uns.
JEUX ÉDUCATIFS
Récemment mise au point, " la discussion idéologique
considérée comme match de boxe " semble promise
à un brillant avenir dans l'élite intellectuelle, dont elle
comble tous les besoins. (La discussion idéologique considérée
comme match de boxe vous fera gagner de l'estime en perdant du temps.)
En voici la règle :
Les deux adversaires et l'arbitre, dont la décision est souveraine,
s'assoient à la même table, l'arbitre séparant les
deux joueurs. Il a été convenu que le match se déroulerait
en un certain nombre de rounds d'un minutage précis.
Après que l'arbitre a annoncé l'ouverture du match, les deux
adversaires s'observent un instant ; puis celui qui choisit, le premier,
l'offensive énonce une proposition quelconque sur un sujet qui lui
paraît bon. L'autre répond, soit en niant hardiment le raisonnement
qu'il vient d'entendre, soit en passant à d'autres affirmations
sur un sujet voisin ou inattendu, soit même -- ce qui est mieux --
en combinant ces deux mouvements. L'arbitre veille à ce qu'un adversaire
n'interrompe pas l'autre. Cependant, un usage trop prolongé de la
parole fait perdre des points au maladroit. Le chronométreur annonce
la fin du round par un signal adéquat qui interrompt à l'instant
le discours
L'arbitre déclare alors le round à l'avantage d'un des adversaires,
ou éventuellement nul. Pendant le temps de repos, les supporters
et les soigneurs apportent aux combattants des verres d'alcool ou des tasses
de café (dans certains cas, des stupéfiants). La dispute
recommence à l'ordre donné. Le K.O. est proclamé par
l'arbitre quand un des adversaires, déconcerté par la violence
ou la subtilité d'une attaque, se révèle incapable
de poursuivre la discussion. Si cette issue n'intervient pas, le vainqueur
est désigné à la fin, aux points, d'après le
nombre de rounds où il a dominé. La mauvaise foi, même
apparente, n'entraîne aucune pénalité.
On a déjà noté, parmi les sujets les plus courus :
le Zen, la Nouvelle-Gauche, l'ontologie phénoménologique,
Astruc, les Monnaies Gauloises, la censure, l'intelligence du jeu d'Échecs.
(Les lettristes, forcément gagnants, ne jouent pas à ce jeu.)
CINÉMA
Il y a plusieurs années qu'on n'a pas vu un film qui apporte la
moindre nouveauté. La production générale est si terne
qu'un film banal, s'il est fait dans une perspective politique simplement
sympathique (Le Sel de la terre), bouleverse la plupart des critiques,
et fait dire de lui, contre toute vérité, qu'il restera comme
une date cinématographique. Il est vrai qu'ici tant d'impératifs
financiers et policiers règnent, qu'un film -- dont les ressources
sont très supérieures à celles du roman -- a peu de
chances d'atteindre le niveau intellectuel d'un bon roman de troisième
ordre, du genre Raymond Queneau par exemple.
Dans ces conditions, le mieux est de ne plus s'inquiéter de l'état
actuel de cet art. Dans les salles obscures que la dérive
peut traverser, il faut s'arrêter un peu moins d'une heure, et interpréter
en se jouant le film d'aventures qui passe : reconnaître dans
les héros quelques personnages plus ou moins historiques qui nous
sont proches, relier les événements du scénario inepte
aux vraies raisons d'agir que nous leur connaissons, et à la semaine
que l'on est soi-même en train de passer, voilà un divertissement
collectif acceptable (voir la beauté du Prisonnier de Zenda
quand on sait y nommer Louis de Bavière, J. Vaché sous les
traits du comte Rupert de Rantzau, et l'imposteur qui n'est autre que G.-E.
Debord). On peut aussi voir la série des aventures de l'admirable
Dents-Blanches, dont l'utilisation actuelle, tout à fait
négligeable, ne laisse pas de rappeler les vrais pouvoirs d'enseignement
du cinéma.
Au cas où tout cela ne vous plairait vraiment pas, il ne vous reste
qu'à aimer Les Mauvaises Rencontres d'Alexandre Astruc, où
vous ne manquerez pas de reconnaître parfaitement, selon le mot étonnant
de Jacques Doniol-Valcroze (France-Observateur du 20 octobre 1955)
l'atmosphère et la signification de VOTRE jeunesse.
PHILOSOPHIE
IMBÉCILES, vous pouvez cesser de l'être
Lisez Marx, lisez Dahou.
ARTS PLASTIQUES
Toute la peinture abstraite, depuis Malevitch, enfonce des portes ouvertes.
Naturellement cette activité est inintéressante, et, de plus,
parfaitement uniforme. Ce n'est pas le " tachisme "
qui va la renouveler. On pense bien d'autre part qu'une recherche d'images
réellement susceptibles de provoquer des effets nouveaux doit rompre
avec des modes de représentation hérités de Chirico,
de Max Ernst ou de Magritte, qui tendent d'eux-mêmes à recréer
le vieil ordre des surprises -- surprises considérablement affaiblies
par la diffusion déjà ancienne de ces oeuvres et l'inflation
des imitateurs.
Les diverses réalisations de la métagraphie, qui se
proposent théoriquement d'intégrer en une seule écriture
tous les éléments dont la signification peut servir, ont
été, jusqu'à présent, tout à fait insuffisantes.
Il semble que l'on doive attribuer cet échec provisoire à
la préoccupation constamment mise en vedette de " faire
des maquettes d'affiches ", qui a imposé finalement soit
un chaos illisible, soit une forme dégénérée
du vieux collage (exposition métagraphique de la Galerie du Double
Doute, en juin-juillet 1954).
REVUES
L'Internationale lettriste collabore à la revue Les Lèvres
Nues depuis la parution de son numéro 6. Cette revue (Mariën
éditeur, 28 rue du Pépin, Bruxelles) se trouve chez le Minotaure,
libraire, rue des Beaux-Arts.
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POLITIQUE
Rien de très nouveau. Dans le cadre de la détente, la presse
révèle avec attendrissement que deux jeunes filles soviétiques,
après s'être fait photographier aux côtés de
deux vedettes de cinéma françaises, ont affirmé avoir
vécu ainsi la plus belle journée de leur vie. En même
temps la Pravda fait savoir que l'U.R.S.S. a achevé la construction
d'une société socialiste, et que le passage au stade du communisme
est dès à présent amorcé.
En France, c'est naturellement encore pire : mobilisation destinée
à s'étendre, pour alimenter la guerre d'Algérie (Algériens !
ce n'est pas parce que vous êtes français que vous devez être
patriotes), la guerre du Rif et les suivantes ; développement
du troc inauguré par Mendès-Bonn, avec Franco dont les menues
faveurs sont payées par l'abandon des réfugiés républicains ;
condamnation scandaleuse de Pierre Morain, de la Fédération
Communiste Libertaire, en des termes qui tendent à établir
que des opinions anticolonialistes sont désormais incompatibles
avec la nationalité française.
PROPAGANDE
Un procédé " ... décisif pour l'avenir
de la communication : le détournement des phrases ",
était désigné dans Internationale Lettriste
n° 3 (août 1953). L'usage du détournement fait maintenant
l'objet d'une étude exhaustive, entreprise en collaboration par
deux lettristes. Cette étude paraîtra en son temps, et laissera
peu de choses à dire sur la question.
Le numéro 25 de Potlatch, inaugurant sa troisième
année, sera publié en janvier 1956.
LITTÉRATURE
On ne manquera jamais d'ersatz pour faire marcher l'industrie de l'édition
et maintenir la consommation. Mais, plus on ira, plus on s'apercevra que
les problèmes et les divertissements de l'époque se situent
sur d'autres plans.
Déjà, il faut signaler des truqueurs qui vont essayer de
se faire une réputation en remâchant, dans un cadre purement
littéraire, les émotions nouvelles que certaines associations
d'événements peuvent entraîner. Ainsi M. Julien Gracq
rédigeant de jolies narrations qui ont pour thème une ambiance
et ses diverses composantes : ce n'est rien de refuser le prix Goncourt ;
encore faut-il ne pas l'avoir mérité.
NE COLLECTIONNEZ PAS POTLATCH, LE TEMPS TRAVAILLE CONTRE
VOUS.
Potlatch n° 24, 24 novembre 1955
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