Droit au revenu ou droit au travail

  1. - Fin du travail ou alternative au salariat ?

  2. Il n'est pas sérieux de parler simplement de fin du travail, comme Jeremy Rifkin qui engage pourtant à la création de millions d'emploi dans le tiers-secteur, on ne peut parler de rien d'autre que d'abolition du "salariat" pour les plus extrémistes, et non pas du "travail". Nous défendons plutôt une économie plurielle c'est-à-dire une diminution d'importance du salariat et non sa disparition pure et simple. Nous pensons souhaitable d'offrir une alternative au salariat.

    Si le chômage de masse peut laisser croire à une véritable fin du travail, alors que c'est la conséquence de la rigueur monétaire de l'Euro, ce qui disparaît vraiment c'est le travail salarié à statut, ce qui augmente c'est la précarité et les exclus mais surtout, ce qui change, c'est le contenu du travail lui-même qui devient relationnel, autonome et temporaire se déplaçant du travail matériel vers le culturel et le politique.
     

  3. - Le Revenu Garanti signifie-t-il la fin de la "valeur travail" ?

  4. D'abord, le revenu garanti se caractérise principalement par la possibilité de son cumul avec une activité, avec un "travail" qui est encouragé sans être obligatoire. Il suppose bien que le travail est une "valeur" pour chacun, un droit et non plus un devoir. Mais la "valeur travail" s'identifie trop à la "valeur travail" économique mesurant la valeur au temps salarié et on glisse facilement du droit au travail au devoir de "gagner" sa vie. Il n'y a pourtant aucun déclin de la valeur travail, bien au contraire. Malgré le "laborare orare" des moines, la valeur morale du travail a toujours été contestée par les aristocrates, les artistes et une bonne partie des riches mais aussi des ouvriers de l'industrie (appelant même le travail le "chagrin") jusqu'à ce qu'il manque et se fasse désirer passant du devoir au droit, de la nécessité à la liberté. Par contre tout le monde a toujours respecté le travail bien fait de l'artisan, ce qu'on peut remettre en cause c'est la subordination salariale et non pas le travail, c'est l'assimilation du devoir au salariat comme d'une tâche imposée ainsi que l'attachement des droits sociaux au seul travail salarié. La valorisation sociale et l'activité restent vitales pour tout le monde.
     
  5. - Libéralisme, destruction des garanties (smic)

  6. Pour certains, le risque est celui d'une dérégulation, d'une suppression du smic surtout. C'est une crainte légitime car certains libéraux le réclament et la première expérience de revenu minimum avait cet objectif. Mais nous sommes attachés au smic, le travail doit être payé à son prix pour être respecté. Il y a aussi une différence décisive entre l'allocation universelle des libéraux à 1600F, condamnant les working poor à accepter n'importe quel job complémentaire, et notre revendication d'un Revenu d'Existence à 4000F suffisant pour refuser de mauvaises conditions de travail. Il s'agit donc de renforcer nos garanties et non de les détruire, donner des droits à ceux qui n'en ont plus et non pas privilégier les droits du plus fort.

    La posture de défense du salariat contre le néo-libéralisme est juste comme est juste la condamnation de la version néolibérale du Revenu d'Existence, cela ne permet pas d'assimiler le RSG à ce projet diabolique, ni de croire qu'un droit nouveau va supprimer les anciens droits. L'inconvénient de la défense de l'acquis c'est de ne pas faire face aux défis de l'avenir, ce n'est pas vraiment un projet de société. Il est vrai aussi que les chômeurs reprochent aux syndicats de s'occuper plus de la défense des droits des derniers salariés protégés plutôt que de tous les exclus et précaires. Des minima sociaux plus élevés pourtant profiteraient rapidement au marché du travail dans son ensemble.

    Au-delà de la défense légitime du salariat il faut pourtant bien tenir compte des nouvelles conditions de production dans une économie de la demande, ainsi que des nouvelles forces productives, des intermittents, des précaires ainsi que d'un "devenir expertise" du travail qui ne se mesure plus en temps salarié. Toute la tendance à exiger de plus en plus l'autonomie du producteur, son investissement dans la qualité, ses innovations, son commerce avec la clientèle sont peu compatibles avec la subordination salariale et son mode de rémunération (d'où les stock-options et l'utopie des salariés-actionnaires).

    Si le renforcement des garanties du salariat n'est pas la seule solution, le Tiers-secteur ne remplacera pas le salariat non plus et s'il peut aspirer à devenir dominant en valorisant un peu plus l'économie du don, il ne peut viser à remplacer l'économie de marché ou la redistribution sociale. Nous avons besoin d'une économie plurielle. Le libéralisme se trompe lorsqu'il croit pouvoir tout chiffrer : nuisances, utilité sociale, invention, etc. Il n'y a pas de vérité des prix. Nous devons au contraire sortir du processus de valorisation qui n'est pas adapté aux productions culturelles, scientifiques ou relationnelles. Ainsi on n'a pas besoin de compter quand la copie d'un film ou d'un programme, par exemple, ne retire rien au film ou au programme initial. Dès lors Internet impose souvent la gratuité, de simplement la rendre possible.
     

  7. - Assistanat (universel+activité)

  8. D'autres s'attristent sur le sort des assistés qui perdent leur dignité en ne gagnant pas leur vie par eux-même complètement, comme si on vivait en dehors de tout lien social, comme si on ne devait pas tout à la société. Outre que ce discours est déplacé quand on n'offre aucune alternative, le Revenu d'Existence quitte la sphère de l'assistanat, d'une part comme droit universel, mais surtout en favorisant le temps partiel et comme subvention individuelle pour les activités du tiers-secteur écologique, culturel et social. Une variante de ces moralistes exigent une contrepartie forcée de devoirs à ce qui semble un cadeau immérité. Il faut d'abord dénoncer l'illusion que notre société serait morale alors que l'immoralisme en est la règle, les richesses imméritées, ensuite il faut revenir à la réalité : d'abord nous offrons à chacun, avec le Revenu Garanti, l'autonomie dont la société et la morale ont besoin. La plupart des gens essayent de se valoriser socialement s'ils en ont les moyens, c'est l'intérêt de tous de favoriser cette autonomie. La loi n'est pas la morale, elle est la condition de la morale. La morale commence lorsqu'on est libre, donc responsable et solidaire. L'idée que chacun doit "gagner sa vie" n'est pas naturelle, ni très morale, c'est le principe de la sauvagerie reconstituée du capitalisme individualiste. L'enfant qui naît a déjà sa place dans la communauté et le revenu garanti reproduit la confiance, la protection de la famille ou de la tribu, le don de la vie. Car personne ne reste passif et le Revenu d'Existence loin d'être un droit immérité n'est que la contrepartie de la flexibilité, de l'apport productif des précaires ou des femmes et du caractère social de la production.
     
  9. - Défense du salariat (productivisme)

  10. Les syndicalistes défendent maintenant le salariat après avoir voulu l'abolir. Il est glorifié classiquement par sa fonction de socialisation dont on ne sait s'il s'agit d'une massification ou bien de l'appartenance à une hiérarchie. En fait le salariat se justifiait pour donner une valeur sociale et marchande à la force de travail comme temps de travail, il n'est pas adapté aux activités culturelles et relationnelles qui sont directement sociales. Défendre le salariat, c'est souvent défendre un statut social, plutôt confondu avec celui des fonctionnaires d'ailleurs alors que la réalité est des plus sordides ("La souffrance au travail"). Mais le salariat c'est surtout un lien de subordination, c'est le capitalisme utilisant le travail salarié, et le productivisme d'un temps de travail poussé sans cesse à l'amélioration de la productivité. La défense du salariat est une utopie qui n'est même pas souhaitable, alors qu'on peut fonder un développement plus économe sur le Revenu d'Existence. Il faudra bien sûr reconstituer des lieux de socialisation, des forums, des institutions, des statuts qui orientent et valorisent les compétences de chacun. Il ne s'agit pas de laisser les gens se débrouiller tout seul, le Revenu d'Existence comme solde de tout compte, alors qu'il est au contraire le signe d'une solidarité concrète et intelligente, signe de notre conscience de l'intérêt de tous à valoriser l'activité de chacun. Nous n'avons pas à craindre une société d'assistance, c'est-à-dire solidaire, et comme dans une famille, nous devrions pouvoir compter en toute occasion sur l'assistance de tous sans pour autant être tous pareils, conformes à la norme disciplinaire.
     
  11. - Faisabilité

  12. Pour la faisabilité, je me contenterai, pour l'instant, de la caution d'économistes de plus en plus nombreux. Ce n'est pas vraiment une révolution fiscale car déjà 30% du revenu des ménages vient des allocations sociales et le Revenu Social Garanti ne le porterait sans doute qu'à 32%. L'effort quelqu'il soit est d'abord un choix de société. Le problème est politique mais techniquement réalisable même localement. On peut commencer par la pratique locale (à Paris par exemple). Les effets sur les petits boulots sous-payés sont prévisibles mais pas vraiment l'ampleur. Pour autant que cela bouleverse un des fondements de notre économie, il faudra en gérer les conséquences inévitables mais c'est la seule alternative à la débâcle sociale des transformations du travail.
    30/08/99


Réduction du temps de travail et Revenu d'Existence
Parmi les écologistes, comme parmi les chômeurs, les divergences idéologiques s'estompent petit à petit et on se retrouve finalement sur les mesures pratiques, sur l'essentiel, l'urgence. Il n'en reste pas moins important de débattre sur les projets à long terme.

L'accord sur les mesures à court terme, oppose sur le long terme deux visions opposées (travaillisme et anti-travaillisme, RTT ou activités autonomes, salariat fordiste ou production immatérielle).

Pour nous, la simple régulation du salariat par la RTT ne suffit pas. Le RSG est bien une alternative au salariat plus adaptée aux nouvelles forces productives.

La RTT reste, en effet, dans le cadre du salariat qui est fondamentalement productiviste comme autre face du capital (c'est du capital utilisant du travail vivant pour s'accroître en augmentant la productivité par ses investissements) et cela ne règle en rien l'extension de la précarité. (comment continuer à lier protection sociale et emploi lorsque l'emploi n'est plus continu). Enfin l'hypothèse qu'une réduction du temps de travail augmente le nombre d'emploi sur le long terme est très contestable (alors que c'est une évidence s'il y a une réduction rapide du temps de travail, à court terme) ?

Ceci dit, j'ai beau ne pas être "travailliste", je suis pour les 32H rapidement. Il faut utiliser toutes les manettes. Mais je ne crois pas à plus (ni que ce soit possible, ni que ce soit souhaitable), ni que ce puisse être un projet de société. Un réduction du temps de travail rapide est souhaitable car elle peut créer des emplois sur le court terme et c'est une mesure de progrès social mais sur le plus long terme, il n'y a aucune raison que la RTT crée des emplois, ce serait admettre que l'immigration prend le travail des français (il y aurait une quantité fixe de travail à répartir). L'intérêt de la RTT à long terme est la qualité de la vie et l'anti-productivisme (bien que la RTT ne change pas la logique productiviste du capitalisme salarial), ce n'est pas la lutte contre le chômage. Le temps libre étant supposé être un temps de consommation et non pas de production, il atteint vite sa limite.

La logique du revenu d'existence n'est pas la même que la RTT, c'est une logique de transformation du travail qui prend en compte l'émergence de l'immatériel ("le tournant linguistique de l'économie" comme est sous-titrée "La place des chaussettes") qui est passage d'une économie de l'offre (fordiste, quantité) à une économie de la demande (flux tendus, flexibilité, qualité) se traduisant par une précarité plus grande de la production. Ceci veut dire aussi qu'il y a une productivité des précaires, justifiant une continuité de leur revenu. De plus, la production devenant de plus en plus sociale, l'individualisme salarial n'est plus pertinent. Il est illusoire dans ce contexte de vouloir instituer une quelconque obligation de travailler, ce qui ne dispense pas d'aider chacun à se valoriser socialement ni de proposer des activités utiles aux plus démunis. En fait, les résistances sont profondes car c'est bien la logique du profit, le fondement du lien social de nos sociétés marchandes, qui sont remis en cause par une revenu garanti sans contrepartie mais le changement a déjà eu lieu dans la production, même de façon encore très minoritaire, manifestant l'inadaptation de nos structures par toutes sortes de symptômes.

La véritable différence entre les partisans du Revenu d'Existence et les opposants qui nous sont proches est bien dans l'analyse du travail immatériel, le reste est fantasme d'un démantèlement libéral qui a déjà eu lieu et que nous combattons, ou d'une société duale qui existe depuis toujours, ou même d'une exclusion assumée par une allocation universelle comme solde de tout compte qui est l'insupportable réalité actuelle. Toutes nos propositions sont ramenées à Friedman ou à Y. Bresson mais l'alternative du plein emploi salutaire avec un salariat fonctionnarisé et une maîtrise du productivisme n'est pas très claire. Le passage en douceur à une économie plurielle semble la seule voie pour un développement soutenable. La situation actuelle n'est pas durable.
 

13/10/99


 

Plein Emploi ou Revenu Garanti


- Donner un Revenu d'Existence c'est se désintéresser de l'emploi.

Si il y a tant de chômeurs c'est bien qu'on se désintéresse déjà complètement du chômage, hors une agitation de façade qui ne va pas loin, juste pour la galerie. Il est vrai qu'il y a de plus en plus de salariés (des femmes entre autres) car il y a un besoin d'autonomie financière, et il y a bien pénurie d'artisans. Il ne faut pas laisser les gens isolés et considérer qu'ils pourront toujours trouver seuls leur emploi. L'existence des chômeurs a déjà permis d'expérimenter des nouvelles formes d'échanges non marchands (SEL). Il faudra toujours une politique de l'emploi. Le Revenu d'Existence n'implique pas du tout de se désintéresser de l'emploi, par contre refuser ce Revenu d'Existence, c'est bien se désintéresser du sort des chômeurs non indemnisés et des Rmistes.

Le Revenu Garanti s'impose d'ailleurs malgré toutes les réticences idéologiques, car le problème reste après tous les beaux discours sur le plein emploi. Ainsi, l'ENU publie une feuille appelée "Plein emploi" et veut faire de cet objectif la priorité de l'Europe mais à force de contorsions et de refus du travail forcé comme de la précarité et du travail à tout prix, ce plein emploi reste problématique et le Revenu Garanti s'impose, appelé ici Revenu de Citoyenneté ou revenu de dignité (se référant à la Hollande et au Danemark).

Jean-Louis Laville contestant au nom du plein emploi la promotion par Gorz du Revenu de citoyenneté finit pourtant lui-aussi par admettre la nécessité d'un revenu minimum, tout comme Aznar qui substitue une pluralité de sources de revenu à la généralisation d'un revenu garanti. L'idéologie se décante pour faire apparaître la nécessité de ce nouveau droit malgré les résistances à toute nouveauté, la difficulté d'en mesurer toute la portée.

La question est plutôt de comprendre comment on n'a pas encore pris une telle mesure qui s'impose quand 60% des chômeurs ne touchent pas les ASSEDIC. Si la révolte de ceux qui "ont épuisé tous leurs droits" n'a pas été plus massive, c'est peut-être parce que, si 15% de ménages comportent 1 chômeur, seulement 6,3% des ménages n'ont aucun actif.

- Ce que veulent les chômeurs c'est un emploi salarié

Évidemment puisque c'est la définition du chômeur : celui qui cherche un travail salarié et qui n'en trouve pas. On peut dire bien sûr que c'est un "idéal" forgé par la société (c'est pour ça qu'on est formé) mais il faut surtout admettre que le salariat s'impose à qui est privé de toute source de revenu. Le salarié est libre et dépossédé. Dans ces conditions d'inégalité, prendre les désirs des chômeurs au mot n'est pas sérieux car le rêve d'un emploi gratifiant recouvre la réalité du chômage, de la précarité et de l'exploitation c'est-à-dire la réalité de la domination. La domination n'est pas souvent visible, "Personne ne peut être assez fort pour être tout le temps le maître s'il ne transforme sa force en droit et l'obéissance en devoir" (Rousseau). Il y a donc des moments d'autonomie où le salariat permet la constitution de véritables communautés. Mais la domination se manifeste toujours au moins dans les décisions définitives (fermeture d'usine, licenciements). Il y avait aussi des esclaves heureux, cela ne justifiait pas l'esclavage. La défense du salariat est d'ailleurs un refus, purement verbal, des transformations en cours du travail vers l'immatériel mais cela retarde concrètement la mise en place d'une économie alternative. L'abolition du salariat ne se fera pas en un jour et il ne faut pas croire que l'instauration du Revenu d'Existence est suffisante en soi, dispensant miraculeusement de toute autre mesure. Par exemple il ne faut pas laisser les gens isolés et il faudra constituer des pôles de valorisation des talents de chacun, de même qu'il faut d'autres protections plus avantageuses (revenu d'activité conditionnel) et ne pas se limiter au Revenu d'Existence inconditionnel.

On n'est plus salarié à vie, il faut défendre un statut universel plutôt qu'un accord d'entreprise aléatoire. Ce qui devrait pourtant lever toutes les réticences à l'instauration d'un Revenu d'Existence, c'est tout simplement que cela ne nuit aucunement aux salariés mais, au contraire, en rééquilibrant le rapport de force travail/capital, ce revenu minimum garanti doit permettre d'augmenter les salaires et de baisser la pression du chômage sur les salariés. Ce n'est donc pas une mesure contre les salariés, mais contre l'exploitation salariale. Ce n'est pas non plus une mesure contre le travail puisque ce qui caractérise le Revenu d'Existence c'est qu'il peut se cumuler avec une activité rémunératrice. C'est donc un mesure pour les salariés et le travail mais contre l'exploitation capitaliste.

- Au-delà du Revenu d'Existence, le droit à l'initiative économique

Dépasser le débat sur le Revenu Social garanti est nécessaire pour poser ensuite le véritable débat sur le droit au travail. C'est la garantie du Revenu qui permet de transformer le travail en droit, en activité valorisante, et non plus en devoir douloureux, en nécessité vitale. Se pose alors le droit à l'initiative économique (capital, formation, assistance). Sans que ce soit exclusif, on doit d'abord soutenir les activités autonomes dites du secteur quaternaire, activités de relation personnelle, locales et comportant une part de Don. Mais il faudrait avant tout abolir les cotisations forfaitaires minimum aux caisses sociales pour les professions libérales ou artisanales qui constituent une véritable protection contre les gagne-petit, tous les petits boulots qu'on voudrait promouvoir mais ne rapportent pas assez pour payer les charges sociales. Ces cotisations forfaitaires sont une protection efficace contre l'intrusion des précaires dans les activités autonomes, il faut les remplacer par des exonérations dans certaines conditions (SEL) ou par des cotisations proportionnelles et même progressives sinon. De même il n'y a pas de droit à l'initiative sans droit à l'échec, droits censitaires qui ne sont donnés qu'aux riches actuellement. Le droit à l'activité valorisante est bien un droit sur la richesse.

Défendre les activités valorisantes concrètement exige bien autre chose que des discours sur la défense du salariat et il est plus facile de ne rien faire comme si on pouvait faire confiance à une auto-régulation de la misère en attendant les fruits de la croissance. C'est pourtant un nouveau modèle qui se met en place qui n'est plus celui de la concurrence de tous contre tous mais celui d'une société d'assistance mutuelle, de coopération et de valorisation sociale.

Cette coopération a essentiellement un cadre local, comme les SEL. L'enjeu se situerait donc dans les Agences de Développement Local pouvant distribuer des financements, partager des services, organiser un réseau local de compétences, orienter dans la formation et tracer des parcours professionnels. La bureaucratie, le clientélisme, la corruption sont l'obstacle principal à ce beau projet (Decazeville est un exemple parmi d'autres). Il ne faut pas tout centraliser et laisser plusieurs sources de financement, plusieurs types d'acteurs en essayant de faire une évaluation, un contrôle rigoureux. C'est la limite du Tiers-secteur: le contrôle, qu'il ne suffit pas de dire démocratique, des subventions. L'économie sociale des mutuelles ne se distingue guère des assurances privées et n'a pas grand chose à voir avec l'économie solidaire qui ne doit pas se limiter à "l'insertion". On peut ajouter les avantages ou les inconvénients de l'État et du marché. C'est dans ces Agences de Développement Local qu'il faut désormais expérimenter une société d'assistance qui ne soit pas une nouvelle dépendance.


Je viens de discuter avec Richard Dethyre de l'opposition de l'APEIS au
revenu d'existence. Ces arguments, tels que je les ai compris sont :

1. Comme Robert Castel, Richard estime que parler de revenu seulement,
c'est accepter que chacun n'ait pas un travail. Il rejoint au fond
Jospin refusant l'assistance et voulant donner à tous un travail.
Jospin, en tout cas, refuse l'assistance sans donner le travail. L'APEIS
exige l'assistance tout de suite mais avec comme seul but un vrai
travail pour tous, revendication qui ne peut être satisfaite sans un
changement de société, tout comme l'interdiction de licencier.

2. Les chômeurs ne veulent pas passer pour des parasites mais pour des
privés de travail et la société, les ouvriers entre autres gagnant
durement leur revenu par le travail, ne sont pas favorables à un revenu
sans travail.

3. Il y a du travail nécessaire. Des logements, des équipements à
construire. Ce n'est pas le travail qui manque, c'est le capitalisme qui
produit le chômage.
 

Mes arguments sont que le revenu d'existence n'est pas contre le
travail, n'est pas une rétribution du non-travail comme le chômage,
c'est un minimum de soutien de la société. Le revenu d'existence n'est
pas l'échec devant le travail, c'est l'instrument positif d'une
réorientation du système de production, dans un sens moins
productiviste.
 

1. Il ne suffit pas de dire qu'on veut donner du travail à tout le
monde. Dès le moment où on ne le peut pas, il faut donner un revenu. La
position des communistes défenseurs du salariat, comme Robert Castel,
est une nostalgie bien paradoxale car ce qu'on regrette n'était pas si
désirable et cela n'est plus adapté à l'avenir. Il faut donner un poste,
une place, une responsabilité à tous mais pas un travail abrutissant
(une banderole disait : on veut un travail de merde payé des
clopinettes). Vouloir maintenir l'objectif d'un travail salarié est, en
fait, réactionnaire (cf l'interdiction de licencier), ne changeant pas
la nature du travail alors que le revenu d'existence est une rupture,
une nouvelle fondation pour un travail plus humain et moins
productiviste. Il faut pourtant tenir compte de cette objection en
répétant que le revenu d'existence n'est pas la fin du travail, ni la
seule mesure à prendre et qu'il doit permettre des activités plus
écologiques, plus artisanales, de meilleures conditions de travail. Cela
ne se fera pas tout seul, il faudra, en plus, assurer une place à tous
par le partage du temps de travail d'abord, tâche qui est loin d'être
gagnée d'avance. Comme je le dis souvent, l'écologie ne peut se limiter
à une mesure isolée mais doit envisager des solutions globales.

2. Pour ce qui est l'opinion, du consensus sur le travail, c'est le
chômage lui-même qui l'a brisé. C'est une évolution historique et les
salariés commencent à comprendre. De toutes façons, c'est une idée assez
nouvelle pour avoir une chance de s'expliquer et de convaincre.
L'opinion n'est pas toujours à suivre mais plutôt à précéder. La
première réaction du travailleur à se distinguer des plus pauvres, des
plus malheureux et porter sa colère contre les immigrés ou les chômeurs
au lieu de la porter contre ceux qui l'exploitent est d'autant plus
désolante que le chômage est un facteur direct d'aggravation des
conditions de travail sous la pression du nombre. C'est une objection
qui peut être combattue par le travail d'explication, en répondant aux
objections immédiates, en donnant les justifications idéologiques d'un
revenu d'existence (liberté, produit, sécurité) et en montrant les
conséquences positives pour les travailleurs eux-mêmes. Je dois dire
pourtant que je n'ai accepté le revenu d'existence qu'une fois celui-ci
revendiqué par les chômeurs, en leur propre nom. Ce n'est pas une
revendication que quiconque aurait pu imposer à des chômeurs espérant
encore trouver un travail. Cette revendication ne devient incontestable
que dans la bouche des chômeurs sans droits. C'est à partir de là qu'on
peut y voir l'instrument d'une transformation du travail et de la
société, une occasion historique.

3. Pour l'argument du travail inépuisable et du chômage produit du
capitalisme, il faut le tempérer en remarquant que le capitalisme a
produit plus de travail qu'aucun autre système et qu'on a même à s'en
plaindre comme productivisme absurde et dangereux. Il y a beaucoup
d'activités à mener, toutes ne sont pas compatibles avec des critères
marchands. Doit-on assigner une activité à chacun ou lui donner la
possibilité de choisir la sienne, d'en tirer ou non profit ? Le revenu
d'existence complété par des investissements publics peut aider
l'émergence d'un tiers secteur associatif. Le travail ne se décrète pas
et, s'il est le propre de l'homme, ce ne doit jamais être le travail
pour le travail, à n'importe quel prix, dans n'importe quelles
conditions. Enfin, nous devons abandonner le productivisme et la
croissance pour une économie plus humaine, plus économique en ressources
et en peines. Il est vrai que ce n'est pas la fin du travail mais il ne
faut pas confondre la nécessité de donner à chacun une place, une
fonction avec la simple défense du salariat.

J'en profite pour dire, qu'à la réflexion, le revenu d'existence n'est
pas compatible avec l'allocation universelle car la pure universalité
n'est pas très écologique et l'allocation universelle semble supposer
qu'il n'y a pas d'autres allocations. Je ne suis pas persuadé que ce
soit nécessaire, ni qu'il y ait un revenu d'existence unique et
indifférencié (il peut y avoir des catégories favorisées pour leurs
activités). Il ne faut donc pas confondre les appellations.

Jean Zin

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