Notre actualité est l'universalisation de l'individu délivré de toute particularité, y compris sexuelle, page blanche sur laquelle s'anime le jeu des différences. Le pouvoir anonyme des marchés qui s'étend sur toute la planète ravage tout sur son passage : cultures, paysages, populations. L'empire universel nous vide de toute substance et nous homogénéise sous la forme d'un citoyen-travailleur sans pouvoir ni fonction sociale attachée à la personne. De partout les protestations s'élèvent contre la marchandisation du monde et pourtant ce n'est pas aussi simple qu'on a pu le croire d'abord. La contestation cette fois ne visait pas le mécanisme du marché lui-même ni la mondialisation en tant que telle, rejetant un retour à une économie nationale protectionniste et dirigiste. Ainsi, le même mouvement affirmant que le monde n'est pas une marchandise pouvait adopter le slogan "sauvons nos marchés" pour protéger les marchés locaux et prôner "une autre mondialisation" du développement humain, moins soumise au pillage "libéral" du monopole des multinationales. C'est donc plutôt la conscience de la mondialisation achevée et de la question politique de notre destin planétaire, du contrôle de l'économie, de la gestion de nos ressources, de la répartition des richesses plutôt qu'un repli sur soi. Contre les libéraux qui voient dans la contestation de la globalisation financière une résistance d'arrière garde à une mondialisation inéluctable, ou bien la nostalgie de sociétés hiérarchiques, nous devons clairement affirmer notre point de vue comme étant celui d'une mondialisation achevée et du développement des libertés, y compris des marchés locaux, des marchés régulés.
Le monde extérieur
Il n'y a pas d'homme sans un "monde intérieur" familier qui le protège mais sous peine d'y étouffer, il lui faut tout autant l'air des grands larges. L'extérieur, l'ouverture, nature ou forum sont le lieu de la liberté, du réel, de la rencontre. La société n'est pas fermée mais toujours ouverte (exogamie). Le marché n'est pas seulement le lieu de l'échange vénal, c'est un lieu ouvert et il faut reconnaître qu'on aime cet espace de liberté où se croisent toutes sortes de gens et qui permet des rencontres non préméditées.
Il y a deux faces au marché : le rapport marchand d'achat et le libre accès à la vente. L'universel des rapports marchands d'achat (d'objet à objet) met au même rang jeunes et vieux. Pour cela pas besoin de marché, juste d'un échange monétaire, un magasin y suffit. Hors de ce jeu libre de la dépense, le choix est plus ou moins imposé. Marx est le premier à reconnaître ce que le capitalisme a pu apporter au salariat par rapport aux anciennes tutelles et à l'impossibilité de choisir son activité comme sa consommation. L'autre face, de libre accès à la vente, a été bien négligé par la tradition socialiste puisque le prolétaire était celui qui n'avait rien à vendre que sa force de travail. Ce pourrait être pourtant la priorité désormais, d'accorder à tous le droit au travail, le droit de proposer ses services et ses produits sans les barrières d'accès qui protègent les professions libérales. Assurer l'universalité de ce droit, c'est universaliser les conditions d'accès au marché : revenu garanti et droit à l'initiative économique qui sont le monopole des riches pour l'instant.
Contre le libéralisme et la globalisation financière
En 1946 on annonçait la "fin de l'homme économique" (Drucker),
l'Ere de l'homme social (Huxley), du libéralisme (Polanyi)
Nous pouvons nous réveiller à nouveau du cauchemar libéral.
Hayek revenu universel
Tous ses postulats sont faux : le problème de la complexité (il faudrait un système plus complexe pour comprendre un système moins complexe) est réfuté par René Thom (toute complexité se ramène à une stabilité simple). La vision du marché comme sélection des meilleurs et entropie homogénéisante est contredit pas les lois du Chaos (Prigogine), les phénomènes autoréférentiels comme la Bourse ou un fleuve qui se creuse, renforçant au contraire les inégalités et les avantages concurrentiels (on ne prête qu'aux riches). Le pire est bien sûr son darwinisme social, sa négation explicite de la société, dite ouverte pour dénier toute totalisation, mais ne pouvant se passer de constitution. François Perroux dit exactement le contraire toute économie suppose une société constituée par un but commun et de Castoriadis à Legendre, une foule de théoriciens prouvent qu'une société est toujours instituée, dans un rapport à l'histoire qui n'est pas celui d'une évolution éliminatrice. Ce qui est ignoble, c'est qu'il trouve merveilleux le mécanisme naturel d'élimination des perdants et comme c'est pour lui la condition de la "société ouverte", il ose appeler cela coopération ! L'erreur du darwinisme social est d'ignorer justement la véritable coopération, de la meute ou de la tanière, la protection de la diversité, donc de la faiblesse pour préserver la capacité d'évolution. Enfin sa conception négative de la liberté comme absence de coercition par un autre homme qui ne va pas jusqu'à tirer toutes les conséquences du devoir de ne pas prendre l'autre comme moyen, refuse explicitement la conception d'Amartya Sen d'une liberté définie positivement comme pouvoir, capacité effective, l'identifiant à la richesse elle-même et où Hayek voit la fin de la liberté individuelle comme absence de coercition!
L'existence de la firme dément le fait que le marché soit le meilleur système, surtout lorsque l'information est déficiente. Le libéralisme est une croyance du même ordre que le communisme. Sociologie économique.
Sa définition de l'économie comme catallaxie (Katallatein : échanger, admettre dans la communauté, faire d'un ennemi un ami) confond les échanges de dons qui relient avec l'échange marchand où nous sommes quittes et où la mobilité casse des rigidités sociales mais ne peut faire communauté. Un communauté introduit des fidélités, des rigidités, une conscience de soi et une capacité, comme la firme, d'apprendre. L'évolution ne se réduit plus à la sélection mais la mémoire et l'apprentissage prennent le relais : réduction de la violence et accélération de l'évolution (couveuses, pépinières d'entreprises).
Donc tout cela ne vaut rien mais il reste toujours des observations justes, des rapprochements inattendus qui méritent réflexion.
Dans sa critique de la protection sociale, Hayek remet en cause précisément
son caractère de redistribution à l'égard des classes
moyennes. Hayek se situe dans la classe des riches, s'opposant à
la classe moyenne où il voit comme Aristote le pouvoir dominant
des sociétés et, de son point de vue, rejoignant d'ailleurs
Sauvy, les classes moyennes étant les plus hostiles aux plus démunis.
C'est à ce titre qu'il défend un revenu minimum (empêchant
les pauvres de troubler les affaires) sans constituer une redistribution
aux classes moyennes mais se voulant un substitut de la société
elle-même.
L'universel étranger
L'universalité des rapports marchands ne va pas sans abstraction, sans dépouiller le sujet de tout attribut, de tout lien social, en l'isolant de tous, le constituant comme l'étranger même, essence humaine sans visage qui nous unit par-delà nos différences les plus voyantes. Cette universalité a un coût, puisqu'elle nous isole et nous rend étrangers à nous-mêmes, elle a pourtant l'avantage de nous libérer des dominations locales et de nous unifier mais surtout d'accélérer son extension à toutes les masses humaines. C'est une dimension de la production quantitative alors que le passage à une production qualitative s'appuiera au contraire sur les singularités personnelles.
Comme la nation reconstruisait une nouvelle solidarité par-dessus les liens traditionnels que le capitalisme détruisait (Perroux), ce n'est qu'à partir de la mondialisation achevée, de l'Empire universel pour lequel nous sommes tous comme des étrangers que peut se reconstruire un droit universel comme droit des étrangers comme la Renaissance avait produit le droit des gens, protégeant ceux qui n'étaient pas de notre communauté ou notre religion (si difficile à admettre : ne pas partager la même Loi mais avoir des droits commun). Ce droit de l'étranger doit aller jusqu'à la valorisation de la personne, la séparation universelle servant de base à une réappropriation de notre communauté humaine, de notre citoyenneté planétaire.
Il n'y a plus d'étrangers, il n'y a plus que des pauvres (développement humain)
Sans-papiers
Les échanges avec les étrangers se multiplient rapidement,
permettant la production de masse (Labrousse).
Décolonisation de la vie
Les villes colonisaient leurs alentour comme les pauvres et les sauvages bientôt vont être colonisés afin de leur apporter la civilisation. C'est un déracinement, la fin du foyer protecteur, des ancêtres et du clan et lorsque l'Eglise se détournera des pauvres, elle les livrera à l'exploitation la plus féroce.
Après avoir rendu chacun étranger à soi-même, obtenir des droits universels et décoloniser notre vie.
Revenu garanti, libération du travail
Paris, capitale universelle
Longtemps Paris a été la capitale culturelle du monde
et, si on peut dire qu'elle ne l'est plus vraiment, il n'y en a toujours
pas d'autre. Si l'épisode vichyste a pu altérer l'image de
la France, elle était encore la conscience du monde (ou la capitale
de la mode) de Sartre à Mai 68 au moins. Encore aujourd'hui, les
américains se plaignent de la domination de la pensée française
(Derrida, Foucault, Lyotard) ! Braudel a montré que la capitale
culturelle n'était presque jamais la capitale politique ou commerciale,
mais plutôt de second rang (Athènes, Alexandrie, Florence,
Paris) et cosmopolite. On ne voit pas émerger un autre centre alors
que l'unification européenne est favorable à un renouveau
du rôle de Paris comme centre intellectuel de l'Europe, entre Allemagne,
Angleterre et Italie. Objectivement, Paris peut prétendre reprendre
sa place mais surtout parce qu'elle peut se réclamer de la tradition
révolutionnaire qui fait de la France la patrie des droits universels.
C'est pour cela qu'on aime et respecte Paris, qu'on attend de la France
un éclairage pour le reste du monde, pour parler au nom des opprimés
et de la raison. Il n'y a pas de nationalisme républicain, la république
est universelle.