1. L'APEIS
La direction de l'APEIS, très majoritairement issue du PC, est la plus offensive, à la fois contre le Revenu d'Existence et pour le plein emploi. Les débats sur ce sujet étaient verrouillés par des apparatchiks mais la base, formée en grande partie de chômeurs et précaires, était beaucoup plus critique sur le travail salarié et beaucoup plus favorable à un droit au revenu.
L'alternative proposée est insensée. On nous dit : ce que vous voulez ce n'est pas un revenu, c'est un bon travail, agréable et bien payé ! On aurait pu nous dire tout aussi bien, ce que vous voulez c'est gagner au Loto, être jeune, beau et riche... Or, tout le monde est d'accord qu'il vaut mieux avoir une fonction sociale reconnue, mais ce n'est pas en faisant des incantations, ni même des manifestations, qu'on crée de l'emploi, encore moins des bons emplois pour les plus précaires ! Alors qu'un rapport de force suffisant peut obtenir immédiatement une augmentation substantielle des minima sociaux.
Pour la direction de l'APEIS, le Revenu d'Existence est assimilé à la version libérale de Yoland Bresson d'une allocation universelle, ce qui est déjà un comble car il n'est question pour personne d'accepter un RE de 1800 F, ni la suppression des autres allocations. Revendiquer le RE serait aussi abandonner la revendication d'un travail pour tous, l'allocation versée étant considérée comme un solde de tout compte. C'est une conclusion extraordinaire car 1) la caractéristique principale du RE est de pouvoir se cumuler avec un travail, sinon ce n'est pas un RE mais un RMI. 2) la mobilisation actuelle contre le chômage n'est pas très forte, l'attribution d'un RE ne la diminuerait pas beaucoup voire, donnant plus d'autonomie à chacun, renforcerait la capacité revendicative. Si c'est vraiment du travail dont on a besoin et pas seulement un revenu, aucune désincitation au travail n'est à craindre. D'ailleurs, même la direction de l'APEIS s'est refusée à entrer dans la logique d'une suppression du RMI par exemple qui a été proposée pour accroître la combativité des pauvres ; proposition absurde mais qui découle des arguments avancés contre le RE. L'amusant, d'ailleurs, est que, dès qu'on n'emploie plus le terme Revenu d'Existence mais qu'on dit augmentation des minima sociaux à 4000 F, attribués individuellement à tous et cumulables avec un autre revenu, tout le monde est d'accord! La résistance est bien uniquement idéologique.
La soi-disant alternative est donc le plein emploi. Mais comment ? Par l'interdiction de licenciement, c'est-à-dire par une sorte d'interdiction d'embauche, en fait, ou une affectation bureaucratique. Comme, en général, avec les prétendus marxistes actuels, on assiste à un discours schizophrénique hallucinant. Les patrons sont désignés comme les seuls responsables de tout, uniquement préoccupés de leur profit (ce qui est vrai). Mais il faut plus de patrons car il faut que tout le monde soit embauché par un patron ! Le salariat est malade mais il faut qu'on soit tous salariés car seul compte le rapport de force patron/salarié, la lutte des classes. Il faut des méchants patrons pour qu'on puisse lutter contre et, surtout pas comme le voulait Marx une abolition du salariat !
2. Congrès des Verts européens
C'est plus étonnant de la part d'écologistes, mais on a pu entendre aussi au congrès des Verts européens, la revendication du plein emploi, sans proposer d'ailleurs de solutions plus convaincantes.
D'abord, la critique de la banque centrale et des taux d'intérêt dans la zone Euro a prétendu s'habiller du terme de développement soutenable. Je ne vois pas comment une relance globale pourrait être autre chose qu'une croissance productiviste. Pour une relance sélective dans les transports en commun, le chemin de fer, etc. le plus approprié serait un emprunt européen et non pas une baisse des taux. Je ne dis pas qu'il faut combattre toute relance qui pourrait soulager les plus pauvres dans le contexte actuel, il ne faut pas la prétendre écologiquement responsable pour autant. Ce n'est pas de croissance dont nous avons besoin mais d'une meilleure répartition des richesses.
La revendication du plein emploi a surtout été soutenue par le délégué allemand avec un raisonnement semblable à celui de l'APEIS : le salariat est ce qui donne statut et protection sociale, donc il faut généraliser le salariat et non pas prétendre en sortir. Ce salariat généralisé ne serait pas forcément dépendant ne désignant qu'un ensemble fonction + statut + revenu. Mais on ne voit pas comment la fonction serait attribuée sinon par le marché (du travail), de même que le revenu, on ne sort pas de la logique de concurrence ni du productivisme du salariat (bien que cela ne soit pas évident à première vue, l'identité du salariat et du capitalisme mais aussi du productivisme a bien été démontrée par Marx depuis travail salarié et capital).
Il semble que là encore, ce soit un discours purement incantatoire, qui vise seulement à dire ce que la majorité veut entendre. La démocratie ne consiste pas à simplement refléter les désirs légitimes ou irrationnels, les nostalgies de la foule ; cela s'appelle de la démagogie qui est la maladie permanente de la démocratie. Tous les partis ne savent plus faire que cela, représenter les intérêts et flatter les désirs de leur électorat. C'est maintenant une tautologie de dire cela et on n'imagine pas d'autre façon de faire de la politique puisqu'on refuse toute transcendance du bien public et que tous les discours se valent livrés à l'opinion des sondages. Du discours décomplexé de l'extrême-droite à la fonction tribunicienne du PC, la politique se confond avec la pure démagogie des promesses jamais tenues. Ce n'est pas la même chose pourtant de soutenir toutes les luttes sociales, l'intervention citoyenne, ou de les flatter en se réduisant à la reprise de revendications particulières dont il faudrait plutôt tirer des conséquences globales. Abolir la misère, ce n'est pas réaliser les rêves illusoires de la misère mais trouver une réponse juste et réaliste à une injustice criante. La démocratie grecque n'avait rien de parfait mais elle n'échappait à la démagogie qu'au nom des intérêts supérieurs de la cité.
Tout ceci pour dire que le droit au travail est une utopie, même s'il exprime les désirs des chômeurs, beaucoup plus que le droit au revenu qui est immédiatement réalisable et que les chômeurs exigent.
Les revendications des salariés sont légitimes, il faut les protéger mieux contre la flexibilité et la précarité, protéger aussi les intermittents. Le salariat est toujours en progression mais avec de plus en plus de tensions, de moins en moins de de Contrats à Durée Indéterminée. On le regrette mais ce n'est pas sans raisons dues à l'évolution du mode de production. La production immatérielle (informatique, service, culture) n'utilise plus une "force de travail" qui se mesure en temps de travail mais une capacité de "résolution de problèmes" qui se mesure en objectifs atteints. C'est une des raisons des Contrats à Durée Déterminé (voir Yann Moulier-Boutang). On ne peut donc se limiter à la réduction du temps de travail.
Il faut adapter le salariat et la protection sociale à ces évolutions, réduire le temps de travail, partager le salariat, mais il ne sert à rien de vouloir revenir au fordisme, ce sont de nouveaux droits qu'il nous faut conquérir. Surtout, il ne faut pas négliger ceux qui échappent à ce statut protégé (nouveau travail dépendant, chômeurs) et ne pas prétendre tout régler par un retour en arrière.
Le Revenu d'Existence ne va pas abolir immédiatement le salariat mais il rétablira les pauvres dans leurs droits de citoyen (droit à l'existence, à la santé, à l'éducation, à l'information, au logement, à l'air, à l'eau...). Il doit permettre ainsi d'affaiblir la contrainte salariale puisque le salariat est basé sur l'existence d'une classe qui ne possède rien et doit vendre sa force de travail pour vivre. Il doit favoriser aussi un autre type d'activité que le salariat, centré sur le produit et non plus sur le marché. Nous avons des raisons écologiques de soutenir ces activités "quaternaires" qui sont au centre d'un développement soutenable et à les faire entrer dans le Tiers-secteur subventionné (la définition du tiers secteur par l'existence de deux sources de financement : public et privé, fait qu'on peut tout transformer en Tiers-secteur : il suffit de le financer par l'État. L'agriculture est ainsi le premier poste du Tiers-secteur).
On doit, bien sûr, se préoccuper que chacun ait un statut, une place. Il ne s'agit pas de laisser les assistés désoeuvrés mais, au contraire, de leur assurer assez de revenu pour s'entretenir et pouvoir travailler. Le niveau du revenu détermine en grande partie la reproduction de la capacité de travail, ce que le patronat appelle l'employabilité (plus on augmente les salaires, plus on améliore globalement la productivité). Nous avons tous besoin de participer à la socialisation, et la valorisation de l'échange est un mode de communication universel. Cependant, depuis que la production s'oriente vers l'immatériel, son produit est d'emblée social, indépendamment de sa valeur (on le voit avec Internet où ce qui fait la valeur d'un produit gratuit comme Netscape, c'est son utilisation par des millions d'internautes). Le salariat et la valorisation marchande sont moins nécessaires socialement dans ces secteurs. Enfin en rémunérant le travail de reproduction ou de formation et en assurant à tout citoyen l'indépendance financière, le Revenu d'Existence doit nous éviter de marchandiser toutes les activités communicationnelles ou relationnelles, réduire tous nos rapports au marchandage. Le passage du salariat au revenu d'existence, des droits de l'homme abstrait au droit à l'existence et à l'autonomie financière est comparable au passage de l'esclavage au salariat.
Ce n'est pas la fin du travail, d'autant moins qu'après un krach
bien prévisible cette année, on devrait bénéficier
d'un nouveau "cycle de Kondratieff" (assassiné par Staline pour
avoir prétendu que 1929 n'était pas la fin du capitalisme).
Dans plus de 15 ans, on pourrait retrouver un plein emploi (plus le problème
des retraites) mais avec des contraintes écologiques de plus en
plus pressantes. Les écologistes ne peuvent soutenir le productivisme
actuel et son aveuglement à toutes ses conséquences négatives
pour sauver le plein emploi. C'est un autre développement qu'il
faut inventer et soutenir, hors de tout rapport de subordination et non
pas rendre un peu plus durable notre gâchis actuel de ressources
et de vies.