Catastrophisme, décroissance et alternative écologiste
La seule vision qu'on donne de l'écologie est celle des catastrophes écologiques
qui nous menacent, de l'épuisement de nos
ressources et de la crise de l'énergie qui annonceraient la fin
du capitalisme en nous forçant à changer de mode de vie.
C'est
largement une illusion. La rapidité du réchauffement
climatique est sans aucun doute dramatique, bien que les
conséquences en soient difficiles à déterminer
exactement, mais
les
autres menaces sont souvent surévaluées bien que
réelles (la faim dans le
monde régresse et l'énergie solaire est abondante).
L'épuisement de nos ressources n'est pas pour tout de suite et
surtout
le capitalisme n'en sera pas profondément affecté,
même s'il connaîtra assurément de nouveaux
bouleversements. Les
destructions
écologiques et sociales condamnent le capitalisme à nos yeux mais ce
n'est pas suffisant pour le condamner dans les faits. On ne peut
compter sur des "contraintes objectives" qui nous dispenseraient d'une
action politique résolue ni de la construction d'un
système de production alternatif au productivisme du capitalisme
salarial. Il ne suffit pas qu'un système s'effondre il faut
savoir par quoi le remplacer et reconstruire pierre à pierre un
système alternatif, ce qui prend du temps.
Non seulement le capitalisme ne semble pas menacé par les
contraintes écologiques mais il prétend les prendre en
compte avec ce qu'on appelle le "développement durable" ou
même l'éco-économie de Lester Brown. Les partis
écologistes sont de plus en plus intégrés à
la gestion de cette société de marché
fondée sur la croissance. Face à cette escroquerie, une
volonté de rupture s'est manifestée récemment avec
la promotion de la décroissance par les
écologistes radicaux. C'est un mot d'ordre qui a l'avantage de
la clarté, s'opposant ouvertement à tous les autres
partis qui attendent la croissance comme le messie, et surtout par
l'affirmation de son incompatibilité avec le capitalisme dont le
productivisme ne peut absolument pas se passer de croissance. Pourtant,
la faiblesse de ce slogan tient à ce qu'il n'est guère
plus que le miroir inversé de la croissance et ne contient, lui
non plus, aucun projet alternatif.
On aurait tort de s'imaginer que la croissance n'est
plus possible. Bien sûr la croissance ne peut se poursuivre
éternellement mais ses limites relèvent plus de
l'économie que de l'écologie, pour l'instant du moins. Comme
Schumpeter l'avait déjà souligné, la cause des
dépressions, des périodes de "décroissance" de
l'économie, de "destructions créatrices", c'est la
croissance qui a précédée ! Il y a donc des cycles
de l'économie, y compris des cycles longs "d'innovation" qui
sont surtout des cycles générationnels (papy boom).
Après les "trente glorieuses" puis 30 années de
dépression nous sommes au début d'une nouvelle
période de croissance, tirée par "les nouvelles technologie" de l'information et par la Chine principalement,
bien loin de la fin annoncée du capitalisme. Ce n'est pas sans
poser de graves problèmes écologiques mais pas au point
de rendre la croissance impossible.
Tout cela ne signifie pas qu'on ne peut rien y faire mais qu'il faut y
opposer un véritable projet écologiste et commencer à construire,
dès maintenant, une économie alternative
relocalisée permettant de sortir du productivisme. L'objectif purement
quantitatif de "décroissance" ne suffit pas, comme si on pouvait
garder le même système sans le productivisme qui lui donne
toute sa dynamique. L'illusion la plus dangereuse serait celle d'une
réduction individuelle de notre consommation, ce qu'on appelle
la "simplicité volontaire"
reprenant la conception
individualiste et morale de la société de marché,
comme s'il suffisait de se donner bonne conscience alors que c'est
l'organisation de la production qu'il faut
changer. Nous devons nous organiser collectivement plutôt que
d'agir chacun pour soi, de façon éparpillée. La
réduction de nos consommations n'a aucun effet sur
le productivisme capitaliste, pas plus que les milliards de pauvres
bien obligés malgré eux de sous-consommer. Il faut
critiquer aussi la
prétention de dicter autoritairement ce qui seraient nos
véritables besoins sociaux, simple inversion là encore de
la création de faux besoins par la publicité.
Prétendre enfin que "décroissance conviviale" et
"simplicité volontaire" (ou retour à la nature) nous
apporteraient le bonheur relève de la même logique
publicitaire. "La poursuite universelle du bonheur et le malheur
généralisé
dans notre société sont les deux faces d'une même
médaille" selon Hannah Arendt, revendication du "travailleur", dont l'autre face est celle du consommateur "car l'animal
laborans,
et non pas l'homme de métier, ni l'homme d'action,
est le seul qui ait jamais demandé à être heureux".
Ce sont vérités à peine audibles devant
l'évidence de l'intérêt individuel qui nous domine.
Une véritable alternative
écologiste ne peut venir
d'une résistance individuelle au capitalisme ni d'une simple
réduction de son productivisme mais exigera des actions
collectives pour instituer de tout autres rapports de production
(coopératifs) plus adaptés aux nouvelles forces
productives de l'ère de l'information. Au-delà du
catastrophisme, de la décroissance quantitative ou de notre
rapport à la consommation, l'essentiel est de savoir quelle
société nous voulons et comment y parvenir, c'est de
s'entendre sur nos finalités collectives de convivialité
et de développement humain, définir des objectifs
qualitatifs et s'organiser pour les atteindre. Ce n'est pas facile, car
si on ne veut pas se
laisser-faire par les marchés, on ne peut faire n'importe quoi
au nom de n'importe quelle utopie ou du relativisme des opinions,
chacun revendiquant sa propre vérité comme si nous ne
vivions pas dans un monde commun. La construction d'un projet
collectif passe par la compréhension de la réalité
objective dans toutes ses dimensions et sa diversité, l'analyse
des ressorts du capitalisme triomphant et
de ses conséquences écologiques ainsi que la prise en
compte des transformations du travail et des réelles
potentialités de l'ère de
l'information, de la formation, des savoirs, de la production de soi,
du "capital humain", de l'immatériel, de la reproduction, de la
communication, de la coopération, des réseaux, etc. On
peut espérer un meilleur respect des
équilibres écologiques par la réorientation de
l'économie vers l'immatériel et les services, qui doit se
combiner à une relocalisation de l'économie,
insérée dans son milieu, municipalisée, favorisant
la coopération des activités autonomes et permettant
d'échapper au
salariat capitaliste avec un revenu garanti que le salariat ne garantit
plus. Ce sont les conditions d'une sortie effective du
productivisme dont l'insécurité sociale et la
dépendance salariale sont l'autre face. C'est ce que j'appelle
l'écologie
révolutionnaire, qui prend la question écologique
à sa racine, dans la production, à l'opposée des
stratégies réformistes de limitation des
dégâts, mais c'est une révolution qui
prend du
temps et ne se réduit pas à une simple "prise de pouvoir".
Pas
besoin d'attendre le grand soir. Cette politique de
développement humain et de dynamisation des
services de proximité peut se faire dès à présent grâce à
des coopératives municipales ou des Systèmes d'Echanges
Locaux (SEL) avec des monnaies locales. La relocalisation de
l'économie, ici et maintenant, ne
dépend pas d'une décision globale qui viendrait
d'ailleurs mais de la reconstitution d'une communauté politique
locale et d'une "démocratie de face à face", de notre organisation et de notre action. Rien ne se fera sans
nous. Ce n'est pas la fin du monde ni de l'histoire, comme on voudrait nous le faire croire, nous
en sommes aux commencements.
Argument pour une tournée en Belgique à l'invitation de jeunes belges (Jeunes à Contre Courant http://www.jcc.lautre.net/)
: lundi 18 Avril à "L'espace
Marx" de Bruxelles (avec Isabelle
Stengers, sur l'anticapitalisme). Les 19 et 20 Avril à
Liège (Casa
Nicaragua, sur la
décroissance ; Espace Marx Liège, sur l'anticapitalisme).
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