C'est incontestablement le résultat d'une euphorie injustifiée mais encore faut-il savoir de quelle euphorie exactement. Pas seulement celle des actionnaires qui ne sont là rien d'autre que le reflet d'une société abandonnée au marché au nom de promesses irrationnelles, d'une société ayant abandonné toutes ses valeurs au Veau d'Or jusqu'à disparaître comme société. Il ne suffira pas d'une "correction boursière" pour que ça reparte comme en 40. Il n'est pas sérieux d'ajuster à peine ses prévisions linéaires pour l'avenir quand on sait que de nouveaux équilibres imposeront des mutations profondes de notre mode de production qui est déjà entré dans l'ère de l'information. Il n'est pas sérieux de se contenter de petites mesures pour la réduction du CO2, alors que la température n'arrête pas de monter et menace la plupart des îles, provoquant déjà des catastrophes météorologiques. Il n'est pas sérieux de se contenter d'une croissance faible alors qu'une décroissance s'imposera fatalement pour les pays développés. Il faut redescendre de l'euphorie productiviste et individualiste qui devient obscène devant l'augmentation des pollutions, de la misère et du chômage qui en résultent.
Il faut laisser les gouvernements s'occuper de l'organisation de la finance mondiale puisque cela semble la priorité du moment. Il n'en sortira que du bon car, à poser une autorité politique de régulation, on devient responsable collectivement de l'ensemble de la planète. On renonce enfin à considérer l'économie, le produit de nos actions, comme une phénomène naturel indépendant de nous (la main invisible du marché). La politique retrouve son rôle d'affirmation de notre dignité humaine et de notre solidarité collective, la responsabilité de notre monde. Le débat public devient plus important que les biens matériels. Il devient inacceptable de tolérer un accroissement de la misère dans une société d'abondance et d'accroissement de la richesse au-delà du raisonnable. Le travail deviendra enfin une fonction et un statut social et non plus une contrainte. La vie en société, la conscience de soi de la société, redevient l'essentiel de l'histoire.
Cette société n'est pas encore finie, elle aura des sursis, mais elle a perdu toute base théorique et morale. Elle n'est pas durable et devra se transformer radicalement à court terme. Les solutions n'ont jamais été autant à portée de main. C'est tellement possible désormais, et tellement nécessaire de plus en plus, tellement vrai enfin que c'est déjà presque réel. Il y a des étapes à respecter, il s'agit juste de ne pas perdre trop de temps et profiter de l'occasion plutôt que de s'accrocher à une civilisation morte et épuisée pour qui nous avons perdu tout respect.
D'autres, pris encore par l'euphorie de leur carrière, ne voient
pas la misère, ni les déchets de leurs rêves marchandés.
Toutes ces dénégations n'empêchent en rien, bien sûr,
de se cogner inévitablement à la dure limite qui nous ramène
à terre. Nous n'avons rien à y perdre qu'un spectacle de
ruines. Une économie florissante, assurant le matériel, a
toujours été l'occasion d'un développement des "loisirs"
intellectuels. Cette vie intellectuelle appelée à un développement
considérable dans la civilisation de l'information, mais qui est
aujourd'hui moribonde, ne peut se concevoir sans une société
unie, solidaire et responsable, sans la reconnaissance de la dignité
égale de tout être parlant ouvert au dialogue. La possibilité
de notre avenir exige une nouvelle fondation de la société
dont personne ne soit exclu ou laissé dans la misère. La
plupart des civilisations y ont réussi avant nous sans avoir nos
immenses moyens. Il y va de notre vérité contre le poids
de la passivité et de l'habitude, le courage d'affronter l'avenir
de la Terre par-delà notre mort même. Soleil déchu
dispersé en milliers d'étoiles à venir.