Les critiques sont très précises portant surtout sur le 3ème point du chapitre 5 et "Faut-il lutter contre la précarité ?" du chapitre 6. Plus généralement on peut critiquer cependant un éloge de la croissance au nom du plein emploi. Si les problèmes écologiques sont mentionnés, on ne voit pas quelles réponses sont proposés. La Réduction du temps de travail évoquée n'est en rien une atteinte au productivisme (les usines tournent toujours autant), améliorant plutôt la flexibilité. De toutes façons, s'il faut favoriser le passage aux 32H, il est illusoire de croire à une diminution massive du temps de travail dans les années qui viennent.
Chapitre 5
On est complètement d'accord sur les "trappes à inactivité". C'est une conception libérale stupide appliquée aux chômeurs alors que c'est un concept opérateur pour une entreprise. L'individualisme méthodologique voudrait faire de chacun une petite entreprise alors qu'on a plutôt affaire individuellement à des pesanteurs sociologiques. Une fois qu'on a montré sa supériorité théorique, reste encore à se mettre au point de vue du précaire (ce que ne fait jamais ce rapport) et à constater qu'il y a bien un problème malgré tout, une injustice insupportable. Certes, les effets de seuil, les trappes à chômage n'ont jamais empêché les gens de travailler (le chômage est macro-économique), il n'empêche qu'ils défavorisent les plus pauvres, constituant une taxation à 100% de leur travail souvent. Il n'y a pas besoin de croire au chômage volontaire pour trouver cette situation inadmissible.
Mais ce qui se formalise dans ce rapport c'est bien l'opposition des
salariés protégés aux précaires, opposition
que dénonce le mouvement des chômeurs depuis 1997 au moins.
Il n'est donc pas question de se mettre à la place des précaires
mais par une sorte de politique de l'autruche, on proclame que le précariat
ne devrait pas exister donc il ne faut pas aider les précaires (ce
qui serait justifier leur existence) !
C'est incroyable car on fait comme si le précariat n'existait pas effectivement SANS PROTECTIONS NI ENCOURAGEMENTS NI IMPOT NEGATIF.
Le comble est atteint dans le point 3 où il s'agit de montrer que la lutte contre la pauvreté est perverse (toujours ce même principe libéral: faire l'aumône n'est pas la charité de Defoe). Donc, certes les salariés concernés y gagnent mais heureusement qu'il y a des professeurs pour leur faire comprendre que cela ne serait pas bien pour eux (pauvres myopes et amnésiques).
Tout-à-coup, on nous ressort les mécanismes de marché qu'on vient juste de réfuter quelques pages avant ! Aider les pauvres c'est les multiplier, c'est faire baisser les salaires, etc. ! On nous fait le coup des effets à long terme supposés mauvais pour ce qui est un bien à court terme alors même qu'on s'est moqué de ce procédé contre le dogmatisme libéral ! Refuser d'assister les pauvres sous prétexte qu'il y aurait le risque d'une condamnation d'une "société d'assistance", qu'est-ce sinon épouser la position de Jospin et se mettre clairement de ce côté. C'est le même principe que de faire une politique sécuritaire pour combattre une droite sécuritaire ! Un écologiste ne peut être contre une société d'assistance pour tous qui n'a rien d'insultant et dont seuls les riches bénéficient pour l'instant grâce à leurs familles.
On nous prédit un enchaînement de catastrophes auxquelles nous ne pourrons rien à cause de cette mesurette, enchaînements purement imaginaires qui ne tiennent pas compte de l'évolution du rapport de force. Déviation théoriciste et économiciste. On se retrouve pourtant dans la dénonciation de l'insuffisance criante de cette mesure, dans la revendication de l'augmentation des minima sociaux, etc. comme dans la condamnation du projet libéral sous-jacent.
Chapitre 6
Dans ce chapitre, l'opposition de nos points de vue est flagrant sur le point : "Faut-il lutter conte la précarité ?"
Très clairement, ils refusent le projet d'Alain Supiot de garanties "Au-delà de l'emploi" qualifiée de bonnes intentions, "ces travaux n'en comportaient pas moins le sérieux risque de lâcher la proie (le droit du travail structuré autour de l'emploi) pour l'ombre (un système de garanties, par-delà la stabilité de l'emploi, aux contours souvent mal définis)".
On retombe dans cette obstination à vouloir en finir avec le précariat, ce qui, cette fois, n'est qu'une bonne intention sans aucun effet sur la réalité. On peut espérer que le précariat régresse grâce à la croissance mais on ne le supprimera pas et on ne peut nier une mobilité accélérée ni les conditions de la production culturelle et artistique appelée à se développer. Bien sûr, pour entrevoir une alternative à la croissance productiviste il faudrait avoir un autre horizon que le salariat (le retour aux usines fordistes), il faudrait développer les activités autonomes, hors salariat. On ne reste ici que dans la gestion à court terme du capitalisme, dans le mythe d'un système inchangé où le temps de travail se réduirait continûment alors que le système a déjà changé de bases productives sans les protections nécessaires.
On n'a donc ni la même expérience de l'économie informationnelle et du précariat, ni le même pronostic sur le développement du "cognitariat" et l'urgence d'une alternative au salariat productiviste. Il faudrait pourtant que les travaillistes de gauche arrêtent d'opposer les intérêts des salariés protégés à ceux des précaires, qu'ils arrêtent d'empêcher les protections indispensables même au libéralisme alors qu'ils sont incapables de combattre ce libéralisme et ses conséquences désastreuses. Il faut que le salariat retrouve des protections renforcées, il faut que les salaires augmentent, il faut réduire le précariat mais pour cela il faut d'abord protéger les précaires, ne plus les laisser sans droits, sans revenus, dans l'enfer du salariat. Une fois que le précariat ne sera plus laissé à l'abandon, les reconquêtes sociales pourront recommencer. Le préalable, c'est un revenu garanti et un statut au-delà de l'emploi.