1. D'abord, la période n'est pas encore à la critique, elle est au soulagement sinon à la joie car le pire a été évité. Le pire n'a été évité qu'à abandonner le traité de Rambouillet en introduisant les Russes (partisans des Serbes) et en substituant l'ONU à l'OTAN. Ce n'était pas gagné d'avance puisque c'était la cause de la guerre (le volet politique ayant été accepté). Il faut savoir gré à Fischer d'avoir organisé l'abandon de la logique de puissance, même si cela a pris bien trop de temps. Ce n'est pas parce qu'un certain nombre de catastrophes ne se sont pas produites qu'elles ne constituaient pas de réelles menaces. Laissons-nous le temps de goûter un peu ce retour à la raison politique. Cela ne veut pas dire que tout est réglé (ni avec les Russes, ni avec la Chine, ni avec l'Inde) et qu'on n'aura pas pendant longtemps des retombées nucléaires.
2. J'ai toujours écrit qu'il était évident que l'OTAN finira par vaincre. Il ne pouvait en être autrement, c'était contrairement à la 2ème guerre mondiale, clairement une guerre du fort au faible (à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire). La "victoire" ne saurait me surprendre, ni me faire changer d'avis sur le scandale et le désastre de cette guerre criminelle pour des millions de Kosovars et menée par des incapables sans imagination. Si les apparences formelles de victoire ne sont guère surprenantes, la question qui reste posée est si c'est bien une victoire par rapport aux objectifs de départ. Il est remarquable que ce soit en abandonnant les exigences de Rambouillet qu'on a pu remplir les objectifs politiques de protection du Kosovo. En aucun cas on ne peut prétendre que la guerre a permis d'aggraver les contraintes de départ pour la Serbie qui n'a donc pas capitulé (mais elle capitulera bien mieux devant l'argent de la reconstruction - méthode moins violente).
3. Critiquer la guerre n'est pas soutenir Milosévic. J'étais depuis le début partisan d'une intervention (diplomatique) pour aider (vraiment) les Kosovars. L'inefficacité des bombardements pour les protéger était chaque jour plus évidente et la guerre perdait le soutien des populations ce qui a engagé les "gouvernements occidentaux" a négocier plutôt que d'ajouter des massacres encore aux massacres des Serbes. L'accord a été obtenu en limitant la force internationale au Kosovo, en se mettant sous la protection des Russes et en substituant l'ONU à l'OTAN. Une résolution du conseil de sécurité est plus efficace que 70 jours de bombardements.
4. Indépendamment de ce qu'on pense, cette guerre aura, comme toute guerre, de nombreuses conséquences, certaines favorables (renforcement de l'Europe?, et de la Russie? du TPI? intégration des Balkans à l'Europe) et d'autres très dangereuses pour les conflits à venir (retombées nucléaires : menace au Cachemire, se référant explicitement au Kosovo, incertitudes en Chine et en Russie). L'occident qui représentait le colonialisme avant la chute de l'URSS ne pourra pas prétendre incarner seul le Droit, le juste et la force. Il faut au contraire un renforcement des institutions internationales pour éviter les guerres futures. Je ne suis pas dupe de la morale dont s'habillent les enjeux de puissance, mais il y a une force propre de la morale et de la propagande qui laissent durablement leurs traces, dès lors on peut dire qu'il y a un progrès moral malgré tout mais je ne suis pas sûr que cela porte vraiment à conséquence. Il faudrait pourtant que cet élan moral refuse aussi la misère que nous produisons au coeur de nos sociétés. C'est un progrès de considérer qu'il faut un gendarme planétaire à condition de reconnaître que ce ne peut être simplement l'hégémonie américaine et que la diplomatie vaut mieux que les armes. En attendant, les retombées atomiques continueront à nous menacer longtemps. Et l'écologie devra s'interroger longtemps encore sur notre première guerre, au rôle de l'écologie dans la résolution des conflits.