REV
(HIVER)
Je serais la resucée geignarde et faible des révoltes
passées.
Mais ne laisserais pas faire, pour moi, tant que je pourrais
!
Proclamerais les souffrances anciennes.
Pour celles de demain, ne dis mot ni consens.
Au nom d'anciens massacres, on prête main servile aux
maîtres d'aujourd'hui et pour ne plus oser de nouvelles défaites,
on préfère la honte ou même le mépris... Mais
les comptes se tiennent sans pouvoir s'y soustraire. Chacun y tient sa
place, y donne tout son dû et sans cesse en répond. Le rêve
toujours aussi inaccessible, notre part pourtant reste sans égale
et, au plus près de nous, au coeur de la bataille, suspendu à
nos bouches et sans aucun recours, le pire ou le meilleur dure ou meure.
Rien sinon ce dialogue sans fin. Aucune certitude, pas la moindre
habitude pour appuyer nos dires, apaiser le pari de nos pères, prédire
un avenir qui, en chacun de nous, sommeille encore.
La parole ne peut décrire que le silence, personne ne
répond.
Les temples vides, orgueils du désert, sont plus beaux
que les idoles des foules.
Mais pourquoi ne pas s'en tenir à la révolte,
pourquoi donner forme à son cri, si vaincu? Faire littérature
est avouer le prix de son ratage, porter plus que son âme, sa fragile
présence, ses doutes, ses armes. Pas d'élu, de génie,
pas de peuple : le mystère nous précède et survit
à nos pièges.
Ça ne fait pas recette, on cherche des mots d'ordre,
j'en ai.
Rien que routine.
La bêtise régnante n'est pas nouvelle, c'est quand
enfin son vide est devenu flagrant, qu'elle nous gonfle et nous dresse
par milliers, moment que les plus avisés attendent trop longtemps.
Saviez-vous, jeunes filles au sourire d'argent, pourquoi le poète
est si triste en attendant ce jour, est-ce de ne pas encore vous avoir
rencontrées, ou d'en avoir tant vu qu'il en verra encore. Car il
sait bien ce qu'il faudrait à ses lèvres et ce qu'il a donné,
il connaît la jeunesse et ses défaites et ses joies. Et le
jour se lèvera où les coeurs seront plus légers.
Qu'il vienne, Qu'il vienne
Le temps dont on s'éprenne.
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Il ne saurait suffire d'attendre et d'espérer quand
tout dépend de nous.
Avant que ne s'ouvre la campagne, où l'on dira bien
ce que vous valez, chers électeurs, rappelons-nous la dernière.
On avait mis Rimbaud au pouvoir : Changer la vie, sans rire! Qu'ont-ils
fait de nous ces pantins cravatés et sans fiel ? Je réclame
le droit de réponse et décrète, au nom de tous les
offensés, la révolution poétarienne.
Notre poésie ne veut aucun mort, des vivants, rien de
plus, mais des bons.
Le bonheur ne sera jamais qu'affaire de rentier.
Riez jeunesse bavarde, vieillards argentés,
Riez s'il vous reste tant à rire
Le monde est à notre portée
Le temps travaille pour nous
Et ronge votre passé
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On s'étonna jadis que les fils de bonne famille deviennent
de vrais gardes rouges. Puis ils sont redevenus de bons fils, soutenant
de toutes leurs forces de travail l'ordre qui les a vus naître. On
a dit "Les révolutionnaires sont devenus raisonnables". Les excès
passés mis au compte de la jeunesse qui se fait les dents et l'inouï
rendu à la morne routine. Les traîtres sont traités
en héros dans l'armée ennemie. Et comme toujours il a fallu
entendre les professeurs pompeux nous tanner de leurs chaires, nous traiter
d'innocents, de faibles. Les gardiens de prison prétendent qu'ils
nous protègent.
Soit !
Mais la colère gronde toujours. Balbutiante encore,
mais attentive à tout signe de reconnaissance, elle cherche ses
mots. Nous n'avons pas besoin d'être beaucoup, messieurs les observateurs,
pour être la conscience de tous. Rire au nez de vos raisons qui nous
abaissent et meurent, déchirer le silence criant d'une défaite.
Notre force est une force de principe, qu'on peut vérifier à
chaque instant, éprouver dans chaque injustice, chaque solitude,
ce qui nous est le plus commun et le plus unique.
Nous voulons l'impossible et nous l'aurons, par l'effet simplement
de notre volonté : donner à tout homme ses droits, laisser
à chacun son mystère.
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Surtout ne pas finir
Il y a pour cela tant de façons
Mais de gens il y a bien trop
A tous on ne peut plaire
Je fais une prière
On tire le canon
Faites parler les pierres
Au rythme des saisons
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Abandonné de tout, sans merci, pauvres frères.
Incrédule à toute promesse et pourtant certain
Que l'aube ne s'est jamais fait attendre
Qu'aux dernières heures de la nuit
Je traverserai le gué,
Enjamberais la mer et tous les océans
Rien que pour vous plaire
Et je ne suis rien d'autre à l'écrire,
Qu'un de ceux qui l'entend.
J'ai payé mon dû.
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Chacun mérite une couronne
Chacun mérite d'être Roi
Et voilà pourquoi, messieurs, mesdames,
Je n'y vois que moi.
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Je ne peux faire jaillir aucun fleuve d'une terre aride.
Ma main tremble trop, lâche prise
Marchands, voleurs, soldats
Où suis-je ?
Je ne veux dire qu'une enfance
Dont aucun ne soit privé
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Me voilà à terre. Je me sens vide, usé,
difforme et faible, avant toute vieillesse.
Et il me faut être fort, porter seul la flamme ! Feindre cette
énergie vivace,
Et elle dure malgré tout.
De l'impuissance,
Des larmes,
Accueillir l'étonnement de ce décret lointain
Qui éclate aux rires...
On ne sort pas de l'enfer, ni du paradis.
Prend tout ce qui vient
D'où qu'il vienne
Donne de tout côté
Sans que ça cesse.
Et pourquoi donc si fier ?
Comme si tout cela n'était pas de ma faute,
Comme nouveau né dans un monde cruel.
J'ai posé pied à terre,
Pied à pied défends
Tout ce que perds
Ou vends
A l'aide, à l'aide !
Question d'honnêteté à ce qu'il nous faut
faire
La limite des deux.
Apprendre à dire, quoi de mieux,
Sans raisons, sans nuages s'il n'y pleut
Se dire enfin les mots qu'il faut.
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A peine prononcé
L'amour renonce
Vite dénoncé par les ronces
Et les songes passés
Je rêve d'une écriture limpide
Que ne trouble aucun repos
D'un creuset pour ma flamme
Et des larmes pour mes cendres
Apprendre à dire, quoi de mieux,
Se dire enfin les mots qu'il faut.
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Je méprise le pouvoir
Qui nous méprise
Je me presse à devancer l'appel
de peur de perdre
toujours
Je me hâte au sommet de la peur
J'y cours
Priez le ciel qu'il vous dise
Combien de pleurs coulent chez nous
Seul l'amour sait m'éblouir
Et ne dure l'amour
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Je t'ai gardée
Dans un coeur saigné
Aux quatre vers
J'ai gardé le sourire de tes yeux aux regards
Et j'inspire tout l'air des cieux...
Que le temps nous soit doux
Que passe notre hiver
L'aube pure et légère
Douce mousse sous ses souliers vernis
Et n'emporte au loin tout ce qu'il nous laisse
Quand le printemps fleurit
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C'est par le témoignage du plus singulier que le réel
s'universalise, non par le commandement de la parole.
Les imperfections du style comptent bien peu devant la force
d'expression, le souvenir gravé, une marche gravie. L'assurance
de trouver, là, la pensée qui nous habite, et de s'en élancer
vers d'autres audaces. Le souvenir reconnaissant fait grâce de ce
cadeau au hasard de la forme, au génie habile qui nous ment.
Juste, essayer d'en dire un peu plus.
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Dès qu'affairé à la trace, on travaille
le trait,
Et de rêver à mieux, crier de rage contre ce qui
nous maudit.
C'est la révolte de la chair qu'il faut perpétuer,
Le défi de la créature au ciel qui l'a créée.
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Sommes-nous assez haut, assez loin, assez vrais ?
D'autres se satisfont d'énergie pure.
Nous prétendons à pire.
Mais quoi, tout de suite,
Qu'est-ce donc ?
Une vie à l'écrire
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Qu'on se recueille aux beautés de dame nature
Qu'on se chauffe à ses rayons d'or
Pour mieux défier sa fille qui nous mord
Et lancer des ponts vers l'azur
J'ai la clef de l'amour
Mais saviez-vous ?
Elle n'ouvre rien
Sans Vous.
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De la souffrance pure ne s'élève aucun chant
Mais d'un bonheur d'expression ou de hasard.
Cette oasis nous vient tard
Et renforce sa haine du désert silencieux.
Mieux encore qu'elle soit devant
Portant au plus haut l'étendard
Les pleurs viennent trop tard
Que déjà nous voilà grimpés jusqu'aux cieux
Car nous aurons tous les courages
N'est-ce pas ?
Et nous serons très beaux
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Nous avons voulu laver l'humiliation des juifs, des noirs,
des miséreux
Mais c'est chaque homme ainsi qui doit en être relevé
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