Prélude au 3ème millénaire
Sens interdit
La cause de la liberté
A une raison
Prècis
Axiomes
Appel au mouvement
 
Manifeste 

06/92


Prélude

au

3ème millénaire

Tristesse d'automne abandonnée
Ne laissant rien qui vaille
Ni personne
Rien
Qu'un dégoût maussade et las de tout
 
Notre vie pourtant est si douce
Et nos amis sont si gentils
Mais d'où nous vient ce dur ennui
 
Puis le vent se lève
Et lève la poussière au loin
Toi tu regardes sans rien faire
 
Pris dans ton lit de pierres
Silence
...
Je n'ai rien fait qui vaille
Mais à quoi sert de le redire ?
Je suis si ignorant
Mais le temps n'attend pas
 
Ferme sur tes faiblesses
Sois fort dans tes combats
 
Tout ce temps perdu ne sert à rien
Mangez la banane
 
Parlez
 
DEBOUT
 
Voulez-vous l'heure ?
Il est moins dix,
Vite il n'y a pas de temps à perdre
Notre temps nous est compté
Et qui pour en répondre ?
 
J'ai cru jadis que les hommes existaient
Mais ce ne sont là,
Que de sombres personnages,
Qu'à peine l'on croise d'un regard.
Hélas Gildas! Je m'étais trompé!
 
Dans ce monde de non dupes
On ne dit plus un mot
Et tout, pleurs ou rires, ne laisse qu'un ennui profond comme l'oubli
 
J'ai une nouvelle
Pour cette foule harassée
Ils ne sont plus "obligés" d'être heureux
Le Dieu Bonheur nous a quittés
 
Les ânes de ce temps sermonnent en chaire,
Suffisances de possesseurs
Comme d'un marché qu'il ne faut pas éteindre
Mais
A travers toutes les méandres de l'erreur
Une voix se fait entendre
Malgré les quelques professeurs.
Et leur rit au nez
 
On ne vaut pas mieux que toute vie
Mais toute vie vit en nous
Esprit de chair
Notre devoir n'est pas de dormir.
 

Il y a le devoir de bien dire,
 
Mais il ne suffit pas d'un devoir pour le remplir...
Le bafouillage ne fait que commencer.
Nous en sommes réduits à l'évocation
Pour ne pas trahir nos pensées immémorables
 
Ce n'est pourtant que le second de nos devoirs
Le premier reste de donner sens à notre être,
Jouir qui ne va pas de soi mais nous surmène
 
Prendre la parole, en porter témoignage
Au nom de l'impossible à dire
Au nom de Liberté
 
Bien sûr faut-il ne pas se démentir aussitôt, lasser de pesantes maladresses, en s'y mesurant à notre inhabileté fatale...
Cela n'en diminue pas l'urgence pour tous.
 
Il n'y a plus d'initiation pour passer à l'âge d'homme, l'âge de raison.
Initié à la stratégie,
Un par un.
 
Il faut pour ce passage un solide roc,
Une volonté de vie qui donne force pour faire face aux incertitudes infinies du monde
Pas du tout de certitudes aveugles et muettes, inadaptées à la survie
 
Nous devons défendre notre singularité la plus essentielle
Défendre notre peau
Et pour cela défendre celle des autres qui nous donne sens.
 
Rien dans la langue, ni dans le conformisme des faits
n'est prêt d'accueillir une nouveauté
Qu'il faut marteler sans cesse pour l'imposer à l'universel
 
Car
 
Toute nouveauté n'est pas bonne à dire,
Il faut savoir attendre son temps avant d'agir
Personne à qui se plaindre, il ne faut rien négliger
Et tirer parti de tout puisqu'il nous faut vaincre
 
De l'action. C'est de la poésie.
Qu'on l'ait voulue plus mélodieuse
N'est pas de mes soucis
 
Mais de gagner du temps.
Aux armes Citoyens !
 
VITE
 
Nous avons Universellement besoin
  de l'égalité de droit,
  de la fraternité des coeurs,
  et d'une liberté rebelle
 
Aux yeux du pouvoir nous ne sommes que des producteurs, il pèse notre rentabilité
Et nous avons pris les yeux du pouvoir.
Le monde raisonnable est triste comme une banlieue blême.
 
Pourtant
 
Les mille contraintes qui font les conventions ordinaires de nos échanges peuvent tout à coup
 Disparaître,
 
Happés par l'instant brut et réel.
 
Il y a là une vérité dans l'épreuve qui ne se prouve pas,
 Ni délivre du mal ou récompense divine.
 
Pur fait d'existence
 
Ce qui s'en écrit d'éternité est la fraternité fragile de cette présence
  singularité insondable,
  durable surprise de l'amour.
 
De l'autre côté, l'écoeurement et la honte!
 
Celui qui ne fait rien certain qu'il n'y a rien à faire, certain que ses forces ne s'y mesurent pas
Rajoute de tout son poids aux lourdeurs du monde et à ses fausses lois
Les lamentations ne font qu'y ajouter leur fardeau
 
On doit prendre la responsabilité d'être dans un monde étrange.
Guerrier attentif aux pouvoirs, prudent, économe car décidé.
Le bien-être n'est pas le but ultime de l'esprit, mais un corps qui se plie à sa volonté de faire
 
Le désir de durer doit se prouver à chaque instant
 


 
Sens interdit
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Idéal, idéal, idéal 
Connaissance, connaissance, connaissance 
Boumboum, boumboum, boumboum
Et nous sommes tous des idiots 
et très suspects d'une nouvelle forme d'intelligence et d'une nouvelle logique à la manière de nous-mêmes 
qui n'est pas du tout Dada 
et vous vous laissez entraîner par le Aaïsme 
et vous êtes tous des idiots 
des cataplasmes 
à l'alcool de sommeil purifié 
des bandages 
et des idiots 
vierges 
 
MONSIEUR AA L'ANTIPHILOSOPHE
NOUS ENVOIE CE MANIFESTE 
Vivent les croque-morts de la combinaison!
...
Je ferme, j'ouvre, je crache. Attention! C'est le moment ici de vous dire que j'ai menti. S'il y a un système dans le manque de système - celui de mes proportions - je ne l'applique jamais.
C'est-à-dire je mens. Je mens en l'appliquant, je mens en ne l'appliquant pas, je mens en écrivant que je mens car je ne mens pas - car j'ai vécu le miroir de mon père.
...
Extermination. Oui, naturellement. 
... 
Foutez-vous vous-même un coup de poing dans la figure et tombez morts.
 
II
Un manifeste est une communication faite au monde entier, où il n'y a comme prétention que la découverte du moyen de guérir instantanément la syphilis politique, astronomique, artistique, parlementaire, agronomique et littéraire. Il peut être doux, bonhomme, il a toujours raison, il est fort, vigoureux et logique.
A propos de logique, je me trouve très sympathique.
Tristan Tzara
  
 
  • Fin de l'Art (Le nihilisme) 
L'entreprise menée par DADA constitue l'achèvement du nihilisme, la fin de toute co-naissance pensable après la boucherie d'une guerre qui devait être suivie pourtant d'une application plus minutieuse encore dans l'horreur systématisée. Le scepticisme moderne commence bien avant les lumières déjà. Il ne se réalise comme conscience collective, artistique, qu'à la fin de la première guerre scientifique, sublimée par les gaz, dans la remise en cause de toute communication et de toute complicité avec une logique qui a prouvé aussi pesamment son absurde efficacité. 

L'art n'est pas une élégance, c'est la contamination de la forme par le fonds, le passage au langage du sujet de la parole, passage à l'acte, temps logique, devoir de bien dire qui porte la marque d'une époque, de sa formulation. 

Partir de DADA, c'est prendre acte de ce moment où le sujet artistique se défait de toute prétention au progrès civilisateur comme à la limpidité naturelle malgré un certain spontanéisme. Cette féroce ironie ne cherche pas tant à revenir à une source tarie qu'à formuler, au nom du carnage, la séparation radicale du sens réduite à sa pure négation, la pure subjectivité d'un dire que non. Le sujet de la science est une page blanche (de Descartes à Tzara). Il n'y a pas d'au-delà qui ne doive en tenir compte. 
 

  • Fin de la philosophie (Sophismes) 
Du côté de la philosophie, réduire le discours à ce qui le conditionne inaugura l’Ère du soupçon: Nietzsche, Freud, Marx. Du côté de Nietzsche: "Heildeguerre", Derrida et toute cette clique critique-critique sans fond reconduisent aux sophistes d'origine, aux sceptiques intéressés qui ne remettent rien en cause d'ailleurs de l'ordre qui les a vus naître. Socrate a sacrifié sa vie, lui, au nom de la vérité, assuré que le discours nous survit. 

Marx et Freud accolés évoquent cette théologie de la libération, de l'aliénation et de la réconciliation qu'ils devraient contredire absolument puisque pour l'un comme pour l'autre le sens est trompeur, c'est à dire que, lorsqu'ils virent au sens, c'est encore pire que lorsqu'ils le dénoncent impitoyablement, Reich était l'erreur adolescente de mai 68, Staline la vérité de l'homme nouveau. Le sujet structuraliste n'a plus qu'à laisser faire les forces qui l'habitent. Pas de progrès pensable pour les avatars d'un manque. La voie qu'on appelle la voie n'est pas la voie. Et bien sûr tout cela va de soi, ce pas-de-pensée que ne supporte aucun sujet, il suffit de le répéter pour lui faire prendre corps et jouir en silence de la présence du père en son éternité. 

De nouveaux philosophes en nouvelles pratiques, des vieilleries dépassées se donnent pour l'horizon de notre modernité blasée, suspendue sur son vide, ce qui ne les empêche nullement de prendre la pose pour la postérité. 
 

  • Fin de l'Analyse (Le non dupe) 
Il faut partir de ce point, en effet: la science déçoit le sens, l'analyse ne procède pas du sens mais s'en détache au contraire. L'association libre délivre la parole de sa nécessité de sens. Cette mise en scène vise pourtant le sens d'autant plus, comme la mise hors-jeu de l'amour permet qu'on en parle, la suspension de la condition de vérité attire cette parole libre plus sûrement sur ce qui la contraint, à son histoire singulière. 

Le sens pris comme objet par le discours analytique ne délivre pas pour autant de l'idéologie la plus bornée. Il y a une idéologie de l'analyse qui dément les principes de son action, effet de l'habitude, réduction de l'interprétation à une rectification, éthique de voyeur. C'est ce que Lacan a nommé le non-dupe. Un analyste n'est pas dupe des passions et du sens, tout énoncé réduit à son énonciation, tous les désirs se valent, rien ne vaut la peine d'être vécu. Le voilà voué au culte de "l'objat" ou de la trinité encore, puisqu'on vous le dit! Comme un moine tibétain hébété de béatitude! La singularité, le sens à donner à notre présence n'y trouve pas son compte (culpabilité). Moyennant quoi on n'a plus que des fonctionnaires du discours et l'exil de la dimension de vérité ne tarde pas à se faire criant. Celui qui se croit délivré du sens sera prêt demain à se suicider pour une bagatelle, pour ce dur ennui où il n'a pas de place, pour continuer d'y croire. On n'y échappe pas, vraiment, sinon quelle parole? Ce n'est pas parce que l'analyse met le sens en cause qu'on pourrait s'en passer en quoi que ce soit. 
 

  • Le savoir du non (non savoir) 
Que serait un sens accueillant sa perte en son propre coeur. L'effort de Lacan, la mise en forme topologique, essaie d'en inscrire durablement la trace paradoxale. La théorie de formules négatives (pas de méta-langage, pas de rapport sexuel, La Femme n'existe pas, pas d'initiation, pas de normalité, pas de formation du psychanalyste) trouve sa formulation moebienne dans les non-dupes errent : vous y étiez avant que d'y entrer, vous y serez quand vous en serez sortis, dupes et pères. La fermeté avec laquelle il rappelle sa position de sujet sans rien céder sur sa logique va plus loin qu'une simple modestie d'écrivain, il s'agit comme Freud (ou Hegel) de s'inclure dans son propre discours. Pas de transmission, il se fie au mathème pour en laisser des traces consistantes: l'impossible à dire, l'impossible à savoir, il le confie à l'impensable du noeud. 

Il y a des précédents, l'ésotérisme exige la protection du mystère pour ce qui reste mystérieux: "Les mystères des Égyptiens étaient des mystères pour les Égyptiens eux-mêmes." car l'ésotérisme admet l'impensable de la cause première. A partir de là, deux stratégies: l'ésotérisme pratique, ou initiation à l'indicible, et l'ésotérisme théologique spéculant, à partir de l'impossibilité de s'en abstraire, sur la succession des dieux, c'est à dire des principes qui nous animent. Lacan nous dit qu'il a été voir du côté de Guénon et que ça lui a inspiré Hi Han a pas d'initiation! Il ne suffit pas de le dire pourtant, une religion se croit toujours délivrée de la superstition commune au nom de sa vérité révélée. De nombreuses religions se sont bâties précisément sur l'impossibilité de représenter le principe divin, son inaccessibilité, son indécidable. "L'éveil, c'est de comprendre qu'il n'y a pas d'éveil" du Bouddha. Se prétendre hors de la religion, donc dans le réel, est déjà renier ce non-savoir originel, l'impossible du savoir, pour s'en satisfaire dans sa contemplation passive. Derrida, Lacoue-Labarthe pataugent dans cette vaine prétention. 
 

  • La vérité (Le symptôme) 
Rimbaud injuriant la beauté voulait posséder la vérité dans une âme et un corps. Freud, médecin au chevet de nos plaintes, n'y répond plus de l'amour bien intentionné mais de la vérité impitoyable. Marx alerté du symptôme social pouvait y lire la vérité historique des rapports de (re)production plus que les prétentions d'une justice partisane et du discours des biens. Le Beau, le Bien et le Bon s'effacent devant la vérité, comme dés-illusion et comme cause, au moment même où il n'y a plus de vérité nulle part. Le spectacle n'est pas seulement l'imaginaire fantasmatique mais beaucoup plus essentiellement la production industrielle du sens, la prise en charge, par des entreprises concurrentielles, de la communication sociale. Dans cette société du spectaculaire intégré (cf. les commentaires de Debord) la vérité a perdu tout référent mais elle ne peut masquer les dysfonctionnements qui submergent petit à petit l'autorité de la technique. 

Il y a de la vérité, c'est indiscutable. Mais il y a de l'indécidable aussi, marge de liberté qui nous rend responsables de nos actes. Il n'y a pas l'un sans l'autre. Nous n'avons aucun accès à l'être, même et surtout en se taisant ; le silence se gagne par la réponse et on fait des hypothèses mais tout aussi sûrement pour rejoindre une vérité qui ne nous est pas donnée d'avance et témoigne du réel. Nous sommes, donc, en premier lieu responsables du sens en quoi nous consistons, malgré qu'on en ait, vaincus d'avance sans aucun doute puisque tout a une fin, mais force créatrice de la singularité où se joue le destin de l'être, sa liberté qui nous historise totalement. 

La science, comme psychose sociale, exclut tout sens, discours schizophrénique voulant abolir sa propre visée. Ce qui n'empêche, naturellement pas, de maintenir d'une autre main de fer, des principes moraux sortis d'on ne sait quelle tradition au nom d'un sens commun garanti par le gouvernement, pure convention. Au contraire, introduire le temps dans la construction d'un sens, de son avènement à sa réfutation, sans dénier l'occupation du lieu d'où sa question s'impose, permet la révolution des discours, leur progrès en acte, du maître à l'université. 

Plutôt que de s'interdire le sens (le refouler et le servir trop aveuglément, en toute inconscience démentie bien sûr jusqu'à la démence), en être responsable et le corriger pas à pas. Quelle autre leçon devons-nous tirer de la psychanalyse, sans commune mesure avec un accès mythique à la jouissance? Ce n'est pas dire que tout sens se vaut, ni qu'il faille en inventer de nouveaux. C'est toujours la même tradition révolutionnaire d'une fraternité qui recueille notre détresse commune. Le sens qu'il faut est la cause de la liberté.

 
 
La cause de la liberté
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  • L'impossible 
La première réalité est celle de notre impuissance. La leçon de notre ignorance est vite apprise, qui nous donne la patience d'un long apprentissage. Plus que de la modestie, c'est le désespoir de la pensée, tellement total qu'il n'y a rien qui puisse échapper à son ridicule... Puis, la pensée apaisée se rit de l'espérance et se renie cyniquement comme pensée, livrée à l'immédiat, à la nécessité, aux intérêts instantanés, aux soucis de la futilité. 

Le désespoir est la suggestion des faits. Il est d'autres suggestions à notre finitude, sans commune mesure avec la dimension du sens qui nous oblige bien au-delà de nos forces. La présence de la mort ne suffit pas, nous sommes écrasés encore de l'immensité des espaces infinis mais, bien plus, des générations innombrables qui ne retiendront rien, ni de nos noms, ni de nos dieux. 

Le nihilisme moderne n'est déjà plus une nouveauté depuis longtemps. Il faut qu'un "HeildeGuerre" y tombe au pire en le dénonçant, ne laissant d'autre destin que celui du Soldat et du Travailleur. Mais encore : "Nietzsche Extrait de l'avenir du travailleur. 

- Les travailleurs doivent apprendre à ressentir comme des soldats. Des honoraires, une solde, mais pas de salaire!
Aucun rapport entre le salaire perçu et la prestation ! Au contraire, placer l'individu, chacun à sa façon, de telle sorte qu'il puisse fournir la prestation maximale en ce qui relève de son domaine."
Il ne reste, croit-on, que la jouissance, au prix même d'une réduction du réel à un rêve idiot, à une histoire singulière non totalisable et suffisante en soi. Mais le vrai est qu'on passe son temps au service des biens sans que ça nous satisfasse, livrés à une concurrence sévère qui nous maintient à notre utilité, notre rentabilité sociale, notre rôle économique. Privés de tout, de tout pouvoir sur notre propre vie, de toute liberté, de toute existence effective. Il suffit de voir ce que nous ménage la vie commune si souvent, les rapports sexuels, notre destination de reproducteurs, pour ces rares instants où l'amour sait ce qu'il doit être et ce qu'il nous faut espérer. Nous sommes au coeur de l'essentiel, qui s'impose avec insistance, malgré cette trop belle insouciance qu'on simule en vain. 
 
  • Le nécessaire 
Si les choses devaient en rester là, nous n'y serions pas (le singe est dans l'arbre et nous regarde de haut). Ce qui est requis de nous ne l'est pas moins d'être impossible depuis toujours! "Il faut se savoir mortel et vivre en immortel.", nous avons une part du logos divin. Il n'est pas de voie pour que la conscience ne le soit pas d'elle-même et que son exigence de vérité ne se fasse impérieuse, imposant sa logique au corps. Ce paradoxe est celui qui occupe la pensée depuis qu'il y en a : être cause de soi et ne pouvoir l'être, liberté dans l'histoire, bornée mais concrète, pur pari sur l'après-coup indécidable, sans qu'aucun métalangage n'y soit possible. 

On ne se passe pas de la vérité, elle se joue de nous. Il y a du réel, il y a le réel de notre présence au monde, à la totalité du monde puisque notre mort l'abandonne totalement enfin. Le réel de la vie est dans la séparation de l'unité vivante et sa réponse à son environnement imprévisible qui tient tous nos sens en éveil. Aucune tentative d'entraver la liberté de l'esprit, sa liberté de décision, ne peut y survivre durablement. Nous n'arrêtons pas de ne pas mourir, avec quelques raisons, et il nous faut donner un peu plus de raisons de vivre encore, gagnées sur la mort qui nous reniera longtemps. Il ne suffit pas de se délecter de tout avec le regard envieux des trépassés d'avance, il faut occuper sa place. Penser, parler n'est pas un orgueil démesuré, c'est un devoir ingrat qui n'est pourtant jamais tout à fait en vain. On n'a pas le choix, on est libre. Le symptôme insiste comme il faut pour se faire entendre à qui veut l'oublier. Comment s'étonner qu'on s'y emmêle les pieds. Ceux qui ne repoussent pas, de toutes leurs forces, le couvercle insoutenable de silence ne font que le rendre un peu plus lourd. C'est de cette détresse première que la liberté nous rend fraternels. Les incertitudes de l'esprit fondent la nouvelle alliance de nos libertés solidaires. Chacun est juge puisque rien n'est sûr, tout dépend de nous même si nous n'en pouvons rien savoir souvent 
 

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A une raison
Aucun homme, depuis toujours, ne peut éviter de penser son origine, ce qui le cause. Animal pensant, être parlant, le sens s'impose à lui et l'homme y prend parti, s'y implique, met en jeu sa foi : il veut y croire. Prétention insensée d'un point de vue utilitaire : la machine tourne sans se poser de question. La mécanique humaine échappe à ce paradis, du poids de toute sa présence éphémère et souveraine. Le miroir nous soumet à ses reflets, aux clichés de l'identification, aux trophées de victoire. Mais plus profondément nous devons décider librement du sens universel, jetés dans l'être, sans repères surs, pour un temps mesuré qui nous laisse de court. Il nous faut prendre les armes pour le moins mauvais de tous et continuer à vouloir de plus grandes splendeurs, même rien qu'un peu moins sordide que ce fleuve de boue qui ne sait plus nous en distraire. 

 
Depuis toujours, bien au-delà de nos mémoires, nos ancêtres savaient qu'il y a trois mondes : le monde physique, le monde sensible, le monde intelligible. Ils savaient aussi bien que l'homme ne peut connaître ce qui le cause, Dieu inaccessible qu'il ne peut qu'adorer, s'unissant à lui dans un consentement absolu ou tenter de se l'assurer en lui sacrifiant des souffrances insensées. 

 
Les désirs et les biens n'ont jamais paru un fondement suffisant à la satisfaction, trop accidentels pour durer ils aiguisent le doute plus qu'ils n'assurent un sens. La vie de l'esprit nous enveloppe de millénaires religieux qui ont tenté de répondre aux questions impossibles et pourtant nécessaires. On ne peut se passer d'en étudier l'histoire, le mépris ordinaire des autres croyances ne provient que de la volonté farouche d'ignorer ses propres délires. L'examen concret des solutions religieuses formulées à toutes les époques de l'humanité actualise au contraire les contraintes logiques auxquelles elles répondent. Nous ne pouvons pas nous en passer, mais perfectionner le système. Car nous sommes l'esprit qui cherche sa voix. 
 

La tentative de la sagesse était première, primordiale, pour tracer le cercle qui la ramène toujours à l'incréé, à l'insu qui la cause, et dans l'intervalle cerner tout ce que la technique nous donne de pouvoir. Il n'y a pas de coupure dans le savoir mais coupure du savoir, réduction à la technique, à l'expérience. 

La charité et la foi ont fait pourtant bien des miracles que le sage n'ose. 

Ne faut-il un dieu pour mettre au même rang esclaves et maîtres? 

Comment ne pas savoir que ce mot est trop risqué pour l'évangile moderne qui ne se veut aucune concurrence. Tu ne veux pas de Dieu, celui que tu as connu était trop ridicule et tu te suffis à le défier avec obstination. Mais il ne suffit pas d'abandonner les temples pour être libre, absorbé dans une masse amorphe et soumise à des idoles de plâtre. Parle-moi de ce qui te cause, parle-moi de ce que tu veux, mignonne allons voir si la rose sait que je suis amoureux. Un Dieu est une cause à servir, telle qu'il n'y en a pas deux puisque c'est l'unique cause qui vaille, bataille du temps. Que ton dieu triomphe dépendra de ton zèle quel que soit le nom que tu lui donnes. Prétendre être au-dessus de tout ça n'est que se rendre un peu plus ridicule. Ce n'est pas pour faire preuve d'une quelconque indulgence avec les archaïsmes, les asservissements, les mensonges des religions dominantes mais pour les affronter au contraire fermement. 

Après, on peut dire tellement de choses... Dire que tout s'arrête, pourquoi tant de haines? Non! Celui que tu attends n'est pas encore venu, tu as le pouvoir de lui donner forme, tu as le pouvoir des mots. 

"Tout à la joie de notre commun secret 
Qui est de savoir en tout lieu 
Qu'il n'est pas de mystère en ce monde 
Et que toute chose vaut la peine d'être vécue."
Il ne te faut renoncer à rien. Non pas te délivrer du désir mais délivrer ton désir de sa peur jalouse. Libre esprit du temps. 
 
 
Précis
 

Il me faut être quelconque, comme chacun. 

Poussé à de multiples lâchetés pour assurer le nécessaire. Et malgré cela, à cause de cela, universel vraiment. Il n'y a pas de pureté à supporter, pas d'élus. 
 

Ce n'est pas pour s'en satisfaire. 
 

  • Mieux que bien 
Chercher le bien suprême, comme étant à portée de main puisque détenu par d'autres, expose au pire : de l'espoir d'y être enfin parvenu, à l'angoisse de la preuve impossible. La jalousie et les promesses n'ont pas de fin, de plus en plus irréels. Et le bien s'efface devant une lutte trop réelle entre deux libertés inconciliables. Mais que serait un bien suprême sinon la fin de l'inquiétude humaine, et cette fin est à portée de toutes les mains, le long repos qui nous attend, nous passons notre temps à lutter contre. 

 
L'amour ou la liberté, dès que nommés, peuvent prendre cette position fétiche qu'on s'arrache en vain. D'autant plus qu'ils semblent certains, que leur réalité ne puisse être contestée. Et la chute ne se fait pas attendre, la peur froide. 

 
Mais la mort n'est pas la vie, il n'y a pas de fin de l'histoire, le paradis n'est qu'un effet de ce qu'on dit, rien de plus. Le bien et le bonheur ne sont que des emblèmes pour guider le chemin. Nous pouvons mieux faire. Nous pouvons améliorer, faciliter, vaincre même. Nous pouvons mieux faire et dans ce mieux ne pas oublier la vie concrète que nous partageons. 
 

Le bien nous rend esclaves, le mieux nous rend libres.  
 

N'est-ce pas cela le bien? Non, car c'est justement ne pas se croire délivré du mal mais en répondre. 
 
 

  • La reproduction 
Que peut-on améliorer : la reproduction. La reproduction sexuée est l'amélioration de la reproduction dans un environnement changeant, séparation de la reproduction et d'un temps donné. L'homme inadapté au plus haut point crée son propre environnement. Il devient libre, il devient ce qu'il n'est pas encore par ce qu'il fait, il doit choisir dans le possible. Libéré du donné, il peut le nommer, le transformer. C'est la négativité de sa liberté qui fonde le temps de l'être pour l'éternité universelle du sens. Accédant au langage, l'homme quitte le monde animal pour le temps de l'histoire, d'une mémoire cumulative. Il doit garder son origine et dépasser ses pères. Chaque individu est appelé à participer à l'invention de l'esprit, là où ailleurs, la nature ne se défend qu'au hasard. La créativité humaine est la raison de sa reproduction. Mais la reproduction de la créativité répond à d'autres contraintes (logiques) que la reproduction biologique. Le système de défense, de régulation, de stabilité structurelle, de reproduction se perfectionne de plus en plus vite jusqu'à devoir gérer prioritairement ce changement qui devient l'environnement humain. 

 
La mort existe pour que les chatoiements de la vie durent, les vols éphémères reproduisent la mort autant de fois qu'ils reproduisent une vie grouillante. Notre finitude nous pousse à l'acte, nous pousse au jouir, nous pousse au cul pour que nous imprimions notre marque, soleil déchu dispersé en milliers d'étoiles à venir. 

 
L'économie n'est pas encore maîtrisée, l'amour n'est pas encore libre, mais l'histoire de la pensée nous guide fervement vers une liberté fraternelle qui fera de chacun le veilleur de l'humanité. 
 

 
 
Axiomes
 

1. L'Unité de l'être 

On doit supposer une unité originaire, ni pensée ni étendue, mais sans avoir accès à son être propre impensable puisque l'être, la singularité, l'événement est différence. L'unité de l'être n'existe qu'en tant que ce qui unit la différenciation primordiale et précède la dualité de toute pensée. Hypothèse, effet après coup, effet dernier du sens. 

 

2. L'être de l'un 

L'unité est ce qui dure, sur quoi on peut compter, ce qui est connu. Non pas permanence immobile mais champ, cycle, mouvement. Différence et durée, durée de la différence et différence dans la durée. L'être de l'un est l'acte qui fonde sa présence, existence en acte (St Thomas), force de conservation, de répétition, de reproduction. 

 

3. Le sens de l'être 

L'être n'est qu'en tant que signifié, parlé, montré. Effet du langage, unité de sa cause, sujet. L'un-tension du sens divise l'être entre l'universel logique et la singularité de chaque un. Le langage qui nous cause est suspendu à notre acte, liberté de l'avenir, vérité historique. 

 

4. L'être du sens 

Le sens est historique, temps logique, effet qui ne peut rendre compte totalement de ce qui le cause. Il n'y a pas de métalangage. Toute vérité est orientée intentionnellement, polémique, cause finale. Le sens n'a pas d'être constant mais s'incarne dans des figures successives. D'un autre côté chaque pas est compté, absolument signifiant, passage obligé de l'être. 

 

5. L'Unité du sens 

La succession des dieux répète la même exigence défendue avec les armes du temps. Leurs oppositions sont essentielles pour cerner sa forme mais le sens lui-même obéit aux lois de reproduction de son milieu. Pas de sens qui ne favorise sa contamination et dès lors l'unité du sens est dans cette contamination signifiée. La parole étant intervention dans l'universel au nom de la singularité de l'énonciation, c'est cette singularité qui se signifie infiniment sans pouvoir jamais rejoindre l'universalité de sa signification, y contredisant plutôt au nom de sa liberté essentielle, au nom du désir, désir de reconnaissance, désir d'amour. 

 

6. Le sens de l'unité 

L'unité a ses religieux, ses mystiques, ses pratiques. Le religieux croit, le mystique imagine, l'initié garde le voile. L'unité est d’abord l’unité sociale mais aussi la vie comme totalité: vie quotidienne et vie héroïque, c'est aussi l'unité des lois de reproduction par quoi le réel se forme par paliers, de plus en plus complexe et abstrait à mesure que le temps passe. Le sens lui-même est un produit de l'évolution, passant par la vie, animale, sexuée, omnivore, intelligente et travailleuse, indépendante de tout environnement, universelle enfin. Rien ne se perd, nous créons l'avenir par chacun de nos actes, chacun de nos silences. Les comptes se tiennent sans pouvoir s'y soustraire bien que rien ne soit écrit d'avance. On ne peut parler du sens de l'unité qu'en son absence, c'est à dire dans la lutte indécise dont il est le lieu, lutte de contraires où nous avons à prendre parti dans l’urgence. 

 

7. L'acte 

Le noeud du sujet est dans l'acte. La singularité ne s'universalise qu'au moment de l'acte. L'objet dont le sujet prend corps, la jouissance du lieu, les hésitations du temps logique ne sont que l'inessentiel de l'acte. La cause finale seule importe, c'est à dire la coupure historique. La place du sujet singulier est à la fois inscription dans l'histoire universelle et dans son histoire privée, familiale. L'histoire privée est la cause efficiente qui détermine les positions mais la cause finale ne dépend pas des péripéties individuelles, elle suit sa logique propre et reconnaît ses héros. L'important n'est pas l'image que l'on se fait de l'acte, mais de le faire et d'en évaluer les conséquences imprévisibles au regard de son intention. L'important est la cause qu'on défend et non le savoir supposé. 
 

 

APPEL AU
MOUVEMENT
 
La fin du communisme et l'essoufflement de la social démocratie ne peuvent pas laisser longtemps l'espoir en berne, comme si l'humanité avait pu jamais se résigner à son sort: supporter sans rien dire l'arbitraire, l'injustice et la misère, attendre sans rien faire que la mort nous gagne, sans raisons de vivre qu'un morne confort et sa plate servitude. Passé le temps de comprendre, la flamme doit renaître plus forte et brillante pour ne pas seulement résister mais vaincre, les combats ne manquent pas, il ne faut plus disperser nos forces mais les ajouter.
Nous ne voulons pas des partis (un de plus). Ils nous réduisent à répéter leurs slogans, camouflent leurs erreurs, ignorent nos diversités et nous divisent. Nous ne pouvons créer que ce qui existe déjà : Le Mouvement. Un mouvement rassemble des énergies éparses, organise son expression et son action sans demander de comptes à ceux qui se joignent à cet effort. Le mouvement se doit d'être la coordination permanente des bonnes volontés, instrument de ceux qui agissent et dénoncent les pouvoirs.
Notre charte est celle de nos pères qui n'ont pas achevé la besogne mais tracé le sillon. Chacun est libre de vivre comme il veut (comme le veut sa raison unique et déchirée dans notre commune solitude), chacun se vaut parole contre parole (sans distinctions de fortune ou de sang) et chacun vit en nous (solidaire, miroir et juge): Liberté, égalité, fraternité. Cela ne va pas de soi. L'avenir dépend de ce que nous en ferons, il dépend de nos actes.
 


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