Rien de vraiment nouveau pourtant, sinon l'étendue de l'épidémie. La maladie était même plus mortelle encore dans les anciennes tribus : perdre sa fonction ou être rejeté du groupe pouvait tuer très rapidement. La dépression était de courte durée. Avec la civilisation la maladie touche plus durablement les dominants, en tout cas elle est associée à la démesure dans le pseudo-Aristote "L'homme de génie et la mélancholie" qui fait la théorie de la "bile noire" conformément à la théorie des humeurs dont Molière s'est tant moqué. Un fait du moins est acquis, ce n'est pas seulement l'effet de la faiblesse ou de la défaite mais c'est aussi bien l'effet de la force et de la victoire.
Comme en tout symptôme se nouent l'anomie sociale, le mythe individuel et famillial, les dispositions du corps enfin et son usure. La dépression relève de la même lecture que le suicide, qu'elle précède souvent. C'est prendre le signal en amont mais surtout situer l'origine de la souffrance au plus près de sa cause qui est un des ressort de la régulation démographique en nous faisant "choisir nos morts" comme dit Sartre.
Au plus près de nous, il y a déjà tant de déprimés, on compte avec effarement les médicaments et on se dit qu'on exagère, un effet de mode rien de plus. Pourtant il faut parler pour cette armée des ombres qui voient des mondes se dérober sous eux, aspirés par le gouffre. Il faut porter sur la place publique ces terreurs privées pour lesquels les anti-dépresseurs sont à la fois vitaux et trop frustres et brutaux, si longs pour les apprivoiser et sans guérir vraiment, soulager beaucoup. Même après s'en être remis, rester trop fragile et prompt à la rechute jusqu'à préférer quelque camisole chimique.
Comment dire ce désespoir épuisé, ce renoncement, abandonnant tout avenir, hors jeu, hâtant une fin imminente et reniant tout son passé avec la rage d'un dernier attendrissement déchirant. N'être point né ! A la tienne, frère de larmes et de sang, avale ta gorgée de poison qui nous rendra au monde des vivants où l'on ne peut que rire à gorge déployée du visage grimaçant des ombres de la nuit, tant que le corps tient, et le coeur, et la tête...
Vous voulez arrêter les pillules ? Accrochez-vous aux rideaux, mahez votre mouchoir car on appelle cela un sevrage. Chacun comprend ce que cela peut signifier mais aucune extrémité ne sera épargnée.
La vie ne tient plus qu'à un doigt sur une gachette.
"La dépression se caractérise généralement par une altération de la sensibilité des neurones post-synaptiques (récepteurs). Chez les patients dépressifs et les animaux stressés, ces cellules sécréteraient trop de récepteurs de noradrénaline " Prozac p185 ->Athymil
"Un stress aigu engendre une telle production de neurotransmetteurs que la cellule transmettrice finit par s’épuiser. Devant la pénurie de transmetteurs le cellule réceptrice libère un surnombre de récepteurs de noradrénaline (afin d’absorber le moindre neurotransmetteur restant). Ensuite, même si le taux de transmetteurs varient en fonction du stress, les cellules réceptrices demeurent chroniquement surexcitables. A l’état de repos, le taux de transmetteurs est faible car le cerveau compense l’hypersensibilité des cellules réceptrices par une réduction de la production d’amines." Prozac p186Le symptôme spécifique de la dépression est un trouble du sommeil, le réveil matinal (3-4h du matin), tel qu’on peut appeler dépression masquée ce type d’insomnie lorsqu’il n’est pas accompagné d’autres signes et répond aux anti-dépresseurs. Il y a d'autres dépressions. La dépression atypique se caractérise, au contraire donc, par une prise de poids et une hypersomnie. Le Prozac a pu faire rentrer dans cette catégorie la sensibilité au rejet. La PMD (Psychose Maniaco-Dépressive) évolue par embrasements, en cycles de plus en plus courts de l'excitation maniaque à la dépression, provoqués par des stimuli de plus en plus faibles. Il est absurde de ne pas utiliser le Gamma-OH (utilisé comme anesthésique seulement) pour aider les simples dépressions suicidaires ou en début de prise d'anti-dépresseur.
La dépression est un seuil supplémentaire de la fatigue et du stress, accompagnant la plupart des maladies. Par un phénomène semblable à l'accoutumance aux drogues, la dépression résulte d'une saturation des récepteurs qui demande du temps avant de se rétablir à son niveau antérieur. Ni le repos, ni la volonté n'y peuvent plus rien. La volonté est atteinte "physiquement" : il faut compenser cette déficience chimiquement par les anti-dépresseurs qui rétablissent largement toutes nos facultés. Plus que la fatigue encore, la dépression appelle la perte, l'abandon, la passivité. L'idéal reste présent, en même temps que la certitude de n'y plus pouvoir prétendre. A ce stade, il ne sert à rien d'accuser le déprimé de ne pas vouloir guérir, de complaisance et de paresse. Le vouloir est inhibé, le désespoir incarné, la chimie est le seul remède. Beaucoup en semblent choqués, d'autant qu'il y a bien des deuils et des mélancolies qui ne sont que des culpabilités névrotiques. Mais la dépression chimique est une maladie physique demandant souvent plus de 2 ans pour se rétablir. Ses symptômes sont, en premier, l'insomnie vers 3/4H du matin, une fatigue persistante, jambes lourdes, mal au dos, les signes physiques vont de sortes de vertiges aux colites ulcératives. Mais il y a bien aussi les signes psychiques du pessimisme, de la tristesse et du désespoir. L'ensemble de ces symptômes sont traités par les anti-dépresseurs. Il ne sert à rien de le nier ou de vouloir s'en sortir tout seul dans un rêve de toute-puissance sur le corps, la fatigue a bien franchi là un seuil physiologique.