On se bat toujours pour la justice, la reconnaissance de nos droits. Cependant, au moment où de partout renaît la réflexion sur la justice, je voudrais montrer que cela témoigne surtout d'un ébranlement de l'ordre ancien et de la notion même de justice distributive qui perd tout sens dans la production immatérielle.
Alors que le capitalisme globalisé triomphe partout sous la protection de l'Empire américain, la réflexion philosophique évacuée par l'utilitarisme des marchandises revient sous la forme de la morale comme échec de la politique. De la robinsonade de Rawls au rêve d' Amartya Sen de mettre tout le monde d'accord sur une "théorie de la justice", il y a surtout beaucoup de naïvetés car la première réalité de la justice, c'est qu'il y en a plusieurs. Expérience renouvelée à chaque empire, à chaque étape de la mondialisation depuis l'antiquité.
De Rousseau qui croit pouvoir déduire la justice de la pitié et de l'amour de soi, à Kant qui la réduit à l'universalité et la plupart au conformisme, il y a bien plusieurs "sphères de la justice". Le relativisme est la première expérience de la philosophie comme réponse aux sophistes.
Dès lors la notion de justice semble bien n'être qu'une mascarade. Pour Thrasymaque c'est la loi du plus fort qui "favorise les plus favorisés". Pour Pascal, la justice n'est qu'apparât, "ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force" 299-81, pour Marx elle est le coeur de l'idéologie, d'un droit inégal par nature qui reproduit les divisions sociales et les inégalités. Les classes pour Marx se définissent par le mode de revenu (Capital III). Le revenu et la répartition des richesses sont l'enjeu principal de la reproduction des rapports sociaux et de leur justification idéologique mais Marx s'est clairement opposé à la simple revendication d'une répartition plus "juste", dénonçant même la dangereuse illusion socialiste d'une possible équité dans la répartition des fruits du travail, prétention qui ne fait que justifier et reproduire l'abstraction de la valeur marchande, d'un échange d'équivalents justifiant les plus grandes inégalités. Il ne peut s'agir pour lui que d'un au-delà de l'idéologie justificatrice, un dépassement nécessaire de la justice distributive, exprimé dans la formule de Prosper Enfantin : "de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins".
On doit partir de là. Il n'y a pas de justice absolue ni éternelle. On doit à la fois s'appuyer sur la dénonciation des injustices et sur la colère qu'elles suscitent en nous (privilèges injustifiables et fausses prétentions), mais pour remettre en cause les conceptions dominantes des droits formels, complices de toujours d'un capitalisme creusant les inégalités. La conception de la justice est le coeur de l'idéologie puisque celle-ci doit justifier l'ordre existant et transformer la soumission en devoir (Rousseau). Il faut donc s'appuyer sur la Loi pour limiter l'arbitraire des puissants mais c'est bien contre la Loi elle même que nous devons combattre et non pas seulement contre ses manquements. Nous devons partir de l'injustice, non comme exception mais comme absence de justice, pour remettre en cause la rigueur de la Loi qui nous accuse et nous contraint inutilement.
Giorgio Agamben nous rappelle que Paul ne disait pas autre
chose et que, pour lui comme pour un certain nombre "d'hérésies"
(gnostiques, cathares), le saint qui annonce le prochain royaume accède
déjà à la liberté dans l'amour de l'autre au-delà
de toute justice. On retrouve une stratégie
assez proche avec la psychanalyse, constatant l'impossible satisfaction
du surmoi dans une observance obsessionnelle de la Loi et se retournant
contre l'idéal paternel normatif, l'interdit sexuel, au nom d'une
morale compréhensive dénonçant la complicité
du désir et de la Loi comme jouissance de la transgression. Lacan
voulait identifier les psychanalystes aux saints dont la fonction, disait-il,
était non pas de faire la charité, répondre à
la plainte comme demande de justice, de réparation, mais à
n'y pas répondre et "déchariter" plutôt, se
dépouillant de tout pour renvoyer le désir à son absence
d'objet comme désir de reconnaissance ; fonction de désillusion,
dé-fascination d'une jouissance jalouse, d'une justice fondée
sur la rivalité et l'envie, d'un désir objectivé dans
l'objet de convoitise. Pour Lacan, ce passage au "discours analytique"
semblait nécessaire à chaque révolution du discours
comme vraie touche du réel, bref réveil de nos rêves
ordinaires ou de nos hallucinations collectives mais qui peut ébranler
nos institutions.
Langage et justice
Sur le versant de la parole, antérieur à l'écriture, la justice se confond avec l'honneur, la dignité d'une parole responsable nous constituant comme interlocuteur, la permanence dans l'être de nos engagements, assumant notre liberté et notre personnage public, notre reconnaissance sociale. Cet univers symbolique est aussi l'envers de la violence du hors-discours, hors-communauté, même si toute justice est née de la violence. La justice est un appel à la consistance de l'Autre. Il ne suffit pas de constater son défaut d'être mais bien de le faire ex-sister. L'injustice de l'humiliation est insoutenable qui nous fait perdre la face, inégalité qui nous déloge de notre identité et cause de violentes passions (Aristote) domestiques ou sociales. On peut dire que la Justice est la règle du jeu. La justice est le passage de la morale ou du sentiment ou de la raison à l'effectivité de la reconnaissance collective de droits pour chacun (Hegel). C'est le nom de notre responsabilité, des conditions de l'échange et de notre implication dans le langage, la politique et l'histoire mais pas sans les dimensions de transgression, de nouveauté et d'exception de toute parole qui construit la Loi à partir de ses critiques (jurisprudence). La justice est une nécessaire permanence dans l'être du monde symbolique qui doit être tout aussi nécessairement débordé et surpris par des paroles libres et novatrices afin de l'adapter aux changements du temps et ne pas persister au-delà de ses raisons.
Même sur le versant de la norme, la justice tient entièrement à notre liberté qui nous rend coupable, et le Droit représente pour Hegel la liberté objective. La liberté est ainsi la condition de la justice mais la justice aussi est la condition des libertés. L'injustice lorsqu'elle n'est simple oppression du plus fort et absence de loi, se ramène souvent à la liberté comme mal, possibilité de tromper, la parole double (diabolos opposé au symbolos), la mauvaise foi, la faute. Le mal de l'injustice infligé par la liberté rejoint la fausseté d'une parole inconsistante, incapable de vérité et d'engagement. La justice est ce qui noue et rassemble vérité et liberté selon les finalités et procédures sociales instituées par l'écriture.
La justice comme vérité comporte les deux versants du langage et de la parole. Le premier côté, celui de la vérité instituée, se décline selon les modalités distinctes de légalité, conformité, justesse, équilibre, égalité, équivalence, mérite. L'équivalence elle-même se conjugue selon les modes opposés de l'équité aristotélicienne et de l'equity libérale, selon les diverses justices distributives (correctives ou proportionnelles). Mais ce n'est jamais qu'une convention, un code, une fiction relative à une finalité sociale et les formes de la justice ne sont pas les mêmes selon les constitutions (ce que Boltanski appelle les Cités), ni pour ceux qui prient, ceux qui combattent ou ceux qui travaillent. Il ne faut jamais oublier le caractère de fiction du Droit, ce qui ne veut pas dire qu'il n'est pas effectif mais que son effectivité est de l'ordre du rite, de l'accord subjectif, du respect de ces droits. C'est la procédure qui décide de la vérité (de la mesure des grandeurs pour Boltanski) et il n'est pas indifférent de constater que pour cela il faut introduire l'autre dimension, celle de l'énonciation, la mise en jeu de la parole dans un débat contradictoire.
La justice a toujours été double dans son action égalisatrice
: réparation ou punition, équivalence ou vengeance, négation
du mal ou du malfaiteur mais il n'y a pas seulement plusieurs justices,
il y a surtout contradiction entre plusieurs vérités,
différents points de vue. Ce peut être l'opposition masculin/féminin
comme le montre Marazzi dans La place des chaussettes. Pour Aristote,
toute justice proportionnelle impliquant d'évaluer les personnes
dépend de la finalité sociale, c'est-à-dire du régime
politique mais comme en témoigne "la dispute entre amis", la contradiction
se trouve déjà entre le coût de production et la valeur
d'usage, entre ce que ça coûte à celui qui donne et
ce que ça apporte à celui qui reçoit. Il n'y a donc
pas de valeur objective, ni de travail payé à son prix entre
peine, virtuosité ou valeur d'échange. La crise de la mesure
est originelle.
Justice et revenu (crise de la mesure)
Rien de plus idéologique que la justification des revenus, fondation économique de la justice. Il est d'ailleurs facile de mettre en évidence l'influence des modifications dans la production sur les représentations en suivant les transformations de la notion de juste revenu suivant les phases du cycle de Kondratieff. Tous les 10 ou 20 ans les évolutions sont très sensibles. Le revenu prétend récompenser d'abord le risque ou la mobilité pendant la première phase de reprise sans inflation puis avec la généralisation de la croissance et le retour de l'inflation la justice se fait plus égalitaire pour aboutir ensuite à un droit statutaire (conventions collectives) qui se transformera avec la stagflation en défense des avantages acquis, du contrat initial de plus en plus personnalisé, puis la dépression identifiera justice et productivité (equity) avant de se faire pur opportunisme (la débrouille ou la chance), c'est-à-dire témoignant de l'anomie sociale, ne croyant plus à sa propre justice. La "crise de la mesure" ne met fin ainsi qu'à une fiction de justice que le nouveau cycle doit achever.
Comment pouvons nous caractériser en effet cette crise de la mesure sinon comme une réfutation de toute justice distributive. Il ne s'agit plus de donner à chacun l'équivalent de sa contribution, impossible à calculer, ni donc de "gagner sa vie" au nom de la justice mais ce vers quoi Amartya Sen entraîne les institutions internationales, c'est le "développement humain" comme libertés objectives. Si le revenu ne peut être juste ni égal pour tous, il doit du moins être suffisant pour entretenir et développer les capacités de chacun et n'est plus que très partiellement la contrepartie de son travail puisqu'il assure principalement la reproduction du capital humain et seulement secondairement, une forme d'intéressement au résultat. Le salaire n'est donc plus vraiment proportionnel au temps passé mais plutôt à la formation, à la reproduction de la capacité requise et non à la productivité réelle (non mesurable), ni à l'effort (hors de propos), ni au produit (trop aléatoire).
Remarquons que la notion de capital humain, comme celle d'intéressement,
implique une diversification et donc une inégalité constitutive,
au contraire de la "force de travail" où chacun peut remplacer un
autre, fondu dans une masse uniforme. Ce n'est pas l'origine pourtant de
l'injustice de la Loi qui consiste plutôt à ignorer les inégalités
de fortune alors qu'il faut bien les reconnaître pour favoriser
les défavorisés et valoriser les différences,
passage à une justice corrective plus compréhensive, à
une sollicitude plus féminine.
L'injustice de la Loi (summum jus, summa injuria)
Le libéralisme, constitué du capitalisme patriarcal, d'une démocratie censitaire et de Droits formels, s'appuie au contraire sur l'équivalence marchande pour justifier les plus grandes inégalités. Il justifie aussi, au nom de la nécessité, l'appropriation des biens communs afin d'en valoriser les ressources laissées à l'abandon. Aujourd'hui on ne peut plus puiser dans les ressources communes et la productivité nous délivre en grande partie de la nécessité avec la société de l'automation. Il ne faut pas laisser persister ce qui n'a plus aucune réalité. Ce qui semblait juste hier est devenu injuste car la liberté n'est plus désormais celle de l'appropriation, de l'accaparement, mais du développement de nos capacités et des possibilités sociales, non plus la privatisation mais le développement des biens communs. Un développement soutenable est un développement des libertés qui ne diminue pas les capacités futures.
La structure familiale est bien sûr primordiale et tout montre que nous quittons le patriarcat et sa conception de la justice comme norme, mesure, propriété, patrimoine pour une sollicitude plus féminine selon les féministes Carol Gilligan (Une si grande différence), Nel Nodding (Care) et Joan Tronto (Moral Boundaries). La fin du patriarcat commence avec la fin du féodalisme et des rois, se traduisant d'abord par un individualisme tout aussi impossible que le totalitarisme qui a voulu rétablir la primauté d'une totalité autoritaire dans la négation de l'individu. L'écologie enfin sauvegarde la totalité aussi bien que l'individu, leur inter-dépendance dans une approche plus accueillante et diversifiée, la substitution d'un Etat-providence à un État de guerre. Les transformations de l'économie immatérielle en réseau accélèrent le passage de la concurrence à la coopération. C'est cet ensemble de causes (de la fin du patriarcat à la globalisation, aux externalités, à l'écologie, aux réseaux coopératifs, à la production de l'homme par l'homme) qui concourt, avec la "crise de la mesure", au dépassement de la justice distributive pour un développement humain plus maternel.
L'institution de la procédure contradictoire témoigne que nous devons toujours arbitrer entre l'accusation normative d'un procureur qui nous culpabilise au nom de la liberté (responsabilité) et la défense compréhensive d'un avocat au nom des circonstances atténuantes ou de l'innocence (irresponsabilité). Plutôt que de rêver à un perfectionnement de la Loi, c'est bien plutôt vers ce que Hegel appelle "la raison examinant les lois" que nous devons aller, une humanisation de la justice qui est sa modulation, son adaptation au cas réel et une discrimination positive rétablissant une certaine égalité devant la Loi. Il s'agit de réaliser les droits dans l'approximation de la raison pratique plutôt qu'en raffiner l'abstraction universalisante, passer des libertés formelles aux libertés effectives, au droit à l'existence, à l'autonomie financière, à la valorisation sociale et à la participation politique.
De la Justice à l'Amour
Aujourd'hui, le passage de l'accumulation de marchandise, du règne de l'équivalence au développement comme libertés objectives appelle une autre justice ici-bas. La contrepartie du travail est un gain de vie pour l'esclave, un gain de temps pour le salariat et un gain de liberté pour la nouvelle économie. Le salarié déjà était libéré de sa terre. Mais alors qu'auparavant, pour nourrir le salariat industriel, il fallait aussi la privation de ressources, la pression de la faim de pauvres délaissés comme jamais depuis la privatisation des terrains communaux (tout ce qu'on appelle cyniquement l'incitation à travailler), désormais ce sont les hommes qu'il faut enrichir et cultiver, ce sont eux le capital le plus précieux et leurs capacités constituent nos vraies richesses. On retrouve ainsi une société protectrice et solidaire, des services publics au bénéfice des libertés individuelles, un marché régulé démocratiquement, non pas au service d'une rente de situation mais pour garantir nos libertés de choix et nos conditions de vie. On peut dire ainsi que l'amour remplace la justice dans la création et le développement des libertés.
On voit bien qu'on passe de la justice patriarcale, patrimoniale qui
nous condamne à "gagner" notre vie, à la providence,
à l'écologie, à l'assistance, au droit à l'existence,
à l'amour maternel de l'Etat-Providence. C'est un renversement considérable.
Ce à quoi nous avons à nous affronter, ce qui rencontre la
résistance la plus opaque (dans la justification d'un revenu d'existence
par exemple), c'est cet achèvement de la justice dans l'amour qui
nous délivre de la Loi et ouvre le temps messianique de la liberté,
d'une liberté objective que Sen identifie au développement
mais qui est aussi l'essence de la production culturelle ou du New Work,
le travail passionné délivré de toute subordination
mais aussi de toute distance avec la vie.
Ce n'est pas seulement l'avènement du communisme mais on peut
même dire celui du Royaume de Dieu puisque devrait s'y réaliser
la formule reprise par Marx "De chacun selon ses capacités, à
chacun selon ses besoins". Comment y croire encore ? Remarquons que cette
formule pourrait s'appliquer avec un tout autre sens à la République
de Platon, la justice ici consistant à ce que chacun, à sa
place, fasse ce qu'il doit faire et reçoive ce qu'il doit recevoir
mais de façon quelque peu autoritaire et sans véritable individualisation.
C'est d'y joindre la liberté de choix de l'individu que la
justice laisse la place à un amour qui ne compte plus mais se dépense
pour le développement des capacités et des libertés
objectives de chacun qui sont notre richesse sociale (Amartya Sen). L'impossible
utopie devient une exigence des nouvelles forces productives, un quotidien
qui n'a plus rien d'extraordinaire ou d'insensé.
On a vu que la justice se fonde dans la liberté mais qu'elle est aussi la condition des libertés. On peut dire aussi que la justice se fonde dans l'amour mais l'amour lui aussi se fonde dans la liberté (il n'y a pas d'amour contraint) et devient créateur de libertés dans un monde où la liberté elle-même est créative, productive. Nous ne sommes plus condamnés par le savoir originel d'une liberté pécheresse et d'un dénuement extrême. Une liberté joyeuse et confiante favorise nos inventions et nos passions dans une certaine irresponsabilité enfantine.
Valeurs, religions et structures de pensée
Remarquons que le christianisme avait annoncé ce temps de l'amour délivré de la justice mais avait été le règne du Droit romain et du contrat, de l'équivalence marchande. La critique de la justice distributive a été reprise par Luther pour qui la justification du pêcheur tenait à la grâce divine plus qu'à l'observance de la Loi, au mérite ou aux oeuvres. Paradoxalement, les Protestants vont pourtant donner essor au capitalisme (Weber) et généraliser une justice salariale très idéologisée. Il ne s'agirait, au fond, que de ramener ce royaume des cieux sur la terre comme le voulait le jeune Marx, réaliser assez Etat-providence et justice sociale pour ne plus les rêver dans un au-delà mythique.
Il ne suffit pas de tirer les conséquences logiques des évolutions économiques, il faut être conscient des bouleversements profonds de la représentation sociale que ces nouvelles pratiques peuvent provoquer. Ici l'idéologie est une inertie considérable dont il faut tenir compte, d'autant plus qu'elle touche les fondements religieux de l'organisation sociale. Il faudra du temps encore pour passer de la Justice à l'Amour même si cela fait 2000 ans qu'on nous l'annonce. Pour la nostalgie salariale, domine toujours fortement l'idéologie d'une juste revenu. Amour et grâce sont trop arbitraires encore au regard de l'égalité, l'équivalence, l'équité, le mérite, la compétence, la peine. On ne peut attendre d'évolution des esprits que de la généralisation de la production immatérielle où la création dépend moins de la volonté et de la crainte que de la liberté elle-même et de l'amour. Le revenu devra ainsi se transformer d'une "juste" contrepartie du travail effectué en simple héritage historique ou reproduction sociale, mais cela implique une refondation totale de notre système social ce qui ne saurait aller de soi, appelant de véritables ruptures.
La question du revenu nous aura amené au niveau de ce que Foucault appelle l'episteme et Kuhn paradigme, c'est-à-dire la tentative de l'historicisme de rendre compte des cadres de notre pensée selon les époques. Nous sommes ici sur le fil de l'indécidable qu'on peut identifier à la foi, la dépendance de nos représentations, de la mode du jour et de nos pratiques. Autant dire qu'il s'agit de rendre compte de notre point aveugle, d'une clôture du sens à la fois impossible et indispensable qui prend la forme du mythe ou de "valeur dominante". On est dans le plus fragile et il faudrait utiliser toutes les ressources de l'inspiration poétique pour illustrer l'évolution de notre conception du monde : d'une justice normative au développement humain, de la charité à la formation, d'un individualisme homogénéisant du semblable (tu matériel), à la pensée globale de l'écologie valorisant les diversités au nom de nos complémentarités et de notre destin commun (il final), du bien individuel à une harmonie sociale retrouvée, d'un savoir et d'une liberté coupable au savoir libérateur et créatif, d'un travail pénible à la valorisation de soi. C'est le temps de l'enfance après celui de l'esclave et du citoyen.