Le pouvoir de l'information
La psychobiologie de la guérison psychocorporelle
repose sur une idée de base essentielle : c'est l'information qui
constitue à la fois le concept-clef et le lien entre toutes les sciences,
y compris les sciences humaines et l'art thérapeutique. La psychologie,
la biologie et la physique ont désormais un nouveau dénominateur
commun : l'information. Pour comprendre vraiment comment cela est possible,
il faut garder à l'esprit le fait que "toutes les formes d'organisation
sur le plan psychologique, physique et biologique, sont en fait des expressions
de l'information et de ses transformations" (Stonier, 1990). 45
Trop de lumière aveugle sans doute, c'est tout le problème
de la réédition de cette brillante synthèse de l'influence
des facteurs psychologiques sur les régulations biologiques. On peut
constater en effet qu'il n'y a pas eu tant de progrès depuis 1986
et que ces thèses n'ont pas eu un écho suffisant encore. Il
n'est pas très difficile de comprendre pourquoi elles
ont pu susciter le
scepticisme, autant par la puissance du modèle
mis en jeu que par ses limitations. Nous devons faire bénéficier
ces hypothèses de toutes nos critiques mais l'important n'est pas la connaissance
de détail de tel ou tel mécanisme, plutôt l'effort d'unification du savoir autour de
la communication, conception cybernétique de la vie et de la société
qui donne un sens précis aux approches "holistes" comme intervenant
sur la signification, l'information, la communication bien que paradoxalement
la dimension propre du langage soit complètement négligée
au profit d'un "
paradigme d'information très large, capable de contenir et de
développer toutes les conceptions existantes sur la maladie et la
thérapie" 411.
Ceci permet
de présenter une théorie unifiée des psychothérapies
et médecines parallèles des maladies psycho-somatiques, mais
au-delà, il s'agit d'une théorie unifiée de l'information
de la biologie à la psychologie, de l'influence des croyances sur
les humeurs jusqu'aux gènes. Le phénomène central de cette conception
holiste de la communication est la
traduction (que je préfère
au terme de transduction), "
du socioculturel au psychocognitif, au psychocorporel et finalement au cellulo-génétique"
395. Le caractère systémique de l'organisme,
de la société,
de la biosphère, organisés en niveaux hiérarchisés,
implique une régulation généralisée par circulation
de l'information, et, plus précisément : mémoires,
feed back, cycles d'information (de plus en plus lents à mesure qu'on s'élève
dans la hiérarchie). Ces caractéristiques sont la base, nous le verrons, de toutes les thérapeutiques.
De même qu'il a fallu bien du temps pour que la science prenne
au sérieux le rêve et la sexualité, il faudra encore
un peu de temps pour intégrer aux sciences les pratiques "magiques"
comme l'hypnose, assimilée aux illusions de saltimbanques, ou la dimension
spirituelle réservée jusqu'ici aux religions. Il faut bien
dire qu'on est souvent en bien mauvaise compagnie dans ces parages, avec
toutes sortes de sectes ou de marginaux à qui nous laissons l'exclusivité
de ces pouvoirs de domination, du gouvernement de soi et des autres. Certes,
l'audace de conclusions qui postulent un contrôle presque total de
l'esprit sur le corps (pratiqué depuis longtemps par le yoga) ne peut
que renforcer encore toutes les réticences envers la pensée
magique, réticences que j'ai moi-même toujours partagées
; mais, une fois découverts et pratiqués, on ne peut se priver
tout-à-fait de ces nouveaux
pouvoirs "para-normaux" et paradoxaux,
en premier lieu pour soigner les maladies psychosomatiques. Il faut bien
dire qu'il y a là une "révélation" du lien au corps
qui n'est absolument pas accessible en dehors de l'expérience. En quoi on
quitte la simple argumentation philosophique pour rejoindre Science et Sagesse.
Problèmes de communication
Ce qui m'irritait le plus, au
cours de cette recherche,
était qu'aucun des spécialistes qui semblaient savoir quelque
chose ne partageait ce qu'il savait avec ceux qui se trouvaient en dehors
de son étroit domaine personnel de compétence. Au fur et à
mesure que je regroupais des faits et des déductions provenant de
divers domaines spécialisés, je retrouvais des notions qui
semblaient bizarres et qui, apparemment, étaient fondées sur
des recherches sérieuses, mais que personne ne semblait vouloir prendre en compte. 14
Cette perte d'information et de temps, cette absence de rencontres et de
communication peut nourrir encore nos lamentations, d'autant que les travaux
de Laborit sont complètement ignorés par l'auteur, de même
que Laborit a sans doute ignoré ceux de Stephen Black (1963, 1969)
qui fait ici référence pour l'interprétation de l'influence
de l'hypnose sur le système immunologique dans le cadre de la théorie
de l'information. Malgré tous nos moyens de communication, il y a
un manque presque total de circulation des informations hors de cercles étroits,
entre les langues, les pays, les spécialités, les groupes ;
malgré les avancées des sciences il n'y a pas de centre où
se totalisent les savoirs qui restent éparpillés, enfouis dans la masse. Le besoin
de transversalité et de travail interdisciplinaire se fait partout
sentir devant les impasses des approches réductionnistes. Nous avons
besoins de plus en plus de traducteurs, ce qui veut dire dans ce cas de vulgarisateurs, de journalistes, de militants, de chercheurs transdisciplinaires, d'honnêtes hommes
de notre époque en somme, pour répandre les derniers acquis
des sciences, en croiser et synthétiser les résultats, les
amener au débat public. Le manque en est particulièrement sensible
à propos des maladies du stress, où un savoir éclaté
se révèle incapable d'apporter une réponse à
la souffrance des malades.
La question de l'hypnose
Il faut régler d'abord la question de
l'hypnose. Ce n'est certes pas d'un spécialiste de l'hypnose thérapeutique
que j'attendais une théorie biologique de l'esprit, et pourtant à
bien y réfléchir, c'est effectivement la meilleure position
expérimentale pour mesurer l'influence du langage et de l'esprit sur
le corps. Il est difficile de répondre à la question de ce
que c'est l'hypnose car il y a une continuité de phénomènes
qui vont de l'effet placebo à la suggestion, dont fait partie la pensée
positive, jusqu'à ce qu'on peut appeler hypnose et que l'auteur définit
comme "
pensée dirigée". On peut dire que c'est une suggestion
explicite ou un usage impératif du langage. Ce n'est pas forcément
s'abandonner pour autant à la domination de l'hypnotiseur puisque
la voie de l'auto-hypnose est privilégiée ici.
Ce qui constitue l'hypnose est pourtant une mise en
sommeil de la
réflexion critique, une dissociation de la conscience, une déconnexion
qui peut prendre la forme de relaxation ou de méditation. Depuis Bernheim
en 1886, l'hypnose se définit en effet comme transformation de l'idée
reçue en acte (hors contrôle intellectuel). Il s'agit donc bien
d'"
inhiber les signaux
parasites de doute et de scepticisme"
60.
Les différentes techniques "
inhibent le mode critique analytique de traitement de l'information caractéristique
de l'hémisphère dominant et verbal"
59.
De quoi être méfiant, à n'en pas douter. L'hypnose nous
ramène à une sorte de stupeur animale par transfert d'identité.
Il y aurait là un accès privilégié au corps,
une exaltation de l'excitabilité réflexe idéo- motrice,
idéo- sensitive, idéo- sensorielle, comme branché sur
les informations extérieures. En tout cas, ce qui est sûr, c'est
que l'hypnose nous fait faire ce que nous n'aurions pas fait de nous mêmes,
ni ne nous serions permis de faire spontanément. Elle nous donne des
pouvoirs que nous ne nous connaissions pas mais que nous pouvons apprendre
à maîtriser. L'énigme de l'hypnose est la même
que celle de l'effet placebo, c'est-à-dire du mensonge et de l'illusion
qui mettent le sujet hors jeu.
L'hypnose n'est donc qu'un cas particulier de communication, de transmission d'une norme sociale, d'un ordre, d'une information sans
passer par la conscience réflexive mais en empruntant semble-t-il les chemins de l'habitude machinale.
Elle apporte ainsi une simplification dans l'étude de l'influence de la
communication sur le corps en supprimant la division de l'esprit, son individualité
critique, sa résistance. A partir de là, il faut bien supposer
une possibilité de traduction entre la suggestion et l'état
corporel, permettant d'obtenir des effets spectaculaires comme arrêter
un saignement ou l'apparition de brûlures. Ce pouvoir des mots et des
sorts permet d'unifier toutes les thérapies, des chamans (ou sorciers)
aux dernières psychothérapies à la mode, qui sont donc des thérapies
de la communication intervenant sur les significations. On verra que la notion
de rétroaction est la clef des phénomènes de traduction
et de contrôle de l'esprit sur le corps.
Biologie, information, conscience
On ne peut penser une véritable séparation
de l'esprit et du corps, les passions de l'âme, comme la peur, se traduisant
en signes corporels (ce qu'Aristote soulignait déjà). Il y
a donc bien unité et, malgré leur séparation, "l'esprit et le corps représentent deux aspects d'un seul système d'information". Ce qui fonde cette unité
c'est le fait que l'information n'est
ni mentale, ni matérielle mais structure. Il faut rappeler que, selon
la théorie de l'information, en tant qu'elle désigne une organisation
résistant à l'entropie, l'information représente le
véritable fondement de l'être, après la matière
et l'énergie, de sa stabilité comme de sa différenciation. "Plus une idée ou un événement est improbable, plus grande sera sa valeur informative". C'est
un processus cumulatif, aussi on peut s'attendre à une croissance exponentielle de l'information (p68).
Au niveau biologique, toute information résulte d'un apprentissage exigeant à la fois rétroaction (feed back) et renforcement, passant du besoin à
la motivation, à la représentation
et au comportement adapté enfin. L'existence de récepteurs
modulant les réactions chimiques est ce qui caractérise la
biochimie et les transmissions nerveuses. Selon l'état du récepteur,
il y a activation ou non de la production de protéines par exemple.
On est donc en présence d'une traduction conditionnelle, un peu comme
les transistors peuvent moduler un signal. La vie peut se définir
ainsi comme une chimie de l'information. "La vie est une qualité de la matière qui surgit du contenu
informationnel inhérent à l'improbabilité de la forme" 361.
L'information doit passer par une série de traductions :
"sensations, perceptions, émotion, représentation, cognition, identité, comportement" 63. On peut donc définir "la conscience en tant que processus
auto-réflexif de transfert d'information" 28 mais "le corps humain tout entier peut être considéré comme
un réseau de systèmes d'information imbriqués les uns
dans les autres - système génétique, immunologique,
hormonal, etc..." Entre chaque système il faut une transduction de l'information, une émission et des récepteurs. "En principe chaque modalité (émotion,
imagerie mentale,
pensée) peut se transformer en une des autres, au moins en partie" 136.
On peut trouver tout ceci bien réductionniste mais si le langage
est le grand absent de cette théorie de la communication biologique,
cela n'empêche pas la validité du modèle. Le langage ne
se réduit ni à l'information, ni à la communication mais
il y participe, c'est une évidence, et joue son rôle de transmission
des normes sociales à l'individu biologique, rôle de renforcement,
d'encouragement, de stress, de domination. sans avoir à prendre en
compte la structure du langage et du rapport à l'Autre. Il suffit
dans un premier temps de retenir la leçon de l'hypnose pour admettre
que le supérieur contrôle l'inférieur par les processus
de transduction et de rétroaction. Il y a sûrement
une part de "transe" essentielle à cette transe-duction du sens, part d'hypnose,
de transfert, d'inconscience mais la réflexion est presque aussi
rare que le dialogue, même si tout le monde pense et parle.
La sécrétion des humeurs
Reste à rendre compte avec les données de la biologie actuelle, de "comment l'information, reçue et traitée à un niveau
sémantique, est-elle convertie en information qui puisse être
reçue et traitée à un niveau somatique et vice-versa?". On peut dénombrer 4 systèmes
d'information biologiques : système nerveux autonomes avec les neurotransmetteurs,
le système endocrinien avec les hormones, le système immunitaire
avec les cytokines, et le système vital, comme on pourrait l'appeler,
avec les neuropeptides (faim, soif, sexualité, douleurs). Ces systèmes
communiquent entre eux ainsi qu'avec les systèmes sociaux et génétiques.
On sait que "les systèmes de croyances influent sur le système immunitaire". On peut avoir un système immunitaire déprimé
(cancer), hyperactif (asthme) ou parasité (polyarthrite) par des traumatismes
psychiques.
Malgré la multiplicité des procédés,
des circuits, des systèmes et leur caractère décentralisé,
il faut maintenir pourtant l'unité de la conscience, de l'humeur et de la volonté
qui ne sont pas simples émergences spontanées et aléatoires,
même si l'unité des divers états du corps, n'est possible
souvent que par la contiguïté (sinon "on perd le fil"). La conscience résulte sans doute de la synchronisation des oscillations
neurales mais surtout de la production d'une substance chimique qui la mémorise
et détermine notre humeur. Il faut en passer par là. Le cerveau
est une glande qui se déverse dans le sang par l'hypothalamus. "L'hypothalamus unifie les systèmes de régulation de base du
corps (la faim, la soif, la sexualité, la température, les
pulsations cardiaques, la pression sanguine, etc.)" 197, il contrôle l'hypophyse, glande pituitaire contrôlant elle-même
les autres glandes. Ce n'est pas une simple sécrétion unilatérale
mais une boucle circulaire (cybernétique) d'informations allant du
système hypothalamo- hypophyso- limbique jusqu'aux glandes surrénales,
et retour (p109). Ce caractère rétroactif est à la fois
ce qui permet l'action de l'esprit sur le corps et ce qui rend problématique
toute intervention chimique dans le circuit. Il faut comprendre en effet
que les échanges chimiques (les molécules messagères)
représentent le premier maillon de la communication corps esprit avant
les influx nerveux.
Les neurones de l'hypothalamus transforment ainsi l'information neurale
de l'esprit en molécules messagères au niveau du corps, selon
un processus appelé neurosécrétion, il d'agit là
du concept central de la neuroendocrinologie moderne. C'est l'existence de
tels transducteurs neuroendocriniens d'information qui nous amène
à considérer ce nouveau champ de la psychobiologie comme d'une
branche de la théorie de l'information 199.
Tous ces canaux convergent vers le système hypothalamo-limbique,
principal centre de la transduction d'information esprit-corps 64, transduction de l'information entre l'esprit et le corps puisqu'elle reçoit
de l'information venant de tous les canaux neuraux et agit comme un filtre
en ne transmettant au cerveau que les informations nouvelles ou répétées
avec insistance 54.
L'insistance sur la nouveauté
rencontre notre modernité, il faut souligner que c'est un phénomène
plutôt récent mais aussi qu'il y a là une façon
de contourner le caractère social de la reconnaissance au profit d'un
simple divertissement individuel. Il n'en reste pas moins vrai "que ce qui est nouveau et passionnant puisse stimuler l'activité
du cerveau représente un préalable très important, même
s'il n'est pas reconnu, à toute forme de psychothérapie" 55. De même, "des situations ennuyeuses et répétitives diminuent l'activité
du locus coeruleus et amènent relaxation, somnolence et sommeil" 55. On sait qu'il faut une certaine dose de dopamine pour mémoriser
et planifier à long terme, pour donner sens et confiance. Il faut que ça bouge!
Apprentissage, stress, guérison
Les processus de mémoire,
d'apprentissage et de comportement liées à l'état, encodés
par le système hypothalamo-limbique [...] sont les principaux responsables
de la transduction d'information entre l'esprit et le corps 100.
Il ne suffit pas de transmettre une information
il faut qu'elle imprime sa marque qu'elle soit suivie d'effets, de mémoire
et d'action. Apprentissages et comportements formeraient une mémoire
liée à l'état du corps, ses humeurs, ses réactions.
Cette mémoire est à plus ou moins long terme, potentialisation
par frayages, connexions, facilitations, et qui étend ses conséquences
de plus en plus loin, jusqu'aux gènes. L'hypothèse centrale
consiste ici à faire des symptômes psychosomatiques une fixation
sur un état du corps consistant en une sorte de mémorisation
figée d'une réaction adaptative, effet d'apprentissage, dysfonctionnement
acquis plutôt que déficit corporel. "Les symptômes psychosomatiques, et peut-être aussi la plupart
de problèmes psychocorporels, se forment par un processus d'apprentissage
expérientiel - plus précisément l'apprentissage lié
à l'état - de modes de réaction typiques du syndrome
général d'adaptation de Selye". "Les gens ont des symptômes ou des problèmes quand ils se
sentent emprisonnés dans une modalité ou assujettis à
une autre", avec le sentiment de rester "bloqué sur des rails". Le rôle de la remémoration du traumatisme serait de redonner
accès à l'état du corps pour permettre une nouvelle mémorisation.
"Toute remémoration est un recadrage" 280.
L'apprentissage se paie souvent cher de nos erreurs, de nos échecs, nos déceptions, des agressions, du stress
enfin qui module effectivement la mémorisation, l'intensité des souvenirs,
par l'intermédiaire de l'amygdale. Ce qui compte dans le stress, ce
n'est pas tant le déséquilibre homéostatique, le danger
réel mais sa perception, son vécu, sa signification, le côté subjectif, la détresse. Il semble que "l'hypnose se produit spontanément lorsque survient
le stress" 80, l'attitude hypnotique apparaissant alors comme disposition à l'apprentissage,
au conditionnement. Jusqu'à récemment, toute l'éducation
se faisait à coups de bâton (ou de martinet) !
Comme on y a déjà insisté, les conséquences du stress sont liées à la durée d'exposition. Un stress prolongé
provoque un effet modérateur par diminution
du nombre de récepteurs ce qui provoque ensuite une dépendance,
un effet de manque. De 3 à 5 heures constituent le point de rupture.
L'hippocampe est étouffé, induisant des pertes de capacité
de mémorisation temporaires jusqu'à des morts neuronales et
des défauts réversibles de la régulation des gènes
(p208), "ainsi les neurotransmetteurs modulent l'hormone de croissance et l'expression des gènes cancéreux" 226.
L'état de distress est le signal d'un dysfonctionnement de
la communication entre pression sociale et niveau biologique, et non entre
aspirations et capacités comme certains le prétendent. En ce sens, cancer ou maladies auto-immunes
sont des maladies de la communication, de la reconnaissance, erreur de réplication
et erreur de contrôle qui sont le prix des exigences sociales sourdes
à nos limites, d'une rentabilité qui n'est pas rentable comme
dit Edgar Morin, ou de traumatismes difficiles à assumer, d'une mort
sociale intenable. Il n'y a pas d'autre solution que de "transformer les symptômes en signaux et les problèmes en ressources créatrices"
; ce qui veut dire passer de la perception négative d'une menace
(produisant du cortisol) aux effets positifs d'un défi qu'on se donne.
"Votre symptôme est votre ami". "Votre symptôme est le signal qu'un changement créatif est nécessaire dans votre vie".
Il y a dans cette pensée positive
une imbécillité heureuse qui m'exaspère. La "méthode
Coué" trouve vite ses limites et il n'y pas plus terrible refoulement
que de se croire obligé d'être joyeux, aveugle à ce qui
pourrait y contredire (culpabiliser d'être triste!). Cela n'empêche
pas les bienfaits du rire, qui peut réellement aider à guérir,
et l'auteur insiste malgré tout sur "le pouvoir de la pensée négative"
qui est une voie beaucoup plus sûre et durable, celle de la reconnaissance
de ce qui ne va pas, la focalisation sur nos traumatismes, nos ratés,
nos questions pour les résoudre plutôt que de continuer à
nous travailler douloureusement à notre insu. La pratique des injonctions paradoxales,
des doubles contraintes, de "s'appuyer sur la résistance" plutôt
que de fuir les pensées négatives, visent plutôt à
recréer l'état de détresse, retrouver l'émotion initiale encodée. L'expression du problème passe par la représentation et "constitue donc le début
de la fonction transcendante, c'est-à-dire de transduction de l'information" 68. L'émotion mène à une prise de conscience par rapport
à notre identité et déclenche un nouveau comportement adapté. C'est cela le
processus de transduction de l'information.
La guérison semble s'appuyer sur la
mémoire liée à l'état du corps, ce qui explique
que, lors de certains changements d'état, des souvenirs reviennent
(hypnoses, rêves, etc). La mémoire liée à l'humeur
expliquerait ainsi qu'on se souvient des mauvais moments quand ça
va mal et des bons quand ça va bien. Il n'est pourtant pas nécessaire
de retrouver l'origine et ramener à la vie les âmes défuntes.
Ce n'est pas la vérité qui est ici en cause. "Tout ébranlement de l'état du corps peut amener la guérison" 101. L'efficacité de nombreux
médicaments résulterait ainsi
d'un effet placebo décuplé par un véritable effet sensible sur notre
état et nous persuadant de notre guérison par simple changement
d'état. On peut compter sur des chocs émotionnels ou physiques
pour surmonter les limitations acquises. Il y a un élément
de surprise indispensable pour une restructuration, une guérison,
un déblocage.
Tous dominants (la guérison impossible)
Avant d'aborder les travaux pratiques, il
faut montrer les limites de la démarche qui sont celles du cognitivisme
individualiste mais aussi de toute psychologie et thérapie sous-estimant
la dimension sociale et symbolique des problèmes, c'est-à-dire leur dimension globale. Il faut donc
esquisser une indispensable critique mais sans nier les faits avérés,
en reconnaissant même que ce défaut n'est pas imputable à
la théorie de l'information elle-même mais plutôt à
l'objet du livre centré sur les phénomènes biologiques
car la conception holiste de la communication ne peut négliger le
niveau social bien évidemment. Dès qu'on adopte le point de
vue sociologique on voit bien pourtant que la guérison individuelle
ne change rien à ce qui n'est que la traduction d'une mauvaise communication
sociale. On ne fait ainsi que déplacer le symptôme en supprimant
une voie de dérivation et d'expression.
Nous voilà dos au mur. Il ne reste plus que la violence sur les autres
ou sur soi pour affirmer un préjudice que personne ne reconnaît,
il ne reste plus qu'à mettre en jeu son corps explicitement et "se
tuer à le dire". On ne peut oublier non plus que l'intervention de
l'hypnose ou de la suggestion semble nécessaire, qui est déjà
un abandon de responsabilité, comme une façon de sortir du
jeu. Il y a donc quelques raisons de penser que ces pouvoirs sont maléfiques, que les processus de perceptions sont faits pour rester invisibles derrière
le perçu lui-même qu'ils ont fonction de restituer. Tout cela
n'empêche pas le pouvoir de l'esprit sur le corps d'être un fait, éprouvé
dans des techniques millénaires.
.
Il y a surtout une contradiction et un terrible
"effet pervers" dans la prétention d'un pouvoir de guérison.
L'effet pervers, c'est de culpabiliser
d'autant plus les malades puisqu'on n'est malade qu'à se refuser à
une guérison possible, en quelque sorte, mettre les moyens de s'en
sortir qui sont à la disposition de tous. La contradiction c'est de
vouloir donner l'énergie de la guérison à ceux qui s'abandonnent
à leurs blessures et leurs préjudices, exhibant leur détresse,
toutes les forces les ayant quittés avec l'espoir même de guérir
devant l'inconsistance de l'Autre qui ne peut nous sauver. On peut voir dans
cette culpabilisation volontariste la même dénégation
libérale de la domination, comme si toute le monde pouvait être
dominant ! Au niveau biologique même, la réponse au stress dans
la production de testostérone est pourtant opposée selon qu'on
est dominant ou dominé. C'est ce qui fait la bêtise de la pensée
positive de nous amener à l'acceptation de toute soumission, sans aucune résistance pour ne pas tomber
dans les passions négatives! Idéologie précieuse pour
les dominants donc que celle du coping, de
la "capacité à faire face" au stress, capacité d'adaptation
et d'assumer une situation comme si cela dépendait de la personne
plus que de la situation. Le temps des gagneurs, des entrepreneurs et des
imbéciles heureux semble pourtant bien révolu.
Il faut réfuter aussi la pensée magique
qui voudrait promettre de nous guérir par des formules symboliques
d'un déficit fonctionnel au nom de quelques miracles répétés.
On ne peut nier des caractères acquis figés par les années,
sans retour en arrière vraiment possible. Il faut maintenir le caractère
physique, biologique des symptômes psycho-somatiques qui ne sont pas
hystériques ni simulés. Il faut passer par le corps, on peut
penser par contre que la plupart du temps le déficit n'est pas définitif
et résulte simplement d'une hypersensibilisation, d'un dysfonctionnement
réversible, d'une désadaptation. La perte de neurones pourrait
elle-même être compensée par une régénération
grâce au Nerve Growth Factor. Le caractère circulaire, rétroactif
de la communication biologique est très solide. Cela rend peu probable
une véritable dégradation.
Enfin, il faut tenir compte du fait que non seulement
on risque de déplacer le symptôme comme signe d'incomplétude,
en se contentant d'un traitement symptomatique, mais on peut légitimement
penser que le signal de ce qui cloche, "ça c'est vraiment toi" ! Ce
n'est pas la brute blonde à la santé éclatante qui représente
l'humanité créative mais la fragilité du prématuré
et la mélancolie de l'homme de génie. Ce n'est pas la force
silencieuse mais la parole déchirée, l'expression sociale.
Il est donc essentiel de laisser une place au médicament et à
la maladie comme droit, reconnaissance du préjudice subi, de son caractère physique, vital, affirmation de notre insuffisance,
notre impossibilité d'assumer notre position par nous-mêmes
et la reconnaissance de notre sacrifice comme mise en jeu de notre
dignité. En bref, le médicament nous donne le droit de guérir.
N'écoutez donc pas la suite de ce discours puisque
c'est un savoir interdit, le pouvoir
sur nos corps, savoir sur la souffrance du même ordre que la toxicomanie.
Le médicament est d'ailleurs essentiel dans cette stratégie
pour convaincre d'une guérison possible mais aussi pour apprendre à contrôler
ses effets. Il permet de se désidentifier de son état, de s'en
distancer, de le décrire et d'en repérer les mécanismes. Tout cela
n'enlève rien au pouvoir de l'esprit sur le corps, ni au fait bien
connu qu'être persuadé que sa maladie et son épuisement
sont justifiés ne peut que les aggraver. Il semble enfin que les médicaments
ne puissent être efficaces sur la durée, ayant des effets paradoxaux
de perturbation. Il faut donc sans doute combiner les approches.
Les cycles naturels
Pour l'auteur, la première chose à considérer
dans le contrôle du corps, c'est la nature cyclique de la conscience
et de l'être, temps du rafraîchissement de l'information pourrait-on
dire. "Les processus cycliques sont très importants pour la vie. Ils permettent
de préserver des éléments-clefs du passé malgré
les fluctuations et la tendance au désordre de l'environnement pris
dans son ensemble" 71. C'est la base de toute résistance à l'entropie, de notre stabilité et donc aussi du changement.
Ainsi, il semble qu'on ne puisse tenir plus
de 20 minutes de concentration intense, de stress efficace avant épuisement.
Beaucoup de consultations comme les consultations médicales durent
généralement à peu près ce temps là. Il
y a surtout des cycles d'1 heure 1/2. Il faut se ménager 20 minutes
de repos toutes les 90 minutes, pour éviter des accidents par
exemple. Ce temps de distraction est aussi favorable aux phénomènes
hypnotiques de transe naturelle.
Au-delà de ces questions d'efficacité
pratique, il y a des nombreux indices qui font des dérèglements
psychosomatiques une conséquence d'un dérèglement des cycles biologiques,
dysrythmie qui se répercute sur l'énergie
et le sommeil profond (par exemple, les hormones de croissance sont produites
surtout dans les 90 premières minutes de sommeil). Cette dysrythmie
des cycles biologiques se retrouve notamment dans la respiration. Ce n'est
donc pas un hasard si le contrôle de la respiration a une si grande
importance dans le yoga (p243). De même, hypnose et relaxation opèrent
en grande partie par le rétablissement des cycles de repos de 20 minutes
dédiés au "cerveau droit" imaginatif.
Le pouvoir de guérison (travaux pratiques)
L'art et la science qui consistent à recadrer les
symptômes et les problèmes pour les considérer comme
des signaux et les transformer en fonctions créatives, ne sont qu'à
leurs débuts. 411
Outre le fait de respecter les rythmes biologiques,
la réussite de la guérison est liée aux croyances, favorisée
par des pratiques inhabituelles, comme nous l'avons vu, des chocs émotionnels.
L'essentiel semble pourtant de pouvoir être confirmé par le
résultat (feed back), rétroaction qui est au principe
de tout contrôle par l'esprit. Ce pourquoi il n'y a pas beaucoup plus
à dire quand il faut s'y essayer. C'est si vrai qu'un des seuls progrès
depuis ce livre, et considéré comme un remède contre
les maladies du stress, c'est l'EEG biofeedback qui consiste dans un appareil
de mesure branché sur nos paramètres internes (tension, chaleur,
Electro Encéphalo Gramme) afin de nous apprendre à les contrôler
par la pensée. On peut ainsi, en principe, apprendre à contrôler
n'importe quel facteur biologique. Ce n'est pas immédiat, nécessitant
un véritable apprentissage. Il est douteux de l'intérêt
d'y consacrer sa vie comme un fakir, mais on a plus de raisons de s'y intéresser
pour guérir des maladies invalidantes provoquées par une régulation
déficiente (déficit d'attention, fibromyalgies, coeur).
Les travaux pratiques sont d'une simplicité
désarmante puisqu'il semble qu'il suffit de rétablir les rythmes
indiqués (au moins pendant le traitement) et d'apprendre à
contrôler sa respiration et son flux sanguin, les récepteurs adrénergiques
contrôlant la tension étant largement impliqués dans les dysfonctionnements somatiques et immunitaires.
Les médicaments adrénergiques (Hept-A-Myl, Clonidine, Hydergine, etc.) peuvent aider l'apprentissage, mais les
seules manifestations sanguines suffisent, normalement. Pour commencer, on doit
pouvoir s'entraîner à créer des sensations de chaleur, des rougeurs, une poussée des seins pour les femmes,
des érections pour les hommes, jusqu'à pouvoir arrêter des saignements,
créer des brûlures, supprimer des verrues, réguler sa
tension enfin.
En dire plus ne remplacerait pas une pratique assidue, ni
surtout la volonté de s'y mettre qui est tout le problème. Le
livre est agrémenté de petits encadrés servant d'exercices
mais s'y mettre vraiment ce serait être déjà guéri
! Dans l'immédiat, sachant que la dominante nasale de la respiration
est en rapport avec l'hémisphère cérébral activé
(côté opposé), en se couchant sur le côté
gauche on bouche le nez droit et on active l'hémisphère gauche
(et vice-versa). C'est un premier pas facile pour essayer de sentir les différences
de flux sanguin dans le cerveau.
Tout ceci paraîtra bien dérisoire à ceux qui sont submergés,
effondrés, épuisés face à des agressions perpétuelles.
Le contrôle mental n'est pas tout puissant, il est même aussi
paradoxal que les drogues, épuisant soudain ses ressources face à un stress. C'est
sans doute le premier pas du traitement psychobiologique et de la guérison,
mais on peut se demander si elle est totale ou bien si elle est plutôt maîtrise
acquise d'un déficit acquis. Pour ma part j'ai eu l'impression
d'apprendre à réguler mes déficits à mesure que
j'en comprenais les mécanismes mais cela n'empêche pas les rechutes
brutales. Si on prend au sérieux la théorie de la mémoire
et de l'information, il faut s'attendre à ce que le retour à
nos vieux démons soit facilité, de même qu'un dysfonctionnement
social non réglé continuera à perturber les corps. Il
ne faudrait donc négliger ni régime ni exercice physique et
cultiver les vertus du rire, de la danse et du chant quand le coeur ne nous
manque pas trop, c'est le plus efficace sans doute. En associant un traitement
social et médicamenteux à une hygiène physique et mentale,
on peut du moins espérer rétablir les communications, revenir
dans le jeu, retrouver un avenir.