Il faut d'abord rappeler que la physique quantique
a remis en cause le déterminisme mécanique, (voir A. Kojève,
L'idée du déterminisme dans la physique classique et dans la physique moderne, Livre de poche, 1932), ce qui sera renforcé par les théories
du chaos (limitant nos prévision à un horizon temporel donné,
le temps de Lyapounov) mais aussi par la théorie des catastrophes
impliquant des ruptures de causalité, d'autres effets de seuil que
les quantas, plus faciles à expliquer qu'à prévoir. Tout
cela semblait nous condamner au "phénoménisme" face à
un réel inaccessible. Effectivement la physique s'oriente sur des
phénomènes purs comme les nuages ou les cristaux liquides,
si ce n'est la cuisine ou la technologie. Pourtant, au moment même où
la théorie quantique renonce au réalisme de ses formules, une
nouvelle voie s'ouvre, complètement nouvelle, sorte de
constructivisme radical permettant un accès
au principe organisateur de l'univers, au-delà de la limitation quantique, par sa reconstruction, bien que
sous une forme hypothétique, ranimant du même coup le déterminisme.
De quoi s'agit-il en effet ? De passer de l'observation (avec ses limitations)
à la reconstruction des phénomènes complexes à
partir de programmes élémentaires extrêmement simples.
On savait déjà qu'un programme très simple comme "la
transformation du boulanger" imitant le pétrissage d'une pâte
pouvait illustrer les théories du chaos par l'impossibilité
de prévoir la position d'un point après un certain nombre de
pétrissages. Stephen Wolfram a montré, lui, qu'un "
automate
cellulaire" élémentaire produisait une complexité
croissante. La notion d'automates cellulaires vient de Neumann (popularisée
dans "Le jeu de la vie" de John Conway). Cela consiste dans un "calculateur
universel" très simple déterminant la valeur d'une cellule selon
celle de ses voisines. On peut l'imager par l'exemple du sexe des plantes
(dioïques comme le chanvre par exemple). Les plants se déclarent
normalement à peu près à égalité entre
mâles et femelles. Si on arrache les mâles et qu'on met en terre
de nouvelles plantes encore indifférenciées, elles seront toutes
mâles, à une ou deux exceptions près. On peut donc penser
que le sexe se détermine selon le sexe des plantes environnantes. C'est
le plus simple. A peine un peu plus compliqué, on peut avoir une suite
du genre "1 ou 2 noirs dans les 3 derniers donnent un noir et 3 noirs de
suite donnent un blanc (ou 3 blancs donnent un noir)". La règle a beau être triviale, il est
impossible d'en prévoir le déroulement, il faut lancer le programme
et constater le résultat, les morphologies générées
qui peuvent reproduire celles de la nature comme les coquillages. L'ordinateur
et la simulation remplacent ainsi l'observation et la déduction.
On pourrait voir là l'autre face des fractales, une réduction
de la complexité croissante à un formalisme élémentaire
bien que largement imprédictible. La grande
unification de
la physique pourrait s'obtenir par cette voie "expérimentale". On
pourrait ainsi générer toutes les lois de la physique à
partir d'un "
réseau
reliant des noeuds abstraits". "
Des concepts comme l'espace et le temps
émergent alors comme des propriétés limites de ces réseaux.
A partir de là, cela devient tout-à-fait passionnant car on
voit ainsi émerger la relativité restreinte, la relativité
générale et certains aspects de la mécanique quantique". Théorie quantique, par laquelle il a commencé sa carrière
et à propos de laquelle il avoue qu'on "
découvre toute une série de passages à la limite et d'idéalisations" problématiques mais il prétend obtenir
ainsi une équivalence
entre la mécanique des fluides, le cerveau ou l'univers.
C'est, on le voit une théorie extrêmement ambitieuse bien qu'elle
ne procède pas par déductibilité (il y a une "
irréductibilité calculatoire") mais par expérience vérifiable (simulation) plutôt
que falsifiable. Je n'ai aucun moyen de jauger le sérieux de ces thèses
car je n'ai pas lu les 1200 pages de ce livre qui n'est pas encore traduit.
Le concepteur est on ne peut plus sérieux, auteur du programme Mathematica,
mais le concept me semble en tout cas extrêmement prometteur, même
si la déduction de l'univers jusqu'aux tâches du léopard
n'est pas vraiment pensable, la contingence devant y garder toute sa part,
les théories du chaos restant forcément valables (et les ruptures
de causalité, les changements de niveau). Cette
méthode
de simulation prendra sans doute de plus en plus de place, créer
des univers comme on jette les dés. Cela ressemble à la programmation
évolutionnaire (processus de sélection de systèmes auto-programmés)
mais on peut dire aussi que c'en est l'exact contraire. Si on peut arriver
ainsi à dépasser les limites de la matière et de l'expérience,
c'est en perdant tout caractère physique. C'est donc encore une meta-physique
abstraite, plus technique que conceptuelle pourtant, et sans toute trop mécaniste
pour l'instant.
Sa critique du "jugement
par les
pairs" me semble intéressante aussi : "
ce n'est pas toujours la meilleure méthode de management" pense-t-il. On peut lui donner raison, ce qui n'empêche pas que
le jugement
par les pairs soit essentiel dans la constitution de l'objectivité
scientifique, mais il faut en corriger les défauts (le conservatisme, la concurrence, l'intérêt),
ne pas en faire l'unique critère : "
Si j'avais rédigé
un projet de recherche en vue de passer vingt ans à créer une
nouvelle sorte de science, je ne pense pas qu'il aurait été
financé".
Voir :
http://www.wolframscience.com/
http://nazim.fates.free.fr/Epistemo/MemoireAC/FatesMemoireAC.html