Quelques découvertes récentes sur
le fonctionnement du cerveau remettent en cause notre
compréhension des réseaux de neurones qui servent de
modèle à l'intelligence artificielle. En effet deux
mécanismes nouveaux
devraient être pris en compte.
- La moitié oubliée du cerveau
Pour la science, 09/2004
Les cellules
gliales, 9 fois plus nombreuses que les neurones, jouent un rôle de
soutien et de maintenance, apportant éléments nutritif et sang aux
neurones ou rétablissant l'équilibre ionique mais les astrocytes
(cellules macrogliagles qui entourent les terminaisons des neurones, les
synapses) ont aussi un rôle de communication alors que, jusqu'à
maintenant, on pensait que seuls les neurones assuraient la communication
dans le cerveau.
La glie détermine la formation des synapses et
participe à la sélection des connexions neuronales (mémorisation à long
terme, plasticité du cerveau).
Des travaux récents montrent que les
cellules gliales communiquent également, formant un réseau séparé,
parallèle au réseau neuronal.
Les cellules gliales communiquent en
utilisant des signaux chimiques que les neurones ne reconnaissent pas,
et, dans certains cas, réagissent directement à des neuromédiateurs émis
par les neurones (comme le glutamate).
Le cerveau doit disposer de
moyens pour établir une communication rapide entre des circuits
neuronaux qui ne sont pas directement connectés. Si les neurones sont
comme des téléphones communiquant par des connexions synaptiques
câblées, les astrocytes seraient des téléphones portables, communiquant
par des signaux chimiques largement diffusés, mais que seuls les
astrocytes portant les récepteurs appropriés pour capter le message
détecteraient. Si les signaux peuvent se propager à travers les circuits
d'astrocytes, les cellules gliales d'un site activeraient des cellules
gliales éloignées pour coordonner la décharge de réseaux neuronaux
distants.
Ce qu'il faut retenir c'est que les réseaux neuronaux ne peuvent se
constituer par simple auto-organisation locale comme on le croyait mais
que le réseau de connexions doit être contrôlé et alimenté par une
deuxième réseau agissant plus globalement et de façon coordonnée à
distance. Il ne suffit pas qu'une connexion se fasse, il faut qu'on lui
fournisse les ressources pour durer. On peut imaginer que le cerveau se
construit ainsi dans une sorte de dialogue où se rencontrent des
logiques bottom-up et top-down, locales et globales avec plusieurs
niveaux : électrique (très localisé), neuromédiateurs (un peu plus
étendu), gaz NO (diffusion), ATP spécifiques des astrocytes pour les
liaisons distantes.
- Du cannabis dans le cerveau
Pour la science, 01/2005
La découverte
du rôle des récepteurs cannabiques introduit un nouveau mécanisme de
rétroaction qu'on ne soupçonnait pas, où le neurone excité tend à
neutraliser le neurone excitateur et bloquer la répétition des signaux
répétés qu'il reçoit. Cette action inhibitrice se révèle aussi
importante dans l'apprentissage que le déconditionnement ou le surmenage
(entre autres). Ce mécanisme est sûrement à relier au rôle des
récepteurs cannabiques périphériques dans l'inflammation ainsi qu'à la
diminution des signaux inflammatoires accompagnant les mouvements du
corps ou la sécrétion de dopamine dans le cerveau (qui "
déclenche la libération
d'endocannabinoïdes").
Plutôt que d'agir dans le sens habituel, du neurone
pésynaptique
(émettant le neuromédiateur) vers le neurone
post-synaptique (qui le
reçoit), les endocannabinoïdes agissent en sens inverse, se
déplaçant du
neurone postsynaptique vers le neurone présynaptique.
En
outre, nous
savons que les endocannabinoïdes ne sont pas produits lorsqu'un
neurone
décharge une seule fois, mais uniquement lorsqu'il
décharge 5, voire 10
fois de suite.
C'est l'excitation du neurone qui produit à sa
surface (postsynaptique) le cannabis endogène destiné
à inactiver le neurone excitateur (présynaptique).
L'inhibition rétrograde s'est révélée être une caractéristique
importante de l'activité cérébrale. L'atténuation temporaire de
l'inhibition stimule une forme d'apprentissage nommée potentialisation à
long terme [...] En conséquence, l'inhibition rétrograde, dont l'effet
est local et de courte durée, permet aux neurones de se déconnecter
brièvement de leurs voisins pour encoder une information.
Ces récepteurs sont présents dans les régions cérébrales associées à
des comportements complexes, à la cognition, à l'apprentissage et à la
mémoire.
Indispensables à la mémoire, à
l'encodage,
à l'apprentissage, cette
inhibition rétrograde est aussi indispensable au
désapprentissage, au déconditionnement qui permet de nous
adapter à un nouvel environnement,
une fois perdues les raisons de nos habitudes. C'est une sorte
d'entropie de l'apprentissage qui s'avère nécessaire dans
un
environnement changeant ou pour surmonter un traumatisme mais que la
prise de cannabis perturbe et permet d'étudier sur l'animal.
Nous avons appris qu'ils n'agissent pas sur le déclenchement de la
peur, mais sur l'oubli de la peur conditionnée.
Ces résultats
indiquent que les endocannabinoïdes sont importants pour supprimer la
crainte et la douleur associés aux souvenirs d'expériences passées.
Ce sont des mécanismes de mémoire et d'oubli que les
réseaux de neurones devront prendre en compte. L'effacement
permanent de la mémoire est une caractéristique
absolument indispensable pour garder une mémoire utilisable, de
même qu'on savait déjà qu'apprendre c'est
éliminer (les fausses hypothèses) et qu'on s'est aperçu depuis longtemps que
l'inhibition
était le facteur principal dans toute prise de décision
(on ne cède pas aux désirs les plus forts mais aux moins
inhibés). Les structures supérieures (néocortex)
se constituent en effet sur l'inhibition des réflexes de plus
bas niveau (cerveau reptilien).
Notre compréhension du cerveau s'est donc
considérablement complexifiée récemment alors
même que l'imagerie médicale en donne une
représentation spatiale très réductrice, utile sans
aucun doute mais beaucoup trop simplifiée. Il faut rendre compte
de l'imbrication de différents niveaux de régulation ou
de stabilisation des influx nerveux entre différents
systèmes qui agissent de concert bien que souvent en sens contraires.