Comité B1 : Inventer un système économique
écologique
LES VALEURS
Résumé
de la réunion
Historiquement, trois valeurs fondamentales ont émergé pour structurer le projet économique de l’écologie politique : l’autonomie, la solidarité et la responsabilité.
1. L’autonomie, définie comme capacité pour les individus ou les groupes à “ prendre leurs affaires en main ”, à “ voir le bout de leurs actes ”. La personne voit ce qu’elle fait, décide des buts de son travail et de la manière de l’effectuer.
2. La solidarité : l’organisation socio-économique doit viser à ne laisser personne sur le bord du chemin, faire participer tout le monde au progrès.
3. La responsabilité : il y a nécessité de répondre des conséquences de nos actes, notamment économiques, sur la vie en générale, les éco-systèmes, le bien être des autres...
Ces trois valeurs entrent en synergie sans pour autant être exemptes d’oppositions. Elles ont émergées des années 1970 (Gorz, Jonas, Levinas...) comme un décalque de la trilogie républicaine. A sa source révolutionnaire, cette trilogie apparaissait comme un triple refus : de l’absolutisme (= liberté), des ordres (=égalité) en 1789, puis de la domination économique (=la fraternité) en 1848. Elle s’énonçait d’ailleurs, dans un premier temps, comme “ Liberté, Egalité, Propriété ”.
Emile Durkheim a souligné la nécessité d’un “ ciment ”, d’un “ désir de vivre ensemble ” pour harmoniser la Liberté et l’Egalité, potentiellement antinomiques. Jefferson notait que la Liberté, perçue comme le fondement du libéralisme économique, donc des distorsions de situations individuelles, ne devait pas détruire l’Egalité. Cette dernière est désormais perçue plus comme une fin, comme un objectif à atteindre et non comme un simple état de démarrage dans la société (les hommes naissent libres et égaux en droits).
La transposition d’une trilogie à l’autre passe par un glissement du sens en fonction des données de l’époque actuelle, des déterminants socio-économiques, de l’évolution des dominations :
· LIBERTE muant en AUTONOMIE, entendue comme loi que l’on se donne à soi-même (principe kantien). La revendication de l’autonomie s’enracine dans une révolte anti-tayloriste ou anti-étatiste, elle vise à restaurer une libre capacité à maîtriser sa vie face aux technostructures.
· EGALITE muant en SOLIDARITE. La poursuite d’une égalité de fait, d’une égalité forcée ayant engendré trop d’excès, la valeur solidarité reconnaît, elle, un droit à “ diverger ” mais pas au point de se trouver exclu, éjecté. La solidarité inclut un droit pour chacun à “ être remis en selle ” en cas de difficulté, même si cette difficulté découle d’un choix individualiste. Elle s’accommode ainsi plus facilement avec autonomie que liberté ne le faisait avec égalité.
· FRATERNITE muant en RESPONSABILITE. La reconnaissance de l’Autre, de son unicité, voir de sa dimension sacrée passe par un principe proprement dostoïevskien : tous responsables de tous, devant chacun et moi en particulier. La responsabilité s’entend comme réponse au “ qu’as-tu fait ? ”, au “ suis-je donc responsable de mon frère ? ”. La valeur fraternité nous rendait responsable des autres, la responsabilité écologique étend notre responsabilité à tout, à l’univers.
Cette reformulation des valeurs est cohérente avec l’évolution de l’écologie comme science : naissance des systèmes autostables en chimie, étude des comportements (termites constructeurs), thermodynamie (systèmes auto-organisateurs)... L’autonomie à la base permet une construction cohérente.
Si l’on conçoit aussi les EGEP comme une recherche de racines intellectuelles, on peut associer à la trilogie des valeurs écologistes trois penseurs importants :
· Pierre Leroux (1797-1871), inventeur du mot socialisme et du socialisme français, qui partant d’une critique de Hegel fait le lien entre la trilogie républicaine et les “ trois facultés de l’âme ” : sensation, connaissance, sentiment.
· Léon Bourgeois (1851-1925), inventeur du solidarisme. Par anticléricalisme, les solidaristes réfutaient la valeur de fraternité jugée trop proche de la charité. Selon eux, il s’agit d’un droit. Ils marquent le dépassement des “ droits de ” vers les “ droits à ”, les droits créances.
· Georges Sorel (1847-1922) apporte une radicalisation forte du concept de responsabilité. L’utopie qu’il défend introduit pour la première fois un lien transgénérationnel dans la réflexion sur l’agir aujourd’hui.
Et l’économie ? Elle ne cherche pas le sens, elle gère une forme de puissance sans dire pour quoi faire. Les anthropologues (L. Dumont, M. Mauss etc.) ont distingué trois principaux “ systèmes ”, trois formes de socialisation par l’économie dont l’homologie avec les trois valeurs est perceptible :
· l’échange : je fais, je produits et je propose, à vendre, à échanger... (= Liberté/Autonomie)
· la redistribution : la communauté possède une “ tête ” qui collecte toute la production et assure la redistribution entre les membres (pater familias, planification centralisée, stockages collectifs des Incas...) (= Egalité/Solidarité)
· la réciprocité se situe exactement entre les deux : chacun prend l’initiative de donner en ayant la certitude qu’il recevra (cette troisième forme a été omise par Marx). Le mode de l’échange en Afrique illustre bien cette forme : le vrai traître est celui qui ne rend rien de tout ce qu’il reçoit. Il ne lui est donc possible de s’enrichir qu’en changeant de pays ! Mais le principe de réciprocité est présent un peu partout, y compris dans nos sociétés occidentales avec, par exemple, la figure du cantonnier de village qui assume, en sus de sa tâche “ officielle ”, la garde d’enfants sans surveillance, le lien social avec les personnes isolées, diverses commissions et transmissions d’informations etc.., sans y être obligé mais parce que la société dans laquelle il vit est fondée sur des valeurs qui font que ces activités sont gratuitement et spontanément prises en charge (= Fraternité/Responsabilité).
L’économie écologique est donc fondamentalement une économie plurielle. Schématiquement, elle s’articule en trois secteurs :
1. Secteur marchand, à vocation d’échange, dont la valeur cardinale est l’Autonomie
2. Secteur Public, à vocation de redistribution, dont la valeur cardinale est la Solidarité
3. Tiers-Secteur, dominé par l’esprit de réciprocité et fondé sur la Responsabilité
C’est bien parce qu’il y a un problème fondamental à positionner les acteurs économiques de manière manichéenne dans le champs de l’Etat ou du Marché qu’est née l’écologie politique. Bien entendu, des structures ou mécanismes mixtes existent à tout niveau. La Sécurité Sociale par exemple, distribue de l’argent par un mécanisme de solidarité, argent qui sert souvent à acheter des biens ou services sur le marché (cliniques, pharmacies). La coopérative est un statut mixte, à vocation marchande, un cabinet d’avocats sera régulé par l’autonomie et rémunéré selon un principe de réciprocité...
L’économie écologique ne s’oppose pas au Marchand, mais prône sa régulation afin d’atténuer sa tendance à l’exacerbation des égoïsmes. Elle reconnaît l’importance du rôle de l’Etat, mais celui-ci doit être humanisé et limité dans son penchant négatif naturel : la bureaucratisation. Enfin, l’écologie innove avec le Tiers-Secteurs d’utilité écologique, sociale et culturelle qui doit, lui aussi avoir sa régulation face au défaut principal que pourrait être le “ copinage ” ou une forme de népotisme...
La question essentielle est donc celle de la cohabitation de ces trois secteurs. Les dangers de phagocytation de l’un par l’autre sont permanents, pas besoin d’exemples en la matière... L’enjeu sera donc pour l’économie écologique :
1. d’obtenir la reconnaissance du Tiers-Secteur en tant que tel
2. de mettre en place une régulation efficace et harmonieuse.
Polanyi notait que de poser la sphère de l’échange à part représentait déjà un système de valeurs, un choix. Dès lors, on peut s’interroger sur la nécessité réelle d’afficher des valeurs dans la mesure ou la structuration en trois secteurs distincts et reconnaissables suffirait par nature à générer un fonctionnement économique écologique.
La spécificité de l’apport écologique n’est donc pas si évidente à isoler. Si l’on considère que la première gauche a apporté la redistribution, les écologistes le tiers-secteur, n’y a-t-il pas danger pour ces derniers à être uniquement les spécialistes du tiers-secteurs ?
Concernant la place de l’homme dans le processus productif, l’économie écologique apporte sans doute des éléments originaux en tenant compte, au même titre que de sa qualité intrinsèque, de la qualité des conditions de fabrication d’un bien ou services pour le travailleur. Elle pose qu’un produit bien fait mais générateur de malheur dans son processus de fabrication peut être rejeté. En d’autres termes, qu’il devient plausible de se faire plaisir en travaillant,
Cette centralité de l’homme dans un système économique écologiste s’exprime aussi dans la révolte profonde contre un système productiviste non-durable, la promotion de valeurs comme la pondération, la douceur, le respect de la vie animale ou végétale en soi....
Quel système normatif peut donc, en définitive, encadrer la problématique de l’économie déclinée dans tous les comités du chantier B ? Deux idées semblent essentielles :
1. réencastrer la sphère de l’échange marchand dans un ensemble comprenant deux autres secteurs, fonctionnant avec d’autres règles qui leur sont propres (Polanyi)
2. imposer une hiérarchie entre les trois valeurs cardinales énumérées, en positionnant la Réciprocité/Responsabilité en haut de l’échelle
et par ailleurs, ne pas faire l’impasse sur le dialogue avec les anarchistes.