Le travail
Il faut d’abord faire un bilan des transformations du travail (et du non travail qui lui est corrélatif) dans nos sociétés massivement salariées.
On a assisté à une transformation spectaculaire des contenus (intensité, division, subordination, aliénation, coordination, etc.) des différentes formes de travail (salarié et domestique de manière massive, mais aussi indépendant, artisanal etc.) et de non travail (chômage, repos, satisfaction des besoins, relations humaines et sociales sur le lieu de travail et/ou de résidence), consommation, transports, loisirs, etc.) dans notre société.
A travers l’implication dans le travail (ou plus généralement « l’activité » selon les termes de Hanna ARENDT) se jouent différentes formes de reconnaissance d’abord et nécessairement monétaire pour la très grande majorité des gens ou pour la plus grande partie de leur temps, mais aussi « symbolique » pour le travail domestique et le bénévolat). A moins que ce ne soit de la méconnaissance ou même de l’exclusion.
Mais plus fondamentalement il s’agit de comprendre l’articulation entre le travail (et le non travail) et les différents processus d’insertion, d’intégration (ou au contraire d’exclusion) dans le jeune âge (école), l’âge adulte ou la vieillesse (intégration ou exclusion des retraités dans les activités socialement reconnues).
Nos sociétés sont encore frappées par la malédiction millénaire : il faut travailler pour vivre ; mais dans tous les cas il faut avoir un « juste » accès (justice redistributive) aux différents marchés des économies de marché qui sont les nôtres grâce à des revenus monétaires.
Mais de plus en plus et en outre, pour vivre, il faut avoir accès « gratuitement » aux richesses produites et notamment aux biens publics globaux de plus en plus importants dans notre société. Dans le langage marxien, il s’agit d’une forme de « socialisation des forces productives » : le progrès technique est transformé en biens publics (pensons aux logiciels libres) de telle sorte que leurs appropriations privées (pensons à Microsoft) paraissent de plus en plus comme des usurpations. Ces biens publics sont d’abord les biens environnementaux, qui correspondent à des nécessités vitales, de sorte que le respect des droits de l’homme (droit à l’existence) implique l’octroi de droits inconditionnels et sans contrepartie (revenu social d’existence qui peut être versé sous des formes sociales diverses, individuelles ou non, monétaire ou non etc.). Parmi ces biens figurent l’eau (potable en particulier, mais aussi pour irriguer les terres des pays en voie de développement (PVD)), l’air mais également les différentes composantes du « capital humain » comme l’éducation, la qualification de la main d’œuvre, le degré de culture artistique et politique de la population, sa sécurité physique (effectivité de l’Etat de droit) et psychologique (santé psychique, prévisibilité de l’avenir pour les individus, pour leurs carrières professionnelles et leur famille), la qualité des services publics, notamment de santé, de communication et de transports et enfin la fécondité de la recherche scientifique et technique.
A l’heure où le MEDEF prétend imposer « sa » refondation sociale à notre pays, il faut reprendre à nouveaux frais cette question (autrement plus constitutionnelle que celle du quinquennat), celle des fondements de l’intégration des individus dans leur communauté sociale et économique.
L’enjeu est de savoir quelles nouvelles régulations le capitalisme va-t-il bon gré mal gré mettre en place. Pour cela on peut utiliser la métaphore de la stabilisation d’un deux roues : plus une moto va vite (croissance) plus l’effet gyroscopique la stabilise, mais plus les chutes sont dangereuses. Mais pour aller vite une moto a besoin d’une autoroute.
C’est tout un symbole pour l’écologie politique de préférer à la moto le symbole du développement des pays en voie de développement (PVD) que représente le pousse pousse : il est out terrain et reste stable même si sa « croissance » est faible voire nulle : il remplace la régulation dynamique de la fuite en avant gaspilleuse d’énergie (donc d’effet de serre) par une équilibration sur trois pieds : le salarié, le patron et la puissance publique.
La conception libérale (qui est celle du MEDEF) repose sur la fiction, potentiellement catastrophique (comme les pays en voie de développement (PVD) en font déjà la cruelle expérience), que le marché, c'est à dire la généralisation de relations contractuelles monétisées à deux (patrons, salariés), ni plus, ni moins, se régule parfaitement tout seul (autorégulateur).
Notre développement ne peut être durable que si nous réussissons à mettre en place une régulation ternaire (et non binaire) qui fasse toute sa place dans la « maille sociale élémentaire » à ces biens publics (éducation, capitalisation de l’expérience professionnelle, qualité de la vie et de l’environnement, etc. ) qui s’avèrent de plus en plus la conditions sine qua non du développement tout court, même non durable.
La forme de rémunération adéquate et équitable des fruits de ces biens publics globaux est de l’ordre de la « rente » égale pour tous (justification fondamentale du revenu social d'existence). Mais lorsque par construction (vicieuse) cette rente est inégale alors le niveau qui revient à chacun résulte d’une foire d’empoigne. La question est donc, par exemple pour les fonds de pension, celle du contrôle collectif de la gestion de ces fonds dont seule une infime partie revient à chacun, trop infime en tout cas pour qu’il puisse sans rire se prendre pour un capitaliste !
On voit la pression grandissante à l’atomisation de la vie sociale. Elle menace en particulier les revenus de transfert et les revenus indirects : retraites, question des stock option, des fonds de pension etc.
Cela n’implique pas mécaniquement que la production de ces biens publics globaux doive relever exclusivement de l’Etat, selon nos travers jacobins, ou même de l’économie administrée : une grande partie de la recherche est assurée par des entreprises capitalistes ; à l’autre extrémité les mères travaillent pour le bien commun.
On voit même que, dans un langage marxien, le gigantisme et les concentrations des grandes machines capitaliste et étatiques entravent le développement des forces productives d’une part (stérilisation de l’inventivité sociale : voir Microsoft) et rendent sinistre la vie quotidienne d’autre part. Au point de déshumaniser et d’aliéner, comme disait le jeune Marx, les relations humaines quotidiennes et vitales : harcèlement moral et sexuel, abus de médicaments antidépresseurs et de psychotropes, généralisation de la violence et de l’insécurité physique et psychologique, précarisation de la vie et de l’emploi, « mal bouffe », décervelage culturel et esthétique etc.
C’est pourquoi dans les transformations à venir ce qui se passe dans le tiers secteur est décisif, critique : il s’agit d’insérer dans le dialogue micro social entre le producteur et le consommateur, un tiers qui ne soit pas seulement le « notaire » du contrat de travail, mais qui soit le médiateur et le « rassureur » : il doit « assurer » au sens des assurances sociales et des assurances chômage, mais il doit aussi « rassurer », c'est à dire étendre les obligations de l’Etat de sûreté, celles de l’habeas corpus, à toutes les dimensions de l’être ensemble, et en particulier aux dimensions psychologiques (nous avons tous droit à un « future ») et professionnelles (reconnaissance de notre « progression en âge et en sagesse » comme dit la Vierge Marie) : cela ouvre le droit de chacun, à inscrire de toute urgence dans les droits sociaux de la charte européenne des droits de l’homme, à des conseils et à une carrière, privilège actuellement des seuls salariés des grandes entreprises qui ont des DRH « modernes ».
Cela implique en particulier un service public micro local (pour coller à l’espace « fractal » du tiers secteur), non nécessairement étatique, mais à compétence nationale, qui gère les « ressources humaines », c'est à dire qui suive, conseille, aide à former et à se reconvertir les individus qui doivent passer de la mobilité et de la flexibilité « guillotine » à des trajectoires « partenariales » et gratifiantes dans le plus de dimensions possibles.
Dans cette perspective le droit à un revenu d’existence paraît être la base (distribuée par ce service national) à partir de laquelle, selon des formules « polynomiales » qui sont déjà pratiquées par certaines entreprises, des modulations selon des contrats privés peuvent intervenir sans aboutir aux injustices qui consistent à sanctionner les variations de productivité des agents de manière disproportionnée (par exemple en les jetant sur le pavé).
Cela implique un perfectionnement du « comput » des temps et des « externalités » et des biens publics que la généralisation des NTIC devrait faciliter. De même la multiplication des monnaies plurielles, à laquelle on assiste déjà dans une perspective capitaliste (chèques restaurants, cartes dédiées, etc.), et surtout leur utilisation dans le domaine social et dans le tiers secteur devrait permettre de « recoudre » le tissu social déchiré.