Régulation
Bernard GUIBERT présente la sixième séance de l’atelier B4 B5 des états généraux de l'écologie politique consacré à l'écologie du travail et aux revenus sociaux d'existence. La question qui a été posée à Pascal PETIT était celle des nouvelles régulations macro-économiques qui étaient en train d'émerger en particulier dans ce qu'on appelle vulgairement la nouvelle économie. Pascal PETIT est d'un des membres de l'école dite de la régulation dont fait partie également Alain LIPIETZ. Cette école a forgé le concept général de régulation, et plus particulièrement celui de mode de régulation fordiste. Cette régulation peut être symbolisée par trois noms propres. Le premier est celui de Henri Ford : son idée de génie consiste à faire consommer par les ouvriers ce qu'ils produisent et ainsi à développer et approfondir le mode de production capitaliste. Le second nom propre est celui de Keynes. C'est lui qui a théorisé l'idée que les interventions de l'Etat pouvaient réguler par l'intermédiaire de la politique budgétaire et de la politique monétaire la croissance capitaliste et en particulier faire sortir des crises structurelles profondes. Le troisième nom propre est celui de Beveridge. Les institutions de protection sociale permettent de stabiliser et de reproduire sans à-coup la force de travail. La combinaison de ces trois ingrédients a permis un essor sans précédent communément appelé les trente glorieuses. Ce mode de régulation fordiste est rentré en crise au début des années 70. L'école de la régulation apportait le diagnostic qu'il s'agissait là d'une crise de la régulation et non pas une crise dans la régulation. Puisqu’il semble acquis que nous sortons depuis quelques années de cette crise profonde, la question qui se pose aujourd'hui est de savoir comment caractériser le nouveau mode de régulation qui est en train de se mettre en place.
Pascal PETIT reprend la formule proposée par Lionel Jospin : « oui à l'économie de marché, non à la société de marché ». . Comment ce qui dans la société est en dehors de l'économie de marché peut-il s'affranchir du joug de cette dernière et maîtriser son destin ? Comment caractériser la « nouvelle économie », si on fait abstraction des aspects spectaculaires et médiatique de celle-ci, pour s'attacher à caractériser les nouveaux traits du capitalisme. Pour essayer de répondre à cette question, Pascal PETIT a demandé à Pierre VELTZ de présenter son dernier livre : « le nouveau monde industriel ». Ce livre ne se prononce pas sur ce qui va arriver dans les prochaines années. Il décrit un certain nombre de transformations en cours. Les deux discutants seront successivement Pascal PETIT et Benjamin CORIAT. Le premier a beaucoup étudié la transformation des techniques de production et de l'emploi. Le second a analysé le système fordiste notamment dans d'autres pays européens mais également au Japon.
Exposé de Pierre VELTZ
Pierre VELTZ ne se propose pas de faire un exposé dans les formes académiques. Ce n'est ni le lieu ni l'heure.
Il ne va pas se placer sur le terrain du « nouveau régime de croissance » macro-économique. Son point de départ est plutôt microéconomique. La matière première de sa réflexion consiste en des enquêtes, des recherches action dans des entreprises, sous forme de thèses ou de DEA. Le contexte général de ces travaux est ce qu'on appelle la « rationalisation industrielle ». Cela pose des problèmes de « déontologie ». Le titre « le nouveau monde industriel » ne fait pas allusion à la « nouvelle économie ». Le livre a été écrit avant que l'expression de nouvelle économie de devienne à la mode. Il faut d'abord dissiper un malentendu sur le titre. L'adjectif « industriel » renvoie à la production au sens large, et non pas au seul secteur industriel. Cette production comprend en particulier les services. Le mot « industriel » s'oppose ici aux adjectif « financier » et « commercial ». La question à laquelle le livre essaie de répondre est de savoir comment expliquer les performances industrielles, c'est-à-dire celles de la production. La thèse qui est développée dans l'ouvrage est que ce qui est nouveau, consiste en de nouveaux schémas de productivité, alors même que la notion de productivité, du moins de productivité de facteurs individuels identifiables, perd son sens.
La notion même de productivité est « historiquement » construite dans la réalité et dans la représentation. Aujourd'hui ces schémas sont dépassés.
La notion est particulièrement confuse dans les services, comme l'ont montré une série de travaux, en particulier ceux de Pascal PETIT et de Jean GADREY. La productivité est d'habitude défini par le rapport d'une production à la quantité de facteurs, par exemple dans le cas de la productivité du travail, facteur travail. Or avec le développement du nouveau monde industriel les deux termes du rapport, le numérateur et le dénominateur, deviennent indéterminée. C'est particulièrement vrai dans les services. Mais dans l'industrie non plus ce n'est pas clair.
Dans le mode de régulation fordiste la productivité est celle des opérations. Celles-ci sont fortement individualisées. Elles sont le fait d'individus et d'opérations qu'un bureau des méthodes est capable de chronométrer, d'identifier, de programmer et d'étalonner.
Aujourd'hui la performance, c'est-à-dire l'efficacité, est
1. multidimensionnelle : il y a une différenciation et une multiplication des objectifs de chaque opération ;
2. différenciée selon les individus et les moyens utilisés : cela aboutit à une intensification du travail.
Il y a complexification des critères qui permettent d'évaluer les performances. D'une part il faut satisfaire à plusieurs exigences simultanément. D'autre part les critères sont contradictoires 2 à 2. On solde ces contradictions sur les salariés de base. Ceux-ci sont mis dans des situations impossibles. Par exemple on leur demande à la fois d'assurer la qualité et d'augmenter les cadences. On leur demande de prendre au sérieux les slogans managériaux du type : « la qualité est affaire de tous ». Ce slogan rentre en contradiction avec l'individualisation de la productivité et des revenus. La qualité est plus affaire de relation entre les individus qui constituent le collectif de travail que de la productivité individuelle. Ainsi on est en contravention avec les consignes du taylorisme qui interdisaient aux salariés de se parler entre eux. Avec les nouvelles méthodes il faut, au contraire, « se parler en amont ».
Un deuxième exemple est donné par la fiabilisation des gros outils de production. La généralisation de l'informatique en réseau multiplie la complexité et la fragilité des systèmes de machines. Lorsqu'on regarde par exemple une tôlerie automobile, cela apparaît comme une énorme « machine de machines ». La fragilité de ce système augmente de manière exponentielle. Le moindre grain de sable détraque le système. Il y a des phénomènes de goulet d'étranglement, voire de thrombose. L'enjeu devient donc colossal de rendre ces grands outils fiables. Entre les différents systèmes productifs nationaux les différences de productivité et de compétitivité ne dépendent plus tellement du coût du travail, mais de la fiabilité du système. Dès lors le contexte social fait tout la différence entre les différents sites. Ces différences entre les sites sont plus grandes que les différences entre les pays. Ainsi pour fabriquer une tonne de yaourt la différence peut atteindre 30 % suivant que les pannes sont plus ou moins fréquentes. L'étude « fétiche » de Pierre VELTZ est une étude relative à la « petite tôlerie ». Il y a un système d'une dizaine de robots. La fragilité augmente avec la puissance dix de la fiabilité de chacun des composants. Lorsqu'on compare des ateliers identiques en France et au Japon, le surcoût dû aux pannes est en définitive de l'ordre de 50 %. Ces différences se soldent sur le stock tampon. Cela implique un comportement obsessionnel et maniaque sur les moindres détails de la fiabilité. En effet l'amortissement des machines est incomparablement supérieur au coût du travail.
Tous ces systèmes complexes de machines ne marchent bien que si le collectif de travail est uni et s’il sait gérer la communication interne en son sein.
Quelle place reste à l'individu dans ces systèmes de machines ?
La performance est de plus en plus collective. Mais l'individu revient très fort, non pas en tant que terme dans une série, au sens de Jean-Paul Sartre, mais en tant que subjectivité susceptible d'initiative et de communication. Pierre VELTZ forge un néologisme, la « productivité relationnelle ». Celle-ci est beaucoup plus importante que la « productivité individuelle ». De manière paradoxale l'individualisation est croissante : mais la subjectivité est prescrite et non pas libre. Les individus sont évalués par l'encadrement : on assiste au retour de la « notes de gueule ». Pierre VELTZ renvoie aux travaux de Christophe DEJOURS, qui fait un parallèle, peut-être excessif, avec les camps de travail forcé nazi et à ceux de Yves DUCLOT qui met en évidence des phénomènes de « double bind » (2 injonctions contradictoires) et de stress.
Il faut peut-être néanmoins apporter quelques nuances. Tout d'abord les conditions de travail ne sont pas toutes transformées dans ce sens la. Le taylorisme n'est pas mort. (Voir les travaux de Philippe ZARIFIAN, Serge VOLKOFF, Michel GOLLAC). Les conditions de travail traditionnelles restent « dégueulasses » et sales. La pression des machines est grande, elle dégrade souvent les relations. Elle est souvent remplacée par la pression des relations avec le client. Cela introduit des innovations managèriales dans le sens de l'intensification du travail. D'où la multiplication de plaintes qui signalent l'intensification des souffrances au travail.
Il y a trois champs différents :
1. le front ;
2. l'arrière ;
3. les bureaux de conception.
Mais en fait il y a une rotation : par exemple à Disney tout le monde y passe.
1. Il y a des résidus importants de taylorisme par exemple pour les caissière de supermarchés, ou non les centres d'appel, les « call centers ». D'une part on leur demande de faire le maximum de clients à l'heure. D'autre part on leur demande d'accrocher les clients et donc de perdre du temps avec eux. Le travail du guichet et donc à la fois relationnel et taylorisé.
2. Les gens se débrouillent pour fonctionner en réseau. Ils inventent des nouvelles procédures de communication qui sont à la fois ouvertes et fermées.
3. Au niveau de la conception les mêmes injonctions contradictoires s'imposent aux ingénieurs : ces derniers doivent gérer à la fois des relations humaines et des événements et d'autre part augmenter les cadences industrielles de production.
Cette nouvelle productivité, en termes de performance, n'est pas encore instrumentée. Si on fait référence au mode régulation fordiste, il y avait une convergence de tous les indicateurs vers un indicateur unique, à savoir le temps d'horloge, ou plutôt le temps du chronomètre.
Maintenant ce qui importe est plutôt la qualité de la relation. Le temps n'est plus une grandeur homogène que mesure le chronomètre. Il est devenu événement, rythme, tempo, instant, voire kairos comme disent les stratèges grecs.
Cela fait exploser les catégories de la comptabilité analytique. Il n’y a pas de possibilité de représenter dans ce cadre là les nouvelles performances. Dans la comptabilité analytique classique les paramètres fondamentaux sont en effet le temps et les coûts unitaires par unité de temps. Désormais l'impossibilité de représenter simplement les nouvelles performances entraîne une espèce de schizophrénie. On met en place de nouveaux modèles de contrôle de gestion. Mais on arrête de planifier et on se contente de mettre en concurrence pour aller aux résultats, comme au champ de tirs.
On passe à des structures de réseau. Avec les organisations en pyramide on pouvait mettre en place une planification ex ante. Avec une organisation en réseau on se contente d'afficher des obligations de résultats. Au collectif de travail de se débrouiller. Le moteur de la concurrence est le marché qui désormais court-circuite le bureau des méthodes. Le seul management possible devient un l'espionnage généralisé.
L'entreprise dans ces conditions a tendance à externaliser, à mettre en réseau à l'extérieur de l'entreprise.
Pour Pierre VELTZ cette évolution semble irrésistible et irréversible. La seule chose qui lui paraisse réaliste consiste à aménager ces méthodes de gestion.
Les raisons d'intégrer les individus diminuent de manière exponentielle. Deux raisons à cela. D'abord le progrès technique. Puis les coûts de transactions. Les coûts de transactions internes des entreprises deviennent bien supérieurs aux coûts de transactions sur le marché. Dans ces conditions il vaut mieux effectivement externaliser.
Pour les entreprises les avantages de la mise en réseau sont énormes. Ils permettent en effet de mutualiser les risques et de les solder sur les maillons les plus faibles du réseau.
La logique des réseaux généralise la précarité. On assiste à une apologie inconditionnelle de ce type d'organisation. Avec les réseaux « les géants se mettent à danser ».
Ça recouvre désormais tout.
Que faire ?
Pour Pierre VELTZ on ne peut que déplacer les contradictions et décrypter leur métamorphose.
Exposé du premier discutant
Benjamin CORIAT
Exposé du deuxième discutant
Pascal PETIT
On assiste à une transformation des produits et de la main-d’œuvre. Les activités des entreprises deviennent de plus en plus du tertiaire. Au lieu d’avoir affaire à des marchandises on a affaire à des personnes. Autrefois on avait des « conventions de produits » ou encore des « conventions de marchandises ». Il s'agissait de s'entendre à l'avance sur ce qu'on allait faire. On pouvait ainsi comparer les volumes des différents production. Les volumes constituaient des clés pour faire des deal entre les chefs d'entreprises et les salariés. Ils constituaient ainsi des index de distribution.
Mais l'essentiel passe désormais dans la capacité à mobiliser les services. Les problèmes de qualité et de fiabilité augmentent de manière exponentielle.
Un deuxième exemple est fourni par l'économie domestique. Comme il y a moins de revenus le nombre de pauvres augmentent. Pour consommer il faut avoir assez de « compétence » pour « savoir » consommer : c’est un savoir utilitaire. D'où des processus d'exclusion à tous les niveaux.
Un troisième exemple est donné par le marché du travail. Celui-ci est « pourri ». On peut mentionner ici les difficultés signalées par Boskin sur la difficulté de mesurer le produit intérieur brut en valeur et par Solow qui « voit des ordinateurs partout sauf dans les statistiques ». La question des indices de prix devient ainsi un enjeu politique et social. Les secteur où il existe des problèmes sont ceux de la santé et de l'éducation. Comment donner une valeur à l'éventail des choix. En France nous sommes très fiers d'avoir 360 fromages différents. En quoi la diversité des choix est-elle une richesse ? Est-elle une valeur d'usage ?
Cela pose évidemment des problèmes de disponibilité. Le modèle américain ne peut pas prétendre être universel. La conséquence en est la perte de capacité des salariés à proposer des deal.
On constate une inversion des coûts de transaction. Ce phénomène a été décrit dans les travaux de Olivier WEINSTEIN et Benjamin CORIAT. Le défi qui se rencontre dans tous les services est la capacité de réaction des salariés.
On assiste ainsi à l'éclatement des frontières sectorielles et au renversement des rapports des entreprises avec le progrès scientifique et technique.
Mais il faut considérer que l'externalisation est beaucoup plus large que cela. Il y a des effets de réseau. Les contrats renvoient de plus en plus souvent à des normes, comme les normes ISO ou les normes 14 000. Dés lors tous les risques s'accumulent sur les maillons les plus faibles du réseau. Ce sont les petites entreprises qui « sautent ». Elles assument en particulier les risques du travail. Enfin on assiste à une certaine spécialisation suivant les types de risque à assumer. Pour étudier tout cela on peut se reporter aux travaux de Francis GINSBURGER et de Francis MER sur l'entreprise de Saint-Gobain. Vers 1985 le patronat moderniste joue la carte du bassin d'emploi. Ainsi un certain nombre de patrons (Messier, Beffa) travaillent à élaborer une vision d'ensemble de la société. Dans ce schéma l'épargne salariale et l'actionnariat l'ouvrier jouent un grand rôle. On est un petit peu aux antipodes du slogan de Henri Ford de « cinq dollars par jour ».
Le marché est d'emblée un réseau. Il l’a été de tout temps. Le savoir y circule. À un marché correspond un réseau. Il faut rompre avec une vision simpliste du marché. Aux États-Unis on s'aperçoit que l'externalisation d'un certain nombre de fonctions par les entreprises aboutit à des processus d'exclusion. Si on regarde la généralisation des centres d'appel (« call centers ») on s'aperçoit que cela correspond à un million et demi d'emplois. On parle de « compétences du bout de file ». Par contre en Europe « il n’existe pas de trajectoires professionnelles ». Si on en croit le rapport de Alain SUPIOT, il s'agit de dépasser l'organisation traditionnelle de la firme et de mutualiser les différents cycles qui sont nécessaires à la reproduction de la force de travail en dehors des périodes de travail proprement dit. Il s'agit de les mutualiser au niveau d'un bassin d'emploi.
Les modèles de représentation économique sont davantage construits. C'est à l’ordre du jour de les remodeler. Il y a deux grandes conventions pour les grands enjeux, comme la santé ou l'éducation. Ces grandes conventions sont intégrées dans ce qu'on appelle traditionnellement « l'Etat providence ». Le problème économique de 1999 est de savoir pourquoi la nouvelle économie n'est pas avec les grandes conventions imaginées aux États-Unis. Les gains sont concentrés dans un petit nombre de secteurs. Mais cette base est trop étroite pour consolider le modèle et en assurer la légitimité générale et donc le diffuser à l'ensemble de la société. Ce qui fait la force de l'Europe c'est la cohésion sociale. Mais ce qui en fait la faiblesse c'est la multiplication des partenaires, leur manque de solidité et de « constance » (et donc de « prévisibilité »).
Le jugement normatif qui est implicite dans le travail de Pierre VELTZ est qu’il s'agit de reconstruire une « cohésion sociale » grâce à des tâtonnements au niveau local. La critique peut venir des vieilles conceptions keynésiennes. La manière de poser le débat implique une analyse des nouveaux mouvements sociaux. Or ceux-ci se manifestent à l'échelle globale, voire mondiale. Il faut donc reconstruire des conceptions du monde national sur la base des réseaux de contestation mondiale. Le phénomène ATTAC est pour cela très instructif. Cette association se bat sur des points précis. Mais dés que cela s'élargit cela se dilue. Il y a bien un mécanisme de représentation d'ensemble ; mais il repose sur une alliance internationale qui s'oppose de manière plus ou moins efficace à la finance non moins internationale.
Discussion
Les nouvelles régulations sont forgées à travers les mouvements de chômeurs, le rapport de Alain SUPIOT etc. Il y a individualisation des relations et renforcement du pouvoir des chefs d'entreprises. Les « deal » salaires contre subordination (relations d'échanges traditionnelle) se bloquent. Quelles nouvelles régulations vont-elles se mettre en oeuvre ? Le rapport de Alain SUPIOT est celui de juristes. Cette vision est complétée par celle des sociologues Luc BOLTANSKI et Eve CHIAPELLO. Mais dans tous les cas il n'y a pas de néo-keynésiens. Comment cette nouvelle économie va-t-elle surfer sur le mécontentement pour mettre en place de nouvelles régulations ?
Bernard suggère qu'on assiste au passage d'un paradigme mécaniste à un paradigme organique. D'autre part on assiste également à une transformation de l'Etat qui passe d'un Etat keynésien (Etat-providence) à un état que Bernard suggère d'appeler « Etat-rassurance ».
Pierre répond qu'il s'agit pour l'efficacité d'avoir une analyse microéconomique. Mais il y a évidemment un autre volet, celui de la consommation. Il s'agit d'abord de savoir comment cette consommation est financée. Mais il s'agit également de comprendre quelles sont les tendances profondes qui bouleversent le mode de consommation.
En termes un peu savants, la question est de savoir comment évoluent les conventions de productivité du côté des usage et de la consommation des biens de consommation.
Sur le plan macroéconomique les dénonciations sont trop caricaturales. On parle en effet d'horreur managèriale, d'ultra libéralisme etc. Mais ce faisant on court-circuite le moment nécessaire et ingrat de l'analyse pour aller tout de suite à la rhétorique de la dénonciation.
Pierre fait état de l'expérience qu'il a faite récemment de l'introduction de stage ouvrier dans l'école des ponts et chaussées. D'après les témoignages de ces stagiaires l'arbitrage entre les gains de productivité et la réduction du temps de travail à 35 heures hebdomadaires parait complètement piégé. C'est plus particulièrement le cas pour les femmes qui posent le problème crucial pour elles du rapport entre le travail et le non travail : les contraintes se multiplient. Mais de l'autre côté l'exigence d'un développement durable contrarie les contraintes d'obtention de profits élevés à court terme. Ces contradictions aboutissent à de telles absurdités qu'elles engendrent la révolte des cadres. On assiste à une solidarité paradoxale, jusqu'à présent limitée aux grandes entreprises, des cadres supérieurs de la production (directeur d'usines) avec les ouvriers face aux exigences des financiers. En forçant à peine le trait on peut considérer que les cadres dirigeants sont devenus les représentants syndicaux des salariés qui assurent la production dans ces usines. Cette situation fait le jeu des métaphores écologiques. Comme il existe pas de gouvernement mondial, la nécessité de mutualiser un certain nombre de risques se heurte à des contradictions identiques à celles qu’analyse le rapport d’Alain SUPIOT. Dans tous les cas le droit n'est que, mais c'est déjà beaucoup, l'expression formelle du rapport entre les entrepreneurs et les salariés. Le relais en direction des politiques est assuré (plutôt mal) par des politiques eux-mêmes. Ces derniers n'ont pas de vision globale vis-à-vis de la question de la précarité et des inégalités croissantes. En particulier les différences de salaire pour les jeunes sont de plus en plus explosives. Les rapports sont facilement de 1 à 4. Les nouveaux standards sont ceux de l'individualisme et de la mobilité internationale.
Pascal fait fond sur l'auto organisation. La question est toujours celle des rapports entre le travail et le non travail. Mais au fur et à mesure que le temps passe, la constante de temps (l’unité de temps de base des enjeux des revendications)de ce rapport dans la controverse entre syndicats et patronat augmente : au XIXe siècle la première conquête ouvrière a été celle de la journée de travail pour les femmes les enfants. Ensuite on est passé à la question du repos hebdomadaire. Ensuite au moment du Front populaire on est passé à la question du repos annuel et des congés payés. Il semble que maintenant la question soit une affaire de toute une génération. Tout cela légitime a posteriori l'intervention de l'Etat. Mais comment se contenter d’un plat de lentille ? Il faut tenir compte des différents fractionnements et des médiations pour rajeunir et réformer !