Rapport de Jacques Nikonoff au Conseil national du 13 septembre 2001

Libérer le travail, supprimer le chômage et la précarité


Cher(e)s Camarades,

Depuis 1997, 1,6 million d’emplois ont été créés en France. C’est un record historique. Beaucoup de citoyens ont alors cru que notre société était sur la bonne voie pour en finir enfin avec le chômage et la précarité.

Hélas, ces derniers mois et particulièrement ces dernières semaines ont montré qu’il n’en était rien : ralentissement de la croissance économique, nouvelle vague de licenciements, remontée du chômage.

Quelle est notre ambition avec la tenue de ce Conseil national sur l’emploi, le travail et le chômage ? Elle est d’engager une vaste réflexion pour remettre à jour l’ensemble de l’analyse, des propositions et des pratiques du PCF sur ces questions. C’est ce que nous faisons avec le projet communiste. Le travail, le chômage, l’emploi constituent un aspect essentiel de ce projet. Lors de cette remise à jour complète que nous entamons à compter d’aujourd’hui, nous visons à mieux nous armer pour faire face aux nécessités immédiates : licenciements, politique économique du gouvernement, congrès du mois d’octobre, échéances électorales de l’année prochaine. Nous voulons aussi écouter les communistes et la société sur ces questions, consulter, pour co-élaborer les réponses possibles comme nous l’avons fait lors des six auditions que nous avons organisées et qui ont rassemblé plus de trente personnalités.

Je voudrais maintenant, en sachant que les quelques minutes qui me sont imparties ne permettront pas d’entrer dans le détail et de traiter de manière exhaustive toutes les questions – immenses – qui se posent, vous faire part du cadre de réflexion proposé par la Commission de préparation de ce Conseil national, comme l’indique le dossier qui vous a été distribué, en y intégrant les points forts de la discussion d’hier soir lors de l’atelier qui a réuni une quarantaine de membres du Conseil national.

Une première chose se dégage de la réunion d’hier soir : l’accessibilité du discours économique. Ou plutôt, son inaccessibilité. Plusieurs camarades ont indiqué qu’ils ne comprenaient pas le débat. De quoi peuvent bien parler les économistes, et particulièrement les économistes communistes ? Quels sont les enjeux ? Qu’est-ce qu’il y a " derrière " ? Nous avons convenu qu’un effort pédagogique devait être réalisé lors des interventions écrites et orales pour sortir ces questions – qui revêtent une complexité réelle – du domaine réservé de quelques spécialistes pour en faire un débat de masse. La pensée économique du PCF n’appartient pas à tel ou tel, il faut la partager, la co-élaborer, la rendre accessible à tous en respectant la souveraineté des communistes.

Il ne faut donc pas considérer que l’acquis immense du PCF sur ces questions, tant dans le domaine de l’analyse, des propositions, des pratiques des élus et des militants est négligeable, ni qu’il est immuable.

Lorsque ces quinze dernière années, 10 millions de salariés ont été victimes de plans sociaux, c’est une défaite pour ces salariés, mais aussi pour le PCF. Il nous faut donc considérer que nous devons et pouvons progresser. L’attitude de chacun doit être ouverte : il n’y a pas d’un coté des camarades qui détiendrait la " science économique " et qui seraient les gardiens du dogme, et d’un autre coté des ignorants qui se mêleraient de ce qui ne les regarde pas. Tout est à redébattre, à remettre sur la table, en partant de notre acquis, et en ayant conscience du chemin considérable qui reste à parcourir.

Ces quelques remarques faites, trois thèmes se dégagent de nos discussions sur lesquels nous devons avancer :

I. – Quelles sont les finalités du PCF en matière de chômage, de travail, d’emploi ?

Deux catégories de questions ont été soulevées : la première concerne certains fondements que l’on peut qualifier de philosophiques de la société à laquelle rêvent les communistes ; la seconde porte sur la création d’un Statut de l’actif qui serait une possibilité de concrétiser, sur le plan opérationnel, la " sécurité d’emploi ou de formation ".
 

A. – Trois questions philosophiques à débattre : qu’est-ce que la richesse ? qu’est-ce que le travail ? qu’est-ce que l’entreprise ?

Donner une perspective politique aux luttes sociales, pour des avancées immédiates s’inscrivant dans la perspective du renversement du capitalisme, nécessite de clarifier en permanence trois questions qui sont au cœur de la domination du capitalisme : qu’est-ce que la richesse ? Qu’est-ce que le travail ? Qu’est-ce que l’entreprise ?

1. – Sur la richesse, le débat a porté sur les rôles respectifs du secteur marchand et du secteur non-marchand dans notre vision de la nouvelle société à construire

La représentation de la richesse, dans la société capitaliste, est en effet réduite à la mesure du produit intérieur brut (PIB), même si quelques éléments non-marchands sont inclus. Or le PIB ne reflète pas le niveau de développement d’un pays mais la seule progression du marché.

Par exemple, les valeurs éthiques et citoyennes doivent-elles être considérées comme de la richesse ?

Ainsi, les associations ne sont considérées que pour ce qu’elles coûtent en subventions et non pour les richesses humaines et sociales qu’elles créent. Les associations qui ont permis d'éviter ou de limiter une partie des effets des catastrophes en allant nettoyer les plages polluées ou en aidant gratuitement des handicapés, n'ont engendré aucune progression de richesse ainsi conçue et ont même " coûté ". Autant dire que nous marchons sur la tête…
 

La richesse économique se réduit-elle au marché ?

Pour juger de la prospérité d'un pays, il ne faut pas s’en tenir seulement au volume de la production marchande, mais il faut regarder le nombre de ses clubs de football, ses chorales… Ces associations témoignent toutes, sous une forme ou une autre, de l'engagement des citoyens. Or, c'est bien cela qui importe : plus les liens sociaux sont développés, mieux l'économie se porte. Il faut donc admettre que les activités dans le secteur non-marchand sont créatrices de richesses dégagées de la recherche du profit privé. Un au-delà du capitalisme ne peut s’envisager qu’en les étendant.
 

2. – Sur le travail, le débat a porté sur ses possibilités d’élargissement à autre chose que la seule production de biens et services

Dans la société capitaliste, le " vrai " travail est uniquement conçu comme une activité dans le secteur marchand, nécessaire à la production des biens et services, exercé par des travailleurs-marchandises pour le profit privé.

Les formes non-marchandes de travail sont pourtant les plus vitales pour l’humanité. Elles créent de l’utilité, de la valeur d’usage pour la population, mais pas de valeur d’échange contenant un profit capté par des individus ou groupes privés.

Nous devons aller au bout du débat sur le travail, sur les relations entre travail et hors travail, sur ce que signifie ce que certains appellent la " révolution informationnelle ". La question du développement des personnes n’est pas subalterne, et ne se limite ni à l’emploi, ni à la formation. Un double élargissement du travail a été suggéré, pour l’immédiat et le lointain : à la production de soi-même et à la production de société.
 

Ne faut-il pas réfléchir à ce que pourrait être de la production de soi-même, parce qu’avant d’être salarié n’est-on pas d’abord citoyen ?

Un au-delà du capitalisme n'est possible que si l'importance sociale de la production se trouve réduite. Selon la remarque de Marx, la production ne doit plus être qu'un moment subordonné dans un ensemble d'activités sociales polymorphes et multilatérales du point de vue des individus. Il ne s'agit pas seulement de libérer la production du capitalisme et le travail de son exploitation, mais aussi de se libérer de la production elle-même en cessant d'en faire l'axe de gravité des activités sociales et de l'action des individus. Il faut donc se sortir de la fascination du travail tel que nous le connaissons dans sa forme rabougrie d’aujourd’hui.

Se produire soi-même, ce sont des activités rémunérés " normalement " pour se former, s’éduquer, se cultiver, pratiquer des activités artistiques ou sportives…
 

Ne faut-il pas réfléchir à ce que pourrait-être de la production de société pour le bien commun ?

De multiples besoins restent aujourd’hui insatisfaits parce que le secteur privé ne les juge pas rentables ou solvables. De nombreux emplois peuvent être créés pour y répondre à condition de cesser de les considérer comme improductifs – ils seront créés en fonction de leur utilité sociale et non de leur rentabilité privée – et à condition de renoncer à les concevoir uniquement à l’échelle étatique, même s’il faut un cadre juridique national. En posant les problèmes ainsi, nous défendons les intérêts de tous les citoyens et de toute la société.

La production de société, c’est l’occupation d’emplois qui favorisent la démocratie, la transparence de la vie publique, l’information et la participation des citoyens, la solidarité… Un exemple ? L’activité des délégués syndicaux payés par leur employeur : ce n’est ni de la formation, ni du travail marchand…
 

3. - Sur l’entreprise, le débat a porté sur la nature qu’il convient de lui attribuer

Le point central est le pouvoir. Qui possède la légitimité de décider à l’entreprise ? Aujourd’hui, ce sont les seuls actionnaires, qu’ils soient d’ailleurs privés ou publics.

Alors que les biens et services produits par les entreprises sont destinés aux citoyens-consommateurs, ces derniers n’ont aucun pouvoir sur les choix de production, d’investissement, de consommation. Deux questions en découlent : quelle diversification de la propriété sociale, et quels droits et pouvoirs non pas seulement pour les seuls salariés, mais pour toute la société sur les entreprises ?
 

B. - La création d’un Statut de l’actif peut-elle constituer une possibilité de concrétiser, sur le plan opérationnel, la " sécurité d’emploi ou de formation " ?

Depuis plusieurs années le PCF parle d’une " sécurité d’emploi ou de formation ". Ce concept révolutionnaire, susceptible d’enthousiasmer des générations entières, reste paradoxalement très méconnu. Dans un sondage publié par l’Humanité en février 2001, nous apprenons en effet que seulement 7 % des salariés, 8 % des chômeurs et 15 % des électeurs de gauche en ont entendu parlé et, plus inquiétant, seulement 23 % des électeurs communistes.

Pourtant, cette idée constitue un des points forts des propositions du PCF en matière d’emploi, de chômage, de travail, de projet de civilisation. Comment faire pour avancer et rendre cette idée populaire, génératrice d’initiatives et de luttes sociales traduites ensuite dans la loi ? Un des moyens pour avancer est de traduire le concept de " sécurité d’emploi ou de formation " en dispositifs concrets pouvant être réalisés immédiatement. Nul doute qu’un tel effort permettrait aux citoyens de mieux " visualiser " et de mieux comprendre ce qui est entendu par " sécurité d’emploi ou de formation " afin d’engager des luttes pour y parvenir. C’est une demande quasi unanime des camarades qui souhaitent définir le contenu concret d’une " sécurité d’emploi ou de formation ", savoir, je cite, " ce qu’il y a dedans ". Par exemple, le MEDEF parle de " formation tout au long de la vie ", et nous aussi. Quelles différences de contenu mettons-nous ?

Dans cet esprit, nous vous proposons d’approfondir cette réflexion autour de l’idée de la création d’un Statut de l’actif. Deux ou trois camarades se sont cependant inquiétés du risque de substitution entre " sécurité d’emploi ou de formation " et Statut de l’actif.

Ce risque existe peut-être. Mais le risque principal est celui de l’immobilisme. Il ne faut pas limiter nous-mêmes notre réflexion et la liberté de nos débats. C’est la raison pour laquelle nous vous proposons de rassembler une partie des dispositifs concrets liés à la " sécurité d’emploi ou de formation " sous l’appellation de " Statut de l’actif ". Un Statut de l’actif pourrait traduire, en ce qui concerne la France, mais aussi dans une perspective européenne et mondiale, le droit à l’activité pour tous.

Il faut progresser dans quatre domaines :

1. - Quelle définition légale peut-on donner d’un Statut de l’actif qui concrétiserait la " sécurité d’emploi ou de formation " ?

Jusqu’à présent, la protection sociale a été conçue pour faire face à certains risques : maladie, chômage, vieillesse, accidents du travail, en rémunérant les périodes non travaillées qui en résultent. De plus en plus, ce système enferme dans l’assistanat comme dans une prison. Un risque n’est pas couvert : l’inutilité. L’inutilité à soi ; l’inutilité aux autres. Un Statut de l’actif, traduction concrète d’une " sécurité d’emploi ou de formation ", couvrirait ce risque. Il faut donc organiser un déplacement culturel fondamental dans la société.

Les règles juridiques d’un Statut de l’actif doivent porter sur quelques questions fondamentales : la portée de ce droit et ses bénéficiaires ; les conditions d’obtentions de ces activités ; leur libre-choix ; les conditions de rémunération ; les conditions de mobilité et de continuité de l’état professionnel des personnes.

Sur ces questions, nous devons tester, imaginer, expérimenter, consulter, car la page est presque blanche, rien n’est écrit d’avance. C’est un monde à inventer et à découvrir.

Un droit signifie son application automatique à tous les citoyens. Un droit à l’activité ressemble peut-être le plus au droit à l’éducation. Le Statut de l’actif a de fortes similitudes avec le statut de l’EDF qu’il faudrait approfondir.

Statut de l’actif pourrait être : " le droit, pour chaque citoyen, d’obtenir une activité librement choisie, rémunérée et continue ".
 

2. - Quelles institutions et quel rôle pour l’échelon territorial ?
 
Si un Statut de l’actif est un droit à " l’obtention " d’activités, comment les définir ? Qui va les définir ? Dans quel cadre institutionnel ?

Dans les entreprises privées, un Statut de l’actif pourrait notamment avoir pour application la création de conseils d’établissement composés des représentants des actionnaires, de la direction, des salariés, du territoire (élus, associations, représentants de l’Etat), qui seraient obligatoirement consultés préalablement aux investissements et aux embauches.

Dans le secteur non-marchand, les activités pourraient être définies par la mobilisation de tous les acteurs se coordonnant à l’échelon territorial (employeurs publics et privés, organisations syndicales, élus, associations, monde rural et agricole, représentants de l’Etat). Ils pourraient se rassembler dans des instances intercommunales (des bassins d’emplois et de vie), transparentes et ouvertes au public. Les offres d’activités seraient tout simplement déposées à l’ANPE.
 
 

3. - Quel pourrait être le fonctionnement pratique d’un Statut de l’actif ? Il ne peut y avoir d’activités que si des besoins apparaissent, s’expriment et font l’objet de luttes sociales multiformes pour leur satisfaction. Car il n’existe de travail, et par conséquent d’emploi, que pour répondre à des besoins. Au lieu de chercher des emplois, cherchons les besoins. La question est donc de faire s’exprimer ces besoins qui peuvent émaner des personnes, des groupes, des entreprises, des collectivités locales, des associations, des services publics… Ils peuvent concerner tous les domaines de la vie humaine : environnement, culture, alimentation, logement, transports, éducation et formation, loisirs, tourisme.

La délibération publique sur les besoins, sur les choix de production et d’investissement, sur la consommation et les emplois pouvant y répondre, dans de nouvelles instances créées dans les bassins d’emploi et de vie, peut renforcer l’individualité tout en affaiblissant l’individualisme. Elle peut mettre en échec le refoulement systématique de la politique qui se produit et se reproduit inlassablement. L’espace public s’est vidé de toute délibération véritable et de toute confrontation ouverte, pour se remplir de pseudo-discours. Le pouvoir politique apparaît comme un pouvoir de gestion administrant et s’adaptant tant bien que mal à ce qui advient, sans aucunes perspectives. La démarche proposée favoriserait un foisonnement de communications, de liens, de contacts débouchant sur des séquences d'activités multiples en perpétuel renouvellement, et qui permette aux individus d'élargir leur horizon et de se transformer en permanence. Rien de tout cela n'est possible tant que les activités tourneront autour du travail et de sa valorisation tels qu’ils sont conçus actuellement.

Quelle perspective immense s’ouvre en particulier aux collectivités locales dirigées par des communistes !

L’ambition ainsi esquissée mène très loin des pratiques actuelles, mais elle fait aujourd'hui déjà partie de l'horizon de beaucoup de citoyens qui aspirent à des activités débarrassées de leurs rigidités et de leur répétitivité. L'avenir n'a pas besoin de ressembler au présent, il y a encore beaucoup de chemins à découvrir.
 
 

4. - Quels financements ? Le débat a montré que la rémunération des activités nécessite de définir le rôle respectif des secteurs marchand et non-marchand dans le Statut de l’actif.

Nous sommes parvenus aisément, de façon unanime, à l’idée qu’il ne revenait pas aux financements publics de payer des salaires dans le secteur privé marchand. La question est alors de savoir si nous voulons financer des activités dans le secteur non-marchand, et comment y parvenir.

Car il faut le savoir, sur le plan financier, 800 milliards de francs sont nécessaires pour financer une activité aux 4 millions de privés d’emploi rémunérés 200 000 francs par an, cotisations sociales incluses. Cette somme correspond au prélèvement opéré par le patronat sur les salaires ces trente dernières années. Comment réunir cette somme considérable ? Vous trouverez sur cette questions et sur les autres des propositions dans les notes qui vous ont été remises.

Quoi qu’il en soit, pour voir le jour et pour fonctionner, un Statut de l’actif exige une exubérance démocratique
 
 
 

II. – Quels sont les opportunités et les obstacles ?
 

Les mouvements sociaux de 1995 en France, qui coïncident avec l’émergence d’un mouvement " anti-mondialisation libérale " à l’échelle planétaire, traduisent le début du recul de l’idéologie néo-libérale. Cette évolution ne peut que nous inciter à persévérer dans la déconstruction de cette idéologie et notamment sur deux questions qui freinent les luttes immédiates et la possibilité de dégager une perspective :

Je n’ai pas le temps, ici, de traiter de la refondation sociale du MEDEF.
 
 
A. – Le débat a porté sur les causes du chômage et de la précarité

Deux analyses sont en débat qui n’ont pas été encore tranchées : d’une part l’idée que le chômage n’aurait que des causes politiques ; d’autre part, l’idée que le chômage n’aurait que des causes économiques. Il faut poursuivre cette discussion qui est centrale. Car si l’on ne comprend pas pourquoi il y a du chômage, on ne peut lutter efficacement contre lui. Nous devons parvenir rapidement à un texte argumentaire pour aider les militants.
 

B. - L’effort théorique et idéologique néo-libéral, centré sur le travail et le chômage, a submergé les " forces de progrès "

Si 10 millions de licenciements ont pu se faire en France ces quinze dernières années, je le rappelais tout à l’heure, c’est parce que le corps social a été submergé par l’idéologie néo-libérale, et nous avec. Une dizaine de thèmes tout au plus forment la doctrine de l’idéologie néo-libérale. Pendant un temps, ils se sont imposés largement dans l’opinion publique par la force, la simplicité et l’apparent bon sens de leurs justifications. La gauche, et particulièrement le PCF, doivent continuer et renforcer un intense travail intellectuel et pédagogique pour les déconstruire l’un après l’autre.

Sur chacun de ces points nous devons rédiger également des fiches argumentaires pour les militants
 

III. – Pistes d’action
 

Trois pistes d’action vous sont proposées :
 

A. – Il faut clarifier l’appréciation que nous portons sur la politique économique du gouvernement

Nous devons répondre à deux questions : pourquoi cette reprise de l’emploi ? Quel a été exactement le rôle du gouvernement ? La politique économique du gouvernement Jospin est non-totalement néo-libérale.

Lionel Jospin, s’il reste prisonnier volontaire des logiques des marchés financiers, ne mène pourtant pas tout à fait la même politique économique que François Mitterrand et Alain Juppé. Alors que les " années Mitterrand " avaient été celles de l’abdication en rase campagne face au chômage, l’emploi est reparti depuis 1997. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 1,6 million d’emplois ont été créés entre 1997 et la mi-2001, le nombre de chômeurs inscrits baisse de un million et passe de 12,6 % en juin 1997 à 8,7 % en juin 2001. Après avoir continué sa progression, la précarité semble connaître une stabilisation. Si depuis 1997 les emplois créés sont essentiellement des emplois temporaires (30 % des 1 250 000 emplois créés entre mars 1997 et mars 2000 étaient de l’intérim ou des CDD), en revanche, les 500 000 emplois nets créés entre mars 2000 et mars 2001 ont été massivement des CDI à temps plein.

Cette situation nécessite de répondre à deux questions : pourquoi cette reprise de l’emploi ? Quel a été exactement le rôle du gouvernement ?

Le renouveau de la croissance et de l’emploi depuis 1997 tient essentiellement à des phénomènes extérieurs, le gouvernement ayant joué un rôle réel mais modeste.
 

1. - La croissance et l’emploi résultent principalement de la simultanéité de plusieurs phénomènes extérieurs favorables à la demande

Ce résultat contredit point par point l’idéologie néo-libérale. En effet, celle-ci préconise une amélioration de l’offre pour relancer la croissance (baisse du coût du travail, formation, innovation, épargne défiscalisée…). Or, c’est bien la hausse de la demande qui a fait la croissance et l’emploi. La grande leçon que l’on peut titrer de la croissance après 1997 est donc qu’il n’existe aucun problème significatif d’offre en Europe, et que la croissance économique peut repartir immédiatement dès que la demande augmente. La preuve pratique est ainsi faite que l’austérité n’est pas nécessaire pour " assainir " l’économie.

On peut attribuer deux causes à la progression de la croissance et de l’emploi : l’augmentation des exportations et la baisse des taux d’intérêt réels.

Les exportations européennes ont été dopées par la baisse des prix du pétrole, la dévaluation de fait de l’euro et les importations des Etats-Unis.

Les taux d’intérêt réels ont baissé de 4 % en 1995 à 2,5 % en 1997 et ont favorisé une certaine reprise de l’investissement.
 

2. - Le surcroît de croissance et d’emploi en France par rapport aux autres pays européens est lié à une réelle intervention du gouvernement qui reste pourtant modeste

La politique économique du Premier ministre a joué un rôle, qui a fait la différence par exemple avec des pays comme l’Allemagne ou l’Italie. C’est dire s’il existe des marges de manœuvre et qu’il est possible d’aller bien plus loin.

Cette croissance un peu plus forte que la moyenne européenne est due à trois séries de mesures : la réduction du temps de travail, les emplois-jeunes et des augmentations de pouvoir d’achat, quoi que l’on pense par ailleurs de ces trois mesures.
 

B. – Quelles articulations entre mesures immédiates et vision d’ensemble ?

Nous avons eu un débat, hélas trop court, à partir des propositions que j’ai faites hier soir de " dix mesures pour l’immédiat et l’avenir ". Je les présente sans les détailler.
 

1. – Création d’un Statut de l’actif pour réaliser le droit, pour chaque citoyen, d’obtenir une activité librement choisie, rémunérée et continue

Cette idée devrait constituer l’axe central de notre combat, car tut le reste en découle.
 

2. – Aucun salarié ne doit plus subir les risques du licenciement

Nous devons clarifier notre analyse et nos propositions sur les licenciements. A titre personnel, j’ai proposé il y a déjà plusieurs mois, la proposition suivante :
 

2.1. – Quelle que soit la cause du licenciement, les salariés ne doivent pas en subir les risques

Ils devraient bénéficier de la continuité de leur rémunération, de leurs droits sociaux et d’un emploi même dans une autre entreprise du bassin d’emploi, grâce à un Statut de l’actif. C’est possible comme le montre l’initiative du ministre des Transports qui a imposé à certaines sociétés nationales la réembauche de salariés d’AOM Air Liberté.

2.2. - L’assurance chômage, l’Etat et les entreprises doivent prendre leurs responsabilités

Lorsque l’entreprise qui licencie connaît des difficultés réelles et sérieuses, l’assurance-chômage et l’Etat doivent assurer la continuité intégrale des droits et de l’emploi dans le cadre d’un Statut de l’actif.

Lorsque l’entreprise est prospère et pratique les licenciements boursiers, une restitution sociale est payée par les actionnaires, équivalente au montant des salaires et cotisations sociales des travailleurs licenciés jusqu’à ce qu’ils retrouvent un nouvel emploi.

Par ailleurs, un véritable effort de pédagogie doit être entrepris pour expliquer les nouvelles possibilités offertes aux comités d’entreprises par l’amendement des députés communistes au projet de loi de modernisation sociale.
 

3. - Plus aucun jeune, plus aucun citoyen ne doit être abandonné par la société

Des années de chômage ont parfois abîmé dans des proportions inconcevables de nombreuses personnes. Jugées " inemployables ", leur sort a été tranché : elles survivront jusqu’à leur mort d’aumônes publiques culpabilisantes, insignifiantes et dégradantes. Beaucoup de citoyens estiment de toute bonne foi que ces personnes, les blessés de la guerre économique, ne pourront plus jamais travailler, d’autant que les normes de recrutement nécessiteraient des compétences accrues.

Que faire de ces personnes ?

Des centaines de milliers d’emplois non-qualifiées doivent être créés dans la perspective de les qualifier progressivement. Au lieu d’adapter les gens aux travail à faire, un Statut de l’actif devrait permettre au travail de s’adapter aux gens, un peu comme le fait déjà l’AGEFIPH. Des employeurs publics et privés volontaires pourraient accueillir ces personnes sur des activités et des horaires adaptés. L’expérience montre, notamment celle de Bertrand Schwartz, comment procéder. Il faut créer un " triangle " : un lien de confiance coordonné entre la personne concernée, un tuteur extérieur au lieu d’activité (un travailleur social) et un tuteur à l’intérieur du lieu d’activité. Le tuteur extérieur intervient pour les problèmes de logement, de santé, il peut même amener la personne le matin sur son lieu d’activité… Le tuteur intérieur intervient sur les compétences professionnelles.

Cette situation n’a rien de nouveau. Jusqu’au milieu des années 70, dans l’industrie, de nombreuses personnes " abîmées " étaient présentes (alcooliques, illettrés…). Elles étaient prises en charge par le collectif de travailleurs et tout se passait bien. C’est l’influence de l’idéologie libérale, et sa folie de la performance, qui a fait s’effacer des mémoires ce réflexe fondamentalement humain…
 

4. - Le droit à la tranquillité publique passe aussi par l’emploi et la formation pour tous

Un Statut de l’actif aurait un effet puissant sur la délinquance juvénile contre laquelle les gouvernements ne font rien. Tout jeune, mineur ou non, ayant commis un délit, pourrait se voir proposé des formations ou des activités rémunérées, éloignées s’il le faut du lieu de résidence. L’aspect pénal n’interviendrait qu’en cas de récidive.
 

5. - L’égalité entre les hommes et les femmes au travail doit sortir des discours et se traduire par des mesures concrètes

La Norvège donne un exemple intéressant puisque le gouvernement a déposé un projet de loi imposant un système de quota dans le secteur privé. L’idée est d’imposer, dans un premier temps, 25 % de femmes dans les conseils d’administration des entreprises cotées, pour aller ensuite à 40 %. Un tel quota existe déjà depuis 1978 dans les instances dirigeantes de la fonction publique.

En France, une loi d’égalité devrait imposer l’identité des salaires entre hommes et femmes et l’obligation de parité dans les postes de direction des entreprises privées et de l’Etat.
 
 

6. - Aller vers de nouvelles réductions du temps de travail

Faut-il aller vers les 32 heures de travail par semaine, éventuellement en quatre jours, ou par l’attribution de nouveaux jours de congés ?
 

7. – Désarmer les marchés financiers
 

7.1. - Encadrer les marchés financiers
 

7.2. - Accroître de la supervision des banques
 

7.3. - Réformer les institutions financières internationales
 
 

8. – Réorientation totale des politiques monétaires, budgétaires, fiscales et du commerce international pour contribuer à supprimer le chômage
 

8.1. - Des politiques monétaires expansionnistes
 

8.2. - Des politiques budgétaires tournées vers le plein-emploi
 

8.3. - Des politiques fiscales réellement redistributives
 

8.5. - Une réforme du commerce international pour un " protectionnisme coopératif "
 
 

9. - Création d’un pole financier public pour se prémunir contre les crises financières et comme outil de développement économique
 

9.1. - Les buts et la configuration possibles de ces pôles financiers publics
 

9.2. - Créer un nouveau type d’épargne sur le modèle du Livret A
 
 

10. - Les firmes multinationales comme biens communs universels

Il s’agit là de pistes de réflexion que j’ai proposées, à nourrir très rapidement, dont vous trouverez le détail dans les différentes contributions qui vous ont été remises.

Le court débat qui s’est instauré à la suite de la présentation de ces dix points lors de l’atelier d’hier soir a tourné autour de l’idée suivante : le PCF n’est pas en échec sur les mesures immédiates et concrètes, mais sur le fond, c’est-à-dire sa vision. Les citoyens demandent du sens pour décrypter la société dans laquelle nous vivons et entrevoir des possibles, un autrement, un autre chose.

Attention aux slogans vides, aux recettes, aux formules. Une camarade a bien résumé cela. Chez Moulinex, des salariés disent : " nous ne pouvons pas lutter contre les Chinois qui font des fers à repasser à 50 francs ". Aucune mesure immédiate ne peut répondre à cet argument. La question de cette salariée est un problème de fond : la mondialisation libérale et le libre-échangisme actuel. Que proposons-nous ?
 
 

C. - La mobilisation des communistes : De nouvelles luttes pour un au-delà du capitalisme et pour gagner tout de suite

1. – Ne faut-il pas engager une offensive idéologique anti-libérale pour regagner les salariés et la jeunesse ?

Elle pourrait porter sur trois thèmes : l’égalité, la propriété et la démocratie.
 

a. - Défendre des valeurs, au premier rang desquelles l’égalité

Une attaque puissante, agressive, virulente, à condition d’être argumentée, est nécessaire sur le terrain des valeurs en mettant en relief le principe de l'égalité comme critère central de toute société.
 

b. - Diversifier les formes de propriété

Le principal tour de force du néo-libéralisme a certainement été la privatisation, totale ou partielle, des industries, banques et services publics. De nouvelles formes de propriété sociale, partagée, diversifiée, populaire, peuvent être inventées comme le Livret E présenté succinctement plus haut le suggère.
 

c. - Renforcer la démocratie

Pour le néo-libéralisme, la démocratie représentative que nous connaissons n'est pas une valeur suprême. Au contraire, elle est même considérée comme un instrument intrinsèquement inadéquat qui peut facilement devenir " excessif ".
 

2. – Ne faut-il pas essayer d’imaginer des territoires sans chômage, espaces de libération de la créativité humaine ?

Les militants communistes, avec d’autres, peuvent prendre la tête d’un nouvel imaginaire social : penser des territoires sans chômage et de développement de la créativité humaine à partir du Statut de l’actif comme dispositifs pratiques d’une " sécurité d’emploi ou de formation ". Car si nous envisageons sérieusement de supprimer le chômage à l’échelle nationale, voire mondiale, c’est donc que le chômage disparaîtra aussi à l’échelon local. Mais faut-il attendre que tout vienne d’en haut ? Ne faut-il pas au contraire simuler, expérimenter, imaginer ce que pourrait être – concrètement – un territoire sans chômage. Alors nous serons convaincants.

L’application de la loi Hue sur les aides aux entreprises peut constituer un bon moyen d’entrer dans ce vaste projet qui est de la politique au sens pur du terme, non institutionnelle, non électoraliste, non politicienne. Vrai et authentique.
 

3. – Ne faut-il pas modifier profondément l’organisation et le fonctionnement du PCF pour le mettre en situation de mener ces combats ?

Encore faut-il s’organiser pour réussir une telle ambition. Dans toutes les fédérations, des Collectifs d’action militants (CAM) devraient être créés pour mener ce combat. Ils rassembleraient les volontaires. Ils essaimeraient dans les bassins d’emplois avec les militants des sections. L’action doit être permanente, longue, offensive. Tout de suite, chaque fédération et section peut s’engager et recenser les militants volontaires.

Cher(e)s Camarades, pour faire tout cela, il nous faut une attitude sûre, confiante, agressive, allégrement féroce et joyeuse !