A 50 ans de distance, ce qui est le plus flagrant, c'est à quel point on était dans une autre époque, témoignant de notre entière dépendance à l'esprit du temps, comme on est le jouet des idéologies du moment même à se croire les plus libres des hommes. Il est assez impressionnant d'en prendre la mesure mais la plus grande leçon à en tirer, c'est combien ce qu'on peut appeler notre bêtise d'alors a pu avoir d'effets positifs malgré tout, effets de la contestation plus que du discours tenu (anarcho-marxiste), illustrant une fois de plus comme le faux peut être un moment du vrai. Avoir raison trop tôt pourrait même égarer. On peut dire de ceux qui se sont désolidarisés du mouvement dès le début qu'ils ont fait preuve de clairvoyance, sans doute, mais c'est qu'ils n'étaient que des réactionnaires le plus souvent, et sont de toutes façons passés à côté de l'histoire.
Impossible de trop médire des événements tant ils ont changé la vie même s'ils n'ont pas débouché sur une révolution politique (désavouée massivement par les élections). C'était au moins l'accélération d'une révolution des moeurs, notamment sexuelle, qui était déjà en cours avec la pilule autorisée par la loi du 28 décembre 1967 ici, ou les love-in californiens. Il est frappant de constater comme une époque n'est pas clairvoyante sur elle-même, vécue sous le mode de nombreuses illusions, notamment révolutionnaires, et produisant tout autre chose que ce qui était voulu. Ce qui est frappant aussi, c'est comme Mai68 n'a pas été du tout provoqué par une crise économique mais n'était qu'une déclinaison d'un moment historique, de la montée de la jeunesse et de la massification étudiante, succédant à la Révolution culturelle chinoise, aux Hippies s'opposant à la guerre du Vietnam, aux Provos hollandais, aux Situationnistes de Strasbourg, etc.
Enfin, le déroulement des faits montre bien comme la logique de l'événement s'impose à ses acteurs, la situation leur échappant constamment, très loin de la conception des révolutionnaires professionnels. Nous participions à un mouvement dont nous avions du mal à comprendre la nature, ne prenant de l'ampleur qu'à protester contre la répression, expression enthousiasmante de solidarité et de puissance. On ne peut parler d'action consciente et préméditée alors qu'on était plutôt pris dans un mouvement général, un peu comme, sur un autre plan, on suivra les différentes modes de la musique rock en hésitant sur le sens à leur donner, sens n'apparaissant vraiment qu'après-coup. Histoire vécue dans l'incertitude contre histoire racontée.