Temps de lecture : 4 minutes10 février 1911
Notre élite ne vaut rien ; mais nous ne devons pas nous en étonner ; aucune élite ne vaut rien, non pas par sa nature ; mais par ses fonctions. L’élite, parce qu’elle est destinée à exercer le pouvoir, est destinée aussi à être corrompue par l’exercice du pouvoir. Je parle en gros ; il y a des exceptions.
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Il faut comprendre que dans cette élite il va se faire une corruption inévitable et une sélection des plus corrompus. En voici quelques causes. D’abord un noble caractère, fier, vif, sans dissimulation, est arrêté tout de suite ; il n’a pas l’esprit administratif. Ensuite ceux qui franchissent la première porte, en se baissant un peu, ne se relèvent jamais tout à fait. On leur fait faire de riches mariages, qui les jettent dans une vie luxueuse et dans les embarras d’argent ; on les fait participer aux affaires ; et en même temps ils apprennent les ruses par lesquelles on gouverne le parlement et les ministres ; celui qui veut garder quelque franchise ou quelque sentiment démocratique, ou quelque foi dans les idées, trouve mille obstacles indéfinissables qui l’écartent et le retardent.
3 juin 1914
Toujours les pouvoirs se reconstituent, par leur fonction même. Un riche banquier a plus d’importance dans la vie publique qu’un pauvre homme qui travaille de ses mains ; aucune constitution n’y peut rien. De même vous n’empêcherez pas que le haut commandement de l’armée se recrute lui-même, et élimine ceux qui sont restés plébéiens. Enfin dans les bureaux nous voyons que les mêmes forces agissent. Cherchez parmi les puissants directeurs, vous n’en trouverez guère qui ne soient parents ou alliés de la haute banque, ou de l’aristocratie militaire, et vous n’en trouverez sans doute pas un qui n’ait donné des gages à l’oligarchie. Enfin, si l’on veut participer au pouvoir, il faut, de toute façon, vénérer les pouvoirs, c’est-à-dire rendre des services, entrer dans le grand jeu, donner des gages.
Juillet 1931
La trahison est naturelle dans un député, à quelque parti qu'il appartienne. Et la trahison, comme on l'a cent fois remarqué, consiste à tirer vers la droite après avoir juré de rester plus ou moins à gauche ; chacun sait qu'il y a une droite et une gauche en tous les points de l'hémicycle ; et vous n'entendrez jamais dire qu'un député ait glissé à gauche malgré les promesses faites aux électeurs.
Février 1932
Quel est donc l’orateur qui parle en égal à des égaux? Il commence bien ainsi; mais la fureur d’admirer, qui est enivrante, a vite fait de le déloger de sa modestie; car le fracas des bravos est de force; l’oreille ne s’y trompe pas. On se sent maître et Jupiter d’un orage humain, d’un heureux orage qui jure de déraisonner. On se dit ; "Marchons toujours, puisque moi du moins je sais où je vais". Mais ce n'est plus vrai. La première faute du chef, la plus aisée, la plus agréable, la plus ignorée de lui- même, c’est de se croire.
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La justice s’irrite à seulement parler fort; elle n’est plus justice; et la fraternité enivrée n'est plus fraternité du tout. Voyez les syndicats divisés contre eux-mêmes, et gouvernés par des empereurs, des ministres, des adjudants. Et pourtant s’il y a au monde quelque organisation démocratique, c’est bien celle-là. Tout y devrait marcher par des réunions d’égaux, où le chef n’est que secrétaire. En fait tout va par décrets, mouvements d'éloquence, et union sacrée.
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Là-dessus vous dites que la froide sagesse vous ennuie. Très bien. Jouez donc éternellement le même jeu. Vous changerez seulement de maître. L'Armée Nouvelle attend des volontaires. Courez-y. Une fois de plus vendez la liberté. Librement vendez-la.