On pourrait en rire si ce n'était à pleurer mais il semble bien que les élections présidentielles soient faites pour nous faire délirer, en particulier une gauche pourtant au plus mal. Il y a en tout cas un certain nombre qui décollent de la réalité et se montent la tête à s'imaginer que ce pourrait être la réalisation de leurs rêves les plus fous, avec reconfiguration complète de l'économie et de la société ! Et pourquoi pas ? Il y a des miracles parfois, non ? On croirait qu'il n'y a jamais eu d'élections, que ce n'est pas pareil à chaque fois, ni que cette fois on peut s'attendre au pire - mais on ne veut pas perdre espoir, pas vrai ? Véritable dissonance cognitive, dans les débats plus ou moins groupusculaires d'une gauche éclatée, la montée du Front National est minimisée voire complètement refoulée sous prétexte que les électeurs populaires devraient se rendre compte de qui sont leurs véritables amis et qu'il y aurait de toutes façons un plafond de verre infranchissable, pourtant de plus en plus haut... Non seulement on fait comme si la menace nationaliste/identitaire/autoritaire n'existait pas et ne montait pas un peu partout en Europe mais, en plus, Mélenchon en sauveur suprême et ses partisans souverainistes ne font que la renforcer tout en s'imaginant, ce qui est complètement délirant, qu'il pourrait gagner l'élection alors qu'il ne fera que précipiter l'élimination de la gauche !
Il y en a qui vivent dans un autre monde. Il est vrai qu'il est insupportable de voir arriver la défaite annoncée, c'est pourtant notre triste réalité et, si par malheur il vous reste un soupçon de lucidité, on va donc vous traiter de rabat-joie, de défaitiste, et sortir quelques formules bien sonnées assurant que, si on n'essaie pas on ne pourra jamais gagner, qu'il y a des bonnes surprises comme l'élection d'Obama (Yes we can ? on a vu pas grand chose) ou celle de Tsipras (!), qu'il y a des retournements de l'histoire (sauf qu'il se fait contre nous actuellement). On se persuade d'un nouveau souffle avec le retour de la gauche anglo-saxonne ou quelques mouvements alternatifs qui s'ébauchent mais qui n'ont fait preuve jusqu'ici que de leurs échecs... La gauche européenne est au plus mal, en voie de disparition - même si ces choses là ne se font pas en un jour, les inerties sociales étant très fortes. C'est d'ailleurs cette inertie qui nous assure que, sauf événement imprévisible, les rapports de force ne changeront guère d'ici l'élection présidentielle.
Sous prétexte qu'il y a un timide réveil de la jeunesse étudiante, certains voudraient se persuader d'une révolution imminente - et de gauche en plus ! Révolution fiscale plutôt ? Ce n'est pas qu'il n'y ait des risques d'agitations sociales et de grands troubles avec une aggravation des multiples crises économiques et financières mais sans plus de débouché à la colère que les révolutions arabes, sinon quelques boucs émissaires faciles. On devrait pourtant savoir par l'expérience maintenant qu'il n'y a pas de révolution en démocratie : il y a des élections qui y mettent un terme en reproduisant nos divisions politiques. L'unité fantasmée de la société se heurte en effet à nos divisions effectives et aux contre-pouvoirs bloquant l'action. C'est même pour cela qu'à l'heure actuelle, ce qui domine, c'est l'appel à un pouvoir fort. Alors, pour "destituer le pouvoir", on peut repasser, c'est un complet contre-sens sur notre actualité immédiate. Certes la grande politique c'est fini, mais il semble qu'on ne veuille rien en savoir et vouloir absolument essayer de prouver le contraire!