Solutions imaginaires

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shadokPrendre aux riches, supprimer l'argent ou la propriété, arrêter le progrès ou la croissance, augmenter les salaires, réduire le temps de travail, ne pas rembourser ses dettes, supprimer l'armée, se réapproprier les médias, une démocratie radicale, sortir de l'Europe et de l'Euro, etc.

Comme une bonne partie de ma génération, j'ai voulu passionnément changer le monde après Mai68 mais, contrairement à la plupart et lorsque le chômage m'a permis d'y consacrer tout mon temps, je m'y suis attelé très sérieusement. En témoigne la quantité de textes que j'y ai consacré. Je ne peux pas dire, hélas, que cela m'ait rendu très optimiste sur les chances d'y arriver...

En fait, à comprendre la théorie de l'évolution par la théorie de l'information, c'est-à-dire par la détermination du milieu, et devenir de plus en plus matérialiste, j'y ai perdu toute illusion de pouvoir décider de l'avenir face à l'accélération technologique et l'étendue de nos limites cognitives, ce qui ne veut pas dire que notre action ne serait pas décisive dans ces temps de mutation mais en partant plutôt du local et de la nécessité de relocaliser une économie globalisée à l'ère du numérique. Il n'y a rien là cependant qui puisse provoquer l'enthousiasme des foules, ni satisfaire un quelconque besoin métaphysique ni même notre indignation devant les injustices du monde qu'on peut seulement réduire à notre mesure.

Impossible de s'y résoudre, sans doute. Pour Ernst Bloch, il serait impossible de vivre sans utopie, sans rêves, encore plus de transformer la société sans une bonne dose d'idéalisation. Le principe espérance serait indispensable à la vie comme à la politique, carotte devant notre nez pour nous faire avancer ! Le mythe de la boîte de Pandore nous assure pourtant que l'espérance y serait restée enfermée... Le désir qui nous porte paraît indissociable d'un esprit qui regarde le monde et veut le refaire (Bloch nous assure même que "le bâton tordu veut être redressé" !), dénonçant ses injustices et voulant le soumettre à notre jugement, le passer au cordeau, ne pouvant accepter enfin une réalité qui nous blesse et nous choque tant. D'avoir une pensée et de se projeter dans l'avenir nous oblige au moins à dire ce que nous voudrions - sans s'embarrasser hélas de sa faisabilité le plus souvent !

A de nombreuses reprises, en politique, on a bien expérimenté pourtant à quel point il n'était pas sans dangers de nourrir des fantasmes et ne pas tenir compte des rapports de force ou de la situation économique. Cela mène généralement à la confusion de ce qui est juste pensable et pur imaginaire, avec le possible effectif, le réalisable à notre portée. Rien ne sert de chauffer les foules en faisant appel à Jaurès, à Robespierre, si ce n'est à Dieu lui-même, pour nous éviter la confrontation avec les réalités matérielles. C'est, en effet, la première illusion, illusion religieuse d'une conversion universelle des coeurs qui nous ferait entrer soudain dans le royaume de la justice. La Révolution Culturelle chinoise a pu y ressembler, mais avec quel résultat ! Il nous faut revenir à des objectifs plus modestes, malgré qu'on en ait...

Selon certains, il ne faudrait pas tenir compte de l'échec du communisme qui resterait une hypothèse crédible comme s'il n'avait pas rassemblé déjà la majorité de la population mondiale ! Il ne faudrait pas non plus tenir compte des échecs des derniers mouvements sociaux et de la montée de l'extrême-droite, pas plus qu'il ne faudrait tenir compte du reste du monde, de l'écologie, du numérique, etc. C'est tout juste si la faute n'en reviendrait pas à ceux qui osent émettre des critiques là-dessus et ne feraient que désespérer Billancourt, empêchant qu'un grand mouvement progressiste ne balaye tout sur son passage ! On peut laisser ces militants autistes continuer à se taper la tête contre les murs, cela n'avancera à rien qu'à retarder les adaptations nécessaires et le retour des luttes d'émancipation.

L'autre attitude serait, au contraire, de coller aux évolutions, les orienter autant que faire se peut à notre profit, la seule solution serait de s'engager dans la grande transformation de l'ère du numérique et dans des solutions locales au désordre global, seule façon d'être fidèle en acte à ce refus de l'injustice mais c'est une fidélité trop dérisoire pour les utopistes refusant de faire le deuil de l'impossible en passant de l'éthique au politique.

Après avoir critiqué les propositions d'ATTAC ou du PNUD, on va donc essayer de passer en revue, de façon un peu trop sommaire j'en conviens, quelques fausses bonnes idées ne constituant que des solutions imaginaires : prendre aux riches, supprimer l'argent ou la propriété, arrêter le progrès ou la croissance, augmenter les salaires, réduire le temps de travail, ne pas rembourser ses dettes, supprimer l'armée, se réapproprier les médias, une démocratie radicale, sortir de l'Europe et de l'Euro, etc. Il ne s'agit pas de prétendre que la plupart de ces revendications ne seraient pas souhaitables, même si ce n'est pas toujours le cas, mais qu'elles ne sont pas faisables en l'état et surtout qu'elles nous détournent de solutions plus effectives.

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Permanence et fonctions des hiérarchies

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hierarchie_ca_suffitLa contestation des hiérarchies en tant que telles est stérile et même contre-productive quand ce qu'il faudrait, c'est les alléger et les démocratiser! C'est ce qui fait toute la différence entre d'inutiles utopies et le véritable progrès social. Il s'agit de comprendre les nécessités de l'organisation et la fonction des structures hiérarchiques pour bien distinguer les hiérarchies opérationnelles des systèmes de domination et avoir la capacité d'en réduire l'hétéronomie ainsi que l'infériorisation des acteurs, c'est-à-dire tout simplement remplacer la contrainte par l'information.

Ces idées ne sont pas nouvelles puisqu'elles ont été à l'origine de la formation du GRIT (plutôt "le groupe des dix" à l'époque), portées surtout par Henri Laborit, notamment dans "la nouvelle grille" comme on le verra plus loin. Tout ce mouvement venait de la théorie des systèmes et de l'écologie (des écosystèmes, inspirant notamment le rapport de Rome sur les limites de la croissance. Voir aussi le Macroscope de Joël de Rosnay avec son dernier chapitre sur l'écosocialisme). Ce mouvement devait hélas, comme toute la "cybernétique de deuxième ordre", un peu trop s'engluer ensuite dans une auto-organisation informe qui inspirera une bonne part du néolibéralisme (sous le nom d'ordre spontané). L'auto-organisation a une place certes irremplaçable, qu'il fallait intégrer, mais bien plus réduite qu'on ne l'a imaginée (comme si la sélection naturelle en était restée aux bactéries au lieu d'organismes de plus en plus complexes).

Les choses sont moins immédiates et bien plus subtiles (dialectiques) que les mots d'ordre politiques, devant combiner l'organisation collective et l'autonomie des acteurs - d'autant plus à l'ère du numérique. Il n'y a pas de truc miraculeux pour cela même s'il y a quelques dispositifs utiles, le plus important étant de garder un point de vue critique sur les pouvoirs et de chercher à réduire les dominations sans refouler les rapports de pouvoir ni le fonctionnement effectifs.

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La passion de la liberté

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liberteImpossible de s'en raconter, faire comme si nous n'étions pas coincés de toutes parts à nous débattre entre mille contraintes, nous cogner contre une dure réalité qui n'a rien d'idéale (où les autres nous font si souvent souffrir). Pour ne rien arranger, il nous faut bien admettre nos limites cognitives et perdre de notre superbe, tant de fois nous nous sommes trompés ou avons été trompés, pris dans les modes du moment ou victimes de notre propre connerie. Perdus au milieu d'un monde dont nous avons tellement de mal à suivre le rythme, le nez dans le guidon, il n'y a pas à la ramener ! Nous sommes bien le jouet de nos humeurs et de nos désirs, le produit de notre milieu et de notre histoire, d'une nature animale aussi bien que d'une culture symbolique...

Le sujet de la science nous dépouille de toutes nos illusions et ce savoir sur le savoir semble bien réduire la liberté, comme le pensait Spinoza, à la simple ignorance des causes qui nous font agir, tout à l'opposé de nos rêves de toute-puissance et de la fascination de penser le monde, un monde qui serait forgé à notre image ! Depuis toujours la sagesse, sinon la guérison, serait paraît-il de s'en arranger, d'accepter notre état de créature et comme s'absenter du monde dans sa contemplation passive ; mais il n'est pas si sûr qu'on pourrait s'en satisfaire, ni surtout que ce serait souhaitable, à perdre l'essentiel de ce qui fait notre humanité en reniant ainsi notre part de liberté - encore faut-il dire laquelle.

On pourrait d'abord rétorquer à cette sorte de monde psychotique implacable de la science (monde compact et sans interstices d'une causalité mécanique abolissant le temps) que la liberté consiste justement à ne pas savoir, tiraillé entre des exigences contradictoires ou hésitant par manque d'informations. Pour Norbert Elias, ce serait même la multiplication des contraintes comme des choix auquel l'individu se trouve confronté qui renforcerait notre sentiment de liberté ! Ne pas savoir quoi faire est indubitablement la preuve qu'on n'est pas si déterminé qu'on le prétend mais cela ne veut pas dire qu'on ne serait pas très largement déterminé quand même, et, surtout, ne rend absolument pas compte de ce qui est en jeu et nous concerne plus intimement, de cette passion de la liberté qui nous habite et qui n'est en rien contradictoire cette fois avec toutes nos déterminations. Il faut complètement inverser la façon dont on pense liberté et détermination pour en faire, non pas un impossible libre-arbitre ni la voix de l'universel en nous ni une question métaphysique, mais bien une passion subie, la négativité d'une rupture, d'un acte qui tranche, d'une limite franchie.

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Revue des sciences avril 2014

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