Toute négation est partielle

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La dialectique marxiste a donné de la dialectique une vision simpliste très éloignée de celle de Hegel, n'en retenant pas la leçon principale : que toute négation est partielle. En effet, lorsque Paul dit que l'Amour "abolit" la Loi (katargein que Luther traduit par aufheben, terme repris par Hegel), ce n'est pas pour renier le contenu de la Loi mais sa forme, et la porter à un niveau supérieur. De même, dans la dialectique hégélienne, l'aufhebung n'est pas une pure négation mais un dépassement qui conserve et ne supprime pas complètement le passé qu'il surmonte, ce passé ne pouvant être sans raison et juste effacé de nos mémoires alors qu'il doit seulement être corrigé, amélioré, redressé - voie réformiste même à prendre des allures révolutionnaires. C'est ce dont on ne veut rien savoir, semble-t-il, à rêver de victoires totales et définitives, avec l'anéantissement de l'ennemi et la fin de l'histoire - ce à quoi mène de traduire trop souvent aufhebung par "négation", comme le fait Kojève notamment.

La lecture de Kojève est fascinante, donnant l'impression d'une logique implacable qui rend le système hégélien limpide, mais c'est en le trahissant sur des points fondamentaux, notamment en substituant l'Homme à l'Esprit. Il réduit ainsi explicitement sa philosophie à une anthropologie, donnant du coup une place démesurée à l'être-pour-la-mort (hérité de Heidegger) mis en scène dans la dialectique du Maître et de l'Esclave - purement mythique. En effet, même si "c'est seulement par le risque de sa vie qu'on conserve la liberté" (p159), ce n'est pas ainsi qu'on devient maître (ou esclave) et "leur confrontation est la négation abstraite, non la négation de la conscience qui supprime de telle façon qu'elle conserve et retient ce qui est supprimé, et par là même survit au fait de devenir supprimé" (p160). Pour Hegel, l'Esprit n'est pas du tout une négation totale de la nature ou de la vie, l'Esprit est la vérité de la nature et une négation du particulier au profit de l'universel, ce qui est très différent. Ce qui importe le plus, ce n'est pas la négation de la vie par le Maître, s'élevant au-dessus de l'animal, mais bien la soumission de l'esclave, "la discipline du service et de l'obéissance" (p166) permettant la rationalisation et le Droit. Même dans l'interprétation de Kojève, l'essentiel n'est pas le risque de la mort mais le désir de désir qui est son apport le plus important et n'a rien d'une négation totale. La lutte pour la reconnaissance est d'ailleurs plutôt présentée par Hegel comme une impasse initiale (ou le premier temps de la dialectique) et reste relativement anecdotique chez lui, expédiée en 2 pages dans son Encyclopédie où il précise :

La violence [meurtrière], qui, dans ces phénomènes, est un fondement, n'est pas pour autant un fondement du droit, encore qu'il constitue le moment nécessaire et justifié dans le passage qui s'opère de l'état de la conscience noyée dans le désir et dans la singularité à l'état de la conscience-de-soi universelle. C'est le commencement extérieur, ou phénoménal, des États, non point leur principe substantiel. §433

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C’est le Bien la cause du Mal

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Voilà ce qu'on prendra pour une provocation absurde, impossible à prendre au sérieux car contraire à tout ce qu'on nous serine partout. Et pourtant, tout le monde connaît la formule éculée rappelant que "l'enfer est pavé de bonnes intentions", mais, au fond, personne n'y croit (en dehors des taoïstes). On se persuade que cela ne nous concerne pas et que notre bonne volonté sincère, garante de notre moralité, ne pourrait tomber dans cette malédiction !

Il faut évidemment nuancer ou plutôt préciser de quel Bien majuscule on parle. Ce n'est certes pas que tout positif serait négatif, dans une confusion totale, ni qu'il serait mal de faire le bien, mais plutôt que la poursuite d'un Bien idéal, aussi désirable qu'inaccessible, ne fait que justifier le plus grand Mal sans apporter d'autre positif que la satisfaction de croire montrer ainsi notre haute moralité et défendre nos valeurs humaines.

Ce qu'il faut mettre en cause, c'est plus généralement une éthique de conviction qui s'épuise dans la négation de l'existant, trop hautaine pour se plier à une éthique de responsabilité réellement réformiste, elle, mais jugée sans ambition. C'est pourtant cette responsabilité qu'il faut opposer au volontarisme politique au nom d'une obligation de résultat dans notre situation écologique désespérée, obligation de tenir compte de rapports de force tels qu'ils sont, souvent si peu favorables, hélas, obligation de se salir les mains mais surtout de construire des stratégies intelligentes ayant des chances d'être gagnantes et de produire leurs effets assez rapidement. L'extrémisme est, ici comme ailleurs, contre-productif, et "le mieux, l'ennemi du bien" (à ne pas comprendre de travers).

On fait l'erreur, à chaque fois, d'attribuer le Mal à une cruauté inhumaine, un manque d'empathie et des instincts primaires, alors qu'en dehors de rares cas pathologiques, c'est tout au contraire un Mal spécifiquement humain et presque toujours motivé par le Bien (l'amour des siens, de sa famille, de sa patrie, de sa culture, de son idéologie), souvent prêt à se sacrifier au nom de la plus haute moralité et d'un rêve d'harmonie (divine). En dehors de l'humanité et de sa rage de vengeance et de justice (la dette de sang des vendettas), cette cruauté n'a pas de sens.

Ce n'est pas dire que le mal n'existe pas en dehors de l'humanité. Au niveau biologique, il y est même premier puisqu'on peut l'identifier à l'entropie destructrice contre laquelle l'activité vitale lutte de toutes ses forces pour retarder la mort. L'activité ici a un résultat positif dans la négation de la négation contre ce qui nous menace, elle est bénéfique et le mal qu'elle peut éventuellement produire résulte simplement du ratage. C'est tout autre chose pour Homo sapiens depuis qu'il se raconte des histoires et s'invente des réponses imaginaires à ses maux naturels comme aux mystères du monde.

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La guerre d’Ukraine refonde l’ordre mondial

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C'est la guerre qui fait l'histoire

Si la guerre n'était si tragique, on pourrait trouver comique que la plupart des discours essayent de deviner les intentions des acteurs et surtout qui tire les ficelles d'une histoire qui nous échappe alors que les positions changent avec la situation et les réactions en chaîne qu'elle provoque, aussi bien militairement, économiquement qu'idéologiquement.

Une analyse plus objective de ce qui se révèle comme toujours un engrenage implacable de causes matérielles reste pourtant complètement irrecevable pour la plupart - s'imaginant libre, intelligent et moral, capable de changer le destin, au lieu d'en être le jouet. L'enjeu ici est toujours le même de restituer les causalités extérieures, écologiques, dans leurs violences donc, au détriment des représentations subjectives obligées de s'y plier. Il faut que le passé s'incline devant les porteurs d'avenir. Peu importent les bonnes ou les mauvaises raisons des uns et des autres, ou même leur supposée moralité, seul importe le rapport de force et l'épreuve du feu, l'effectivité prouvée. Il faudra s'en persuader de nouveau, dans le fracas des armes, ce n'est pas nous qui faisons l'histoire mais bien la guerre qui est le père de toute chose - malgré qu'on en ait...

On le vérifie avec la guerre d'Ukraine illustrant parfaitement cette surdétermination où les "acteurs" professionnels ne font que tenir leur rôle dans une confrontation matérielle entre systèmes de production et leur puissance militaire, mais qui leur apparaît comme un conflit idéologique et moral, ou religieux, qui monte vite aux extrêmes en croyant défendre leur ancienne identité alors que le conflit transforme radicalement ces identités en changeant réellement le monde.

Ce n'est pas seulement, en effet, la continuation de l'ordre antérieur, ni une simple redistribution des cartes mais un nouveau stade historique (économique, technologique, géopolitique, démographique) avec, entre autres, ces nouvelles Intelligences Artificielles qui vont bouleverser de nombreux domaines et permettent aussi de mieux comprendre notre propre intelligence, ne faisant qu'extrapoler à partir du passé, de nos apprentissages et lectures. Il n'est donc pas très différent de donner notre propre opinion, plus ou moins mal fondée, sur l'issue de la guerre ou de demander à ChatGPT d'écrire la suite sous la contrainte de l'hypothèse que la Chine ne s'implique pas militairement dans le conflit et que la suprématie technologique continue à faire reculer les troupes russes mal équipées. Dans ce cas, les conséquences géopolitiques de la guerre devraient être très positives (trop?) à un moment crucial de l'unification planétaire.

(cela ne m'a servi que de canevas pour l'arranger à ma sauce).

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On est trop cons

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Voilà, c'est un fait massif auquel il faut bien se résoudre à la fin. On ne peut pas dire que ce soit une découverte pourtant, on peut même dire qu'on le savait depuis toujours - comme tout ce qu'on refoule - mais il faut croire qu'on ne peut pas s'y faire, que c'est même interdit de le dire, très mal vu et désobligeant, à l'opposé du respect exigé et de ce qu'on nous enseigne partout, flattant au contraire notre supposé "bon sens" démocratiquement partagé et notre intelligence supérieure. Il est clair que tout dialogue s'adresse à cette intelligence supposée (sinon à quoi bon?) et considérer les autres comme des imbéciles est ce qu'il y a de plus insultant (même si c'est la triste réalité). A l'instar de toute ma génération élevée au temps du marxisme triomphant et de sa confiance rationaliste en l'Homme, j'ai donc soutenu longtemps avec enthousiasme cette conception trop optimiste, à la fois sur mon intelligence et celle des autres - ce qui n'a pas pu résister si longtemps à l'épreuve...

C'est seulement petit à petit, d'échecs en échecs qu'il a fallu reconnaître notre rationalité limitée, d'abord par une information imparfaite, puis la commune connerie des biais cognitifs, mais bien plus encore par l'irrationalité d'Homo sapiens et son conformisme congénital - sans doute nécessaire à la transmission de savoirs traditionnels mais complètement borné, inaccessible à la critique et adoptant sans sourciller les croyances les plus folles pourvu que ce soient celles de son groupe (les idoles de la tribu). La démonstration n'est plus à faire de notre propension à croire n'importe quoi, mythes ou religions qui signent simplement nos appartenances, influence sociologique primordiale de récits fondateurs, d'idéologies ou de simples modes, bien trop sous-estimés par l'épistémologie (il ne s'agit pas de perspectivisme), ce qu'on ne peut considérer comme purement accidentel et dont nous serions maintenant délivrés.

Les leçons du passé, pourtant innombrables, n'ont pas découragé pour autant une utopie rationaliste renouvelée à l'ère du numérique donnant accès à tous les savoirs mais qui a sombré en bulles informationnelles sur les réseaux sociaux où s'étale au grand jour, en même temps que notre socialité tyrannique, un niveau de connerie qu'on avait quand même peine à imaginer avant, malgré tant d'exemples dans notre histoire. Avec le succès des populistes, il semble qu'on ait franchi en effet un nouveau seuil, celui d'une revendication démocratique à la connerie et aux vérités alternatives au même titre qu'aux religions. Il y a vraiment de quoi désespérer de l'humanité, ne plus rien en espérer en tout cas - du moins en dehors de la solidarité qu'elle manifeste quand même régulièrement dans les catastrophes, tout aussi bien que dans les mouvements de libération actuels, utilisant cette fois les réseaux de façon beaucoup plus positive (sans pour autant que ceux-ci puissent se substituer aux traditionnelles manifestations de rue). Le paradoxe des médias, c'est que, s'ils propagent trop rapidement les pires rumeurs et imbécilités, cela n'empêche pas qu'ils donnent accès aussi au meilleur et à de précieuses connaissances bien plus durables.

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L’invincible liberté

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L'enthousiasme de la jeunesse iranienne pour la première révolution féministe témoigne de la force irrépressible du besoin de liberté qui n'est pas une lubie de l'Occident décadent droit-de-l'hommiste mais bel et bien une aspiration universelle. Evidemment, le risque que cela se finisse en massacre est très grand, puisque pouvant se faire au nom de Dieu, mais qu'on brave ainsi la mort témoigne d'autant plus de la détermination d'un désir d'émancipation qui ne craint pas de s'y exposer - et l'écrasement éventuel du mouvement ne suffira pas à rejeter dans l'oubli cet élan libérateur qui finira par avoir gain de cause.

En fait, c'est dans le monde entier que la jeunesse éduquée ne peut plus supporter le patriarcat traditionnel, la répression sexuelle et les contraintes arbitraires du vieux monde (un peu comme Mai68 en France). C'est la même jeunesse qui a fui la Russie en guerre et sa grande régression culturelle. On peut penser qu'elle se manifestera aussi en Chine un jour ? et en Turquie ? C'est en tout cas ce que laisse penser une jeunesse connectée et uniformisée plus que jamais sur toute la planète, mobilisée de plus par les urgences écologiques, habitant bien une toute autre planète que leurs parents et leurs ancêtres.

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Prendre ses désirs pour des réalités ?

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Ce slogan de Mai68, "prenez vos désirs pour des réalités", avait une charge libératrice, engageant à l'action, à s'affirmer et n'avoir pas peur de prendre des risques, ce qui évoquerait plus aujourd'hui l'esprit d'entreprise et les injonctions du développement personnel que l'esprit de révolte initial. Il n'était pas si absurde pourtant, à cette époque de libération des moeurs et d'émancipation sociale, de prendre au sérieux ses désirs, ou comme disait Lacan, de "ne pas céder sur son désir", car les désirs sont réels aussi et orientent nos vies, rien de pire que de les refouler. C'était alors un important progrès sur le surmoi punitif et a pu participer notamment à la légitimation du désir de libération des femmes, à la simple reconnaissance de leur désir, de leur existence de sujets désirants.

Cette sacralisation du désir avait cependant une face moins reluisante, celle d'un surmoi devenu injonction à la jouissance, idéologie du désir dénoncée dès le début par des marxistes comme Clouscard, soulignant sa complicité avec le libéralisme et la société de consommation qui en constituent incontestablement l'infrastructure matérielle, comme la publicité l'illustrera à outrance. En ce temps-là, la formule de Spinoza affirmant que "le désir est l'essence de l'homme" avait pris le caractère de l'évidence plus que de raison, se situant à l'opposé de l'homme de devoir que tous (curés, moralistes, idéologues, militaires, etc.) professaient avant, glorifiant au contraire le sacrifice des femmes, des soldats, des travailleurs. Là aussi, il faut y voir une conséquence des évolutions du travail qui ne se contente plus de la peine du travailleur pour "créer de la valeur" mais a besoin de sa motivation et veut explicitement mobiliser son désir devenu facteur de production.

Faire du désir un quasi impératif moral est non seulement problématique mais comporte aussi un côté autoritaire incitant les mâles dominants à forcer le consentement au nom du désir - comme le revendiquait Sade ("Français, encore un effort si vous voulez être républicains") - ce qui est abondamment dénoncé dans notre actualité. Il faut bien dire que l'interprétation courante n'allait pas plus loin que de donner crédit à la naïveté de l'enfant roi de croire pouvoir réaliser tous ses désirs, que ce serait même un droit de l'homme en plus d'un devoir, fantasme de toute puissance assez commun mais qui se cogne vite au réel justement. Pourtant rien de plus efficace encore de nos jours que de laisser croire aux foules qu'elles sont toutes puissantes, qu'il ne s'agit que de volonté, appelant logiquement à un pouvoir autoritaire capable de s'imposer à tous pour modeler la réalité selon nos désirs en dépit des résistances et des forces contraires, la libération des désirs se renversant en répression féroce des dissidents.

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L’avenir du développement humain comme libertés concrètes

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On le sait, notre avenir n'est pas assuré tant qu'on ne prendra pas les mesures qui s'imposent pour ne pas nous précipiter nous-mêmes dans l'abîme. On a d'ailleurs commencé depuis peu à réagir devant la multiplication des catastrophes mais on est encore loin de compte. Il faudrait indéniablement une transformation profonde de l'économie pour qu'elle devienne plus soutenable à long terme et affronte le pic démographique mais cela n'a rien de facile et surtout prendra beaucoup de temps. Ce n'est pas ce qui nous sauvera à court terme. Vu l'urgence, il faut se persuader que ce sont des mesures immédiates ciblées et planétaires qui peuvent réduire le réchauffement en cours, en se concentrant sur les plus gros pollueurs, et non un changement radical d'économie à l'échelle de la planète. Il est trop tard. Cela n'empêche pas que ce changement se fera sur le long terme et qu'il est même amorcé depuis plusieurs décennies au nom du développement humain, sans qu'on en prenne toute la dimension véritablement révolutionnaire dans un contexte d'unification planétaire et du passage à l'économie numérique aussi bien que locale.

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Démocratie des minorités ou dictature majoritaire

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Contrairement aux mythes colportés très officiellement sur notre démocratie, notamment la référence constante au Contrat social de Rousseau (revendiqué certes par les révolutionnaires), il faudrait rectifier que nous avons hérité plutôt des institutions des monarchies constitutionnelles postérieures, ce que apparemment presque personne sur l'échiquier politique n'ose avouer. C'est grave car on défend du coup, aussi bien à gauche qu'à l'extrême-droite, une démocratie majoritaire foncièrement illibérale quoiqu'on dise puisque rejetant la séparation des pouvoirs inscrite pourtant dans la déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 mais qui était surtout à la base des monarchies constitutionnelles, raison pour laquelle elles avaient la préférence de Montesquieu.

En conséquence, à part des écologistes attentifs à la diversité, au lieu de promouvoir la démocratie des minorités qui en résulte, celle-ci est dénoncée partout ailleurs comme illégitime (communautariste) face à la volonté de la majorité (confondue avec une volonté générale). Cela paraît à la plupart l'évidence même, alors que c'est une dangereuse illusion. La réalité est bien en effet celle d'une démocratie des minorités qui n'est rien d'autre que la conséquence du règne de l'Etat de Droit et des Droits de l'Homme, c'est-à-dire aussi de la laïcité qui en procède.

Ainsi, une des raisons de la montée inexorable du "fascisme" autoritaire tient du fait qu'elle est paradoxalement alimentée par ses opposants qui font de la surenchère sur le thème du "peuple" idéalisé et de la présentation simpliste d'une majorité lésée par une minorité - qui sera les capitalistes pour la gauche et les musulmans ou les minorités sexuelles pour la droite. Le mythe du souverainisme et de la volonté générale est effectivement indispensable à la prétention de "changer le système", ce qui exige à n'en pas douter un pouvoir fort capable d'imposer à une minorité des votants, parfois à quelques pourcentages près, un ordre nouveau, révolutionnaire, et sortir du capitalisme, du mondialisme ou même de l'évolution technologique. Bien sûr, sans cette "liberté collective" autoritaire il ne reste à la politique nationale qu'un réformisme limité, réduit à l'arbitrage d'intérêts contradictoires, pas de quoi déchaîner les passions des foules.

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Les impasses de l’anti-progressisme

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Même si le progressisme, la confiance dans le progrès, a pu se répandre depuis les Lumières (malgré Rousseau), de son côté la critique du progrès n'a cessé de se faire plus virulente d'abord envers l'industrie déshumanisante et la fin du monde paysan, puis les massacres inouïs de la guerre de 14-18, la bombe atomique, la société de consommation et enfin le numérique aujourd'hui entre écrans, robots et réseaux sociaux. Les ravages du progrès sont depuis longtemps manifestes aux yeux de tous, reconfigurant les territoires et les modes de vie, effaçant le passé, dispersant les familles en individualisant les parcours, hors des anciennes assignations et rôles sociaux. Cela n'a pas suffi pourtant à décourager un progressisme social au moins, ni à freiner en quoi que ce soit un progrès technique qui s'accélère au contraire, ce qu'on ne peut mettre sur le dos de "l'idéologie du progrès" ou des "technophiles", qui ne sont pas si nombreux (la résistance au changement est toujours majoritaire), mais à cause uniquement de l'efficacité matérielle qui s'impose toujours, au moins dans l'urgence, à cause donc du positif de la technique prenant le pas sur son négatif, à la longue même chez la plupart des "technophobes" déclarés.

L'écologie a cependant ajouté à la nostalgie du monde d'avant, la beaucoup plus sérieuse destruction de nos conditions de vie par une industrialisation déchaînée. Cela n'a pas plus ralenti le progrès technique mais a tout de même commencé à produire quelques timides réactions et la transition vers des techniques plus soutenables. Surtout, les premiers effets ressentis du réchauffement climatique ont semble-t-il achevé cette fois le discrédit du progressisme et de ses visions d'avenir radieux. Pour la France en particulier et sa passion de la politique, il faut ajouter encore à la conscience de la finitude de notre planète celle de la mondialisation marchande et de la fin des utopies : il n'y a pas d'autre monde que celui dont nous avons la charge et qu'il nous faut sauver de sa destruction. Tout ceci est amplifié par le sentiment justifié de notre déclin relatif quand les pays les plus peuplés nous rattrapent - n'ayant d'ailleurs pour seule ambition que de nous rejoindre. Pour nous, l'avenir n'est plus un projet positif portant la marque de notre humanité et voué à l'épanouissement de nos talents, se résumant désormais à empêcher le pire (simple négation de la négation). Les tentatives de reconstruire un "projet de société" et d'enthousiasmer les foules par de nouveaux plans sur la comète tombent vite aujourd'hui dans l'indifférence si ce n'est le ridicule. L'avenir est craint plus qu'espéré.

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Se concentrer sur les plus gros pollueurs

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Il y a difficilement plus absurde que le mythe du petit colibri faisant soi-disant sa part avec son petit bec pour éteindre l'incendie de la planète. C'est de la même eau que les petits gestes écolos de chaque jour qui ne servent qu'à donner bonne conscience aux classes aisées qui se dédouanent ainsi à bon compte de leur train de vie. Cela fait longtemps que je dénonce cette écologie individuelle moralisatrice. Le climat n'ayant que faire de nos bonnes intentions, seul compte le résultat bien peu sensible de ces petits sacrifices personnels. La capacité d'action de chacun est vraiment très limitée, avec un impact exclusivement local qui peut d'ailleurs être important à ce niveau mais est absolument insignifiant au niveau global. Privilégier cette vision libérale et culpabilisatrice de l'écologie est une impasse en plus d'être réservée à ceux qui en ont les moyens.

Ce constat déjà ancien m'avait convaincu de la nécessité d'un changement radical de système de production mais, comme j'ai dû l'admettre, qu'il soit nécessaire ne suffit pas hélas à le rendre possible, en tout cas pas assez rapidement pour constituer une solution à court terme alors que c'est maintenant qu'il nous faut réduire drastiquement nos émissions. Pour avoir un effet notable, il reste indispensable d'agir sur l'organisation sociale (production, distribution), comme on l'a fait avec le tri sélectif par exemple, organisation collective sans laquelle les actes individuels n'ont aucune portée. On ne peut plus rêver cependant d'une révolution planétaire instantanée, seulement d'une assez lente transition écologique, effectivement en cours depuis peu bien qu'à un rythme très insuffisant encore, et qui prendra donc pas mal de temps à produire des effets même si on travaille à l'accélérer.

Dans l'immédiat, le plus urgent serait de prendre conscience de l'étonnant petit nombre d'entreprises et d'acteurs globaux qui sont responsables de l'essentiel des pollutions. Ainsi, 70% des émissions de gaz à effet de serre seraient imputables à seulement une centaine d'entreprises, parmi lesquelles 20 entreprises sont responsables d'un tiers des émissions ! Il s'agit surtout de pétroliers, de cimentiers et d'industries métallurgiques ou minières mais c'est à l'évidence sur ces entreprises qu'il faut mettre la pression pour arrêter l'hémorragie en abaissant radicalement leurs émissions de CO2 ou de méthane avec un effet massif et rapide cette fois, sans commune mesure en tout cas avec le fait de baisser son chauffage - ou d'augmenter le prix de l'essence pour ceux qui ne peuvent réduire leurs déplacements.

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La catastrophe annoncée qui vient

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Il n'y a rien de vraiment nouveau, et on ne peut dire que je puisse être surpris par le ton de plus en plus alarmiste du Giec alors que j'étais parmi les premiers écologistes qui en faisaient une priorité, très minoritaires au début (une des raisons pour lesquelles j'avais quitté les Verts), mais voir la catastrophe annoncée arriver, le point de basculement tant redouté étant sans doute déjà dépassé, n'a rien pour nous consoler de l'avoir tant prédit quand c'est la rage de ne pas l'avoir empêché que je ressens plutôt.

C'est le progrès des connaissances qui fait monter l'inquiétude et qui certes n'étaient pas aussi assurées au début des années 2000. On pouvait être effarés de l'inconscience générale des risques à l'époque (après-nous le déluge) mais les "climato-sceptiques" (crétins ou vendus) semaient assez efficacement le doute et les scientifiques restaient prudents à cause de quelques résultats contradictoires, ce qui les menait à une modération sans doute excessive.

D'un autre côté, il y a toujours eu des prophètes de malheur annonçant la fin du monde ou de l'humanité (ce dont il n'est pas question dans le rapport du Giec), exagérations basées sur des raisonnements simplistes et qui ne sont absolument pas nécessaires pour prendre la mesure de toutes les terribles conséquences d'un réchauffement même limité alors qu'on se dirige vers des niveaux extrêmes. On n'évitera pas des catastrophes en série. La seule chose qui permet de garder espoir, c'est que, plus on en subit des conséquences néfastes palpables, et plus on assiste à leur prise en compte effective par les Etats, plus les températures vont monter et plus des mesures drastiques pour réduire le réchauffement pourront être prises.

Il faudrait certainement que la jeunesse se mobilise de nouveau en masse, cette pression de la rue étant indispensable pour légitimer des politiques gouvernementales trop dures à prendre sinon mais ce sera difficile à court terme, dans l'euphorie d'une fin de la pandémie ou dans l'urgence de combattre la montée de l'extrême-droite. Il faut remarquer cependant que malgré toutes les limites du politique et la pression économique, la transition écologique et énergétique est bien en cours, et ceci grâce aux études scientifiques plus qu'aux militants écologistes. Les militants ont quand même un rôle crucial à jouer mais les écologistes ont une obligation de résultat ne pouvant se cantonner à la protestation.

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Les politiques des philosophes

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La philosophie apparaît en général comme une sagesse individuelle, Alain la définissant même comme une "doctrine du salut sans Dieu", même si Dieu y était bien présent jusqu'à Hegel et Schelling au moins. La philosophie politique apparaît par contre assez marginale tout au long de l'histoire de la philosophie mais c'est un peu comme la religion qui semble consister dans l'expérience mystique de l'adepte, sa foi, alors qu'elle a une fonction éminemment sociale (d'adhésion à un récit collectif et d'appartenance à un monde commun, celui de sa secte). De même, on va voir comme les différentes philosophies, opposées entre elles, s'avèrent en fait fonder des politiques et des idéologies encore vivaces, qui toutes promettent un salut, collectif cette fois.

Même Descartes, qui ne s'est guère occupé de politique, a pu faire dire à Tocqueville que la Révolution française était le fait de "cartésiens descendus dans la rue", ce qui est bien sûr exagéré, et peu conforme aux faits, mais n'est pas faux pour autant. Ainsi, la table rase du passé et la tentative de reconstruction rationnelle de la société par les révolutionnaires rejoignent bien la reconstruction rationnelle entreprise par Descartes comme par chaque système philosophique, reconstruction qui s'avère à chaque fois fautive. L'affirmation un peu trop optimiste d'un bon sens qui serait la chose la mieux partagée - ce que tout dément pourtant, notamment les sciences - participera beaucoup aussi à la légitimation de la démocratie, dans une conception "cognitive" de la démocratie, au moins très prématurée, et d'une volonté générale ne pouvant se tromper (pas de malin génie qui nous trompe).

En tout cas, pour ma part, c'est effectivement par souci politique surtout que je me suis intéressé à la philosophie, d'abord sous l'égide de Hegel et Marx, dans le sillage de Mai68, mais ayant fini par adopter une "philosophie" écologique de l'extériorité, je suis devenu plutôt antiphilosophe puisque réfutant aussi bien les promesses d'un salut personnel que d'un salut collectif dans une fin de l'histoire idyllique qui escamote l'extériorité du réel et les causalités écologiques. Les philosophies, qui ont fait avancer les connaissances et permis les sciences rationnelles, ne pêchent pas seulement en effet par ce qu'elles ignorent mais par ce qu'elles veulent refouler in fine grâce à quelque formule magique bien trouvée, le vrai n'étant plus qu'un moment du faux.

L'actualité politique illustre cependant qu'il ne suffit pas de simplement rejeter toute la tradition philosophique pour ne se fier qu'aux sciences car l'influence des diverses métaphysiques est bien réelle, elle aussi, motivant les différents mouvements de l'extrême-gauche à l'extrême-droite, les illusions révolutionnaires et démocratiques tout comme les revendications identitaires ou d'un retour à la nature. Ces illusions métaphysiques prennent des formes opposées entre Marx, Heidegger, Deleuze, etc., mais à chaque fois nous promettent la lune, une vie tout autre. Examiner l'histoire de la philosophie sous cet angle politique est en tout cas assez éclairant (rejoignant d'ailleurs des analyses marxistes).

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Alerte drogues : légalisation ou fascisation

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La bêtise et l'aveuglement peuvent nous coûter cher. Le refus d'écouter les scientifiques n'est pas réservé à une catégorie de la population et ne se limite pas aux complotistes mais peut se propager jusqu'en haut de l'Etat, en particulier au sujet des drogues. Ce n'est pas un sujet mineur par rapport aux questions sociales comme la gauche a pu le penser quand elle ne partageait pas elle aussi l'utopie d'un monde sans drogues (accusées de se substituer à la politique et sans lesquelles les jeunes seraient révolutionnaires!). Les récents événements montrent au contraire que leur interdiction favorise les circuits mafieux et peut gangrener toute la société par la violence. Il y a véritablement péril en la demeure. Il faut sonner le tocsin contre les risques d'un durcissement d'une guerre à la drogue perdue d'avance mais qui amène la guerre dans nos cités et militariserait la société.

La légalisation du cannabis au moins devient un enjeu urgent et absolument décisif pour la sauvegarde de nos libertés. S'enferrer dans la prohibition, quand les autres pays y mettent un terme, serait prendre le risque d'une fascisation de la société comme l'illustrent des policiers du RN appelant à imiter "Les présidents Bolsonaro et Duterte qui obtiennent d’excellents résultats en ayant donné carte blanche à la police pour reprendre le contrôle des zones de non droit". On ne rigole plus. Imaginez que Marine Le Pen gagne la prochaine présidentielle, ce qui n'est plus tout-à-fait impossible, et qu'on lègue une telle situation à un gouvernement d'extrême-droite !

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Rimbaud, la Commune et le retour au réel

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Rimbaud

Qu'est-ce pour nous, Mon Cœur, que les nappes de sang
Et de braise, et mille meurtres, et les longs cris
De rage, sanglots de tout enfer renversant
Tout ordre ; et l'Aquilon encor sur les débris

Et toute vengeance ? Rien !... — Mais si, toute encor,
Nous la voulons ! Industriels, princes, sénats
Périssez ! puissance, justice, histoire, à bas !
Ça nous est dû. Le sang ! le sang ! la flamme d'or !

Tout à la guerre, à la vengeance, à la terreur,
Mon Esprit ! Tournons dans la Morsure : Ah ! passez,
Républiques de ce monde ! Des empereurs,
Des régiments, des colons, des peuples, assez !

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Théories du complot et critique sociale

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Les théories du complot sont, tout comme les mythes et religions, une des manifestations massives des limites de notre rationalité et de nos tendances paranoïaques au délire d'interprétation, manifestant à quel point Homo sapiens est tout autant Homo demens. C'est ce dont on semble refuser absolument de prendre toute la mesure pour ne pas attenter à notre narcissisme et continuer d'entretenir l'illusion de notre fabuleuse intelligence - illusion qui est justement le ressort du complotiste persuadé d'avoir tout compris et de n'être plus dupe de la vérité officielle, ressort plus généralement des militants plus ou moins révolutionnaires.

Ces contre-récits réapparaissent, en effet, à chaque fois que nos anciens modes de vies sont perturbés, que ce soit par la guerre, une épidémie ou une crise économique, les Juifs servant dans tous les cas de boucs émissaires à portée de main (accusés de profanations d’hosties ou de crimes rituels et d’empoisonnements des puits dès le XIIe siècle, jusqu'à la seconde guerre mondiale dont on voulait les rendre responsables). Ce n'est pas si différent d'Oedipe chargé de la culpabilité d'une peste décimant Thèbes, sauf que s'y ajoute l'idée, plus proche de la sorcellerie, d'une volonté humaine agissante derrière de fausses apparences qui masquent les véritables commanditaires et qu’il faut démasquer publiquement afin d'y mettre un terme et retrouver l'harmonie, la transparence et la souveraineté d'un temps passé idéalisé.

Ce dont il faudrait s'étonner, ce serait donc plutôt de notre étonnement pour ce qu'on peut considérer comme une constante tendance de l'esprit humain et de la psychologie des foules que les réseaux ne font qu'étaler aux yeux de tous. Ce qui devrait nous étonner, c'est l'idéalisation, en dépit de toutes les preuves du contraire, de notre intelligence humaine au nom des savoirs péniblement accumulés au cours des siècles, les sciences étant pourtant explicitement basées sur notre ignorance première et la fausseté de nos représentations ou convictions méthodiquement réfutées par l'expérience. C'est pourquoi on peut espérer que la place prise par les théories du complot les plus absurdes constituent un véritable tournant historique nous obligeant à reconnaître enfin notre rationalité limitée contre toutes les utopies rationalistes ?

D'un certain côté, on peut dire qu'il n'y a là rien de neuf depuis les théories fumeuses aussi bien sur l'inexistence que sur la création du virus du sida dans les années 1980 ou, plus récemment, les climatosceptiques s'opposant à la "pensée unique" en s'imaginant déjouer le complot mondial des climatologues (pour capter les budgets de la recherche !). Il y en a eu bien d'autres et à toutes les époques (notamment en 1789 au moment où la Révolution affirmait que ce sont les hommes qui font l'Histoire) mais il faut bien admettre un renouveau depuis le 11 septembre 2001, illustré entre autres par le succès du Da Vinci Code en 2003. Il est quand même remarquable que ce renouveau recycle le plus souvent d'anciennes traditions complotistes, en particulier avec les Illuminati qui en ont constitué une sorte de modèle, simple remake des anciennes théories du complot qui sont toujours des sortes de complots du diable. Le numérique et la globalisation leur donnent cependant une toute autre dimension.

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De l’autonomie à l’écologie

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L'idéal d'autonomie, qui domine le champ intellectuel et politique depuis si longtemps, avait été mis par Castoriadis à la base de sa philosophie qui a toujours des partisans et revient dans l'actualité avec la publication de morceaux choisis sous le nom "Écologie et politique".

C'est l'occasion de reprendre la critique des fondements et de l'inconsistance, au regard d'une philosophie écologique, de philosophies de l'autonomie qui nous avaient tant séduits (chez Castoriadis comme chez Gorz, entre autres) mais qu'on retrouve paradoxalement de nos jours aussi bien dans le développement personnel ou le management que dans les idéologies révolutionnaires mais aussi sous des formes fascisantes, souverainistes, populistes, nationalistes et xénophobes, ce qu'on ne peut continuer à ignorer. De même, la prétendue "institution imaginaire de la société", qui fait de Castoriadis un peu l'héritier de Georges Sorel et du mythe de la grève générale, pourrait être tout autant récupérée par l'extrême-droite et ceci pour la forte raison que remplacer la nécessité matérielle par un conflit de valeurs arbitraires mène à la violence totalitaire, comme on a pu le montrer avec l'interprétation du marxisme par Gentile, le philosophe du fascisme.

Il y a un besoin indiscutable d'autonomie, qui est effectivement vitale comme on le verra, mais à l'idéalisme subjectiviste et moraliste au fondement des idéologies progressistes aussi bien qu'identitaires, on doit opposer le matérialisme écologique, la prévalence de l'extériorité et donc de l'hétéronomie dont il est illusoire de pouvoir se délivrer quand ceux qui le prétendent ne font que se ranger sous une autre pensée héritée, qui va de la tradition révolutionnaire au complotisme et l'antisémitisme. Il se trouve qu'en 1983 un petit livre reprenait une conférence de Castoriadis et Cohn-Bendit sous le nom "De l'écologie à l'autonomie" alors qu'il s'agira ici, tout au contraire, de passer de l'autonomie à l'écologie.

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Prédictions 2020

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La pandémie n'aura pas été une surprise pour les scientifiques qui avertissaient depuis longtemps de leur inéluctabilité. Je pourrais dire que moi-même je l'avais prévu en reprenant cette information sur mon blog, tout comme des rapports officiels ou militaires l'ont fait. Il n'est donc pas si étonnant qu'on voit une vidéo de Bill Gates affirmant, il y a 5 ans, que la plus grande menace viendra d'un virus qui reste asymptomatique le temps de contaminer les autres.

Il faut ajouter que les progrès de l'édition de gènes (CRISPR), rendue accessible à tous, font craindre que la prochaine pandémie puisse venir d'un virus modifié par quelque biologiste fou, sans avoir besoin de moyens importants, mais ce bioterrorisme qu'on peut prédire désormais n'est pas plus pris au sérieux que le risque pandémique n'a été pris au sérieux jusqu'ici. On y croyait d'autant moins que les risques étaient impossibles à estimer et qu'il y avait, comme toujours, des opinions contraires, minimisant leur impact. C'est tout le problème des prédictions, c'est qu'il y en a une multitude et aucune absolument certaine. Tout a toujours été prévu par quelqu'un, donc on trouve fatalement après-coup la bonne prédiction, mais comme il y avait des prédictions contradictoires, il n'était pas si facile de déterminer la bonne avant. Ce ne sont pas les prédictions qui nous ont convaincus du risque épidémique, c'est qu'on le subit, de même que, ce qui a fait passer le risque climatique des scientifiques aux politiques, c'est de commencer à en éprouver des conséquences néfastes et les coûts démesurés alors qu'on n'est qu'au tout début d'un réchauffement bien plus catastrophique.

Ce qui est facile, c'est de faire le procès de ceux qui n'ont pas tenu compte des bonnes prédictions quand on voit le résultat, alors qu'on n'était pas forcément plus clairvoyant à l'époque mais, en fait, il est même contestable qu'on puisse dire qu'on avait vraiment prédit la pandémie actuelle car les scénarios envisagés étaient bien plus terribles avec une mortalité beaucoup plus élevée, alors que les conséquences économiques en étaient sous-estimées qui vont peser sur les prochaines années et accélérer les adaptations au numérique. On peut juste dire qu'on avait attiré l'attention sur le risque d'une pandémie, non pas prévu celle-ci avec ses particularités, encore moins la façon d'y réagir, qui était impensable avant, laissant les gouvernements dans l'incertitude, obligés de prendre ces mesures dans l'urgence, en grande partie par imitation.

Les véritables prédictions sont donc bien impossibles et nous laissent dépourvus devant la menace, obligés de reconnaître notre ignorance en dépit de toute notre Science. Tout ce qu'on peut, c'est présenter les données et tendances actuelles, essayer d'évaluer les risques en sachant qu'on peut se tromper au moins sur leur ampleur, ce qui rend ces prédictions en général à peu près inutilisables. Pire, on l'a bien vu avec la grippe H1N1 et le fait que la ministre Roselyne Bachelot ait été accusée d'avoir surréagi et acheté trop de masques, ce qui a constitué une des causes de leur manque quand la véritable pandémie fut venue. C'est comme les alertes au tsunami. Evacuer de grandes villes pour rien rend très difficile ensuite de prendre la même décision quand il y a un nouveau tremblement de terre. A trop crier au loup, on n'est plus entendu quand le loup est là...

On peut en tirer une certaine typologie de ces catastrophes qui avaient pu être prédites. D'abord, on n'y croit pas, d'autant plus qu'elles sont présentées sous des formes cataclysmiques qui les déconsidèrent et nourrissent un scepticisme plus ou moins intéressé. Puis, quand la catastrophe arrive, on tente le tout pour sauver ce qui peut l'être, bien au-delà de ce que permettait auparavant une politique de prévention. C'est ce qui permet de penser que c'est la catastrophe qui nous sauvera, quand elle devient imminente et ne laisse plus de place au doute et à la temporisation. Il ne faut pas trop se lamenter de l'insuffisance des politiques écologiques actuelles car, immanquablement, elles ne feront que monter en puissance à mesure que les températures n'arrêteront pas de monter (tout comme le niveau de la mer), avec des canicules, des sécheresses, des effondrements d'écosystèmes devant lesquels on ne pourra rester inactifs. Tout ce qu'on obtient aujourd'hui, même minime, est crucial mais ne fait que préparer l'avenir d'une véritable transition écologique qui limite les dégâts ou les répare, mais seulement dans l'après-coup. Il y a ensuite un troisième temps, après le déni puis la réaction, celui de l'après-guerre peut-on dire, ne faisant que refaire la dernière guerre, obnubilé par la crainte d'une deuxième vague avec le risque d'en faire trop (ce qui peut avoir comme on l'a vu, l'effet inverse), au lieu de se préparer à la prochaine et servir de répétition générale nous permettant de mieux affronter les virus plus dangereux qui ne manqueront pas d'arriver et nous trouveront sinon dans le même état de vulnérabilité et d'impréparation qu'on pourra dénoncer à loisir.

Notre situation est contradictoire puisque dans ce monde en bouleversement écologique et technologique, on n'a jamais eu autant besoin de prédictions à long terme, devenues vitales pour le climat, le travail ou l'énergie, mais qui sont à la fois indispensables et impossibles malgré nos moyens considérables. Il est bien évident qu'il est impossible de prédire les prochaines découvertes ou innovations qui pourront résoudre de nouveaux problèmes ou impacter radicalement notre mode de vie, de même qu'il est impossible de prévoir ce que sera notre réaction collective. Malgré tout, que nous ne puissions jamais vraiment déterminer la date, l'ampleur, les conséquences des catastrophes qui s'annoncent, et que, comme toujours, nous devrons agir en situation d'information imparfaite, cela ne doit pas nous empêcher pour autant de faire le point régulièrement et réfléchir à notre futur avec toutes ses incertitudes.

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La politique à l’ère de l’Anthropocène

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Dans la foulée des éléments d'une philosophie écologique (d'une détermination par le milieu et non par le sujet), j'ai regroupé ici un certain nombre de textes qui en tirent les conséquences politiques en dénonçant l'idéalisme de nos illusions politiques (démocratique, révolutionnaire, volontariste, constructiviste, historique). Il ne suffit pas, en effet, de critiquer avec virulence la marche du monde vers l'abîme et toutes ses injustices pour y remédier. Il y a un besoin crucial de critique de la critique (de l'unité prétendue tout comme de l'opposition ami-ennemi ou la simple inversion des valeurs, ou le subjectivisme des critiques de la rationalité, de la réification, de l'aliénation, de la marchandise, etc.) de même qu'il faut critiquer toutes les solutions imaginaires qui viennent à l'esprit (prendre aux riches, supprimer l'argent ou la propriété, arrêter le progrès ou la croissance, augmenter les salaires, réduire le temps de travail, ne pas rembourser ses dettes, supprimer l'armée, se réapproprier les médias, une démocratie radicale, sortir de l'Europe, etc.). Pour retrouver un minimum d'effectivité, il faudrait ajouter à ces impasses, qui condamnent à l'impuissance et réduisent la politique au semblant, les prétentions délirantes d'une réforme de la pensée et d'un homme nouveau rêvés par le romantisme révolutionnaire et les utopies métaphysiques d'avant-gardes artistiques et philosophiques, sans parler de l'étrange sexo-gauchisme comprenant tout de travers l'incidence de la psychanalyse sur la politique, Freud et Marx se limitant mutuellement au lieu de laisser espérer cette libération des instincts harmonieuse attendue d'une révolution fantasmée - comme d'autres peuvent l'attendre d'une vie plus "naturelle".

Après avoir dégagé le terrain de tout ces mythes du XXè siècle, il faudrait se résoudre à ne plus surestimer nos moyens et prendre la mesure de ce qu'implique vraiment de changer de système de production pour avoir une chance d'y parvenir. Il ne s'agit en aucun cas de décourager l'action et prétendre qu'on ne pourrait rien faire mais, tout au contraire, des conditions d'atteindre un minimum d'effectivité. L'urgence écologique ne peut se satisfaire de nos protestations et de nos plans sur la comète d'un monde idéal mais nous impose une obligation de résultats concrets, même très insuffisants. Ce pragmatisme est méprisé à tort par les radicaux sous prétexte qu'il faudrait effectivement tout changer... si on le pouvait, mais le nécessaire hélas n'est pas toujours possible, dure leçon de l'expérience bien difficile à admettre.

L'autre facteur décisif, avec la globalisation, aura été en effet notre entrée dans l'Anthropocène, non pas tant au sens de sa datation géologique que de sa prise de conscience planétaire, entérinant la destruction de notre environnement et de nos conditions de vie. Ce souci écologique constitue un renforcement du matérialisme au détriment de l'idéalisme des valeurs et de la subjectivité, contrairement à ce que beaucoup d'écologistes s'imaginent. La responsabilité écologique n'est pas compatible avec les conceptions millénaristes de la politique et nous enjoint de passer de l'idéalisme utopique au matérialisme de la production, plus sérieusement que les marxistes eux-mêmes, ayant eu trop tendance, paradoxalement, à tout idéologiser (de l'hégémonie culturelle de Gramsci à la Révolution culturelle de Mao, ou la contre-culture post soixante-huitarde). Il s'agit de rétablir que l'idéologie n'est qu'un produit historique correspondant à l'infrastructure matérielle et aux rapports sociaux. Ce n'est pas la pensée qui façonne l'avenir, comme le plan de l'architecte projette à l'avance sa construction, c'est le temps historique qui change nos pensées et façonne le monde sans nous demander notre avis, monde qu'on ne peut reconnaître comme sien, comme celui que nous aurions voulu, mais dont la destruction par notre industrie nous oblige à réagir en partant de l'existant et du possible pour sauver ce qui peut l'être au lieu de ne faire qu'empirer les choses à prétendre désigner un coupable, bouc émissaire de tous nos maux, quelque nom qu'on lui donne (industrie, technologie, productivisme, capitalisme, financiarisation, croissance, globalisation, néolibéralisme, marché, concurrence, consommation, individualisme, domination, etc, cette accumulation suffisant à montrer qu'il n'y a pas de cause simple).

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Les mésusages de l’entropie

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L'entropie est l'un des concepts les plus fondamentaux de la physique. Il est cependant mal assuré. Qu'on songe que le minimum d'entropie peut être aussi bien attribué au zéro absolu qui fige tout mouvement dans une mort thermique qu'à la chaleur maximale du Big Bang avant son inflation la dispersant dans l'univers. Le problème vient du fait que, pas plus que la chaleur, l'entropie n'est une caractéristique individuelle mais qu'elle est toujours holiste, relative à un système et un point de vue sur celui-ci, exprimant le rapport entre deux états d'une évolution temporelle. On peut ainsi relier l'entropie à l'ordre, la différenciation, aux probabilités, donnant lieu, en dehors de la thermodynamique, à de multiples usages plus ou moins légitimes mais dont il faut être conscient des limites. De plus, il faut tenir compte de l'inversion locale de l'entropie qui est cette fois à la base de la biologie (et de l'information), exception qui confirme la règle. Ce n'est donc pas si simple. Si l'entropie est bien notre problème vital et qu'il nous faudrait passer de l'entropie à l'écologie dans de nombreux domaines (en corrigeant les déséquilibres que nous avons provoqués et en intégrant toutes sortes de régulations pour préserver nos conditions de vie), cela ne fait pas pour autant d'un tel concept quantitatif trop globalisant un concept politique opérant - pas plus que de tout ramener à l'énergie que beaucoup identifient un peu trop rapidement à l'entropie.

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Etat d’urgence

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Certains, comme Agamben, se ridiculisent en assimilant l'état d'urgence sanitaire actuel à l'état d'exception de Carl Schmitt et un déchaînement de l'arbitraire du pouvoir. Sa nécessité est niée pour une pandémie dont la dangerosité ne justifierait pas des mesures si radicales alors qu'elles s'imposent par la rapidité de la contagion et la saturation des hôpitaux qui s'ensuit. On n'est pas loin des théories du complot absurdes pour lesquelles le pouvoir étant l'incarnation du mal, il ne peut rien faire de bon. Il n'y a pas que l'extrême-droite qui délire, au lieu de relever justement la radicalité du moment et l'effraction de l'événement dans notre quotidien.

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