La transduction entre le corps et l'esprit


Psychobiologie de la guérison, Ernest Lawrence Rossi, Le souffle d'or, 2002 (1986, 1993)

La psychobiologie de la guérison psychocorporelle repose sur une idée de base essentielle : c'est l'information qui constitue à la fois le concept-clef et le lien entre toutes les sciences, y compris les sciences humaines et l'art thérapeutique. La psychologie, la biologie et la physique ont désormais un nouveau dénominateur commun : l'information. Pour comprendre vraiment comment cela est possible, il faut garder à l'esprit le fait que "toutes les formes d'organisation sur le plan psychologique, physique et biologique, sont en fait des expressions de l'information et de ses transformations" (Stonier, 1990). 45
Communiquer

Rossi prolonge les travaux de Stephen Black (1963, 1969) sur les mécanismes biologiques impliqués dans l'influence de l'hypnose sur le système immunologique ainsi que leur interprétation dans le cadre de la théorie de l'information permettant d'unifier esprit et corps. Bien que ces auteurs semblent ignorer les théories de Laborit, les convergences sont remarquables.

On ne peut penser une véritable séparation de l'esprit et du corps, les passions de l'âme, comme la peur, se traduisant en signes corporels (ce qu'Aristote soulignait déjà). Il y a donc bien unité et, malgré leur séparation, "l'esprit et le corps représentent deux aspects d'un seul système d'information". Ce qui fonde cette unité c'est le fait que l'information n'est ni mentale, ni matérielle mais structure. Il faut rappeler que, selon la théorie de l'information, en tant qu'elle désigne une organisation résistant à l'entropie, l'information représente le véritable fondement de l'être, après la matière et l'énergie, de sa stabilité comme de sa différenciation. "Plus une idée ou un événement est improbable, plus grande sera sa valeur informative". C'est un processus cumulatif, aussi on peut s'attendre à une croissance exponentielle de l'information (p68).

Guérir

L'effort d'unification du savoir autour de la communication, d'une conception cybernétique de la vie et de la société, donne un sens précis aux approches "holistes" comme intervenant sur la signification, l'information, la communication bien que paradoxalement la dimension propre du langage soit complètement négligée au profit d'un "paradigme d'information très large, capable de contenir et de développer toutes les conceptions existantes sur la maladie et la thérapie" 411. Il s'agit en effet d'une théorie unifiée de l'information de la biologie à la psychologie, de l'influence des croyances sur les humeurs jusqu'aux gènes.

L'hypnose n'est qu'un cas particulier de communication, de transmission d'une norme sociale, d'un ordre, d'une information sans passer par la conscience réflexive mais en empruntant semble-t-il les chemins de l'habitude machinale. Elle apporte ainsi une simplification dans l'étude de l'influence de la communication sur le corps en supprimant la division de l'esprit, son individualité critique, sa résistance. A partir de là, il faut bien supposer une possibilité de traduction entre la suggestion et l'état corporel, permettant d'obtenir des effets spectaculaires comme arrêter un saignement ou l'apparition de brûlures. Ce pouvoir des mots et des sorts permet d'unifier toutes les thérapies, des chamans (ou sorciers) aux dernières psychothérapies à la mode, toutes les médecines parallèles des maladies psycho-somatiques qui sont donc des thérapies de la communication intervenant sur les significations. On verra que la notion de rétroaction est la clef des phénomènes de traduction et de contrôle de l'esprit sur le corps.

Traduire

Le phénomène central de cette conception holiste de la communication est la traduction (que je préfère au terme de transduction), "du socioculturel au psychocognitif, au psychocorporel et finalement au cellulo-génétique" 395. Le caractère systémique de l'organisme, de la société, de la biosphère, organisés en niveaux hiérarchisés, implique une régulation généralisée par circulation de l'information, et, plus précisément : mémoires, feed back, cycles d'information (de plus en plus lents à mesure qu'on s'élève dans la hiérarchie).

L'information doit passer par une série de traductions : "sensations, perceptions, émotion, représentation, cognition, identité, comportement" 63. On peut donc définir "la conscience en tant que processus auto-réflexif de transfert d'information" 28 mais "le corps humain tout entier peut être considéré comme un réseau de systèmes d'information imbriqués les uns dans les autres - système génétique, immunologique, hormonal, etc..." Entre chaque système il faut une transduction de l'information, une émission et des récepteurs. "En principe chaque modalité (émotion, imagerie mentale, pensée) peut se transformer en une des autres, au moins en partie" 136.

Reste à rendre compte avec les données de la biologie actuelle, de "comment l'information, reçue et traitée à un niveau sémantique, est-elle convertie en information qui puisse être reçue et traitée à un niveau somatique et vice-versa?". On peut dénombrer en effet 4 systèmes d'information biologiques : système nerveux autonomes avec les neurotransmetteurs, le système endocrinien avec les hormones, le système immunitaire avec les cytokines, et le système vital, comme on pourrait l'appeler, avec les neuropeptides (faim, soif, sexualité, douleurs). Ces systèmes communiquent entre eux ainsi qu'avec les systèmes sociaux et génétiques. On sait que "les systèmes de croyances influent sur le système immunitaire". On peut avoir un système immunitaire déprimé (cancer), hyperactif (asthme) ou parasité (polyarthrite) par des traumatismes psychiques.

Unifier

Malgré la multiplicité des procédés, des circuits, des systèmes et leur caractère décentralisé, il faut maintenir pourtant l'unité de la conscience, de l'humeur et de la volonté qui ne sont pas simples émergences spontanées et aléatoires, même si l'unité des divers états du corps, n'est possible souvent que par la contiguïté (sinon "on perd le fil"). La conscience résulte sans doute de la synchronisation des oscillations neurales mais surtout de la production d'une substance chimique qui la mémorise et détermine notre humeur. Il faut en passer par là. Le cerveau est une glande qui se déverse dans le sang par l'hypothalamus. "L'hypothalamus unifie les systèmes de régulation de base du corps (la faim, la soif, la sexualité, la température, les pulsations cardiaques, la pression sanguine, etc.)" 197, il contrôle l'hypophyse, glande pituitaire contrôlant elle-même les autres glandes. Ce n'est pas une simple sécrétion unilatérale mais une boucle circulaire (cybernétique) d'informations allant du système hypothalamo- hypophyso- limbique jusqu'aux glandes surrénales, et retour (p109). Ce caractère rétroactif est à la fois ce qui permet l'action de l'esprit sur le corps et ce qui rend problématique toute intervention chimique dans le circuit. Il faut comprendre en effet que les échanges chimiques (les molécules messagères) représentent le premier maillon de la communication corps esprit avant les influx nerveux.
Les neurones de l'hypothalamus transforment ainsi l'information neurale de l'esprit en molécules messagères au niveau du corps, selon un processus appelé neurosécrétion, il d'agit là du concept central de la neuroendocrinologie moderne. C'est l'existence de tels transducteurs neuroendocriniens d'information qui nous amène à considérer ce nouveau champ de la psychobiologie comme d'une branche de la théorie de l'information 199.

Tous ces canaux convergent vers le système hypothalamo-limbique, principal centre de la transduction d'information esprit-corps 64, transduction de l'information entre l'esprit et le corps puisqu'elle reçoit de l'information venant de tous les canaux neuraux et agit comme un filtre en ne transmettant au cerveau que les informations nouvelles ou répétées avec insistance 54.

Apprendre

Au niveau biologique, toute information résulte d'un apprentissage exigeant à la fois rétroaction (feed back) et renforcement, passant du besoin à la motivation, à la représentation et au comportement adapté enfin. L'existence de récepteurs modulant les réactions chimiques est ce qui caractérise la biochimie et les transmissions nerveuses. Selon l'état du récepteur, il y a activation ou non de la production de protéines par exemple. On est donc en présence d'une traduction conditionnelle, un peu comme les transistors peuvent moduler un signal. La vie peut se définir ainsi comme une chimie de l'information. "La vie est une qualité de la matière qui surgit du contenu informationnel inhérent à l'improbabilité de la forme" 361.
Les processus de mémoire, d'apprentissage et de comportement liées à l'état, encodés par le système hypothalamo-limbique [...] sont les principaux responsables de la transduction d'information entre l'esprit et le corps 100.
Il ne suffit pas de transmettre une information il faut qu'elle imprime sa marque qu'elle soit suivie d'effets, de mémoire et d'action. Apprentissages et comportements formeraient une mémoire liée à l'état du corps, ses humeurs, ses réactions. Cette mémoire est à plus ou moins long terme, potentialisation par frayages, connexions, facilitations, et qui étend ses conséquences de plus en plus loin, jusqu'aux gènes. L'hypothèse centrale consiste ici à faire des symptômes psychosomatiques une fixation sur un état du corps consistant en une sorte de mémorisation figée d'une réaction adaptative, effet d'apprentissage, dysfonctionnement acquis plutôt que déficit corporel. "Les symptômes psychosomatiques, et peut-être aussi la plupart de problèmes psychocorporels, se forment par un processus d'apprentissage expérientiel - plus précisément l'apprentissage lié à l'état - de modes de réaction typiques du syndrome général d'adaptation de Selye". "Les gens ont des symptômes ou des problèmes quand ils se sentent emprisonnés dans une modalité ou assujettis à une autre", avec le sentiment de rester "bloqué sur des rails". Le rôle de la remémoration du traumatisme serait de redonner accès à l'état du corps pour permettre une nouvelle mémorisation. "Toute remémoration est un recadrage" 280.

Comprendre que nous faisons partie d'un système d'information biologique permet de comprendre qu'il n'y a pas d'autre solution que de "transformer les symptômes en signaux et les problèmes en ressources créatrices" ; ce qui veut dire passer de la perception négative d'une menace (produisant du cortisol) aux effets positifs d'un défi qu'on se donne. "Votre symptôme est votre ami". "Votre symptôme est le signal qu'un changement créatif est nécessaire dans votre vie". Mais ce n'est pas un signal qui ne s'adresse qu'à nous, porteur tout autant d'une signification politique plus globale engageant l'ensemble de la société.

http://jeanzin.fr/ecorevo/grit/rossi_3.htm