Quotas

Je partage avec Bernard la théorie du capitalisme comme rente (Yann
dirait l'appropriation des externalités positives) et donc je me
retrouve dans beaucoup de choses qu'il écrit mais je conteste plusieurs
de ses conclusions. La démonstration de la supériorité des quotas pour
la diffusion du progrès technique et le contrôle international m'a paru
convaincante. L'expression de "marché des bonus/malus" correspond à ce
que je pense souhaitable dans l'immédiat mais il faut bien être
conscient que ce n'est ni le projet américain, ni le projet d'Agarwal
pour lequel on ne peut camoufler le caractère de marché généralisé (mais
qui semble le plus juste à condition que l'argent aille aux populations
et pas aux dictateurs). Dans l'immédiat (La Haye) notre combat doit être
de limiter strictement ce marché centralisé dans une agence mondiale.

Même si je reste partisan des quotas et d'un marché adaptatif, je serais
souvent moins catégorique que Bernard et je trouve dangereux de faire du
débat sur l'utilisation du marché une querelle des anciens et des
modernes. Les écologistes d'ailleurs ne se rangeraient pas si
naturellement que ça dans le clan des modernes et du progrès. Il y a des
réglementations beaucoup plus radicales qu'aucune taxe. Raisonner État
contre marché, si globalement, c'est comparer globalement le jour et la
nuit pour décider qu'il vaut mieux qu'il fasse jour tout le temps.
L'existence d'un marché n'empêche pas de faire appel à la réglementation
lorsque des effets notables en sont attendus. Les marchés ont aussi
beaucoup d'effets pervers.

La comparaison de notre air pollué à une épave est juste et touchante
mais ce n'est pas une raison pour se jeter dans les bras de Locke et
donner un propriétaire à une terre à l'abandon (en fait il y a eu
abandon des terres à cause de l'afflux d'or et d'argent du Pérou, pas à
cause de la négligence publique). Pour que ce ne soit pas une "res
nullius", on peut suivre Aristote pour qui il suffisait qu'il y ait un
res-ponsable désigné (qui pouvait être un esclave donc pas forcément un
propriétaire). Il suffit que la communauté s'en charge vraiment, en
fasse une fonction. La propriété de la pollution ne se justifie pas
théoriquement mais uniquement si elle permet de la diminuer rapidement.

De même, on ne peut passer de la propriété du sol, qui ne laisse aucune
parcelle de la Terre hors du monde marchand, à la propriété de l'air, du
climat, du monde car la totalité ne se réduit pas aux parties. Le climat
n'est pas divisible, le monde ne peut s'échanger (cf l'échange
impossible de Baudrillard). Ces justifications de la marchandisation de
la pollution me semblent donc fallacieuses. Pour ma part je m'oppose à
la marchandisation du monde et ne peut accepter taxes ou marché des
quotas dans un monde capitaliste qu'au regard d'un effet sensible et non
par rapport à ce qui serait son véritable "prix". Il ne peut y avoir
internalisation des externalités car la pollution n'est pas une valeur
quantitative mais est constituée de sauts qualitatifs. Il peut seulement
y avoir un prix de la diminution de la pollution ou de la reconstitution
du milieu. La conséquence c'est que la "totalité" échappe à la loi de la
valeur, s'imposant par une autre nécessité que le simple rapport de
force ou le marché. En d'autre terme, nous pesons plus que nous ne
devrions sur le papier pour la préservation du climat, mais il ne faut
pas négliger les rapports de force pour autant et j'approuve l'appel au
contrôle citoyen ainsi qu'à la démocratie participative mais je serais
plus ambitieux et ne me limiterais pas aux lois Auroux de 1982 !

Ce qui justifie un marché des quotas c'est d'abord l'absence d'autorité mondiale. Le marché est le mode de contrôle le plus approprié car le plus transparent en l'absence d'autorité politique. L'impossibilité d'évaluer la portée de taxes nationales différenciées oblige à définir des mesures quantitatives mesurables ainsi qu'un mécanisme d'ajustement.


 


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