SOMMAIRE

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INTRODUCTION 5

I – la nécessité d’une action internationale contre le réchauffement climatique au nom du principe de précaution *

A – Une certitude : les activités humaines accentuent le phénomène de l’effet de serre *

1) L’effet de serre est d'abord un phénomène naturel *

2) L’effet de serre est accentué par les activités humaines *

B – Un constat : le réchauffement climatique a des conséquences désastreuses sur les équilibres écologiques *

1) La hausse du niveau des océans *

2) La hausse du niveau moyen des températures *

C – Une présomption forte : le lien entre l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre et le réchauffement climatique *

1) Un lien logique *

2) Des constatations statistiques troublantes *

3) Le principe de précaution impose de toute façon
de limiter les émissions de gaz à effet de serre
*

II – Le protocole de kyoto : un outil novateur mais limité *

A – Le passage de simples déclarations d’intention
à de véritables objectifs chiffrés
*

1) La volonté de mettre un coup d’arrêt à l’effet de serre *

2) Des engagements individualisés donc plus contraignants *

3) Un respect des " politiques et mesures " subordonné aux souverainetés *

4) Un champ d’application généralisé *

B – Une application discutable des mécanismes de flexibilité *

1) Les modalités choisies des mécanismes de flexibilité en remettent largement en cause les avantages théoriques *

2) Normalement subsidiaire, la véritable part des mécanismes
de flexibilité reste à préciser
*

C – De nombreuses questions restent en suspens *

1) Le contrôle de la réalisation effective des objectifs n’est pas assuré *

2) Trop flou, Kyoto laisse plusieurs questions importantes en suspens *

3) Des incertitudes pèsent sur la suite de ce protocole *

 

 

 

IIi – La ratification du protocole de kyoto ne doit être qu’une étape de la lutte contre l’effet de serre *

A – Veiller au respect des engagements pris :
la France doit montrer l’exemple
*

1) Pays volontariste malgré des obligations modestes,
la France se doit de montrer l'exemple
*

2) La France a toujours privilégié des plans fondés sur des politiques
et mesures incitatives
*

3) La France a tout à gagner à intensifier son effort dans la lutte
contre le réchauffement climatique.
*

B – Contrôler l’évolution des négociations
sur la mise en œuvredu protocole
*

1) Un devoir de suivi du Parlement *

2) Promouvoir un strict encadrement des mécanismes de flexibilité. *

3) Insister sur la mise en place de contrôles et de sanctions efficaces. *

CONCLUSION *

EXAMEN EN COMMISSION *

ANNEXE 1
-
Etat des ratifications du protocole de Kyoto *

ANNEXE 2
-
Engagements chiffrés de réduction ou de limitation des émissions de gaz
à effet de serre par les pays de l’Annexe I sur la période 2008-2012 (en pourcentage par rapport à 1990)
*

ANNEXE 3
-
Contribution des différents Etats à l'objectif de réduction de 8 %
des émissions de gaz à effet de serre pris par l'Union européenne,
fixé au Conseil des ministres de l'Environnement du 18 juin 1998
*

ANNEXE 4
-
Etude d'impact du projet de loi de ratification *

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mesdames, Messieurs,

 

 

Tempêtes sur la France, inondations au Venezuela ou au Mozambique, pluies diluviennes sur la Chine ne sont que quelques-uns des phénomènes climatiques exceptionnels qui se sont produits ces dernières années. En conséquence, le terme " exceptionnels " se justifie de moins en moins pour décrire des dérèglements du climat de plus en plus habituels, mais toujours aussi destructeurs.

 

Ainsi, la prise de conscience des dangers d’un réchauffement climatique se renforce. De même que le lien entre ce dernier et les émissions de gaz à effet de serre est de moins en moins contesté. C’est pourquoi ce sujet a permis l’une des premières applications du principe de précaution par la Communauté internationale. En effet, la volonté d’encadrer les émissions de gaz à effet de serre s’est exprimée dès 1992 par l’adoption le 9 mai 1992 de la convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique, ouverte à la signature pendant le sommet de la Terre à Rio en juin 1992, puis ratifiée par 171 Etats.

 

Si la convention-cadre a été un pas en avant dans la prise de conscience du changement climatique dans le cadre plus large de la mise en œuvre du développement durable, ses stipulations restent avant tout déclaratives et peu opérationnelles. Elle a néanmoins prévu la réunion annuelle de conférences des Parties à la Convention afin de compléter cette dernière. C’est ainsi que la Conférence réunie à Kyoto en décembre 1997 a permis, l’adoption d’un protocole à la Convention. Ce protocole, résultat de négociations longues et difficiles, notamment entre Européens, Américains et Pays en développement, constitue un incontestable progrès dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Pour la première fois, un véritable objectif quantitatif de réduction de ces émissions a été acquis, même si ces objectifs sont en deçà de ce qui serait nécessaire pour contrer rapidement ce phénomène et si la mise en œuvre pratique du dispositif reste floue.

 

En 1994, la France s’était distinguée par la lenteur de sa procédure d’adoption de la convention-cadre. L’autorisation parlementaire était intervenue alors que la Convention entrait en vigueur et que non principaux partenaires avaient déjà déposé leur instrument de ratification. A l’inverse, cette fois-ci, la France est le premier pays dit de l’Annexe I, c’est à dire les pays ayant souscrit des engagements quantitatifs d’émissions de gaz à effet de serre, à entreprendre sa procédure d’approbation du protocole de Kyoto. La prise de conscience de l’opinion publique et la présence des écologistes au gouvernement ont aussi permis d’accélérer ce mouvement. En outre, ce geste n’est pas uniquement symbolique car il intervient deux mois après l’annonce par le Premier ministre en janvier 2000 d’un programme national de lutte contre le changement climatique. En effet, le protocole de Kyoto a lui seul ne suffira pas à permettre la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Son succès reposera sur la volonté des Parties de réellement l’appliquer et de ne pas profiter de ses zones d’ombre, notamment des mécanismes de flexibilité aux contours encore incertains.

 

Par sa rapidité, la France montre qu’elle soutient la nécessité d’une action internationale contre le réchauffement climatique. Le protocole de Kyoto doit contribuer à cette action, mais il ne doit être considéré que comme une étape intermédiaire indiquant la direction d’un effort à poursuivre.

 

 

I – la nécessité d’une action internationale contre le réchauffement climatique au nom du principe de précaution

 

 

La lutte contre les émissions de gaz à effet de serre ne doit pas être confondue avec la lutte contre la pollution de l’air en général. Cette dernière s’attaque à des nuisances localisées ayant pour conséquence une baisse de la qualité de l’air que nous respirons, prioritairement dans les villes. La lutte contre l’effet de serre est une politique beaucoup plus globale, à l’échelle planétaire, dont le but est d’assurer le maintien de conditions favorables à la vie terrestre. Pour autant, les mesures prises pour réduire les émissions de gaz à effet de serre permettent également de réduire les pollutions locales.

 

 

A – Une certitude : les activités humaines accentuent le phénomène de l’effet de serre

 

1) L’effet de serre est d'abord un phénomène naturel

 

Le rayonnement du soleil n’est qu’en partie absorbé par la Terre, une autre partie est réfléchie par la surface terrestre sous forme de rayonnements infrarouges. Mais, du fait de la présence dans l’atmosphère de gaz dits à effet de serre, une partie de ce rayonnement réfléchi est absorbée.

 

Sans la présence de ces gaz la température moyenne de la Terre serait de – 18°C. Or grâce au double rayonnement induit par les gaz à effet de serre, cette température moyenne est portée à + 15°C, rendant ainsi beaucoup plus aisé le développement de la vie.

 

L’effet de serre est provoqué naturellement par la vapeur d’eau, les nuages, le dioxyde de carbone, le méthane et le protoxyde d’azote.

 

2) L’effet de serre est accentué par les activités humaines

 

La plupart de ces gaz présents naturellement dans l’atmosphère sont également produits par des activités humaines liées à la production d’énergie, aux transports, à l’industrie ou à l’agriculture et par la déforestation. Certaines activités industrielles émettent par ailleurs d’autres gaz à effet de serre (des gaz fluorés), qui, eux, ne sont pas présents naturellement dans l’atmosphère.

 

Ainsi, il est vite apparu dans la communauté scientifique, mais de façon isolée et marginale, qu’une augmentation anthropique de l’effet de serre était possible. Dès 1896 le Suédois Svante Arrhenieus avait montré que l’utilisation massive de combustibles fossiles à base de carbone était susceptible d’augmenter la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Longtemps contestée, cette hypothèse a été avérée par les mesures effectuées depuis.

 

Ces mesures ont en effet mis en évidence une augmentation très sensible de la concentration de l’atmosphère en certains gaz : par rapport à la période préindustrielle, la teneur en protoxyde d’azote (N2O) a augmenté d’environ 15 %, celle en méthane (CH4) a été multipliée par 2,5 du fait de la consommation d’énergie pour un tiers, de l’agriculture pour la moitié, et de la fermentation des déchets pour environ 15 %. La teneur de l’atmosphère en dioxyde de carbone a moins augmenté (environ 30 %), mais il s’agit du plus important des gaz à effet de serre, contribuant pour un tiers à ce dernier. Or cette augmentation est directement liée aux activités humaines, due pour les trois quarts à la combustion des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz naturel) et pour un quart à la déforestation. Ainsi, la teneur de l’atmosphère en CO2 est aujourd’hui de 360 ppm, alors qu’elle n’avait jamais dépassé 280 ppm au cours des 200 derniers millénaires.

 

Ce phénomène d’augmentation de la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère est donc corrélé au développement économique, lequel est très prodigue en carbone. En effet, le développement économique a jusqu'à présent été fondé sur le développement de l’industrie, l’intensification de l’agriculture, le développement des transports…, activités qui rejettent une grande quantité de gaz carbonique.

 

 

B – Un constat : le réchauffement climatique a des conséquences désastreuses sur les équilibres écologiques

 

Même si les raisons n’en sont pas encore précisément déterminées, le réchauffement climatique est une réalité. La température moyenne a augmenté de 0,3 à 0,6°C depuis la fin du 19ème siècle. De plus, ce mouvement s’est accéléré depuis un quart de siècle : le record de l’année la plus chaude du siècle a été régulièrement battu tout au long des années 1990. D’après une étude publiée dans une revue scientifique, chaque mois, de mai 1997 à août 1998, le record du mois le plus chaud depuis que les mesures existent a été battu. Si cette évolution se poursuit, elle aura des conséquences désastreuses sur les équilibres écologiques. .

 

 

1) La hausse du niveau des océans

 

D’ores et déjà, depuis l’époque préindustrielle, le niveau des océans a augmenté de 10 à 25 cm. D’après le rapport du GIEC de 1995, le niveau de la mer pourrait augmenter de 15 à 95 cm d’ici 2100. En effet, le niveau de surface de l'océan s'est élevé par dilatation, l'océan s'étant réchauffé, et aussi parce que le réchauffement du climat s'est traduit par une fonte importante des glaces au niveau des pôles.

 

Cette montée des eaux aurait des conséquences irréparables sur les espaces côtiers. Elle pourrait tout d’abord inonder des pays entiers de basse altitude, comme les états insulaires du Pacifique Sud et jusqu’à 17,5 % de la superficie du Bangladesh. Plus globalement, toutes les régions côtières seraient menacées, notamment les deltas et les rivages à lagunes comme le Languedoc. En effet, on estime généralement qu’une élévation d'un mètre du niveau de la mer induit un recul de 100 m des côtes. Une autre conséquence de ce phénomène résulte dans l’avancée des eaux salées à l’intérieur des terres, notamment dans les régions d’estuaire.

 

 

2) La hausse du niveau moyen des températures

 

Par définition, le réchauffement climatique provoque une élévation des températures moyennes. Or, de nombreux écosystèmes ne résistent pas à des températures trop élevées, les plus fragiles risqueraient donc de disparaître au détriment de la biodiversité : on estime ainsi par exemple que les coraux des Antilles ne survivent pas au-delà d’une eau à 29-30°C. Par ailleurs, une aridification de zones aujourd’hui tempérées serait à craindre, entraînant de grandes difficultés pour l’agriculture. Les zones de montagne subiraient également un bouleversement, avec une baisse estimée de la durée d’enneigement de 20 à 30 % dans les Alpes et les Pyrénées et une disparition de 30 à 50 % des glaciers alpins.

 

A l’inverse, la hausse des températures et de l’humidité favorise le développement microbien et la morbidité. Dans une telle hypothèse, on craint l’augmentation des maladies infectieuses (paludisme, dengue, fièvre jaune…) alors que les maladies cardiorespiratoires seront également favorisées dans les zones urbaines en raison de l’effet de la chaleur sur la pollution de l’air.

 

3) Une plus grande amplitude des cycles hydrologiques

 

La hausse des températures aurait également pour conséquence de déstabiliser les cycles hydrologiques, en augmentant le niveau global des précipitations, ainsi que les phénomènes extrêmes (sécheresses, inondations…).

 

Un indice d’ailleurs souvent avancé de l’existence de troubles liés au réchauffement climatique tient à l’accroissement des accidents climatiques à l’origine de catastrophes naturelles depuis le début des années 1990, en tout premier lieu celles qui seraient liées à l’ampleur exceptionnelle du dernier " el niño ".

 

Le GIEC a estimé à 1,5 à 2 % pour les pays développés, et probablement beaucoup plus dans les pays en développement, le coût des dommages liés à une augmentation de 2,5°C de la température. Pour 1996, le WWF a estimé le coût induit par des catastrophes liées au réchauffement climatique à 60 milliards de dollars.

 

Enfin, les effets des variations climatiques sur la circulation des courants océaniques sont très difficiles à prévoir, mais ils pourraient être majeurs s’ils se manifestaient.

 

 

C – Une présomption forte : le lien entre l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre et le réchauffement climatique

 

 

1) Un lien logique

 

Nous avons rappelé que du fait de la présence naturelle dans l’atmosphère de gaz à effet de serre la température est de 33°C supérieure à ce qu’elle serait en leur absence. Or l’augmentation des concentrations de gaz à effet de serre étant scientifiquement établie, il est acquis que cela induit un effet de serre additionnel, par rapport à l’effet de serre naturel. En raison de la plus grande présence d’humidité dans l’atmosphère, la capacité d’absorption des rayons infrarouges réfléchis de la surface de la terre est plus importante.

 

Aujourd’hui, l’immense majorité des scientifiques croit au lien entre l’émission massive de gaz à effet de serre et le réchauffement climatique. Ainsi, les rapports du GIEC de 1990 et 1995 ont conclu à l’impact des activités humaines sur le changement climatique. Le GIEC a donc pu estimer le réchauffement probable de la planète au siècle prochain, de 1°C d’ici 2025 et jusqu’à 3,5°C d’ici 2100. Encore ne s’agit-il que de moyennes, susceptibles de plus fortes amplitudes selon les régions.

 

 

2) Des constatations statistiques troublantes

 

Même si du fait du caractère encore très récent de la prise de mesures météorologiques, il importe de rester prudent dans l’interprétation des données climatiques, certaines observations et corrélations font légitimement naître certaines inquiétudes. Surtout quand, comme dans le cas présent, elles corroborent des hypothèses scientifiques.

 

Un premier constat tient dans l’augmentation parallèle des températures, d’environ un demi degré, et des émissions de gaz à effet de serre depuis la période préindustrielle. De plus, ce phénomène s’est accéléré ces dernières années : les cinq années les plus chaudes depuis que les températures sont relevées ont toutes eu lieu dans les années 1990.

 

Ce constat statistique ne suffit pas à établir une corrélation scientifique entre les émissions de gaz à effet de serre et le réchauffement de la planète. Celui-ci peut en effet s’expliquer par l’évolution naturelle du climat, marquée sur le long terme par des écarts importants. Ainsi, il y a 18 000 ans, la France était sous les glaces alors que 10 000 ans plus tard le Groenland méritait son nom de " pays vert " au climat tempéré. L’hypothèse est donc parfois soulevée que la terre se dirige vers une nouvelle période chaude. Cependant, une étude menée par des scientifiques sur la base de la structure de la glace dans l’Antarctique (qui constitue une véritable " mémoire " du climat) révèle l’évolution cyclique du climat terrestre : celui-ci évolue par cycles de 100 000 ans en raison des variations de la position de la terre sur son orbite par rapport au soleil. Il en résulte des périodes chaudes brèves mais intenses d’environ 10 000 ans suivies d’une baisse longue et accidentée vers des périodes froides. Nous serions actuellement dans cette phase de refroidissement, peu compatible avec l’hypothèse d’un réchauffement climatique naturel. Certes, il est établi que cette phase n’est pas linéaire et est entrecoupée de courtes périodes chaudes et froides (comme le " petit âge glaciaire " du 17ème siècle en Europe). Mais, l’écart à la moyenne des maximum et minimum glaciaire est d’environ 4,5°C, soit une amplitude finalement assez peu élevée : une éventuelle hausse des températures de 3 à 4°C ne pourrait donc pas être considérée comme une variation normale au sein d’un cycle de refroidissement. Il faut donc constater que le phénomène actuel de réchauffement irait plutôt à l’encontre d’éventuelles tendances naturelles.

 

Un accord existe définitivement entre les scientifiques, malgré les pressions du " Global climate coalition", lobby international organisé par un certain nombre de multinationales fortement émettrices de gaz à effet de serre et visant à contester, sur le plan scientifique, l'origine anthropique ce phénomène. Nombre d'entreprises se sont retirées de cette coalition qui ne parvient pas à des résultats scientifiquement crédibles.

 

 

3) Le principe de précaution impose de toute façon de limiter les émissions de gaz à effet de serre

 

L’importance des présomptions indiquant un réchauffement anthropique du climat suffit à justifier la nécessité de mesures énergiques. En effet, le principe de précaution est un impératif moral, mais il est également un impératif juridique, car c’est lui qui guide l’arsenal de protection internationale de l’environnement. Ce principe, malgré une définition à préciser, fonde notamment la convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique, signée à Rio lors du Sommet de la terre le 13 juin 1992 et complétée par le protocole de Kyoto que nous examinons aujourd’hui. Dans son article 3, alinéa 2, la convention définissait le principe de précaution : " Quand il y a risque de perturbations graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour différer l’adoption de mesures de prévention ".

 

Il faut également souligner que cette exigence de précautions ne saurait être retardée. Du fait du caractère cumulatif des émissions de gaz à effet de serre, tout retard entraîne l’obligation de faire plus tard un effort bien supérieur à ce qui aurait été nécessaire. Une simple stabilisation des concentrations de gaz dans l’atmosphère exige ainsi des mesures fortes et immédiates.

 

II – Le protocole de kyoto :
un outil novateur mais limité

 

 

 

A – Le passage de simples déclarations d’intention à de véritables objectifs chiffrés

 

 

1) La volonté de mettre un coup d’arrêt à l’effet de serre

 

Pour la première fois, le protocole de Kyoto impose un coup d’arrêt au mode de fonctionnement de l’économie depuis la révolution industrielle fondé sur une utilisation intensive des ressources naturelles, matières premières et sources d’énergie mais aussi l’air, pollué par ces activités. En cela, Kyoto a souvent été considéré comme une victoire symbolique. En application du principe de développement soutenable, il est considéré qu’il est maintenant temps de " mettre la marche arrière " à la dégradation de l’environnement.

 

Au-delà de cet aspect, le protocole est un succès car il s’agit d’une démarche assise sur des objectifs précis et chiffrés et non d’une simple déclaration d’intentions. En effet, une première prise de conscience de la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre avait été provoquée par la convention-cadre sur le changement climatique signée en juin 1992 pendant le Sommet de la terre à Rio. A l’époque, la nécessité de stabiliser les émissions de gaz à effet de serre en 2000 à leur niveau de 1990 avait été admise, mais il s’agissait plus d’une orientation préconisée que d’un véritable mécanisme de réduction. Kyoto va plus loin pour deux raisons : tout d’abord car il se fonde sur des objectifs chiffrés, et ensuite car ces objectifs chiffrés imposent de réduire, pour les pays industrialisés, leurs émissions de gaz à effet de serre de 5,2 % sur la période 2008-2012. Il s’agit d’un progrès, même si cet objectif est très peu ambitieux au regard de ce qui serait nécessaire pour stabiliser le réchauffement climatique, à savoir une baisse des émissions de 50 % d’ici 2050. Rappelons que l’Union européenne proposait à Kyoto une réduction de 15 %, cela indique que une fois tenus les engagements de Kyoto, il restera encore beaucoup d’efforts à faire.

 

 

 

2) Des engagements individualisés donc plus contraignants

 

Le caractère contraignant et normatif du protocole de Kyoto est accentué par l’individualisation des engagements de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. En effet, tant que cette réduction n’est qu’un objectif global, elle reste inopérante. Au contraire, dans le protocole, les Etats lient leur volonté pour l’avenir : il s’agit donc d’un véritable traité international normatif et non d’une simple déclaration d’intentions dans la mesure où la souveraineté continue de s’exercer dans un cadre national. De là un texte contraignant passe nécessairement par des objectifs individualisés au niveau national, seul cadre dans lequel ils peuvent être imposés, en dehors du cas particulier de l’Union européenne.

 

Ainsi les principales puissances industrielles de la planète, les pays dits de " l’Annexe I " se sont engagés à atteindre un niveau précis d’émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2008-2012. Sur ce sujet, un grand succès a été obtenu par l’engagement des Etats-Unis de réduire leurs émissions de 7 %. Il est indéniable que cet objectif peut sembler peu ambitieux, notamment comparé à celui de l’Union européenne (- 8 %) alors même que les Etats-Unis émettent 22 % des gaz à effet de serre de la planète et qu’un Américain rejette en moyenne 5 tonnes de dioxyde de carbone par an contre 2,5 pour un Européen et 0,2 pour un Indien. Mais, ce résultat constitue un réel succès au regard de la difficulté des négociations menées à la conférence de Kyoto. En effet, les industriels américains étaient hostiles à tout objectif chiffré tandis que le Président Clinton avait proposé en octobre 1997 de stabiliser les émissions sur la période 2008-2012 au niveau de 1990. Puis, au cours de la négociation, les Etats-Unis ont accepté une baisse de 5 %. L’accord final fut donc un succès sur ce point.

 

 

3) Un respect des " politiques et mesures " subordonné aux souverainetés

 

Dans la négociation de Kyoto, l’un des points de tension les plus délicats, notamment entre les Etats-Unis et l'Union européenne, tenait aux moyens utilisables pour atteindre ses objectifs chiffrés. Les Européens souhaitaient mettre l’accent sur la nécessité de mesures nationales prises par chaque acteur pour réduire ses émissions, afin que celles-ci soient réelles et durables. Les Américains, eux, étaient favorables au commerce des droits d’émission. Comme souvent, la négociation a débouché sur un compromis, mais celui-ci est, dans le texte du protocole, à l’avantage des "politiques et mesures". Malheuresement, la liste jointe n'est qu'indicative avec une liberté totale de choix pour les Etats.

 

En effet, l’article 2 du protocole pose le principe d’une réduction pour chaque pays de l’Annexe I de ses émissions et énumère les moyens " pour s’acquitter de ses engagements prévus " :

 

 

Ce n’est que beaucoup plus loin dans le protocole, à l’article 6, qu’est évoquée la possibilité de recourir à des mécanismes de flexibilité par l’acquisition d’unités de réduction d’émission de gaz à effet de serre auprès d’autres signataires. A la demande de l’Union européenne, il a été précisé (article 6.1.d) que ces mesures de flexibilité ne peuvent venir qu’en complément des mesures prises au niveau national. En conséquence, dans la philosophie sinon dans les dispositions concrètes du Protocole, l’action par les politiques et mesures est le principe alors que les mécanismes de flexibilité sont l’exception et ne devraient être utilisés qu’à la marge.

 

 

4) Un champ d’application généralisé

 

Bien souvent dans les négociations internationales, et tout particulièrement dans le domaine de l’environnement, un champ d’application très large est obtenu au détriment du caractère normatif des stipulations. Or, bien que Kyoto poursuive des objectifs relativement précis, cela ne s’est pas fait par une réduction du champ d’application. Certes, seuls les pays de l’Annexe I se sont engagés sur des objectifs chiffrés, contrairement à ce qu’auraient souhaité les Etats-Unis, mais c’est l’ensemble de la communauté internationale représentée par les 159 pays présents à Kyoto qui a accepté ce protocole, y compris des pays très réticents sur la démarche comme la Chine ou l’Inde. A ce jour, 84 pays ont signé le protocole, dont la Chine.

 

Général, le champ d’application l’est également par les gaz concernés par le protocole : n’est pas seulement pris en compte le dioxyde de carbone (CO2), mais aussi l’oxyde nitreux (N2O), le méthane (CH4), et même les hydrofluocarbones (HFC), les hydrocarbures perfluorés (PFC) et l’hexafluorure de soufre (SF6), pourtant beaucoup plus difficile à mesurer.

 

 

 

 

 

 

B – Une application discutable des mécanismes de flexibilité

 

1) Les modalités choisies des mécanismes de flexibilité en remettent largement en cause les avantages théoriques

 

· Les avantages théoriques des mécanismes de flexibilité

 

L’émergence de l’idée d’un négoce des "droits à polluer", comme moyen de contribuer à la protection de l’environnement est choquante au premier abord, mais également séduisante pour beaucoup du fait de son caractère concret et opérationnel. En effet, l’existence de mécanismes de flexibilité serait sans conséquence sur le niveau global de réduction d’émissions de gaz à effet de serre et pourrait permettre même de l’atteindre plus facilement.

 

Tout d’abord, ils permettent une dépollution au moindre coût. En effet, le coût de la réduction des émissions de gaz à effet de serre n’est pas constant, il dépend du niveau atteint. Les réductions marginales étant les plus coûteuses, il est optimal que les plus gros pollueurs fassent les efforts les plus importants, car à coût identique leur efficacité sera plus grande.

 

Ces mécanismes ont ensuite l’avantage d’introduire plus aisément le contrôle de la réalisation des objectifs, lequel constitue par ailleurs un des points faibles du protocole. En effet, si un véritable marché des droits à polluer est mis en place, il nécessitera de façon obligatoire un contrôle qui sera exigé par ceux qui paient, sous réserve que l'acheteur soit au moins en partie responsable en cas de dépassement du plafond par le vendeur.

 

Enfin, ils révèlent les coûts réels de la dépollution alors que les capacités de maîtrise de l’énergie sont toujours sous-estimées par le marché. Ainsi, ce sont les Etats-Unis qui sont les plus favorables aux mécanismes de flexibilité, or les études de l’Agence internationale de l’énergie indiquent que la demande d’énergie y est très sensible au prix et qu’il existe d’importants gisements d’économie d’énergie. La nécessité d’acheter le droit d’émettre des gaz à effet de serre révélerait donc vite l’intérêt qu’il y a à privilégier la dépollution. Cependant, le même résultat est atteint par la taxation.

 

· Le caractère inefficient des mécanismes de flexibilité envisagés à Kyoto

 

Mais les mécanismes de flexibilité envisagés à Kyoto nous conduisent à formuler les plus vives réserves quant à leur généralisation, au-delà des réserves de principe. Les avantages théoriques de ces mécanismes ne peuvent être atteints que sous des hypothèses très précises qui ne sont pas définies dans le protocole de Kyoto.

 

Concernant tout d’abord les échanges de permis d’émissions négociables entre pays de l’Annexe I prévu à l’article 3.10, le mécanisme semble en l’état particulièrement néfaste. L’allocation des droits d’émission attribués à chaque pays n’a pas relevé d’une décision rationnelle mais d’un rapport de forces. Or les objectifs attribués aux pays anciennement communistes remettent en cause les avantages théoriques du négoce des permis d’émissions : la Russie et l’Ukraine notamment pourront émettre autant de gaz à effet de serre sur la période 2008-2012 qu’en 1990, alors que non seulement leurs économies ont connu une profonde récession au début des années 1990, mais aussi que l’année de référence choisie du début de la période correspond à une époque où le modèle d’économie soviétique, très gaspilleur en énergie, était encore en vigueur. Ces pays disposeront donc nécessairement, même en l’absence de toute politique volontariste, d’importants quotas excédentaires qu’elles pourront revendre à d’autres pays pour leur permettre de dépasser l’objectif qui leur a été fixé. Il s’agira alors de ce qui a été qualifié de vente " d’air chaud ", dans la mesure où l’acquisition de droits d’émission ne reposera sur aucune réduction effective de rejet de gaz à effet de serre.

 

Les deux autres mécanismes de flexibilité – la mise en œuvre conjointe, entre pays de l’Annexe I, et le mécanisme de développement propre, avec des pays en développement – doivent permettre d’éviter cet écueil. Ils permettent aussi d’acquérir des droits d’émission, mais à due proportion des émissions évitées grâce à l’aide apportée par le pays acquéreur dans le cadre de la réalisation de projets (comme par exemple la rénovation d’une usine afin de limiter ses rejets de gaz à effet de serre). En revanche, contrairement au négoce des droits d’émission, ils sont confrontés à d’importants problèmes d’estimation des émissions ainsi évitées et ne reposent pas sur des mesures objectives. Ainsi, le risque existe d’accorder des permis d’émission qui ne seraient pas justifiés par une baisse réelle en contrepartie, considérant la difficulté de procéder à une évaluation réelle des émissions évitées.

 

En outre, le mécanisme de développement propre comporte des inconvénients supplémentaires dans la mesure où il s’applique entre des pays industrialisés et des pays en développement alors que ces derniers n’ont pas d’objectifs de réduction d’émission de gaz à effet de serre. La réalisation d’un projet de MDP entraînera donc une hausse du quota d’émission autorisée par le pays du Nord, dont la contrepartie ne sera qu’une baisse théorique des émissions de gaz à effet de serre dans le pays du Sud dans la mesure où ceux-ci n’ont pas souscrit d’engagements chiffrés. De plus, ce système ne pousse pas les pays du Sud à engager par eux même des efforts, il leur est plus rentable de conserver des gisements potentiels de dépollution qui leur permettront de profiter du mécanisme de développement propre.

 

En plus, si la liste des technologies éligibles au MDP n'est pas précisément définie, le MDP risque de devenir une subvention pour les gros barrages, le nucléaire et le charbon "propre" qui présente par ailleurs bien des inconvénients écologiques autres que l'émission de gaz à effet de serre. Dans ce cas, de grandes associations s'opposeront à juste titre à la ratification.

 

2) Normalement subsidiaire, la véritable part des mécanismes de flexibilité reste à préciser

 

La mise en œuvre de mécanismes de flexibilité peut en théorie être un utile complément afin de rendre possible une réalisation des objectifs grâce à la souplesse qu’ils permettent. Mais, s’ils prenaient trop d’importance, ils enlèveraient tout sens à la démarche de Kyoto, surtout compte tenu des imperfections des conditions de leur utilisation.

 

Ainsi, les Européens avaient obtenu à Kyoto que ces mécanismes soient subsidiaires par rapport aux politiques et mesures qui demeurent la règle. La réalisation effective ce cette règle est peu probable car le protocole en a posé le principe, mais pas les modalités dont la mise en œuvre a été repoussée à des conférences ultérieures. Or, les Européens semblent modifier leur doctrine en la matière alors que se profile la conférence de La Haye. Le 8 mars 2000, la Commission a ainsi présenté deux documents : l’un, relativement précis, est un "livre vert sur l’établissement dans l’Union européenne d’un système d’émission d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre ", l’autre est une simple communication sur les politiques et mesures proposées par l’Union européenne, document particulièrement peu ambitieux, aux contours très flous et absolument pas opérationnels. Même si le livre vert ne traite que des échanges de droits d’émission à l’intérieur de l’Union, il révèle une approche plus compréhensive à l’égard des mécanismes de flexibilité et une moindre confiance dans les politiques et mesures, ce qui ne met pas l’Union en position de force dans la perspective des négociations de La Haye.

 

La position française devra donc rester très ferme sur ce sujet.

 

 

C – De nombreuses questions restent en suspens

 

1) Le contrôle de la réalisation effective des objectifs n’est pas assuré

 

L’adoption d’un système de quotas fondés sur des objectifs très précis d’émissions autorisées de gaz à effet de serre exige la mise en place de moyens de contrôle et de sanctions éventuelles. En effet, l’existence d’objectifs chiffrés est la principale conquête du protocole, il est donc indispensable de pouvoir en vérifier l’application réelle, et si cette vérification révèle le non-respect des engagements pris, des sanctions doivent pouvoir être prononcées. En l’absence de sanctions, dans la mesure où ce que la théorie économique appelle les effets externes de la réduction des gaz à effets de serre ne profitent pas directement aux pays qui les mettent en œuvre, mais à l’ensemble de l’humanité, les comportements de " passagers clandestins " sont favorisés. Si la lutte contre la pollution locale (la pollution urbaine par exemple) donne des résultats directs sur la qualité de l’environnement, la lutte contre l’effet de serre est une politique à beaucoup plus long terme. Ainsi, la crédibilité du protocole de Kyoto passe par la mise en œuvre de sanctions claires et efficaces et d’un mécanisme de contrôle incontestable.

 

Or, les stipulations du protocole sur ces sujets sont floues et imprécises. Ils font l’objet des articles 5, en ce qui concerne le contrôle, et 12, pour les sanctions. Ces deux articles fonctionnent sur le même mode : ils définissent le principe du contrôle ou des sanctions, mais leurs modalités pratiques sont renvoyées, là encore, à des négociations ultérieures. En matière d’environnement, l’expérience montre que le succès d’un dispositif tient largement à la crédibilité de ses aspects institutionnels, indispensables pour en assurer le suivi. L’exemple du protocole de Montréal de 1988 sur la protection de la couche d’ozone est révélateur : l’arrêt effectif de la production de CFC a été permis par l’existence de sanctions commerciales pesant sur les pays exportant des produits à base de CFC. De même, l’Union européenne peut mener une politique efficace de protection de l’environnement grâce à son architecture institutionnelle qui assure le respect effectif du droit communautaire, grâce à l’existence de sanctions financières et juridiques en cas de manquement.

 

2) Trop flou, Kyoto laisse plusieurs questions importantes en suspens

 

Bien qu’adopté par l’ensemble de la Communauté internationale et déjà ratifié par de nombreux pays en développement, le protocole de Kyoto n’a pas résolu la question de la place des pays du Sud dans la lutte contre le réchauffement climatique. En effet, en dépit de l’insistance des Etats-Unis, le protocole ne comprend aucun engagement précis de la part des pays en développement. Ces derniers arguaient à juste titre qu’il n’y avait aucune raison qu’ils fassent les frais de plusieurs siècles de développement industriel intensif du Nord au détriment de leur propre développement. Mais, du fait même de leur industrialisation, c’est au Sud que les principaux gisements futurs d’émissions de gaz à effet de serre se trouvent, certains pays du Sud étant d’ores et déjà de très importants émetteurs de ces gaz, notamment la Chine et l’Inde, laquelle n’a pas signé le protocole. Selon l’OCDE, les pays en développement qui rejetaient 29 % des gaz à effet de serre en 1990 pourraient être à l’origine de 58 % de ceux-ci en 2050. Il est en outre important de noter que l’efficacité énergétique dans ces pays est faible : les potentialités de réduction de " la richesse en gaz à effet de serre de la croissance " sont donc réelles.

 

Ainsi, dès le sommet de Rio, la nécessité pour les pays du Nord de contribuer à la réduction de leurs émissions par les pays du Sud avait été acquise. Il faut en effet permettre que les pays en développement continuent dans la voie de la croissance tout en économisant leurs ressources énergétiques, par des transferts financiers et de technologies. Malheureusement, une seule voie a été choisie à Kyoto dans ce but : celle du marché, par le mécanisme de développement propre dont on a montré par ailleurs les inconvénients. Ce principe est pourtant une perversion des engagements de Rio. Ce dernier prévoyait des réductions dans les pays développés, et une aide technique et financière pour les pays du Sud. Le MDP ne s’attaque pas au fond des problèmes : les pays industrialisés, déjà les plus fortement émetteurs pourront continuer à polluer chez eux puisque le seul intérêt pour les pays du Nord " d’aider " ceux du Sud réside dans les droits à polluer qu’ils peuvent ainsi acquérir.

 

Le protocole de Kyoto ne met pas en place un dispositif définitif de lutte contre le réchauffement climatique. Bien que ses modalités d’application réelles soient loin d’être encore toutes connues, le protocole ne concerne que la première décennie du 21ème siècle. En effet, rien n’est prévu pour l’après 2012 : il faudra donc relancer de longues et difficiles négociations, lesquelles seront encore davantage sous la pression des groupes de pression de l’industrie ou des transports qui auront commencé à subir les conséquences de Kyoto. La poursuite à long terme du processus de réduction des émissions de gaz à effet de serre est donc pour le moins aléatoire.

 

Enfin, le protocole de Kyoto ne prend pas en compte l’ensemble des sources d’émissions de gaz à effet de serre. Le transport aérien en effet est un des responsables principaux de ces émissions, et tout particulièrement de leur croissance. Il rejette déjà 12 % des émissions de CO2 du secteur des transports, ce qui représente une contribution de 3,5 % du changement climatique, qui pourrait passer de 10 à 15 % en 2050 en l’absence de mesures. En outre, une part considérable de ces émissions n’est pas concernée par le protocole, celle liée aux transports internationaux, au prétexte qu’elle ne pourrait pas être attribuée à un pays en particulier. Ce sont ainsi 550 millions de tonnes d’émissions de CO2 qui sont en dehors du champ d’application du protocole, soit l’équivalent des émissions annuelles cumulées de l’Allemagne et du Royaume-Uni. Il faudra bien traiter ce problème même si les tentatives de l'Union européenne de mettre en œuvre une taxe sur le kérosène par exemple ont jusque là échoué.

 

3) Des incertitudes pèsent sur la suite de ce protocole

 

Les stipulations concernant l’entrée en vigueur du protocole prévoient un mécanisme complexe et difficile à atteindre. Celle-ci ne sera acquise que lorsque seront déposés 55 instruments de ratification ou d’approbation (22 l’ont été pour le moment), dont ceux de pays de l’Annexe I représentant 55 % des émissions totales de gaz à effet de serre rejetés en 1990 dans les pays de l’annexe I. Aucun de ceux-ci ne l'a encore fait. De plus, les Etats-Unis étant responsables de plus du tiers desdites émissions, la mise en œuvre du protocole dépend largement de la ratification américaine. Or s’il n’entre pas en vigueur, la crédibilité de l’effort mondial contre le réchauffement climatique qu’il symbolise sera remise en cause. D’éventuelles négociations sur la poursuite de l’effort après 2012 auraient lieu dans un contexte particulièrement défavorable.

 

La principale conquête de Kyoto est en effet la reconnaissance par ce pays, de loin le plus important émetteur de gaz à effet de serre, du caractère non soutenable à long terme d'un mode de développement qui représente l'archétype du développement occidental non durable. Or, le Congrès américain semble déterminé à refuser la ratification, il avait en effet conditionné celle-ci, avant le début de la conférence de Kyoto, à un renforcement des obligations des pays en développement. En revanche, l’administration américaine, et tout particulièrement le vice-président et candidat à l’élection présidentielle Al Gore qui a conduit les négociations pour les Etats-Unis, défend le protocole. Quant à l’opinion publique américaine, elle est de plus en plus sensible au thème du réchauffement climatique qui est de moins en moins contesté par la communauté scientifique américaine. Les analyses du WWF faisant part d’un lien probable entre le réchauffement climatique et le développement des " super ouragans " dans l’Atlantique ont rencontré un certain écho.

 

 

IIi – La ratification du protocole de kyoto
ne doit être qu’une étape de la lutte
contre l’effet de serre

 

 

A – Veiller au respect des engagements pris : la France doit montrer l’exemple

 

 

1) Pays volontariste malgré des obligations modestes, la France se doit de montrer l'exemple

 

Avec des émissions de 1,7 tonne de carbone par habitant et par an, la France fait presque deux fois mieux que la moyenne de l’OCDE (3 tonnes), et trois fois mieux que les Etats-Unis. De plus, en tendance il apparaît que la France parviendra à maintenir pour 2000 ses émissions au niveau de 1990, respectant ainsi l’engagement pris à Rio en 1992 dans la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique, contrairement par exemple aux Etats-Unis ou au Japon.

 

Cette position particulière de la France a été prise en compte dans le cadre de la répartition interne à l’Union européenne des quotas d’émission. En effet, l’Union a obtenu à Kyoto la possibilité de former une " bulle ". Ses membres ne sont pas tenus de respecter individuellement leur quota de réduction d’émission inscrit dans le protocole (fixé à 8 %) car ils se sont engagés à le respecter globalement. En conséquence, l’objectif de réduction inscrit pour la France dans le protocole que nous examinons n’est pas celui qui s’impose à nous. Le quota de la France a en effet été fixé lors du conseil des ministres de l’environnement du 18 juin 1998 à 0 % d’augmentation.

 

Pour autant, le respect par la France de son quota ne se fera pas sans difficulté. La stagnation des émissions de gaz à effet de serre pendant la décennie 1990 a été grandement facilitée par le ralentissement conjoncturel de la croissance entre 1991 et 1996. Or la sensibilité des émissions à la croissance est importante. Afin de stabiliser les émissions de la France à 144 millions de tonnes d’équivalent carbone (niveau de 1990) en 2010, le Gouvernement a mis en place un programme national de lutte contre le changement climatique (cf III. A.2 ) alors qu’en cas d’inaction les émissions s’élèveraient à 160 millions de tonnes. Ce programme est basé sur une hypothèse de croissance de 2,2 % par an, alors que le Conseil européen de Lisbonne des 23 et 24 mars 2000 estime qu’une hypothèse de 3 % est raisonnable. La Mission interministérielle de l’effet de serre a pourtant estimé qu’une croissance de 2,8 % par an entraînerait, là aussi en l’absence de mesure supplémentaire, des émissions à hauteur de 171 millions de tonnes, soit un surplus de 11 millions de tonnes. La France respectera donc l’objectif de stabilisation de la convention-cadre, mais elle le fait en étant sur une courbe ascendante : les émissions de gaz à effet de serre de la France ont d’abord été réduit en dessous du niveau de 1990, mais elles augmentent de nouveau depuis quelques années.

 

Par ailleurs, la position favorable de la France est aussi due à la place du nucléaire dans la production d’électricité. Ce résultat est donc obtenu grâce à une politique énergétique non fondée sur les principes du développement durable. De toute façon, le programme nucléaire français a atteint une telle ampleur qu’il n’est plus possible de compter sur une augmentation du parc nucléaire pour apporter une substitution supplémentaire au recours aux énergies fossiles, ce qui d’ailleurs serait rendu plus difficile par l’ouverture du marché de l’électricité. Le potentiel hydroélectrique en matière de grands barrages est également arrivé en France à un niveau très important, c’est pourquoi les économies d’énergie et les énergies nouvelles et renouvelables (photovoltaïque, éolienne …) sont des priorités.

 

2) La France a toujours privilégié des plans fondés sur des politiques et mesures incitatives

 

Afin de limiter les émissions de gaz à effet de serre, les gouvernements français ont toujours privilégié les politiques et mesures dans les négociations internationales. Dans le cadre des engagements de la Convention cadre de Rio, dès 1993, avaient été annoncés " les premiers éléments pour un programme français de lutte contre l’effet de serre ". En 1995 un " premier programme national de prévention du changement de climat " était élaboré, complété par celui de novembre 1997. Ensuite, la nouvelle Mission interministérielle de l’effet de serre (la MIES), présidée par M. Michel Mousel, a été chargée de préparer le programme destiné à permettre à la France de respecter ses engagements pris à Kyoto et au conseil des ministres européens de l’environnement du 16 juin 1998. Le Premier ministre a ainsi pu présenter en janvier dernier le " programme national de lutte contre le changement climatique ". Cette priorité accordée aux mesures nationales est un point très positif. Celles-ci, d’après le programme, doivent même à elles seules suffire à la France à remplir ses engagements de Kyoto. En outre, il faut souligner que ces mesures de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre ne doivent pas être considérées comme des contraintes supplémentaires apportées aux acteurs économiques.

 

Une première série de mesures vise à poursuivre les efforts entamés dans les plans précédents et à en mettre en place de nouvelles de ce type. Elles se caractérisent, d’après la MIES, par " leurs faibles coûts, par leurs coûts négatifs (effet de double dividende), par le fait d’être sans regret (auxquelles, indépendamment des préoccupations relatives au climat, on aurait d’excellents motifs de vouloir recourir) ou encore par le fait que leur efficacité dépend premièrement d’autres raisons que l’effet de serre mais auxquelles celui-ci gagne à être intégré ". Ces mesures doivent permettre de réaliser près de la moitié de l’effort nécessaire pour atteindre les objectifs d’émission de gaz à effet de serre. La politique de lutte contre le réchauffement climatique se fonde ainsi certes sur des mesures coercitives , de réglementation notamment (comme le renforcement de la réglementation thermique), mais aussi incitatives, par exemple l’effort fait pour le rail dans le XIIème plan. Or l’ensemble de ces mesures s’avère utile, en dehors même de leur impact positif dans la lutte contre l’effet de serre. Elles apporteront des bénéfices en terme de qualité de la vie et de lutte contre les pollutions locales, de facture énergétique, de sécurité routière…

 

Refusant d’utiliser les mécanismes de flexibilité, le programme du gouvernement ne pourra cependant pas réussir sans utiliser aucun instrument économique dans la lutte contre l’effet de serre. Le gouvernement français a ainsi opté pour le recours à la taxation. En effet, cet outil permet de corriger l’externalité négative que constitue l’émission de gaz à effet de serre en intégrant le coût négatif pour la société dans le prix de l’activité polluante, ce que les économistes appellent " l’internalisation " des coûts externes négatifs. Une TGAP (taxe générale sur les activités polluantes) a ainsi été créée dans la loi de finances pour 1999, et étendue par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000. Or cette " éco-taxe " ne doit pas être considérée comme un poids supplémentaire pour les entreprises et une contrainte économique supplémentaire. En effet, son principe est que cet impôt est neutre, il ne doit pas entraîner un alourdissement des prélèvements obligatoires. Mieux encore, son instauration est vue comme un moyen de rendre le système de prélèvements obligatoires plus favorable à l’emploi si elle est compensée par un allégement des charges sociales, plus particulièrement sur les bas salaires. Néanmoins l'éco-taxe ne sera compréhensible et acceptable que si des fonds importants sont consacrés par ailleurs aux alternatives énergétiques, si ces alternatives sont rendues incitatives.

 

Cependant, le recours à une taxation indifférenciée, de l’ordre de 500 F la tonne d’équivalent carbone, peut être très efficace dans le secteur de l’industrie mais beaucoup moins dans le secteur des transports. Afin d’être véritablement efficace dans ce dernier secteur, une éco-taxe devrait être très élevée. Pourtant, le secteur des transports est la clef de la réussite d’une politique de lutte contre l’effet de serre. Il est la fois le secteur émettant le plus de gaz à effet de serre et celui qui connaît la croissance la plus rapide : de 38 % des émissions de CO2 en 1990, sa part est passée en 1997 à 42 % et approchera ou dépassera les 50 % en 2010.

 

 

3) La France a tout à gagner à intensifier son effort dans la lutte contre le réchauffement climatique.

 

Tout en soulignant la position très avancée de la France sur ce sujet, il faut préciser que la lutte contre le réchauffement climatique ne peut réussir que dans le cadre de la prise en compte du développement durable dans tous ses aspects, ce qui constituerait une véritable révolution pour l’ensemble des politiques publiques (politique des transports, politique énergétique, urbanisme…). Pourtant, le caractère décisif du combat contre le réchauffement climatique rendra probablement inéluctable un certain nombre d’évolutions : il est donc préférable de les devancer afin que la France se positionne comme précurseur et ne prenne pas de retard par rapport à ses partenaires.

 

La lutte contre le réchauffement climatique est donc un thème global, une véritable question de société. En conséquence, la politique française ne peut se contenter de fonder uniquement son action sur un catalogue de mesures, même excellentes, démarche qui apparaîtrait trop technocratique. Ce sujet concerne en effet tous les citoyens, un important effort de mobilisation et de sensibilisation à l’acuité du problème peut ainsi être très efficace. A cet égard, il est patent que les progrès faits à partir du premier choc pétrolier concernant la maîtrise de l’énergie ont connu un recul depuis le contre choc pétrolier de 1986. Une politique renouvelée de maîtrise de l’énergie viserait à favoriser des procédés économes en énergie, mais surtout à opérer un infléchissement des comportements. En effet, le chauffage des habitations à un maximum de 19°C, pour lequel les administrations devraient davantage donner l’exemple, la rationalisation de la consommation d’électricité, la baisse de l’utilisation de la voiture pour les petits trajets etc. sont probablement les gisements d’économies d’émissions de gaz à effet de serre les plus importants. Il existe un outil pour jouer ce rôle incitatif, celui de l’Agence pour l’environnement et la maîtrise de l’énergie, l’ADEME. Celle-ci avait joué un rôle positif dans la politique d’économies d’énergie des années 1970 et 1980. Or son budget et ses effectifs ont connu une baisse considérable depuis le milieu des années 1980. Même si les crédits d’intervention de l’ADEME ont été multipliés par 5 en 1999, à plus de 400 millions de francs, ceux-ci ne représentent encore que le dixième des crédits disponibles en 1984.

 

Enfin, dans le cadre de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, il semble évident qu’il est indispensable de fonder une partie importante de notre stratégie énergétique sur les énergies renouvelables. Pourtant, la France est actuellement très en retard sur ce marché pourtant porteur. La part des énergies renouvelables n’y est en effet que de 6 %. D’après M. André Antolini, Président du syndicat des énergies renouvelables, aucune des filières des énergies renouvelables n’a décollé en France, contrairement à nos voisins européens. Notre politique en la matière manque d’ambition et parfois de cohérence : EDF est ainsi tenue d’acheter à Charbonnages de France de l’électricité d’origine thermique, donc fortement émettrice de gaz à effet de serre, à un coût 1,5 fois supérieur au coût de l’énergie éolienne. Ainsi, déjà peu favorisées par des politiques spécifiques, les énergies renouvelables ne trouvent pas actuellement leur place sur le marché énergétique français, sans qu’il s’agisse d’un problème de compétitivité.

 

 

B – Contrôler l’évolution des négociations sur la mise en œuvre du protocole

 

 

1) Un devoir de suivi du Parlement

 

Dans un rapport consacré aux instruments économiques dans la lutte contre l’effet de serre, le sénateur Serge Lepeltier regrettait que le Parlement ne soit pas associé à l’élaboration des plans nationaux de lutte contre l’effet de serre. Plus globalement, il faut constater que notre Assemblée n’est saisie de ce problème qu’à l’occasion des projets de loi de ratification des conventions internationales. Il en résulte que son pouvoir de proposition et de contrôle en est singulièrement réduit, surtout lorsque, comme dans le cas des mécanismes de flexibilité du protocole de Kyoto, de nombreuses stipulations sont floues et ne deviendront opérationnelles que lorsque d’autres décisions seront prises. En outre, les sujétions qui s’imposent à la France dépendent en fait largement de décisions prises au niveau communautaire.

 

En conséquence, le dispositif institutionnel qui s’applique actuellement à ce genre de conventions dans le domaine de l’environnement n’est pas satisfaisant. La lutte contre l’effet de serre, et plus globalement l’ensemble des questions liées au développement durable, sont des problèmes majeurs, dont les conséquences sur la société, le modèle économique, voire tout simplement l’avenir de l’humanité, sont considérables. Dans l’hypothèse d’une réorganisation des commissions permanentes de l’Assemblée Nationale, récemment évoquée par le Président Laurent Fabius, il pourrait être intéressant de reprendre une proposition faite par les Verts : créer une Commission de l’environnement et du développement durable. En effet, cela permettrait de ne pas dissocier artificiellement les aspects nationaux et internationaux de la défense de l’environnement et d’assurer un véritable suivi de la lutte contre l’effet de serre en France.

 

Dans l’immédiat, il est crucial que notre Assemblée puisse suivre les évolutions qui interviendront après l’autorisation du Parlement. Il faut se réjouir de la rapidité avec laquelle le protocole de Kyoto nous est soumis, cela révèle le fort niveau de préoccupation du Gouvernement français sur le thème du réchauffement climatique. Mais si la France sera le premier pays de l’Union européenne à donner son approbation, c’est parce que nos partenaires ont préféré attendre de connaître les résultats de la conférence de La Haye avant de le soumettre à leur Parlement. Il serait donc paradoxal que le Parlement français soit totalement absent des discussions fondamentales qui auront lieu à La Haye. Elles sont en effet susceptibles de modifier en profondeur le sens du protocole. Votre Rapportrice est donc favorable à ce que la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale joue un rôle dans la préparation de la Conférence des Parties de La Haye. Cela peut passer par exemple par des auditions de nos négociateurs avant le début de la conférence ou encore par l’organisation d’une réunion plus exceptionnelle, comme un forum réunissant à l’Assemblée nationale l’ensemble des acteurs concernés (administrations, associations, industriels…).

 

 

2) Promouvoir un strict encadrement des mécanismes de flexibilité.

 

La Conférence des Parties de La Haye en novembre 2000 sera décisive pour la mise en œuvre pratique des mécanismes de flexibilité prévus aux articles 6, 11 et 17 du Protocole.

 

Ceux-ci posent d'emblée un problème de fond (la pollution de l'air peut-elle constituer un marché ?) et un problème de mise en œuvre (quelle gestion, quel contrôle, quelles sanctions ?) C'est pourquoi votre Rapportrice n'est pas favorable à l'instauration de permis à polluer négociables. Néanmoins, dans la mesure où cette possibilité existe, il convient d'être pragmatique et de l'encadrer au mieux.

 

Ainsi la première priorité des négociations sera l’instauration d’une surveillance des éventuels acquéreurs de permis d’émission. Il faudra éviter que de tels achats constituent une véritable dérive remettant en cause les objectifs du protocole. Un débat aura ainsi pour thème la part que ces mécanismes pourront prendre par rapport aux politiques et mesures. D’après les stipulations du Protocole, on sait que " tout échange de ce type vient en complément des mesures prises au niveau national ". Les interprétations les plus diverses peuvent être faites de cette formule. Il importe néanmoins que l’Union européenne insiste au moins pour la mise en place d’un plafond maximum autorisé de recours aux permis d’émissions. Renoncer à ce plafond constituerait un recul par rapport aux engagements pris en décembre 1997.

 

Imposer un prix plancher des droits d’émissions est également une nécessité absolue. On a montré en effet que l’intérêt en termes de coûts des mesures de dépollution était généralement sous évalué. Ainsi l’instauration d’un prix plancher des droits d’émission aurait pour conséquence de " laisser sa chance " à la mise en place de procédés moins polluants par les entreprises, qui révéleraient d’ailleurs dans la majorité des cas le caractère compétitif de ces mesures par rapport aux mécanismes de flexibilité.

 

Du côté de l’offre de permis d’émission, une stricte vigilance doit aussi s’exercer. La vente de tels permis ne se justifie en effet uniquement que si elle est sans incidence sur le niveau global des émissions de gaz à effet de serre. A l’inverse, profiter d’un quota autorisé surévalué pour procéder à de tels échanges revient à vendre de " l’air chaud ". L’Union européenne devra donc s’assurer que la vente de droits d’émission sera exclusivement la contrepartie d’efforts réels, précis et identifiables de réduction des émissions. Dans le cas des pays en transition vers une économie de marché, il est ainsi certain que le mécanisme de mise en œuvre conjointe est préférable à de simples ventes de droits d’émission.

 

Ainsi, en l’absence de structure institutionnelle forte assurant l’application par chacun de ses engagements, la crainte existe de voir certains pays être tentés de vendre des droits d’émissions qu’ils ne possèdent pas. Il est donc souhaitable que les éventuels acquéreurs de ces droits se préoccupent de cette question. Pour cela, ils doivent être considérés comme co-responsables d’un non-respect de ses engagements par un pays auquel ils auraient acheté des droits d’émissions : l’augmentation du quota ainsi obtenu par le pays acquéreur ne devrait pas être prise entièrement en compte.

 

La question de la nature des réductions réalisées par un pays vendeur de droits d’émission est également décisive pour la mise en œuvre conjointe et le mécanisme de développement propre. Faut-il par exemple permettre la vente de droits d’émission contrepartie d’une réduction permise par l’installation de centrales nucléaires ?

 

Enfin, il est indispensable de promouvoir un strict encadrement des mécanismes de flexibilité intertemporelle. En effet, certains économistes américains considèrent qu’il peut être plus intéressant en termes de coûts de procéder à une réduction des émissions de gaz à effet de serre à la fois plus tardive et plus intensive. Cependant, dans le cas des gaz à effet de serre, ce raisonnement est dangereux en raison du caractère cumulatif des émissions de ce type de gaz. Ainsi, tout retard dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre se traduit par l’obligation d’entreprendre dans la période suivante un effort nettement plus fort que celui qui aurait été nécessaire .

 

On le voit, la mise en pratique des permis d'émission négociables relève de multiples questions à ce jour non résolues.

 

 

3) Insister sur la mise en place de contrôles et de sanctions efficaces.

 

On a déjà montré (cf. II. C. 1) que la crédibilité du dispositif de Kyoto dépend étroitement de l’existence de contrôles et de sanctions efficaces. Or ces derniers ne sont qu’évoqués dans le protocole, leur mise en œuvre pratique, comme celle des mécanismes de flexibilité, dépend de décisions de la Conférence des Parties. D’ailleurs, ces deux thèmes sont étroitement liés. Ainsi, dans la mesure où il apparaît que les Européens se sont ralliés aux mécanismes de flexibilité, il faut au moins obtenir à La Haye en contrepartie la mise en place de contrôles réels de la réalisation des engagements de chacun et de sanctions s’ils s’avèrent que ces derniers n’ont pas été respectés. Il est d’autant plus nécessaire de progresser sur ce point dès la Conférence de La Haye que la mise en place des mécanismes de flexibilité est directement liée à la question du contrôle et des sanctions. A partir du moment où un véritable marché des permis d’émission se développe, il ne peut fonctionner sans contrôle ni sans sanctions.

 

Cependant, si un accord semble envisageable sur le principe, de nombreuses modalités peuvent être envisagées. Sur la question du contrôle, le point décisif est de s’assurer de la crédibilité du futur mécanisme. En revanche, sur les sanctions, les débats portent sur leur nature même. Il s’agit là d’une question relativement difficile. En effet, les sanctions financières paraissent être le moyen le plus adapté à la complexité du problème. Or de telles sanctions financières peuvent être considérées comme un moyen déguisé de renforcer la part des mécanismes de flexibilité, puisqu’il suffira d’accepter de payer des amendes pour pouvoir dépasser son quota d’émission. Des sanctions financières qui ne seraient pas accompagnées d’autres types de mesure – par exemple l’obligation pour un pays n’ayant pas respecté ses obligations d’augmenter la part des politiques et mesures dans la période suivante – ne suffiront donc pas. L’Union européenne s’est ainsi prononcée pour un système global du contrôle de conformité comprenant un volet " facilitateur " et un volet contraignant. En tout état de cause, il faudra s’assurer qu’en aucun cas l’objectif global d’émissions de gaz à effet de serre ne sera dépassé.

 

Pour autant, dans le cadre d’une négociation internationale, nécessairement fondée malheureusement sur un respect sourcilleux des souverainetés, il s’avérera toujours difficile de mettre en place un système véritablement contraignant, d’autant que les stipulations de l’article 27 du protocole relatives à sa dénonciation sont très souples. En fin de compte, ce seront donc les opinions publiques qui seront les juges en dernier ressort de l’application de leurs engagements par leurs gouvernements. Aux Etats-Unis par exemple, où la population semble de plus en plus sensible au risque de réchauffement de l’atmosphère, cela pourrait jouer dans un sens positif. Dans ces conditions, il sera donc particulièrement important de disposer d’outils fiables de contrôle afin d’informer les opinions publiques.

 

CONCLUSION

 

Le protocole de Kyoto est un instrument utile et novateur dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, bien qu’insuffisant et flou.

 

La nécessité pour la France d’approuver au plus vite le protocole de Kyoto est pourtant réelle, surtout dans la perspective de la présidence française de l’Union européenne, pendant laquelle se déroulera la Conférence de La Haye. Les enjeux de celle-ci sont en effet décisifs pour l’application réelle des engagements pris à Kyoto. La France doit donc donner un signe fort de sa détermination dans la lutte contre le réchauffement climatique, déjà révélée par l’annonce en janvier 2000 par le Premier ministre du programme national de lutte contre le changement climatique.

 

Votre Rapportrice vous recommande donc d’approuver le projet de loi autorisant l’approbation du protocole de Kyoto.

 

 

 

 

EXAMEN EN COMMISSION

 

 

 

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mardi 28 mars 2000.

 

M. Jacques Myard a remercié Mme Marie-Hélène Aubert d'avoir exposé un sujet qu'elle connaissait bien, qu'elle a contribué à promouvoir et qui constitue un nouvel axe de développement du droit international justifié contrairement à certaines directives européennes inopérantes. Toutefois celle-ci semble avoir oublié dans son exposé que c'est grâce à la politique nucléaire menée par la France pendant plusieurs décennies et sous divers gouvernements que de bons résultats en matière de rejets polluants ont été obtenus.

 

M. Pierre Brana a expliqué que la politique d'économie d'énergie avait évolué dans le temps. Dans les années quatre-vingts on craignait surtout l'épuisement des réserves énergétiques ; plus tard la pollution et le réchauffement de la planète ont été à l'origine de ces politiques. Selon lui la calorie qui ne pollue pas et qui ne participe pas à l'effet de serre est celle que l'on n'utilise pas. C'est pourquoi le développement des transports en commun notamment ferroviaires constitue une source considérable d'économie d'énergie.

 

S'il s'est déclaré favorable à l'adoption du protocole de Kyoto, il a regretté que les objectifs fixés aient été insuffisants, qu'aucun contrôle ni pénalité ne soit prévu et que le transport aérien ne soit pas intégré dans cet instrument. Or, ce moyen de transport, appelé à se développer, dégage des gaz polluants et contribue à l'effet de serre.

 

Mme Odette Trupin a estimé que si l'on pouvait se féliciter du rôle pilote de la France dans l'élaboration du protocole de Kyoto l'autosatisfaction n'était pas de mise. Il est urgent d'agir car les scientifiques présument qu'un lien entre gaz polluant et effet de serre existe. Elle s'est inquiétée du faible nombre de signataires de conventions limitant l'effet de serre et du refus de la Chine et de l'Inde de les signer. Elle a jugé crucial pour l'avenir de la planète qu'un contrôle soit exercé et a demandé que la France exerce des pressions auprès des non signataires ou des pays qui souhaitent obtenir des permis de polluer.

 

 

Répondant à ces interventions, Mme Marie-Hélène Aubert a estimé que M. Myard avait raison de soulever la question du nucléaire. Ce type d’énergie émet peu de gaz à effet de serre, mais a d’autres inconvénients, notamment en raison de ses déchets. Il n’est pas souhaitable qu’elle soit favorisée dans le cadre du mécanisme de développement propre avec les pays du Sud. Dans le cas de la France, il est exact que le recours à l’énergie nucléaire a permis à la production d’électricité d'émettre peu de gaz à effet de serre, bien que la politique d'économies d’énergie soit aussi un facteur d’explication. Cela justifie que l'effort se concentre sur le secteur des transports.

 

Les économies d’énergie sont, selon elle, un gisement très important de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les gaspillages d’énergie sont considérables, le développement de la climatisation dans les automobiles en est un exemple. Malheureusement, la politique française d’économie d’énergie est devenue beaucoup moins ambitieuse alors que le coût du pétrole baissait après le contre-choc pétrolier de 1986. Un outil envisageable afin de prendre en compte cette question du coût est la taxation. Mais, une telle taxe n’a pas encore pu être mise au point au niveau européen : une taxe plus spécifique sur le kérosène a également échoué.

 

Répondant à Mme Trupin, Mme Marie-Hélène Aubert a souligné la lenteur de ce type de négociations, alors même qu’elles concernent un phénomène extrêmement préoccupant. Elle a redit que la France est l’un des rares pays à résister à la tentation et à facilité des permis négociables. Les propositions récentes de la Commission européenne montrent au contraire que celle-ci semble évoluer dans le mauvais sens. C’est pourquoi la pression des élus et des opinions publiques est indispensable pour que les gouvernements restent volontaristes.

 

Conformément aux conclusions de la Rapportrice, la Commission a adopté le projet de loi (n° 2183).

 

*

 

* *

 

La Commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

 

NB : Le texte du protocole figure en annexe au projet de loi (n° 2183).

 

 

ANNEXE 1

Etat des ratifications du protocole de Kyoto

 

PAYS

SIGNATURE

RATIFICATION

Allemagne

29/04/98

 

Antigua et Barbuda

16/03/98

03/11/98

Argentine

16/03/98

 

Australie

29/04/98

 

Autriche

29/04/98

 

Bahamas

-

09/04/99

Belgique

29/04/98

 

Bolivie

09/07/98

 

Brésil

29/04/98

 

Bulgarie

18/09/98

 

Canada

29/04/98

 

Chili

17/06/98

 

Chine

29/05/98

 

Iles Cook

16/09/98

 

Costa Rica

27/04/98

 

Croatie

11/03/99

 

Cuba

15/03/99

 

République tchèque

23/11/98

 

Chypre

-

16/07/99

Corée

25/09/98

 

Danemark

29/04/98

 

Equateur

15/01/99

13/01/00

Egypte

15/03/99

 

El Salvador

08/06/98

 

Espagne

29/04/98

 

Estonie

03/12/98

 

Etats-Unis d'Amérique

12/11/98

 

Communauté européenne

29/04/98

 

Fidji

17/09/98

 

Finlande

29/04/98

 

France

29/04/98

 

Georgie

-

16/06/99

Grèce

29/04/98

 

Guatemala

10/07/98

05/10/99

Honduras

25/02/99

 

Indonésie

13/07/98

 

Irlande

29/04/98

 

Israël

16/12/98

 

Italie

29/04/98

 

Jamaïque

-

28/06/99

Japon

28/04/98

 

Kazakhstan

12/03/99

 

Lettonie

14/12/98

 

Liechtenstein

29/06/

 

Lituanie

21/09/98

 

Luxembourg

29/04/98

 

Malaisie

12/03/99

 

Maldives

16/03/98

30/12/98

Mali

27/01/99

 

Malte

17/04/98

 

Iles Marshall

17/03/98

 

Mexique

09/06/98

 

Micronésie

17/03/98

21/06/99

Monaco

29/04/98

 

Mongolie

-

15/12/99

Nouvelle Zélande

22/05/98

 

Nicaragua

07/07/98

18/11/99

Niger

23/10/98

 

Niue

08/12/98

06/05/99

Norvège

29/04/98

 

Ouzbékistan

20/11/98

12/10/99

Palau

-

10/12/99

Panama

08/06/99

 

Papouasie Nouv. Guinée

02/03/99

 

Paraguay

25/08/98

27/08/99

Pays-Bas

29/04/98

 

Pérou

13/11/98

 

Philippines

15/04/98

 

Pologne

15/07/98

 

Portugal

29/04/98

 

Roumanie

05/01/99

 

Royaume-Uni

29/04/98

 

Russie

11/03/99

 

Sainte-Lucie

16/03/98

 

Saint-Vincent et Grenadines

19/03/98

 

Samoa

16/03/98

 

Seychelles

20/03/98

 

Slovaquie

26/02/99

 

Slovénie

21/10/98

 

Iles Salomon

29/09/98

 

Suède

29/04/98

 

Suisse

16/03/98

 

Thaïlande

02/02/99

 

Trinidad et Tobago

07/01/99

28/01/99

Turkmenistan

28/09/98

11/01/99

Tuvalu

16/11/98

16/11/98

Ukraine

15/03/99

 

Uruguay

29/07/98

 

Vietnam

03/12/98

 

Zambie

05/08/98

 

TOTAL

84

22

 

* en gras : pays de l'Annexe I

 

ANNEXE 2

 

Engagements chiffrés de réduction ou de limitation des émissions de gaz à effet de serre par les pays de l’Annexe I sur la période 2008-2012 (en pourcentage par rapport à 1990)

 

 

PAYS

ENGAGEMENTS CHIFFRES

Allemagne

- 8 %

Australie

+ 8 %

Autriche

- 8 %

Belgique

- 8 %

Bulgarie

- 8 %

Canada

- 6 %

Communauté européenne

- 8 %

Croatie

- 5 %

Danemark

- 8 %

Espagne

- 8 %

Estonie

- 8 %

Etats-Unis d'Amérique

- 7 %

Finlande

- 8 %

France

- 8 %

Grèce

- 8 %

Hongrie

- 8 %

Irlande

- 8 %

Islande

+ 10 %

Italie

- 8 %

Japon

- 6 %

Lettonie

- 8 %

Liechtenstein

- 8 %

Lituanie

- 8 %

Luxembourg

- 8 %

Monaco

- 8 %

Norvège

+ 1 %

Nouvelle Zélande

0 %

Pays-Bas

- 8 %

Pologne

- 6 %

Portugal

- 8 %

République tchèque

- 8 %

Roumanie

- 8 %

Royaume-Uni

- 8 %

Russie

0 %

Slovaquie

- 8 %

Slovénie

- 8 %

Suède

- 8 %

Suisse

- 8 %

Ukraine

0 %

TOTAL

- 5,2 %