Pour un débat sur le Revenu Social Garanti


Le but de ce texte rédigé dans le cadre de l’intergroupe " revenus ", intergroupe commun aux commissions " social " et " économie " est de lancer un débat sur le Revenu social garanti (RSG) chez les Verts. En effet les discussions du groupe ont montré que s’il y avait un consensus sur les revendications à court terme, instaurer un Revenu social garanti (RSG), il n’en était pas de même sur la signification de cette première étape pour un projet de société à long terme, qu’on s’accorde tous à appeler un " développement durable ".

  1. Consensus pour un premier pas : le RSG

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    A court terme en effet tout le monde est d’accord pour lutter contre l’exclusion et la misère en faveur de ceux qui passent dans les mailles du filet de la protection sociale et qui sont exclus de l’intégration dans la société par un travail salarié tout exploité et tout aliéné qu’il soit. Pour eux il s’agit de faire un premier pas et de leur reconnaître le droit à un revenu permettant une existence décente dans nos économies de marché, droit inscrit dans notre Constitution : il s’agit d’instaurer un Revenu social garanti (RSG).

    Celui-ci prend forme d’une allocation différentielle garantissant les ¾ du SMIC (soit 4000 F par mois environ actuellement).

    Les bénéficiaires potentiels sont :

    1. les jeunes de 18 à 25 ans qui arrivent sur le marché du travail ;
    2. ceux qui bénéficient des minima sociaux ;
    3. tous les citoyens qui ont un revenu d’activité ou qui sont inscrits à l’ANPE.
    Ce revenu est cumulable pendant un certain temps avec un revenu d’activité afin d’éviter la " désincitation à travailler ".

    " Activité " est à entendre au sens large : les associations et les entreprises " d’utilité sociale " du tiers secteur ont vocation à distribuer des revenus d’activité monétaires ou en nature.

    Pourquoi cette timidité apparente ? C’est que les coûts en jeu sont importants : la solution extrême d’une allocation universelle (versée à tous, femmes, hommes, enfants, actifs et inactifs, etc.) et inconditionnelle (quel que soit le revenu d’activité ou non) du niveau du RSG (50000 F par an), non imposable, pour 60 millions d’habitants représente 3000 GF (le PIB est de l’ordre de 8000 GF et le budget de l’Etat de 1800 GF).

    La solution " minimale " garantissant une différentielle de 4000 F par mois à toute la population vivant au dessous du seuil de pauvreté (2/3 du SMIC par unité de consommation, ce qui correspond très approximativement justement au niveau garanti par la différentielle) évaluée à une dizaine de millions de personnes reviendrait à 250 GF, soit un facteur 10 par rapport au RMI actuel (20 GF environ).

    On sait qu’il y a consensus (avec le PS notamment) pour un RSG tel qu’il est défini plus haut. Il reviendrait à 60 GF environ. Un tel RSG (voir le rapport du Conseil d'analyse économique de Bourguignon et Bureau sur " l’architecture des prélèvements obligatoires ") permet de corriger les injustices du taux marginal d’imposition sur les bas revenus qui induit une " véritable trappe à pauvreté ". La réforme dessinée ainsi par le PS se limite à ce premier pas : il s’agit d’une conception keynésienne où le marché du travail est sécurisé (à la différence de la conception libérale, il ne s’agit pas d’une marchandise ordinaire), mais où le salariat garde le monopole de l’intégration sociale. Pour le PS le premier pas est le dernier.

    Pour les Verts par contre il ne s’agit que d’un premier pas, important certes ; mais vers quoi à long terme ?
     
     

  3. Un premier pas vers quoi ?

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    Deux écoles de pensée s’affrontent chez les Verts pour savoir ce vers quoi nous voulons nous diriger à long terme avec ce premier pas, le RSG. En caricaturant les conceptions du monde, l’école " anti-travailliste " considère qu’instaurer le RSG va nous permettre de dépasser le travail salarié en supprimant le travail. Pour l’école " travailliste " l’intégration dans la société reste fondamentalement le travail (et la protection sociale qui lui reste historiquement liée). La priorité reste la réduction massive du travail ; pérenniser le RSG permet d’atténuer l’aliénation et l’exploitation du salariat en métamorphosant le travail en activité ou en œuvre.
     
    1. " L’anti-travaillisme " :

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      Pour l’école anti-travailliste la réalité du travail s’évapore et s’évanouit dans notre société du fait des fantastiques bonds de la productivité dus à la dématérialisation de la production, à l’automatisation et à la révolution informationnelle. En conséquence le travail ne mérite plus aucune considération et on ne doit plus lui accorder aucune valeur morale .Valeur n’a pas ici le sens de valeur économique marchande ou monétaire. C’est la disparition de la " valeur travail ".

      La machine à produire des richesses fonctionne toute seule et avec de moins en moins de travail : la réduction du temps de travail débouche sur la multiplication d’activités autonomes (Gorz), libres et auto-gratifiantes : plus besoin de compter ni de monétiser. Le " tiers secteur " a vocation à remplacer les deux premiers secteurs de l’économie de marché et de l’économie publique (administrée, monétaire, non marchande).

      Cette école reproche à l’autre de s’accrocher aux valeurs d’une société de classes révolue et de vouloir perpétuer les " privilèges " corporatistes (salariés à vie, grèves de décembre 95) d’une classe en voie d’extinction, le prolétariat.
       

    3. " Le travaillisme " :

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      L’école " travailliste " met l’accent sur le caractère salarié (donc exploité et aliéné) du travail. Il s’agit bien encore de dépasser le travail salarié, mais en conservant les vertus d’intégration (socialisation, relations sociales, réalisation de soi, sécurité d’un revenu régulier et suffisant) et de solidarité (sécurité sociale, SMIC, retraites, syndicats etc.) du travail tout aliéné et exploité qu’il soit.
       
      1. Contenir l’ultra-libéralisme :

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        La priorité pour cette école est négative : il s’agit d’éviter le démantèlement de la protection sociale et des protections (SMIC, assurance chômage, retraites, code du travail, etc.) qui font que grâce à l’acquis des luttes le travail n’est pas une marchandise comme une autre. Or la version ultra-libérale du RSG permet cette libéralisation absolue du marché du travail.
         
      3. Donner la priorité aux 32 heures et à la semaine de 4 jours :

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        La seconde priorité est de se donner les moyens d’abolir la coupure entre les intégrés et les exclus : l’intégration sociale pour tous dans notre société où le salariat, tout aliéné et exploité qu’il soit, constitue le lien social de masse passe par l’emploi salarié pour tous et donc le partage du travail grâce à une réorganisation en profondeur des entreprises c’est à dire le passage à la semaine de quatre jours. Par rapport à cet objectif, celui à court terme, de donner un RSG constitue un palliatif provisoire.
         
      5. Atténuer l’aliénation et l’exploitation du travail salarié :

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        Il constitue une solution à long terme pour atténuer l’exploitation et l’aliénation consubstantielles au travail salarié. En effet il n’y a pas solution de continuité, selon cette école, entre le travail et la réalisation de soi dans une activité ou une œuvre (Hannah Arendt). Il s’agit de " déshabiller ", au moins en partie, le travail de sa forme salariée. En ce sens le RSG à long terme est le facteur constant d’un salaire binôme (voire " polynôme ") dont le deuxième terme doit rester indexé sur la contribution individuelle à la richesse sociale. Il ne s’agit pas de supprimer toute comptabilité des entreprises ou de la Nation, mais au contraire de les perfectionner pour prendre en compte, au nom de l’éthique et de la justice (distributive) qui constituent le troisième pilier du développement durable, les différentes productivités : celle de la société en général (RSG) avec son système d’éducation générale, celle de l’individu (initiative, talent, effort, durée, etc.) et celle du collectif de travail (la liste n’est pas limitative).
         
      7. Le financement du tiers secteur :

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        Il s’agit à côté de la reconnaissance monétaire de ces productivités de légitimer, de calculer et de valider d’autres formes de reconnaissance sociale (SEL, gratifications et prestations en nature, " externalités "). Ceci suppose que les marchés n’aient pas le monopole de l’évaluation et de la sanction, mais que se développe à côté une évaluation " citoyenne " de l’utilité sociale. En ce sens le RSG permet d’accéder à des formes de travail et d’activité moins aliénées et moins exploitées : le tiers secteur contribue à la productivité des deux autres (meilleur environnement, cohésion sociale, émancipation des femmes par rapport aux tâches domestiques, diminution de l’insécurité sociale et du stress au travail etc.). Il constitue également un contrepoids et un amortisseur au sein d’un régulation sociale intégrée. Le financement du RSG passe par la comptabilisation et la " facturation " aux deux autres des externalités du tiers secteur.
Bernard Guibert (11/10/99)

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