1er rapport au Comité Révolutionnaire Clandestin sur l'état de nos forces.

Rappel sommaire des faits :

Situation de la France mars 1998 : 4 millions de chômeurs, 7 millions de pauvres, la Bourse au plus haut (+30%), aggravation de l'écart entre riches et pauvres (exclus) et transformation du travail (flux tendus, flexibilité), augmentation des dépressions et des suicides, montée des extrémismes et déconsidération de la classe politique et médiatique (ainsi que poussée des fanatismes religieux minoritaires avec faiblesse des églises). Tous les caractères de l'anomie sociale, toutes les conditions d'une révolution.

Le mouvement des chômeurs qui a un long passé (marche des chômeurs) a véritablement éclaté à Marseille en décembre 1997, sur le mot d'ordre de la CGT-chomeurs d'une prime de Noël de 1 500 F. Le contexte caritatif des fêtes de fin d'année a favorisé la popularisation des manifestations de chômeurs qui apparaissaient véritablement pour la première fois comme acteurs. La véritable raison de la mobilisation est pourtant l'augmentation rapide du nombre d'exclus, imputable en grande partie aux réformes des Assedic qui ont d'abord aggravé la dégressivité les allocations de chômage (comme si les chômeurs étaient chômeurs parce qu'ils ne recherchaient pas assez vite un emploi ! Quand il y a 4 millions de chômeurs, c'est le travail qui manque et un chômeur qui trouve un travail, c'est presque sûrement un salarié qui le perd. On ne fait qu'augmenter la concurrence et la misère), pour couronner le tout la suppression des aides d'urgence a rendu les situations des précaires plus critique. L'augmentation de la misère a paru scandaleuse face aux lumières de la fête et de la richesse étalée, permettant de faire de ce combat un combat pour la dignité, pour réintégrer la fête commune.

Ces débuts ont dynamisé les chômeurs partout (Arras), revivifié les associations (AC, APEIS, MNCP) et permis l'occupation de nombreux Assedics ainsi que des opérations commandos (récupérations dans les grandes surfaces, péages etc.) effectuées dans la plus grande impunité avec la revendication d'une augmentation des minima sociaux de 1 500 F. A cette revendication audacieuse et accessible (les 60 milliards pouvant être prélevés sur des aides à l'emploi inefficaces) la "gauche" a répondu par une aumône de 1 Milliard pour parer au plus pressé sans vouloir effrayer les riches et sans aucune transparence. Comble du comble, le discours de Jospin refusant l'assistanat et mettant en avant 300 000 emplois créés pour laisser dans la misère plus de 3 millions de chômeurs ! Le mouvement des chômeurs, qui a toujours été extrêmement minoritaire, a trouvé un soutien massif dans la population car, s'il est toujours aussi difficile d'agir comme chômeur, il y a maintenant une majorité de la population qui est menacée et n'accepte plus de réduire la société et la solidarité à la compétition de tous contre tous. Ce contexte spécial aggrave la tendance de ces dernières années à faire de tout mouvement social l'expression, par délégation médiatique, de l'ensemble du corps social qui exprime son soutien passivement dans les sondages. Cette légitimation des minorités agissantes nest pas sans danger pour l'avenir. D'autant que les dernières régionales n'ont pas réconcilié les français avec la politique et ils redonnent, tout aussi passivement, leur soutien aux chômeurs. Il n'y a guère pour l'instant que la menace du Front National qui peut faire dépasser les manifestations de 100 000 personnes (même pas pour l'instant !).

Au plus fort du mouvement du mois de janvier, des manifestants se regroupèrent sous la banderole "On veut un boulot de merde payé des clopinettes" et fondèrent l'A.G. de Jussieu (tous les soirs sauf le Week-end à 18h à l'université de Jussieu à Paris). Cette assemblée hétéroclite de 60 à 200 personnes, informe et sans votes (renommée Assemblée Libre de Jussieu), a développé une critique du travail qui la positionne dans ce mouvement des chômeurs comme réclamant, non pas un retour au plein emploi capitaliste mais une remise en cause du travail lui-même (Le temps payé ne revient jamais), remise en cause effectuée déjà par le chômage de masse. L'ambiguïté du droit au travail y est dénoncé, le travail restant un processus dominé, et même le droit au revenu (je considère, pour ma part, qu'un revenu c'est un dû) y est dénoncé comme participant au système dominant. C'est le salariat qu'il faut abolir. Le projet ambitieux de Jussieu c'est la réappropriation de la vie quotidienne par des pratiques immédiates, qu'ils ont mis en oeuvre. L'occupation de Normale Sup a été un succès qui a été interrompue pour ne pas occulter le véritable mouvement des chômeurs, pour ne pas le représenter. Les pratiques quotidiennes de "balades" permettent d'organiser sans préparation des "invitations" dans des cantines (on rentre à une vingtaine, on ne paye pas à la caisse mais on s'assoie avec les salariés et on discute) ou des "récupérations" dans les supermarchés avec distribution ou organisation de fêtes, enfin des entartages d'huissiers, etc. Il y a aussi un potager car l'écologie y a sa place (soutien à la Confédération Paysanne, ne leur parlez pas des Verts...) A la manifestation du 17 mars (15 000 personnes), sous les appellations de Chômeurs heureux ou Chômeurs en grève leur participation festive se termina de nouveau à Normal sup mais assez peu de temps car l'intervention des CRS fut rapide. Depuis, la mobilisation étant en décrue, les débats stratégiques (réformisme - radicalisme, légalisme - appropriation) tournent un peu en rond mais le mouvement va être relancé par les manifestations anti-Front National ainsi que, peut-être, par l'occupation de Nanterre depuis le 22 mars par un petit groupe d'AC, Comité des Sans Logis, MDE (le Maison Des Ensembles reste une référence même si il y a de nombreux problèmes). La commémoration de Mai 68 est tentante mais elle me semble un piège sinon pour contester ceux qui nous gouvernent et en sont issus.

Conclusions

On ne doit pas compter plus de 500 militants révolutionnaires actifs dans Paris (gens honorables bien que divisés) et, paradoxalement, ce n'est pas complètement ridicule. La marmite ne bouillonne pas mais elle frissonne. Car ces militants ont le soutien d'une partie importante de la population et peuvent agir impunément. Mais surtout, les mobilisations connexes (lutte des sans-papiers et manifestations anti-FN) peuvent rapidement amplifier le mouvement qui a déjà ses réseaux, son langage et n'attend plus que l'occasion si les divisions ne l'emportent pas. Mais quel travail, ces militants sont infatigables ! C'est l'activisme qui occupe les reflux de la lutte et permet de maintenir l'unité du mouvement, dans les controverses mêmes qui maintiennent le dialogue et la convergence des insurgés.


Sur le débat réformisme/radicalisme, légalisme/appropriation

Théorie des poupées russes : On doit partir des revendications immédiates les plus légitimes (relèvement des minima sociaux) pour rassembler le plus grand nombre et s'allier, dans ce rassemblement, à ceux qui exigent un véritable revenu (Allocation Inconditionnelle de Ressource). Enfin à l'intérieur de ce groupe, nous pouvons représenter la contestation globale du monde de la marchandise et du salariat (réappropriation de la vie). Vouloir imposer cette contestation globale comme préalable à l'action est une faute (isolement sectaire).

Théorie de l'action graduée : Le légalisme exigé par certains pour ne pas se marginaliser, n'est pas toujours défendable, cela dépend simplement des rapports de force, mais quand une société n'est pas juste il ne faut pas respecter ses règles. L'appropriation directe des marchandises n'est pas autre chose qu'un déni de l'injustice (nos droits constitutionnels ne sont pas respectés) et s'apparente à la grève (comme celle-ci, elle a un coût mais reste le plus souvent sans aucune violence physique). Ce n'est pas une solution durable, c'est l'expression de notre exaspération, de la misère du marché, pression des pauvres sur les riches. Il faut maintenir la violence au minimum sinon les faibles en seront rapidement les victimes, il faut utiliser plutôt des violences économiques pour montrer que l'économie ne peut fonctionner sans consensus social. L'équivalent d'une grève générale serait une journée de pillage (Contre le chômage le pillage). Il y a peut-être de quoi négocier avec ça, mais il faut aussi participer aux protestations légalistes, s'ajouter et non se soustraire.

Tout est possible encore, mais tout reste à faire.

JZ
Le 26 mars 1998


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