S'interroger sur la valeur du travail, c'est donc s'interroger sur la
consommation du salarié dont le "temps libre" n'est pas voué
à un arbitraire singulier et ludique mais bien plutôt consacré
à la reproduction et à l'entretien de sa "force de
travail" (ce qu'on appelle maintenant l'employabilité!).
L'essentiel de nos dépenses couvrent :
Les contraintes de la reproduction sont aussi celles de l'écologie. C'est donc un effort supplémentaire à fournir, une augmentation du travail nécessaire, mais tout-à-fait incontournable pour notre reproduction et donc qui pourrait être une consommation supplémentaire. Il faudrait plutôt que ce soit une diminution de ce travail nécessaire pourtant, une diminution des productions et des consommations polluantes. Il faut que l'écologie ne soit pas une contrainte de plus mais bien la libération de la vie.
La part de la consommation au-delà de la reproduction est plus
ou moins mince selon ce qu'on met sous ce terme de "reproduction". Cet
au-delà de la nécessité, Marx le nomme jouissance
mais il précise aussitôt que c'est une jouissance sociale,
toujours relative.
Si on arrive à réintroduire la jouissance même dans le processus de (re)production, il faut bien admettre qu'il n'y a pas de jouissance en soi, ni de jouissance singulière mais que toute jouissance résulte d'une activité sociale valorisée. On n'arrête jamais de travailler, de se valoriser socialement. Ne pas y accéder et rester dans le désoeuvrement est une grande souffrance, un ennui profond. Avec le capitalisme et le salariat tout est devenu valeur mesurable en argent, tout est devenu marchandise et spectacle soumis au profit et produisant des exclus. L'utilité sociale universelle a été perdue, pourtant, au stade actuel de la mondialisation, c'est bien l'économie qui est devenue monde, le spectaculaire intégré ne laisse plus aucun dehors dans une société-usine dont le temps ne s'arrête jamais et nous n'arrêtons jamais de travailler à la reproduction sociale et à notre propre valorisation sociale, même dans les dépenses les plus futiles..
Cette jouissance jalouse, que Lacan appelait Jalouissance, s'étend aux activités du Maître qui ne sont pas assimilées à du travail car ce ne sont pas des activités dominés. Il s'agit de l'amour, de l'ambition et de la culture qui déterminent une partie importante des consommations mais qui sont d'abord des activités sociales et qui sont, bien évidemment, partie prenante dans la reproduction, reproduction des corps, reproduction de la société, reproduction symbolique. Dans ce cas on ne parle pas de travail car il s'agit d'émulation pour un but social intériorisé et non d'une activité contrainte. Mais le résultat auquel nous arrivons, c'est bien qu'on n'arrête pas de travailler à la reproduction de la société, sauf cas de force majeure (problème de la retraite). La paresse est la qualité première d'un travailleur dominé et fatigué alors que pour une fonction sociale "libre" il y a de l'ennui, de la détresse, de la souffrance mais pas tant de paresse qu'il n'y paraît. Dès lors on ne doit plus aborder le travail comme activité contrainte imposée aux salariés mais bien plutôt favoriser, valoriser l'activité sociale de tous.
On ne peut imaginer une autre consommation (sinon un peu plus biologique, plus écologique, plus variée), on ne peut imaginer qu'un autre mode de production. Cette sortie du salariat semble possible par le Revenu d'Existence cumulable avec d'autres ressources et encourageant les activités libérales, artistiques ou artisanales, prenant compte du caractère social de la production et du General intellect, de l'éducation et du savoir technique nécessaires à l'industrie. C'est la fin de la concurrence de tous contre tous et le retour à une production centrée sur le produit. C'est aussi la conséquence du fait que la consommation est productive, plus que la domination dans les civilisations modernes. On peut penser cependant que de nombreuses consommations baisseront ou s'avéreront inutiles dans ce nouveau mode de production basé non plus sur l'apparence de l'égalité abstraite des Droits de l'Homme, mais sur le droit concret à l'existence. Les bases du développement ne peuvent être saines si ce n'est pas la vie mais l'argent qui est la première valeur. Voilà pourquoi, sans supprimer tout productivisme, on peut espérer réorienter la production comme rapports humains.
Les évolutions du travail vers l'immatériel (la résolution de problèmes) ne sont pas adaptées à une mesure du temps de travail comme lorsque le salarié vendait sa force de travail. C'est tout le processus de valorisation du travail salarié qui semble remis en cause par l'évolution technique, et la notion même de travail qui évolue vers une "fonction sociale". L'essentiel ne doit plus être la mesure, le chiffrage mais la tâche à accomplir, la responsabilité assumée (passage au qualitatif). Production et consommation prennent ainsi une nouvelle orientation, compatible alors avec les contraintes écologiques de la reproduction et une économie centrée sur la communication. La reproduction est désormais entièrement sociale, comme notre consommation est entièrement marchande. En prendre conscience c'est prendre conscience des limites écologiques ainsi que de la fonction sociale du travail dans le processus de reproduction. C'est changer ce processus de reproduction comme reproduction consciente et non plus domination extérieure de la contrainte sociale.