La Réduction du Temps de Travail : une perte de temps.

 
Dans le monde réellement renversé,
le vrai est un moment du faux.
Guy Debord

Non seulement l'accord Verts-PS est ouvertement bafoué mais il nous associe à une loi de Réduction du Temps de Travail qui réussit cet exploit de faire que, pour certains, travailler moins cela peut vouloir dire en fait travailler plus ! Malgré tout le bruit fait autour de cette loi qui fait passer nos socialistes, à l'étranger, pour d'extravagants gauchistes, le patronat a bien peu de raisons de se plaindre alors qu'il lui est consenti de trop coûteux cadeaux sans aucune véritable contrepartie. Aussi bien le partage de l'emploi que les conditions de travail, qui motivaient cette RTT à nos yeux, sont les grands perdants de cette loi qui a permis par contre au patronat d'adapter, en position de force, les conventions sociales aux nouveaux impératifs de flexibilité

La situation est risible. Elle sera étudiée plus tard comme un immense mystification où l'abandon de garanties sociales a été présentée comme une grande conquête sociale. Ce n'est certes pas la première fois dans l'histoire que les meilleures intentions du monde ont produit des monstres, mais il faut essayer de comprendre pourquoi.

La politique du pire
Le renversement est effectivement sidérant par rapport au projet initial de partage du travail et de qualité de la vie. S'il n'est pas plus apparent c'est tout simplement que cela a failli être pire encore. La Loi, en s'imposant aux entreprises leur a permis de jouer de leur victimisation pour obtenir des contreparties toujours plus nombreuses à leur "perte de compétitivité" et toujours plus de souplesse dans l'application des 35H. C'est allé assez loin pour qu'on ait frôlé des régressions sociales majeures ce qui rend moins choquant des régressions bien réelles pourtant. On nous a fait la même chose avec les OGM, rien de tel que de présenter des horreurs comme Terminator pour rendre plus acceptables des "OGM inoffensifs". Le rapport de force excessivement favorable au patronat a fait craindre le pire, permettant à nos députés de juger que cette loi constituait malgré tout un progrès. Il est certain que l'amendement Cochet sur le temps de travail est un progrès mais globalement cette loi ne répond absolument pas à ses objectifs de départ, à nos objectifs d'écologistes, et se résume finalement à en faire le moins possible pour laisser faire la croissance, introduisant la flexibilité dans les plus mauvaises conditions et cautionnant ainsi la victoire planétaire du libéralisme, mais avec les apparences d'une conquête sociale !

Le réformisme conservateur
On retrouve ici le cynisme de nos classes dirigeantes, cynisme auquel on doit une bonne part de notre chômage, qui a été voulu plutôt que l'inflation par les partisans de l'Euro et tous les nouveaux rentiers. Il faut bien dire que la RTT ne prétendait pas changer le fonctionnement de l'économie et représentait, même pour les écologistes, une solution au chômage qui semblait éviter toute autre changement dans le système de production. C'était une forme de conservatisme qui pensait s'appuyer sur l'aspiration des salariés au temps libre (alors que l'évolution de la production imposait la flexibilité du temps de travail) et qui pariait sur une réduction brutale provoquant plus de 500 000 emplois (alors que le temps nécessaire à la mise en place et les gains de la flexibilité réduisent les d'emplois générés à moins de 300 000). On peut dire que c'est déjà ça mais alors il est inadmissible de refuser d'augmenter les minima sociaux et de prétendre donner un travail à tous. La volonté de ne rien bouleverser ne pouvait qu'aboutir à vider la loi de toute substance, on ne peut changer le partage du travail et des richesses sans remettre en cause les positions acquises et le partage du profit. La caution verte ne sert que d'habillage écologiste à un social-libéralisme qui ne craint pourtant pas de nous humilier sur tous les sujets, introduisant même, en notre nom, la précarité dans la fonction publique avec les emplois-jeunes et la flexibilité dans les entreprises avec les 35H !

Faiblesse syndicale (chômage, individualisation)
La première erreur était donc de ne pas vouloir en faire assez, comme si le problème était marginal, la deuxième de se satisfaire d'avoir tout juste limité les dégâts, mais l'erreur la plus grave a bien été de croire qu'il suffirait d'obliger les entreprises à négocier pour renforcer les luttes syndicales pourtant au plus bas. La période économique n'est pas favorable aux salariés, ni aux regroupements syndicaux, par la pression du chômage d'une part et à cause de l'individualisation croissante des emplois salariés d'autre part. L'État a donc abandonné les salariés, sous prétexte d'adaptation, au bon vouloir des employeurs qui en ont profité pour introduire une flexibilité jugée de plus en plus indispensable dans la production, mais sans les protections correspondantes qui nécessiteraient une politique spécifique ne se réduisant pas à l'entreprise. Il n'y a pas d'autre solution que de reconstituer d'abord le rapport de force travail/capital par l'augmentation des minima sociaux, puis d'imposer les nouvelles protections sociales contre la précarité (trajectoires professionnelles) et de véritables contreparties aux nouvelles conditions de production (temps choisi, contrat d'activité).

Flexibilité
En effet, la dernière erreur de la RTT, est de n'avoir pas compris les changements en cours dans la production, et singulièrement dans le temps de travail : n'avoir pas compris que le temps de travail devenait l'enjeu direct du contrat de travail (CDD) et de "l'optimisation de la ressource humaine" (licenciements), mais surtout que la RTT n'est pas applicable aux nouveaux métiers de l'immatériel qui ne se mesurent pas en temps de travail ou ne s'arrêtent jamais. La flexibilité n'est pas seulement une intensification du travail ou une "externalisation des coûts sociaux", ce n'est pas l'effet de la position dominante du capital qui s'exprime surtout dans le niveau des salaires, mais c'est bien plutôt le passage d'une économie de l'offre à une économie de la demande. Une économie de l'offre est basée sur une production quantitative où l'organisation de la production est l'élément déterminant (Ford). Une économie de la demande adapte plutôt la production à la qualité et au volume demandé (flux tendus, flexibilité). C'est une caractéristique durable des nouvelles forces de production, c'est pourquoi elle est inévitable et vouloir l'ignorer nous a coûté cher. Il aurait fallut en tenir compte et ne pas faire comme si on n'en voulait pas (donc ne pas en parler) mais sans l'empêcher en quoi que ce soit (laisser faire). Le droit du travail est un droit inégal, on ne peut compter pour équivalent le droit de l'entrepreneur à choisir les heures travaillés et celui de l'employé qui n'aura jamais le dernier mot sur l'utilisation de ses "crédits d'heures". La loi est nécessaire pour rétablir les droits du salarié et lui garantir les droits nécessaires à une bonne production sociale (la productivité augmente avec la protection des salariés). Si la flexibilité, en considérant le travailleur comme une ressource, remet en cause la tendance du salariat à devenir un statut fonctionnarisé, cela ne peut être socialement et donc économiquement supportable, qu'à assurer à chacun un statut professionnel indépendant de l'emploi (voir le rapport Supiot "Au-delà de l'emploi"), la prise en charge par la société, donc hors de l'entreprise, de la garantie de revenu, de la trajectoire professionnelle et de la valorisation des compétences de chacun.

Réduction de temps de travail ou emplois-jeunes ne font ainsi qu'associer les Verts au nouvel ordre libéral, et permettent de reculer le traitement général de la précarité. Il faudrait pourtant commencer par cela : une augmentation conséquente des minima sociaux, un refus de la paupérisation et de la précarisation des plus faibles qui pèsent sur l'ensemble des salariés. Ensuite il faut organiser la continuité des trajectoires individuelles dans un contexte de plus en plus incertain, ainsi que le développement du temps choisi. Mais l'euphorie de la croissance pousse à ne rien faire, nous ne faisons que de la figuration et l'écologie n'y trouve pas son compte. Nous n'échapperons pourtant pas à des réformes encore plus radicales, à la nécessité de fonder une économie alternative au salariat productiviste, une nouvelle valorisation sociale basée sur un revenu garanti et sur une économie du don plus adaptée aux activités culturelles, relationnelles et créatives. Pour cela les 35H n'auront été que du temps perdu et l'illusion qu'on pourrait continuer encore longtemps comme cela, comme si notre monde marchand inégalitaire et irresponsable avait juste besoin de petits ajustements à la marge pour devenir durable et même désirable aux yeux de certains. Quelques heures gagnées de loisirs vides ne sauraient suffire à retrouver une qualité de la vie de plus en plus absente dans une société déshabitée.
 


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