La communication entre esprit et corps

Biologie des maladies psycho-somatiques et de l'hypnose (placebo, suggestion, positivation, relaxation, méditation, expression)
 
Psychobiologie de la guérison, Ernest Lawrence Rossi, Le souffle d'or, 2002 (1986, 1993)

Le pouvoir de l'information
La psychobiologie de la guérison psychocorporelle repose sur une idée de base essentielle : c'est l'information qui constitue à la fois le concept-clef et le lien entre toutes les sciences, y compris les sciences humaines et l'art thérapeutique. La psychologie, la biologie et la physique ont désormais un nouveau dénominateur commun : l'information. Pour comprendre vraiment comment cela est possible, il faut garder à l'esprit le fait que "toutes les formes d'organisation sur le plan psychologique, physique et biologique, sont en fait des expressions de l'information et de ses transformations" (Stonier, 1990). 45

Trop de lumière aveugle sans doute, c'est tout le problème de la réédition de cette brillante synthèse de l'influence des facteurs psychologiques sur les régulations biologiques. On peut constater en effet qu'il n'y a pas eu tant de progrès depuis 1986 et que ces thèses n'ont pas eu un écho suffisant encore. Il n'est pas très difficile de comprendre pourquoi elles ont pu susciter le scepticisme, autant par la puissance du modèle mis en jeu que par ses limitations. Nous devons faire bénéficier ces hypothèses de toutes nos critiques mais l'important n'est pas la connaissance de détail de tel ou tel mécanisme, plutôt l'effort d'unification du savoir autour de la communication, conception cybernétique de la vie et de la société qui donne un sens précis aux approches "holistes" comme intervenant sur la signification, l'information, la communication bien que paradoxalement la dimension propre du langage soit complètement négligée au profit d'un "paradigme d'information très large, capable de contenir et de développer toutes les conceptions existantes sur la maladie et la thérapie" 411.

Ceci permet de présenter une théorie unifiée des psychothérapies et médecines parallèles des maladies psycho-somatiques, mais au-delà, il s'agit d'une théorie unifiée de l'information de la biologie à la psychologie, de l'influence des croyances sur les humeurs jusqu'aux gènes. Le phénomène central de cette conception holiste de la communication est la traduction (que je préfère au terme de transduction), "du socioculturel au psychocognitif, au psychocorporel et finalement au cellulo-génétique" 395. Le caractère systémique de l'organisme, de la société, de la biosphère, organisés en niveaux hiérarchisés, implique une régulation généralisée par circulation de l'information, et, plus précisément : mémoires, feed back, cycles d'information (de plus en plus lents à mesure qu'on s'élève dans la hiérarchie). Ces caractéristiques sont la base, nous le verrons, de toutes les thérapeutiques.

De même qu'il a fallu bien du temps pour que la science prenne au sérieux le rêve et la sexualité, il faudra encore un peu de temps pour intégrer aux sciences les pratiques "magiques" comme l'hypnose, assimilée aux illusions de saltimbanques, ou la dimension spirituelle réservée jusqu'ici aux religions. Il faut bien dire qu'on est souvent en bien mauvaise compagnie dans ces parages, avec toutes sortes de sectes ou de marginaux à qui nous laissons l'exclusivité de ces pouvoirs de domination, du gouvernement de soi et des autres. Certes, l'audace de conclusions qui postulent un contrôle presque total de l'esprit sur le corps (pratiqué depuis longtemps par le yoga) ne peut que renforcer encore toutes les réticences envers la pensée magique, réticences que j'ai moi-même toujours partagées ; mais, une fois découverts et pratiqués, on ne peut se priver tout-à-fait de ces nouveaux pouvoirs "para-normaux" et paradoxaux, en premier lieu pour soigner les maladies psychosomatiques. Il faut bien dire qu'il y a là une "révélation" du lien au corps qui n'est absolument pas accessible en dehors de l'expérience. En quoi on quitte la simple argumentation philosophique pour rejoindre Science et Sagesse.

Problèmes de communication
Ce qui m'irritait le plus, au cours de cette recherche, était qu'aucun des spécialistes qui semblaient savoir quelque chose ne partageait ce qu'il savait avec ceux qui se trouvaient en dehors de son étroit domaine personnel de compétence. Au fur et à mesure que je regroupais des faits et des déductions provenant de divers domaines spécialisés, je retrouvais des notions qui semblaient bizarres et qui, apparemment, étaient fondées sur des recherches sérieuses, mais que personne ne semblait vouloir prendre en compte. 14
Cette perte d'information et de temps, cette absence de rencontres et de communication peut nourrir encore nos lamentations, d'autant que les travaux de Laborit sont complètement ignorés par l'auteur, de même que Laborit a sans doute ignoré ceux de Stephen Black (1963, 1969) qui fait ici référence pour l'interprétation de l'influence de l'hypnose sur le système immunologique dans le cadre de la théorie de l'information. Malgré tous nos moyens de communication, il y a un manque presque total de circulation des informations hors de cercles étroits, entre les langues, les pays, les spécialités, les groupes ; malgré les avancées des sciences il n'y a pas de centre où se totalisent les savoirs qui restent éparpillés, enfouis dans la masse. Le besoin de transversalité et de travail interdisciplinaire se fait partout sentir devant les impasses des approches réductionnistes. Nous avons besoins de plus en plus de traducteurs, ce qui veut dire dans ce cas de vulgarisateurs, de journalistes, de militants, de chercheurs transdisciplinaires, d'honnêtes hommes de notre époque en somme, pour répandre les derniers acquis des sciences, en croiser et synthétiser les résultats, les amener au débat public. Le manque en est particulièrement sensible à propos des maladies du stress, où un savoir éclaté se révèle incapable d'apporter une réponse à la souffrance des malades.

La question de l'hypnose

Il faut régler d'abord la question de l'hypnose. Ce n'est certes pas d'un spécialiste de l'hypnose thérapeutique que j'attendais une théorie biologique de l'esprit, et pourtant à bien y réfléchir, c'est effectivement la meilleure position expérimentale pour mesurer l'influence du langage et de l'esprit sur le corps. Il est difficile de répondre à la question de ce que c'est l'hypnose car il y a une continuité de phénomènes qui vont de l'effet placebo à la suggestion, dont fait partie la pensée positive, jusqu'à ce qu'on peut appeler hypnose et que l'auteur définit comme "pensée dirigée". On peut dire que c'est une suggestion explicite ou un usage impératif du langage. Ce n'est pas forcément s'abandonner pour autant à la domination de l'hypnotiseur puisque la voie de l'auto-hypnose est privilégiée ici.

Ce qui constitue l'hypnose est pourtant une mise en sommeil de la réflexion critique, une dissociation de la conscience, une déconnexion qui peut prendre la forme de relaxation ou de méditation. Depuis Bernheim en 1886, l'hypnose se définit en effet comme transformation de l'idée reçue en acte (hors contrôle intellectuel). Il s'agit donc bien d'"inhiber les signaux parasites de doute et de scepticisme" 60. Les différentes techniques "inhibent le mode critique analytique de traitement de l'information caractéristique de l'hémisphère dominant et verbal" 59. De quoi être méfiant, à n'en pas douter. L'hypnose nous ramène à une sorte de stupeur animale par transfert d'identité. Il y aurait là un accès privilégié au corps, une exaltation de l'excitabilité réflexe idéo- motrice, idéo- sensitive, idéo- sensorielle, comme branché sur les informations extérieures. En tout cas, ce qui est sûr, c'est que l'hypnose nous fait faire ce que nous n'aurions pas fait de nous mêmes, ni ne nous serions permis de faire spontanément. Elle nous donne des pouvoirs que nous ne nous connaissions pas mais que nous pouvons apprendre à maîtriser. L'énigme de l'hypnose est la même que celle de l'effet placebo, c'est-à-dire du mensonge et de l'illusion qui mettent le sujet hors jeu.

L'hypnose n'est donc qu'un cas particulier de communication, de transmission d'une norme sociale, d'un ordre, d'une information sans passer par la conscience réflexive mais en empruntant semble-t-il les chemins de l'habitude machinale. Elle apporte ainsi une simplification dans l'étude de l'influence de la communication sur le corps en supprimant la division de l'esprit, son individualité critique, sa résistance. A partir de là, il faut bien supposer une possibilité de traduction entre la suggestion et l'état corporel, permettant d'obtenir des effets spectaculaires comme arrêter un saignement ou l'apparition de brûlures. Ce pouvoir des mots et des sorts permet d'unifier toutes les thérapies, des chamans (ou sorciers) aux dernières psychothérapies à la mode, qui sont donc des thérapies de la communication intervenant sur les significations. On verra que la notion de rétroaction est la clef des phénomènes de traduction et de contrôle de l'esprit sur le corps.

Biologie, information, conscience

On ne peut penser une véritable séparation de l'esprit et du corps, les passions de l'âme, comme la peur, se traduisant en signes corporels (ce qu'Aristote soulignait déjà). Il y a donc bien unité et, malgré leur séparation, "l'esprit et le corps représentent deux aspects d'un seul système d'information". Ce qui fonde cette unité c'est le fait que l'information n'est ni mentale, ni matérielle mais structure. Il faut rappeler que, selon la théorie de l'information, en tant qu'elle désigne une organisation résistant à l'entropie, l'information représente le véritable fondement de l'être, après la matière et l'énergie, de sa stabilité comme de sa différenciation. "Plus une idée ou un événement est improbable, plus grande sera sa valeur informative". C'est un processus cumulatif, aussi on peut s'attendre à une croissance exponentielle de l'information (p68).

Au niveau biologique, toute information résulte d'un apprentissage exigeant à la fois rétroaction (feed back) et renforcement, passant du besoin à la motivation, à la représentation et au comportement adapté enfin. L'existence de récepteurs modulant les réactions chimiques est ce qui caractérise la biochimie et les transmissions nerveuses. Selon l'état du récepteur, il y a activation ou non de la production de protéines par exemple. On est donc en présence d'une traduction conditionnelle, un peu comme les transistors peuvent moduler un signal. La vie peut se définir ainsi comme une chimie de l'information. "La vie est une qualité de la matière qui surgit du contenu informationnel inhérent à l'improbabilité de la forme" 361.

L'information doit passer par une série de traductions : "sensations, perceptions, émotion, représentation, cognition, identité, comportement" 63. On peut donc définir "la conscience en tant que processus auto-réflexif de transfert d'information" 28 mais "le corps humain tout entier peut être considéré comme un réseau de systèmes d'information imbriqués les uns dans les autres - système génétique, immunologique, hormonal, etc..." Entre chaque système il faut une transduction de l'information, une émission et des récepteurs. "En principe chaque modalité (émotion, imagerie mentale, pensée) peut se transformer en une des autres, au moins en partie" 136.

On peut trouver tout ceci bien réductionniste mais si le langage est le grand absent de cette théorie de la communication biologique, cela n'empêche pas la validité du modèle. Le langage ne se réduit ni à l'information, ni à la communication mais il y participe, c'est une évidence, et joue son rôle de transmission des normes sociales à l'individu biologique, rôle de renforcement, d'encouragement, de stress, de domination. sans avoir à prendre en compte la structure du langage et du rapport à l'Autre. Il suffit dans un premier temps de retenir la leçon de l'hypnose pour admettre que le supérieur contrôle l'inférieur par les processus de transduction et de rétroaction. Il y a sûrement une part de "transe" essentielle à cette transe-duction du sens, part d'hypnose, de transfert, d'inconscience mais la réflexion est presque aussi rare que le dialogue, même si tout le monde pense et parle.

La sécrétion des humeurs

Reste à rendre compte avec les données de la biologie actuelle, de "comment l'information, reçue et traitée à un niveau sémantique, est-elle convertie en information qui puisse être reçue et traitée à un niveau somatique et vice-versa?". On peut dénombrer 4 systèmes d'information biologiques : système nerveux autonomes avec les neurotransmetteurs, le système endocrinien avec les hormones, le système immunitaire avec les cytokines, et le système vital, comme on pourrait l'appeler, avec les neuropeptides (faim, soif, sexualité, douleurs). Ces systèmes communiquent entre eux ainsi qu'avec les systèmes sociaux et génétiques. On sait que "les systèmes de croyances influent sur le système immunitaire". On peut avoir un système immunitaire déprimé (cancer), hyperactif (asthme) ou parasité (polyarthrite) par des traumatismes psychiques.

Malgré la multiplicité des procédés, des circuits, des systèmes et leur caractère décentralisé, il faut maintenir pourtant l'unité de la conscience, de l'humeur et de la volonté qui ne sont pas simples émergences spontanées et aléatoires, même si l'unité des divers états du corps, n'est possible souvent que par la contiguïté (sinon "on perd le fil"). La conscience résulte sans doute de la synchronisation des oscillations neurales mais surtout de la production d'une substance chimique qui la mémorise et détermine notre humeur. Il faut en passer par là. Le cerveau est une glande qui se déverse dans le sang par l'hypothalamus. "L'hypothalamus unifie les systèmes de régulation de base du corps (la faim, la soif, la sexualité, la température, les pulsations cardiaques, la pression sanguine, etc.)" 197, il contrôle l'hypophyse, glande pituitaire contrôlant elle-même les autres glandes. Ce n'est pas une simple sécrétion unilatérale mais une boucle circulaire (cybernétique) d'informations allant du système hypothalamo- hypophyso- limbique jusqu'aux glandes surrénales, et retour (p109). Ce caractère rétroactif est à la fois ce qui permet l'action de l'esprit sur le corps et ce qui rend problématique toute intervention chimique dans le circuit. Il faut comprendre en effet que les échanges chimiques (les molécules messagères) représentent le premier maillon de la communication corps esprit avant les influx nerveux.
Les neurones de l'hypothalamus transforment ainsi l'information neurale de l'esprit en molécules messagères au niveau du corps, selon un processus appelé neurosécrétion, il d'agit là du concept central de la neuroendocrinologie moderne. C'est l'existence de tels transducteurs neuroendocriniens d'information qui nous amène à considérer ce nouveau champ de la psychobiologie comme d'une branche de la théorie de l'information 199.

Tous ces canaux convergent vers le système hypothalamo-limbique, principal centre de la transduction d'information esprit-corps 64, transduction de l'information entre l'esprit et le corps puisqu'elle reçoit de l'information venant de tous les canaux neuraux et agit comme un filtre en ne transmettant au cerveau que les informations nouvelles ou répétées avec insistance 54.
L'insistance sur la nouveauté rencontre notre modernité, il faut souligner que c'est un phénomène plutôt récent mais aussi qu'il y a là une façon de contourner le caractère social de la reconnaissance au profit d'un simple divertissement individuel. Il n'en reste pas moins vrai "que ce qui est nouveau et passionnant puisse stimuler l'activité du cerveau représente un préalable très important, même s'il n'est pas reconnu, à toute forme de psychothérapie" 55. De même, "des situations ennuyeuses et répétitives diminuent l'activité du locus coeruleus et amènent relaxation, somnolence et sommeil" 55. On sait qu'il faut une certaine dose de dopamine pour mémoriser et planifier à long terme, pour donner sens et confiance. Il faut que ça bouge!

Apprentissage, stress, guérison
Les processus de mémoire, d'apprentissage et de comportement liées à l'état, encodés par le système hypothalamo-limbique [...] sont les principaux responsables de la transduction d'information entre l'esprit et le corps 100.
Il ne suffit pas de transmettre une information il faut qu'elle imprime sa marque qu'elle soit suivie d'effets, de mémoire et d'action. Apprentissages et comportements formeraient une mémoire liée à l'état du corps, ses humeurs, ses réactions. Cette mémoire est à plus ou moins long terme, potentialisation par frayages, connexions, facilitations, et qui étend ses conséquences de plus en plus loin, jusqu'aux gènes. L'hypothèse centrale consiste ici à faire des symptômes psychosomatiques une fixation sur un état du corps consistant en une sorte de mémorisation figée d'une réaction adaptative, effet d'apprentissage, dysfonctionnement acquis plutôt que déficit corporel. "Les symptômes psychosomatiques, et peut-être aussi la plupart de problèmes psychocorporels, se forment par un processus d'apprentissage expérientiel - plus précisément l'apprentissage lié à l'état - de modes de réaction typiques du syndrome général d'adaptation de Selye". "Les gens ont des symptômes ou des problèmes quand ils se sentent emprisonnés dans une modalité ou assujettis à une autre", avec le sentiment de rester "bloqué sur des rails". Le rôle de la remémoration du traumatisme serait de redonner accès à l'état du corps pour permettre une nouvelle mémorisation. "Toute remémoration est un recadrage" 280.

L'apprentissage se paie souvent cher de nos erreurs, de nos échecs, nos déceptions, des agressions, du stress enfin qui module effectivement la mémorisation, l'intensité des souvenirs, par l'intermédiaire de l'amygdale. Ce qui compte dans le stress, ce n'est pas tant le déséquilibre homéostatique, le danger réel mais sa perception, son vécu, sa signification, le côté subjectif, la détresse. Il semble que "l'hypnose se produit spontanément lorsque survient le stress" 80, l'attitude hypnotique apparaissant alors comme disposition à l'apprentissage, au conditionnement. Jusqu'à récemment, toute l'éducation se faisait à coups de bâton (ou de martinet) !

Comme on y a déjà insisté, les conséquences du stress sont liées à la durée d'exposition. Un stress prolongé provoque un effet modérateur par diminution du nombre de récepteurs ce qui provoque ensuite une dépendance, un effet de manque. De 3 à 5 heures constituent le point de rupture. L'hippocampe est étouffé, induisant des pertes de capacité de mémorisation temporaires jusqu'à des morts neuronales et des défauts réversibles de la régulation des gènes (p208), "ainsi les neurotransmetteurs modulent l'hormone de croissance et l'expression des gènes cancéreux" 226.

L'état de distress est le signal d'un dysfonctionnement de la communication entre pression sociale et niveau biologique, et non entre aspirations et capacités comme certains le prétendent. En ce sens, cancer ou maladies auto-immunes sont des maladies de la communication, de la reconnaissance, erreur de réplication et erreur de contrôle qui sont le prix des exigences sociales sourdes à nos limites, d'une rentabilité qui n'est pas rentable comme dit Edgar Morin, ou de traumatismes difficiles à assumer, d'une mort sociale intenable. Il n'y a pas d'autre solution que de "transformer les symptômes en signaux et les problèmes en ressources créatrices" ; ce qui veut dire passer de la perception négative d'une menace (produisant du cortisol) aux effets positifs d'un défi qu'on se donne. "Votre symptôme est votre ami". "Votre symptôme est le signal qu'un changement créatif est nécessaire dans votre vie".

Il y a dans cette pensée positive une imbécillité heureuse qui m'exaspère. La "méthode Coué" trouve vite ses limites et il n'y pas plus terrible refoulement que de se croire obligé d'être joyeux, aveugle à ce qui pourrait y contredire (culpabiliser d'être triste!). Cela n'empêche pas les bienfaits du rire, qui peut réellement aider à guérir, et l'auteur insiste malgré tout sur "le pouvoir de la pensée négative" qui est une voie beaucoup plus sûre et durable, celle de la reconnaissance de ce qui ne va pas, la focalisation sur nos traumatismes, nos ratés, nos questions pour les résoudre plutôt que de continuer à nous travailler douloureusement à notre insu. La pratique des injonctions paradoxales, des doubles contraintes, de "s'appuyer sur la résistance" plutôt que de fuir les pensées négatives, visent plutôt à recréer l'état de détresse, retrouver l'émotion initiale encodée. L'expression du problème passe par la représentation et "constitue donc le début de la fonction transcendante, c'est-à-dire de transduction de l'information" 68. L'émotion mène à une prise de conscience par rapport à notre identité et déclenche un nouveau comportement adapté. C'est cela le processus de transduction de l'information.

La guérison semble s'appuyer sur la mémoire liée à l'état du corps, ce qui explique que, lors de certains changements d'état, des souvenirs reviennent (hypnoses, rêves, etc). La mémoire liée à l'humeur expliquerait ainsi qu'on se souvient des mauvais moments quand ça va mal et des bons quand ça va bien. Il n'est pourtant pas nécessaire de retrouver l'origine et ramener à la vie les âmes défuntes. Ce n'est pas la vérité qui est ici en cause. "Tout ébranlement de l'état du corps peut amener la guérison" 101. L'efficacité de nombreux médicaments résulterait ainsi d'un effet placebo décuplé par un véritable effet sensible sur notre état et nous persuadant de notre guérison par simple changement d'état. On peut compter sur des chocs émotionnels ou physiques pour surmonter les limitations acquises. Il y a un élément de surprise indispensable pour une restructuration, une guérison, un déblocage.

Tous dominants (la guérison impossible)

Avant d'aborder les travaux pratiques, il faut montrer les limites de la démarche qui sont celles du cognitivisme individualiste mais aussi de toute psychologie et thérapie sous-estimant la dimension sociale et symbolique des problèmes, c'est-à-dire leur dimension globale. Il faut donc esquisser une indispensable critique mais sans nier les faits avérés, en reconnaissant même que ce défaut n'est pas imputable à la théorie de l'information elle-même mais plutôt à l'objet du livre centré sur les phénomènes biologiques car la conception holiste de la communication ne peut négliger le niveau social bien évidemment. Dès qu'on adopte le point de vue sociologique on voit bien pourtant que la guérison individuelle ne change rien à ce qui n'est que la traduction d'une mauvaise communication sociale. On ne fait ainsi que déplacer le symptôme en supprimant une voie de dérivation et d'expression.

Nous voilà dos au mur. Il ne reste plus que la violence sur les autres ou sur soi pour affirmer un préjudice que personne ne reconnaît, il ne reste plus qu'à mettre en jeu son corps explicitement et "se tuer à le dire". On ne peut oublier non plus que l'intervention de l'hypnose ou de la suggestion semble nécessaire, qui est déjà un abandon de responsabilité, comme une façon de sortir du jeu. Il y a donc quelques raisons de penser que ces pouvoirs sont maléfiques, que les processus de perceptions sont faits pour rester invisibles derrière le perçu lui-même qu'ils ont fonction de restituer. Tout cela n'empêche pas le pouvoir de l'esprit sur le corps d'être un fait, éprouvé dans des techniques millénaires.
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Il y a surtout une contradiction et un terrible "effet pervers" dans la prétention d'un pouvoir de guérison. L'effet pervers, c'est de culpabiliser d'autant plus les malades puisqu'on n'est malade qu'à se refuser à une guérison possible, en quelque sorte, mettre les moyens de s'en sortir qui sont à la disposition de tous. La contradiction c'est de vouloir donner l'énergie de la guérison à ceux qui s'abandonnent à leurs blessures et leurs préjudices, exhibant leur détresse, toutes les forces les ayant quittés avec l'espoir même de guérir devant l'inconsistance de l'Autre qui ne peut nous sauver. On peut voir dans cette culpabilisation volontariste la même dénégation libérale de la domination, comme si toute le monde pouvait être dominant ! Au niveau biologique même, la réponse au stress dans la production de testostérone est pourtant opposée selon qu'on est dominant ou dominé. C'est ce qui fait la bêtise de la pensée positive de nous amener à l'acceptation de toute soumission, sans aucune résistance pour ne pas tomber dans les passions négatives! Idéologie précieuse pour les dominants donc que celle du coping, de la "capacité à faire face" au stress, capacité d'adaptation et d'assumer une situation comme si cela dépendait de la personne plus que de la situation. Le temps des gagneurs, des entrepreneurs et des imbéciles heureux semble pourtant bien révolu.

Il faut réfuter aussi la pensée magique qui voudrait promettre de nous guérir par des formules symboliques d'un déficit fonctionnel au nom de quelques miracles répétés. On ne peut nier des caractères acquis figés par les années, sans retour en arrière vraiment possible. Il faut maintenir le caractère physique, biologique des symptômes psycho-somatiques qui ne sont pas hystériques ni simulés. Il faut passer par le corps, on peut penser par contre que la plupart du temps le déficit n'est pas définitif et résulte simplement d'une hypersensibilisation, d'un dysfonctionnement réversible, d'une désadaptation. La perte de neurones pourrait elle-même être compensée par une régénération grâce au Nerve Growth Factor. Le caractère circulaire, rétroactif de la communication biologique est très solide. Cela rend peu probable une véritable dégradation.

Enfin, il faut tenir compte du fait que non seulement on risque de déplacer le symptôme comme signe d'incomplétude, en se contentant d'un traitement symptomatique, mais on peut légitimement penser que le signal de ce qui cloche, "ça c'est vraiment toi" ! Ce n'est pas la brute blonde à la santé éclatante qui représente l'humanité créative mais la fragilité du prématuré et la mélancolie de l'homme de génie. Ce n'est pas la force silencieuse mais la parole déchirée, l'expression sociale. Il est donc essentiel de laisser une place au médicament et à la maladie comme droit, reconnaissance du préjudice subi, de son caractère physique, vital, affirmation de notre insuffisance, notre impossibilité d'assumer notre position par nous-mêmes et la reconnaissance de notre sacrifice comme mise en jeu de notre dignité. En bref, le médicament nous donne le droit de guérir.

N'écoutez donc pas la suite de ce discours puisque c'est un savoir interdit, le pouvoir sur nos corps, savoir sur la souffrance du même ordre que la toxicomanie. Le médicament est d'ailleurs essentiel dans cette stratégie pour convaincre d'une guérison possible mais aussi pour apprendre à contrôler ses effets. Il permet de se désidentifier de son état, de s'en distancer, de le décrire et d'en repérer les mécanismes. Tout cela n'enlève rien au pouvoir de l'esprit sur le corps, ni au fait bien connu qu'être persuadé que sa maladie et son épuisement sont justifiés ne peut que les aggraver. Il semble enfin que les médicaments ne puissent être efficaces sur la durée, ayant des effets paradoxaux de perturbation. Il faut donc sans doute combiner les approches.


Les cycles naturels

Pour l'auteur, la première chose à considérer dans le contrôle du corps, c'est la nature cyclique de la conscience et de l'être, temps du rafraîchissement de l'information pourrait-on dire. "Les processus cycliques sont très importants pour la vie. Ils permettent de préserver des éléments-clefs du passé malgré les fluctuations et la tendance au désordre de l'environnement pris dans son ensemble" 71. C'est la base de toute résistance à l'entropie, de notre stabilité et donc aussi du changement.

Ainsi, il semble qu'on ne puisse tenir plus de 20 minutes de concentration intense, de stress efficace avant épuisement. Beaucoup de consultations comme les consultations médicales durent généralement à peu près ce temps là. Il y a surtout des cycles d'1 heure 1/2. Il faut se ménager 20 minutes de repos toutes les 90 minutes, pour éviter des accidents par exemple. Ce temps de distraction est aussi favorable aux phénomènes hypnotiques de transe naturelle.

Au-delà de ces questions d'efficacité pratique, il y a des nombreux indices qui font des dérèglements psychosomatiques une conséquence d'un dérèglement des cycles biologiques, dysrythmie qui se répercute sur l'énergie et le sommeil profond (par exemple, les hormones de croissance sont produites surtout dans les 90 premières minutes de sommeil). Cette dysrythmie des cycles biologiques se retrouve notamment dans la respiration. Ce n'est donc pas un hasard si le contrôle de la respiration a une si grande importance dans le yoga (p243). De même, hypnose et relaxation opèrent en grande partie par le rétablissement des cycles de repos de 20 minutes dédiés au "cerveau droit" imaginatif.

Le pouvoir de guérison (travaux pratiques)
L'art et la science qui consistent à recadrer les symptômes et les problèmes pour les considérer comme des signaux et les transformer en fonctions créatives, ne sont qu'à leurs débuts. 411
Outre le fait de respecter les rythmes biologiques, la réussite de la guérison est liée aux croyances, favorisée par des pratiques inhabituelles, comme nous l'avons vu, des chocs émotionnels. L'essentiel semble pourtant de pouvoir être confirmé par le résultat (feed back), rétroaction qui est au principe de tout contrôle par l'esprit. Ce pourquoi il n'y a pas beaucoup plus à dire quand il faut s'y essayer. C'est si vrai qu'un des seuls progrès depuis ce livre, et considéré comme un remède contre les maladies du stress, c'est l'EEG biofeedback qui consiste dans un appareil de mesure branché sur nos paramètres internes (tension, chaleur, Electro Encéphalo Gramme) afin de nous apprendre à les contrôler par la pensée. On peut ainsi, en principe, apprendre à contrôler n'importe quel facteur biologique. Ce n'est pas immédiat, nécessitant un véritable apprentissage. Il est douteux de l'intérêt d'y consacrer sa vie comme un fakir, mais on a plus de raisons de s'y intéresser pour guérir des maladies invalidantes provoquées par une régulation déficiente (déficit d'attention, fibromyalgies, coeur).

Les travaux pratiques sont d'une simplicité désarmante puisqu'il semble qu'il suffit de rétablir les rythmes indiqués (au moins pendant le traitement) et d'apprendre à contrôler sa respiration et son flux sanguin, les récepteurs adrénergiques contrôlant la tension étant largement impliqués dans les dysfonctionnements somatiques et immunitaires. Les médicaments adrénergiques (Hept-A-Myl, Clonidine, Hydergine, etc.) peuvent aider l'apprentissage, mais les seules manifestations sanguines suffisent, normalement. Pour commencer, on doit pouvoir s'entraîner à créer des sensations de chaleur, des rougeurs, une poussée des seins pour les femmes, des érections pour les hommes, jusqu'à pouvoir arrêter des saignements, créer des brûlures, supprimer des verrues, réguler sa tension enfin.

En dire plus ne remplacerait pas une pratique assidue, ni surtout la volonté de s'y mettre qui est tout le problème. Le livre est agrémenté de petits encadrés servant d'exercices mais s'y mettre vraiment ce serait être déjà guéri ! Dans l'immédiat, sachant que la dominante nasale de la respiration est en rapport avec l'hémisphère cérébral activé (côté opposé), en se couchant sur le côté gauche on bouche le nez droit et on active l'hémisphère gauche (et vice-versa). C'est un premier pas facile pour essayer de sentir les différences de flux sanguin dans le cerveau.

Tout ceci paraîtra bien dérisoire à ceux qui sont submergés, effondrés, épuisés face à des agressions perpétuelles. Le contrôle mental n'est pas tout puissant, il est même aussi paradoxal que les drogues, épuisant soudain ses ressources face à un stress. C'est sans doute le premier pas du traitement psychobiologique et de la guérison, mais on peut se demander si elle est totale ou bien si elle est plutôt maîtrise acquise d'un déficit acquis. Pour ma part j'ai eu l'impression d'apprendre à réguler mes déficits à mesure que j'en comprenais les mécanismes mais cela n'empêche pas les rechutes brutales. Si on prend au sérieux la théorie de la mémoire et de l'information, il faut s'attendre à ce que le retour à nos vieux démons soit facilité, de même qu'un dysfonctionnement social non réglé continuera à perturber les corps. Il ne faudrait donc négliger ni régime ni exercice physique et cultiver les vertus du rire, de la danse et du chant quand le coeur ne nous manque pas trop, c'est le plus efficace sans doute. En associant un traitement social et médicamenteux à une hygiène physique et mentale, on peut du moins espérer rétablir les communications, revenir dans le jeu, retrouver un avenir.
09/06/02
Jean Zin - http://jeanzin.fr/ecorevo/grit/rossi.htm

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