Ecologie et pouvoir
Patrick Viveret

Les Verts ont souhaité, lors de leurs journées d’été, aborder la question du rapport au pouvoir. C’est en effet le cœur du problème politique. Et c’est en le posant que l’écologie politique peut opérer un renouvellement démocratique auquel la plupart des partis ont fini par renoncer.

Mesurer la difficulté de la question c’est d’abord prendre en compte l’ambivalence propre à tout pouvoir ; c’est repérer ensuite les aspects spécifiques du problème dans son rapport avec l’écologie politique et le parti des Verts.

Une double critique : trop de pouvoir ou pas assez ?

La désaffection à l'égard du politique dont l'absentéisme électoral constitue la forme la plus visible, mais non la plus grave, est marquée par un paradoxe : d'un côté on reproche aux responsables politiques d'avoir trop de pouvoir et de le confisquer ; de l'autre d'être " impuissants " (notamment face à une économie mondialisée) et donc de ne pas en avoir assez.

La première critique, on l'a vu une nouvelle fois en France à l'occasion des élections municipales, est celle de la confiscation du pouvoir. Dans sa forme positive, elle s'exprime par des demandes de démocratie participative , de citoyenneté active, de parité face à la confiscation sexuelle du pouvoir. Dans sa forme négative, elle se manifeste par l'absentéisme électoral, la tentation de rejeter en bloc les politiques comme "tous pourris", le refus de la loi et le dérapage vers la violence.

La seconde critique reproche au politique son impuissance face à des forces ou des problèmes qui semblent le dépasser, qu'il s'agisse de la finance internationale, de la sécurité alimentaire, du dérèglement du climat, ou des mutations génétiques.
 

Pouvoir de domination Pouvoir de création ?

Mais s'agit il du même pouvoir? Le terme lui même évoque deux réalités très différentes dans leur principe, même si elles sont en partie mélangées dans leur application. Cette distinction s’exprime même graphiquement et grammaticalement : en minuscules il s’agit d’un verbe auxiliaire appelant nécessairement un complément ; en majuscules il devient un substantif : c’est LE POUVOIR à atteindre ou à conserver et il se suffit alors à lui même. C’est en parlant du second que Machiavel a construit le découplage du politique et de l’éthique préparant la mutation conceptuelle que Malthus et Jean Baptiste Say allaient opérer, eux, en affranchissant l’économie de la question morale. Mais c’est du premier sens du mot dont parle Michel Foucault dans ses dernières œuvres quand il considère, comme le note Jean ZIN que "le pouvoir n'est pas simplement ce qui bride l'autonomie, et qu il est tout autant ce qui la produit".

Dans un cas il s’agit d'un pouvoir de domination ; dans l’autre d'un pouvoir de création. La différence est de taille même si la réalité politique répugne à opérer cette distinction car c’est au nom du pouvoir comme création ou comme protection qu’elle légitime un pouvoir de domination. Elle doit être rappelée dès que l’on évoque les questions du volontarisme politique comme réponse à l’impuissance. Car ce que l'on reproche au pouvoir "en trop", au pouvoir confisqué, cumulé, voire corrompu, c'est son opacité, sa captation, sa domination sur les citoyens.

Mais le fait nouveau c’est que ce pouvoir de captation ou de domination n'a même plus la capacité de peser sur les grands problèmes que doivent traiter les collectivités humaines, du local au mondial . Là ou historiquement on le supportait car il limitait d’autres maux, notamment ceux provoqués par les effets pervers de l’économie, il semble devenu lui même sans pouvoir. Il perd alors sur les deux tableaux aux yeux des citoyens.
 
Pompiers ou pyromanes ?

Les démocraties sont ainsi aujourd'hui confrontées à un défi redoutable. Les qualités que l'on attend des responsables publics pour exercer leur ministère sont pratiquement inverses de celles qu'il leur a fallu manifester pour y accéder . Ils (ou elles) ont dû se mettre en avant, chercher à déstabiliser les autres candidats, développer l'art du double langage, jouer de registres émotionnels simplificateurs, bref se comporter comme des guerriers dominants, peu regardants sur les moyens, et notamment les moyens financiers, qui leur permettent d'accéder au pouvoir.

On leur demande désormais de savoir écouter, d'être des fédérateurs d'énergie, de résoudre des problèmes complexes qui exigent qu'ils soient des ensembliers et des coopérateurs, des médiateurs et des pacificateurs; on attend d'eux qu'ils soient les garants de l'Etat de droit et les organisateurs de la lutte contre la corruption. Autant dire que l'on valorise des qualités de pyromanes pour exercer le métier de pompier.

On aura compris que cette ambivalence profonde du pouvoir n’atteint pas seulement les gouvernants ; elle est présente chez les électeurs, comme chez les adhérents de base d’un parti, sous une double forme :

Cette ambivalence des électeurs (ou des adhérents) complique le problème, elle n’en change pas la nature. Et si l’on raisonne en termes dynamiques on doit bien constater que si la forme associative est aujourd’hui l’une des plus adaptées à la demande démocratique c’est précisément parce qu’elle se situe beaucoup plus du côté du pouvoir comme création que comme domination. Et c’est la raison pour laquelle nous avons vu naître au cours de ces dix dernières années non seulement une société civile, mais aussi une société civique mondiale. Car ces associations d’un nouveau type, celles qui se caractérisent comme mouvements de citoyenneté ou associations civiques traitent directement de questions politiques. Un rassemblement comme celui du forum social mondial de Porto Alegre est au meilleur sens du terme un rendez vous politique .

L’Ecologie et la question du pouvoir
 

Les Verts sont confrontés comme les autres partis à cette ambivalence du pouvoir. Mais ils sont obligés de la traiter plus courageusement que les autres forces politiques pour trois raisons majeures :

 

Mais si ces raisons sont fortes elles ne suffisent pas à tracer un chemin facile. D’autant que les écologistes peuvent avoir le sentiment d’avoir beaucoup tenté dans cette direction d’un autre rapport au pouvoir en multipliant les limitations de cumul, les rotations de mandat, la parité de leurs instances. Mais ces tentatives entérinaient pour la plupart l’idée que le pouvoir était nécessairement du côté de la domination et qu’il fallait donc lui opposer en permanence des contre-feux. Cette stratégie du soupçon permanent loin de transformer le rapport au pouvoir dans un sens de co-création, le fige dans une structure infantilisante qui ne prépare guère à la responsabilité.

Il est enfin une difficulté qu’on ne saurait taire : le pouvoir comme domination est une drogue puissante, plus puissante sans doute que l’argent. Et nos sociétés ont pris l’habitude de traiter leur dépression par l’excitation que leur causent les drogues de toutes natures, celles de l’argent et du pouvoir n’étant pas les moins dangereuses . Nos démocraties ont besoin de se désintoxiquer. C’est un beau combat pour des écologistes. Non ?