Qu’est-ce que la subjectivité ?

Temps de lecture : 36 minutes

subjectiviteOn peut dire que l'année aura été consacrée à une mise en cause radicale de la subjectivité dans ses conceptions religieuses ou mythiques qui n'épargnent pas la philosophie, jusqu'à l'existentialisme au moins, ni bien sûr la politique, en particulier le supposé rationalisme démocratique plutôt démenti par les faits. Tout cela n'empêche pas la subjectivité d'exister et de constituer notre expérience intime de la vie.

Après avoir constaté à quel point elle était plus déterminée que déterminante - que nous ne sommes pas le centre de l'univers autant qu'il nous semble et que son destin ne dépend pas de nous autant qu'on l'imagine -, il faut bien réintroduire une subjectivité définie non seulement par la représentation mais par ce qu'on ressent et ce qu'on peut, par ce qui caractérise notre être-au-monde, c'est-à-dire d'être confronté à des rencontres et des possibilités qu'on n'a pas choisies mais qui constituent bien notre réalité actuelle, réalité constituée essentiellement de rapports sociaux (être-pour-les-autres). Réalité à laquelle le sujet s'oppose par construction, dénonçant son indifférence et ses injustices qu'on ne peut cependant corriger que localement, une par une. Il reste bien ce qui dépend de nous, l'intervention pratique de la subjectivité et du vivant, notre marge de liberté et d'action même si des forces supérieures ont finalement le dernier mot et que notre esprit est brouillé par toutes sortes d'influences néfastes qui l'aveuglent si souvent (il n'y a pas de désir de savoir mais seulement de croyances rassurantes).

Cette réintroduction de la subjectivité dans une histoire soumise à des causalités plus matérielles avait déjà été tentée par Jean-Paul Sartre autour de 1960, en réponse aux attaques de Lukàcs[1], avec "Question de méthode" essayant de concilier "Marxisme et existentialisme", ce qui aboutira à sa "Critique de la raison dialectique". Il n'arrivera pas à en achever le second tome qui tentait vainement de fonder une intelligibilité de l'histoire comme si elle était l'émanation de la subjectivité (et non le règne de l'après-coup). Sous le titre Qu'est-ce que la subjectivité ? vient de paraître justement une conférence italienne de 1962 initialement appelée "Marxisme et subjectivité", ce qu'on pourrait traduire par "matérialisme et subjectivité", voire déterminisme et liberté, illustrant avec des anecdotes son grand oeuvre qu'il venait de publier et préfigurant son travail sur Flaubert, sorte de psychanalyse matérialiste. Plutôt que d'en faire une véritable critique, c'est surtout l'occasion de réexaminer l'incidence politique d'une subjectivité dépouillée de sa transparence à soi.

L'intérêt principal de cette conférence est d'identifier de façon plus appuyée que jamais la subjectivité à l'ignorance d'elle-même, absorbée par l'action peut-on dire, intentionalité dépourvue de toute réflexivité, représentation qui se substitue à la chose même, préjugé qui se croit objectif, particulier qui se prend pour l'universel. C'est assez surprenant pour ceux qui voudraient ramener l'existentialisme à une philosophie de la conscience (alors que tout le travail sur Flaubert démontre le contraire et que Sartre insiste souvent sur l'incompatibilité du sujet au savoir). Il donne ici l'exemple d'un communiste prenant conscience de son antisémitisme pour s'en détacher. La subjectivité serait ainsi pure médiation, qui s'ignore comme médiation, entre les déterminismes biologiques et sociaux. C'est ce qu'on est sans y penser (Lacan dira pareillement : ou bien je pense, ou bien je suis). Au fond, la subjectivité, c'est l'inconscient, tout ce qu'on incorpore sans le savoir et qui a formé notre perception ou nos habitus dans notre histoire à notre insu (l'enfance, les mouvements dans lesquels on s'engage, la classe sociale, le sexe, etc.). Ce n'est pas l'inconscient freudien, le refoulement d'une conscience préalable, mais bien le "non-objet" (p39) et l'équivalent de l'oubli de la perception derrière le perçu (de l'énonciation derrière l'énoncé). Il n'y a cependant d'inconscient que pour une conscience, la subjectivité désignant ici son point de vue particulier plus que le regard lui-même qui le fonde et on peut appeler subjectivation l'incorporation d'une conscience collective (de classe) comme de sa propre situation - où la narration (le fantasme) a une grande part trop négligée, pas seulement par Sartre (Foucault parlera d'autoconstitution, Simondon d'individuation alors qu'on devrait parler plutôt d'identification voire d'engagement, du rôle qu'on se donne dans un récit). Le particulier ne s'élève à l'universel que par la conscience réflexive de ses réflexes inconscients et donc la soustraction de la part subjective. La réflexion objective la subjectivité et du coup la transforme, faisant intervenir une liberté supposée entière de la surmonter consciemment (mais au nom d'une subjectivité narrative et ordonnatrice - idéal, norme, croyance, savoir - d'un surmoi qui ne se confond pas avec l'universel et reste, lui, largement ininterrogé ici).

Si on peut dire que la subjectivité (l'intentionalité) est la mesure de toutes choses, le connais-toi toi-même socratique est bien destiné à nous sortir de ce relativisme. Cependant l'objectivation de la subjectivité peut être elle-même complètement illusoire et subjective, pur effet de suggestion à faire exister par exemple un diable en soi, prétendument responsable de toutes nos fautes au regard d'une perfection inatteignable pourtant. Pour Heidegger, prendre l'existence comme un objet du monde, objectivable, rate justement sa position subjective, son engagement dans la situation. On pourrait objecter aussi que l'acquisition des savoirs fait partie intégrante de la subjectivité mais on peut admettre que l'usage de l'acquis est aussi inconscient ensuite que celui de l'inné, de même que l'habitude est une seconde nature (et, comme dit Sartre p36 "si, lorsque vous descendez un escalier, vous prenez connaissance de ce que vous êtes en train de faire [...] alors vous trébuchez"). L'opposition entre conscience et subjectivité d'ordinaire confondus est à retenir, la conscience étant l'exception plus que la règle, de même que les actes véritables sont rares dans une existence dominée nécessairement par la passivité de l'Être-donné. Cela mène malgré tout à une surestimation de la conscience et de l'activisme alors qu'on peut s'étonner de ne pas retrouver avec cette subjectivité prise dans les discours, la négativité du sujet et le travail du scepticisme, l'esprit qui dit non, le mauvais sujet jamais identique à lui-même [c'est bien ce qu'on tente ici, de porter la négation sur ce qu'on a pu établir avant].

A son origine il y a toujours cet acte fondateur du sujet qu’est la rébellion contre ce que la société me fait faire ou subir. Touraine, qui a étudié Sartre dans sa jeunesse, a très bien formulé ça : "Le sujet est toujours un mauvais sujet, rebelle au pouvoir et à la règle, à la société comme appareil total". La question du sujet est donc la même chose que la question morale. (André Gorz, Ecologica, p12-13)

Cette négativité change la donne à ne plus faire coïncider tout-à-fait le sujet avec ses déterminations mais dans cette période marxisante, après les dures épreuves de la guerre, le matérialisme (de la rareté et de la violence) s'oppose à tout subjectivisme, le sujet n'ayant d'autre fonction que "d'avoir à être" ce qu'il est déjà (choisir ses déterminations ou les rejeter). Seulement, vouloir faire du sujet et de l'acteur le fondement de l'histoire revient tout autant à sa négation, n'étant plus que la marionnette de l'histoire. Il faut au contraire insister sur la disharmonie entre l'action et son résultat, tout comme entre les personnages historiques et l'histoire qui ne suivent pas les mêmes desseins ("Il résulte des actions des hommes en général encore autre chose que ce qu’ils projettent et atteignent, que ce qu’ils savent et veulent immédiatement". Hegel. Leçons sur la philosophie de l’histoire. Vrin p33). C'est la condition pour sauvegarder l'expérience singulière de l'existence avec ses engagements et ses ratés. Même si ce n'est pas l'acteur qui fait l'histoire mais des forces matérielles (démographiques, techniques, économiques, écologiques), en gros ce qu'il appelle le "pratico-inerte", il faut bien rendre compte de comment il y participe avec toutes ses illusions, intérêts ou projets particuliers, tout comme le travailleur peut être motivé dans son travail sans être tellement déterminant dans son produit (ni le soldat dans la guerre). Sartre refuse cependant de considérer la subjectivité comme un épiphénomène (p38) de l'histoire, ce qu'il assimile à de l'idéalisme objectiviste (p32), cherchant au contraire, tout comme dans "Question de méthode", à mettre la subjectivité aux commandes d'une histoire dont elle serait l'agent, dans l'unité du subjectif et de l'objectif au lieu de leur opposition :

Le marxisme tend à éliminer le questionneur de son investigation et à faire du questionné l'objet d'un Savoir absolu. Les notions mêmes qu'utilise la recherche marxiste pour décrire notre société historique - exploitation, aliénation, fétichisation, réification, etc. - sont précisément celles qui renvoient le plus immédiatement aux structures existentielles. La notion même de praxis et celle de dialectique - inséparablement liées - sont en contradiction avec l'idée intellectualiste d'un savoir. Et, pour arriver au principal, le travail, en tant que reproduction par l'homme de sa vie, ne peut conserver aucun sens si sa structure fondamentale n'est pas de pro-jeter. p158

L'existentialisme, au sein du marxisme et partant des mêmes données [...] ne remet rien en question, sauf un déterminisme mécaniste qui n'est précisément pas marxiste [...] Mais il veut, dans le Savoir même et dans l'universalité des concepts, réintroduire l'indépassable singularité de l'aventure humaine.
(Question de méthode, p158-159)

L'aventure humaine peut être celle de la maladie et de la souffrance, dimension tragique qui est très présente chez Hegel mais devient chez Marx simple aliénation pouvant être dépassée et guérie, ce qui fait le caractère prophétique et religieux du marxisme (que Sartre réfute avec raison au nom de la dialectique qui ne permet pas de savoir à l'avance le résultat mais qu'il conserve pratiquement par son adhésion au marxisme). C'est aussi chez Marx que le travail est glorifié comme fondement anthropologique, sorte d'auto-production de notre humanité que Sartre reprend à son compte, où il pourrait y avoir coïncidence du projet et du produit. Chez Hegel, c'est beaucoup plus ambigu dans la dialectique entre Maître et esclave mais il est certain que le résultat ne correspond pas aux désirs de l'esclave et qu'il échappe largement au Maître tout autant. La conscience philosophique vient toujours trop tard, après-coup. L'interprétation marxiste que Kojève fait de Hegel est donc trompeuse sur ce point à substituer l'Homme à l'Esprit ou la raison dans l'histoire :

L'Homme n'est mouvement dialectique ou historique (= libre) révélant l'être par le Discours que parce qu'il vit en fonction de l'avenir, qui se présente à lui sous la forme d'un projet ou d'un "but" (Zweck) à réaliser par l'action négatrice du donné, et parce qu'il n'est lui-même réel en tant qu'Homme que dans la mesure où il se crée par cette action comme une oeuvre (Werk). (Kojève. Introduction... p 533)

Cette liberté auto-créatrice qui ne semble reposer sur rien (ni père, ni mère) substitue en fait la subjectivité du Je (Homme) à l'objectivité du Il (Esprit, Histoire), le projet à la négativité, la logique de l'identité à la non-identité d'une extériorité changeante. Il est certain que nous nous projetons dans l'avenir, intentionalité constitutive de la subjectivité, et que nous produisons nos propres conditions de vie, cela n'implique ni que l'avenir se plie à nos quatre volontés, ni que les conditions de vie que nous produisons soient voulues alors qu'elles s'imposent de l'extérieur pour la plus grande part. Le travail peut être épanouissant mais peut-être pas à ce point non plus. La réduction de l'Homme à son produit est excessive, mais c'est qu'il n'y a pas l'Homme, la causalité n'étant pas intérieure mais bien extérieure: c'est l'environnement qui guide l'évolution comme on se règle sur lui par l'information. Sartre pourrait être d'accord là-dessus sauf que cela n'implique absolument pas une identité du sujet et de l'objet, une adaptation complète à l'environnement actuel alors qu'on doit pouvoir s'adapter à ses changements et que la réalité concrète est plutôt celle de notre inadaptation. L'imbrication de différentes temporalités, et de variations infinies, vide de sens l'identification du sujet à l'objet qu'on tente depuis Hegel (ou Spinoza) et que revendique Sartre[2] ci-dessous pour sortir du subjectivisme, la subjectivité n'étant plus alors que l'intériorisation de l'extériorité (définissant l'organique, p37 et p53), ce qu'elle est certes en grande partie mais sans effacer leur séparation (leur différance) et leurs négativités réciproques, empêchant tout autant de faire de la subjectivité, ou de la conscience, le simple reflet de la réalité, sorte d'appareil photographique sans consistance propre, comme on a pu en accuser Lukàcs ("Le qui - le spectateur, la subjectivité, l'Ame - s'épuise-t-il en ce processus d’intériorisation ?" questionne, dans "Autrement qu'être", p50 Lévinas qui identifie la subjectivité à la responsabilité envers l'autre, être pour un autre, "l'âme est l'autre en moi" p111, mais aussi à la vulnérabilité ou sensibilité).

Il y a subjectivité lorsqu'un système en intériorité, médiation entre l'être [organique] et l'être [inorganique], intériorise, sous la forme de l'avoir à être, n'importe quelle modification extérieure, et qu'il la ré-extériorise sous forme de singularité extérieure. Et, bien sûr, l'ensemble se fait sous la forme d'une pulsion. p55

Je considère qu'un individu quel qu'il soit, ou un groupe, ou un ensemble quelconque, est une incarnation de la société totale en tant qu'il a à vivre ce qu'il est. C'est seulement d'ailleurs parce que nous pouvons concevoir le jeu dialectique d'une totalisation d'enveloppement, c'est-à-dire d'une totalisation qui s'étend à l'ensemble social, et d'une totalisation de condensation, ce que j'appelle l'incarnation, qui fait que chaque individu est, d'une certaine façon, la représentation totale de son époque ; c'est seulement à cause de cela qu'on peut concevoir une vraie dialectique sociale ; dans ces conditions, je considère donc que cette subjectivité sociale est la définition même de la subjectivité. p120

On peut avoir de la dialectique une toute autre conception que celle d'un processus de totalisation, une conception plus fractale et cognitive, plus exploratoire enfin d'aller d'un extrême à l'autre avant de se rendre à la raison et il est très contestable de parler d'une représentation totale de son époque, comme s'il n'y avait pas plusieurs temporalités et plusieurs mondes, différents selon les générations et les régions. C'est aussi trompeur que la figure de l'hologramme utilisée par Edgar Morin et qui correspond bien à celle d'un corps dont toutes les cellules ont le même ADN (quoique...) mais pas à la société où partager le même langage ne signifie absolument pas partager le même savoir ni avoir les mêmes finalités d'autant plus avec les phénomènes d'individuation où le sentiment de liberté comme de responsabilité est directement relié à la multiplication des contraintes entre lesquelles chacun doit constamment trancher. Sartre tente d'illustrer cependant cette incarnation avec l'analyse sauvage qu'il fait de son ami Leiris, comme avec Flaubert, ramenées à leurs histoires et leurs déterminations particulières. Ce qui est curieux, c'est qu'on a dans cette différenciation radicale l'image inverse de l'existentialisme dont le succès tenait à l'universalité d'une conscience vide, néantisante, face au monde et d'une totale liberté face à nos déterminismes, fondements de notre fraternité qui faisait de l'existentialisme un humanisme. Même à vouloir en faire une singularisation de l'universel (qui peut nous toucher dans un roman), son objectivation perd la dimension subjective elle-même dans sa temporalité. Il n'y a plus vraiment d'universel de l'existence face à la contingence du monde, un rapport à l'être, mais bien la contingence de la subjectivité, comme enfermée dans ses particularismes, réifiée.

Tout cela reste inscrit dans une perspective marxiste avec le rôle dévolu à la prise de conscience de la classe ouvrière. On peut admettre que "la classe ou le groupe ou le parti sera d'autant plus agent de l'histoire qu'il sera pour lui-même davantage objet" p99 mais il serait on ne peut plus idéaliste de s'imaginer qu'il suffirait d'une prise de conscience pour transformer le monde, il faut de plus s'imaginer connaître déjà sans discussion l'objectif final (la propriété collective des biens de production), c'est-à-dire le résultat d'une dialectique en cours. En fait, ce que le Parti Communiste appelait une prise de conscience n'était que l'adhésion à sa propagande, une bien belle histoire mais qui recouvrait tant d'horreurs, hélas !

Il faut postuler à la fois qu'on peut transformer le monde et qu'on peut avoir une conscience claire de ce qu'il faudrait faire, ce qui ne se vérifie absolument pas, notamment en économie, les transformations du monde étant bien plus subies que voulues et les idéologies au pouvoir n'étant que des croyances dogmatiques. Il faudrait plutôt admettre que notre rayon d'action est plus restreint et notre clairvoyance plus que douteuse. En effet, et pour revenir maintenant au parcours de cette année, ce n'est pas seulement que notre rationalité est bien plus limitée qu'on ne se l'imagine, ni une simple question de mauvaise foi, mais que nous partageons une commune connerie, ce qu'on appelle les "biais cognitifs", auxquels ils faut ajouter les pièges de la narration, et que la raison qu'il nous reste mènerait plutôt à la folie par excès de logique recouvrant le réel de récits imaginaires et de discours contraints.

Il y a certainement une fin des illusions politiques qui doit prendre la suite de la fin des illusions religieuses (certes loin d'être achevée) pour ramener la démocratie à des rapports de force et l'argumentation publique, non pas à une supposée conscience formant le monde à sa mesure comme fait l'artisan. Ce n'est pas parce que nous avons des finalités qu'on pourrait les imposer à la terre entière (et c'est un véritable blasphème de le dire). Nous avons besoin de réexaminer notre position à partir de données plus réalistes. Toutes nos prouesses technologiques et la somme de savoirs accumulés donnent de nous une image bien faussée que la simple expérience suffirait à corriger, expérience de la vie avec ses changements d'idées à changer d'époque, ou même simple expérience de l'écriture quand changer de mots change le sens ou corrige la pensée. Si l'opinion n'était pas trompeuse et que l'illusion plus encore que l'ignorance n'était première, aucun besoin de philosophie ni d'apprendre à se connaître.

Cependant, c'est sa liberté et le rôle de l'acteur qui deviennent problématique lorsque son esprit est ainsi troublé (par la religion, les modes, les idéologies, les émotions), qu'il n'est plus pleinement responsable de ses actes - ce dont son avocat peut rendre compte par des causalités sociales, devenu encore une fois simple sujet de l'histoire. Comme pour la ruse de la raison qui fait servir les intérêts particuliers à des fins universelles simplement de devoir passer par le logos, ce n'est plus la subjectivité qui est déterminante, en effet, mais bien des causalités plus matérielles ou plutôt objectives.

A l'opposé du subjectivisme démocratique comme du volontarisme fasciste, interpréter la théorie de l'évolution à la lumière de la théorie de l'information produit une nouvelle révolution copernicienne qui inverse les causalités s'imposant massivement de l'extérieur, dans l'après-coup, au sujet qui n'est plus aussi central bien qu'il en soit pourtant l'acteur. C'est ce qu'on peut appeler une dialectique de la nature, récusée par Sartre, plus qu'une dialectique subjective. Ou plutôt la dialectique subjective à court terme compte assez peu finalement dans la dialectique objective de l'après-coup et du progrès technique. Il n'est pas question de devoir approuver une évolution qui se fait sans nous et souvent contre nous, confusion d'un darwinisme mal compris entre le fait et le droit, seulement d'en tenir compte pour mieux s'en protéger ou s'y adapter, trouver des solutions viables au lieu d'en rester aux jugements moraux, au monde des idées et des utopies.

Dans ce matérialisme rénové, c'est bien la figure de l'homme comme les prétentions de l'identité qui vont se dissoudre - atteinte insupportable sans aucun doute à notre narcissisme, nous faisant perdre toute dignité semble-t-il à n'être plus cause de soi et simple effet, noeud de relations ou porteur de dettes. C'est pourtant certainement les rapports sociaux qui nous constituent comme personne responsable et nous assignent à notre place, ce sont bien les autres qui nous donnent de la valeur et non pas un quelconque processus hormonal ni un trésor que nous aurions en nous sans le savoir (ce que Lacan appelait l'objet a). Foucault terminait "les mots et les choses" par cet effacement de l'homme "comme à la limite de la mer un visage de sable". Je n'étais guère convaincu à l'époque par les excès d'un structuralisme trop mécanique qui me paraissait une faute inadmissible envers l'esprit et qui "réduit les êtres humains au statut de personnages inconsistants", préférant l'attention au subjectif de la psychanalyse (qui n'en rehausse guère la stature mais en étend l'empire, complexifiant une subjectivité prise dans ses contradictions et son narcissisme comme dans les discours et son rapport aux autres, intentionalité devenue désir et se constituant par le fantasme, le refoulement et l'identification en "appareil" psychique structuré opaque à lui-même). Ce n'est pas une question d'espèce biologique, avec on ne sait quel destin historique particulier capable de métamorphoser l'existence. D'hypothétiques extra-terrestres (ou transhumains) seraient tout autant nos semblables. A prendre au sérieux le darwinisme dans son universalisme comme évolution anti-entropique déterminée par le milieu et ses transformations, ce n'est pourtant pas seulement la figure de l'homme mais bien celle de l'acteur (politique) qui est atteinte comme on l'a vu.

Il n'y a, en effet, aucun espoir à mettre dans une quelconque intériorité de l'individu créatif alors qu'il faudrait plutôt parler d'individu trouvatif, ne faisant que découvrir, sans le vouloir, des possibilités inaperçues mais déjà là (ce que les anglo-saxons appellent sérendipité). C'est évident dans les sciences (qui n'auraient pas été modifiées sans Einstein ou Newton). Peut-être même dans les arts aussi, bien qu'avec une marge plus grande, il ne s'agit à chaque fois que de tirer partie des opportunités du moment et de faire le pas suivant. Ce qui ne répond pas aux enjeux historiques est tout simplement inaudible, rejoignant le bruit ambiant.

Le problème de la subjectivité, c'est qu'elle prend le darwinisme à revers en induisant une action en vue d'une finalité consciente au lieu d'une marche en aveugle par essais/erreurs beaucoup plus coûteuse. Certes, ces finalités sont d'abord répétition, sélectionnées après-coup, mais en tant que projets préalables guidant l'action jusqu'à un objectif prédéterminé, c'est-à-dire aussi en tant que technique, la subjectivité fausse irrémédiablement notre point de vue sur l'évolution historique, interprétée comme produit d'un esprit malin, volonté subjective, complot humain ou création divine, ne pouvant se résoudre à des causalités purement matérielles. On peut dire qu'avec toutes ses limitations, la subjectivité se manifeste dans l'histoire essentiellement par ses capacités perturbatrices, notamment par des enthousiasmes mal placés et autres bulles spéculatives. Il n'y a pas d'Homme responsable de la totalité de l'univers pas plus que le lever du soleil ne dépend de nos sacrifices, seulement l'auto-développement de la voie cognitive du vivant, sorte d'auto-réflexion si l'on veut, qu'on peut présenter comme la conscience de soi de l'Esprit mais plus sérieusement simple logique d'inversion de l'entropie, de la reproduction et de la durabilité.

Remettre la subjectivité à sa place n'est en rien prétendre en supprimer l'incidence, ni même renoncer à mobiliser une conscience mondiale, mais la penser comme subordonnée et renoncer à faire de la recherche du bonheur, encore moins de l'éthique le moteur de l'histoire sous prétexte que ce serait notre moteur à nous, renoncer à s'imaginer que nos libertés ne sont que le résultat de luttes du passé ou que le développement de notre autonomie ne serait destiné qu'à nous faire plaisir (alors qu'on serait plutôt à l'époque de "l'autonomie subie" et du libre marché). Il est cependant d'autant plus impossible de changer notre point de vue que la subjectivité commence, tout comme le système nerveux, avec le plaisir et la peine qui sont à la base des capacités d'apprentissage. Il nous est donc impossible de considérer la totalité du monde sans nous émouvoir et rêver d'en extirper la peine et qu'il nous donne plus de satisfactions. Dans l'Être et le Néant, Sartre affirme, p633, que "l'homme étant condamné à être libre, porte le poids du monde tout entier sur ses épaules ; il est responsable du monde et de lui-même". Ce n'est pas pour autant qu'on en aurait les moyens ni qu'on pourrait accuser nos aînés d'avoir voulu ce monde dont on hérite avec toutes ses injustices, ses menaces et ses absurdités - qu'on ne peut corriger que localement à chaque fois, aux différents niveaux où l'on se situe (y compris au niveau global comme l'ONU). Il ne s'agit pas d'abdiquer toute radicalité mais de ne pas se payer de mots et se contenter de vaines protestations. Pour trouver de véritables remèdes il ne faut pas surestimer ses moyens ni s'imaginer pouvoir convaincre le monde entier quand on n'arrive déjà pas à s'entendre entre groupuscules...

Même si la subjectivité de l'organisme le prend comme totalité, du fait que l'affect est puissance d'agir (un être pour quelque chose ou pour un autre) et qu'il agit ou se déplace comme un tout, il faut souligner, pour finir, les multiples dimensions d'une subjectivité qui n'est pas homogène et ne se réduit pas au vécu du corps ou à sa mémoire, ni à la représentation, ni à l'intériorisation de l'ambiance extérieure dans l'humeur, ni même à la négativité du projet et d'une intentionalité formatrice, plaisir de l'action sans lequel son vide est insupportable (justifiant le travail par l'ennui). Ainsi, le sujet de la vérité (de la phrase) est lui d'un tout autre ordre, effet de sidération, de captation par les mots, pouvoir d'assignation à une identité figée qui a incontestablement des effets de subjectivation (à recevoir son message de l'autre, à être parlé plus qu'on ne parle). Le plus important dans la constitution de la subjectivité, et qui la sort de son intériorité, du solipsisme comme de son rôle de pure médiation, c'est le rapport aux autres, non seulement l'imitation ou l'empathie mais le désir comme désir de l'autre et désir de reconnaissance, désir de désir qui complique singulièrement la vie de groupe et donc la politique aussi - que la subjectivité opacifie avec le jeu des passions (définies par Aristote dans sa Rhétorique comme retour à l'équilibre, vive réaction à la représentation qu'on se fait de la représentation que les autres ont de nous). Le rapport aux autres ne se limite pas du tout à l'éthique et détermine notamment la capacité d'un sujet à dire "Je" tout comme ses identifications. On est loin de la figure idéalisée du citoyen, voire du prolétariat révolutionnaire, que Sartre semble maintenir malgré sa définition de la subjectivité comme opacité à soi-même. Il ne devrait plus être possible pourtant d'avoir une conception trop naïve de la démocratie parasitée par toutes sortes d'intérêts qui la pervertissent, y compris d'ordre sexuel. La sexualité elle-même intervenant incontestablement dans la subjectivité, sans parler de la distinction des subjectivités féminines ou masculines.

La subjectivité est le contraire d'un simple effet mécanique, plutôt un état fluctuant sur lequel on tente périodiquement de reprendre la barre dans une dialectique manifestant tous nos égarements, ce dont l'amour témoigne de façon on ne peut plus éclatante. Dans ses tentatives pour la représenter, on ne peut dire que l'Art n'ait pas idéalisé la subjectivité. C'est le roman surtout qui l'a prise en charge, roman d'amour, roman policier ou roman de formation mais de façon la plupart du temps bien trompeuse, ce que Marthe Robert a dénoncé comme une tentative de reconstruction de nos origines et d'auto-engendrement. Il y a plus de mensonge romantique que de vérité romanesque, n'en déplaise à René Girard. Cependant, c'est la narration en elle-même qui trompe et dont il est si difficile de se détacher, constituant une vie comme projet qu'on raconte à partir de sa fin, c'est-à-dire dans les conditions inversées de la vraie vie et d'une subjectivité incertaine. Ce n'est pas parce qu'on s'inscrit inévitablement dans une histoire, aussi bien personnelle que mondiale, et qu'on lui prête une intelligibilité que ce ne serait pas pur fantasme.

Il ne s'agit pas de prétendre qu'on serait complètement idiots, mais quand même, les religions comme les grandes idéologies donnent la mesure de nos capacités de délires meurtriers. Il s'agit de réviser nos conceptions de la politique à partir des réalités subjectives passant par toutes sortes de filtres (perception, apprentissage, négativité, intentionalité, rapport aux autres, état du corps, sexuation, langage, récit, culture, technique, écriture, média, classe sociale, groupe, intérêts, etc.). La mobilisation des émotions comme de la propagande a toutes les chances de mener au pire en ne disant que ce qu'on voudrait entendre et comblant les désirs de façon purement imaginaire. Vouloir l'hégémonie idéologique - ce qui semble une évidence à tous les militants - est déjà une dérive totalitaire. Il faudrait pouvoir préserver notre indispensable révolte en la délestant de son caractère paranoïaque et de ses certitudes.

En tout cas, le problème posé par la subjectivité assimilée à notre part d'inconscience, c'est la portée politique d'une prise de conscience (forcément partielle), très différente au niveau local et des petits groupes ou au niveau macroéconomique et des grandes structures. A la nuance près qu'une prétendue prise de conscience est souvent très illusoire (théories du complot, etc.), relevant plutôt de l'identification ou de la suggestion, on peut malgré tout retenir de cette conférence sur la subjectivité que son objectivation rendrait possible de s'en détacher. Il n'est donc pas anodin qu'avec nos données personnelles et les Big Data on arrive à une objectivation de plus en plus complète de nos subjectivités agissantes. Il n'y a aucune disparition pensable de la subjectivité comme projet, Sartre y insiste, mais certainement l'émergence d'une subjectivité radicalement nouvelle à l'ère de l'information et d'une conscience étendue.

Comme je le disais dans "la part animale de l'homme" :

De bons matérialistes voudraient que la conscience soit une simple émergence, certains disent une survenance comme lorsque des atomes s'ordonnent en masse, alors qu'il s'agit d'un processus intermittent de réflexion et de décision où la conscience comme question précède par définition l'action. C'est un détour qui la diffère et l'inhibe, et, donc : soit je pense, soit j'agis !

L'important, c'est de constater, en accord avec Sartre, que ce qui constitue la conscience est bien la capacité d'inhibition des "instincts", qui nous sort de l'automatisme et d'une simple causalité biologique, passant d'une causalité émotionnelle subie à une finalité active où c'est l'effet visé qui devient cause de l'action. L'extension de la conscience est donc aussi l'extension de l'inhibition et la régulation des conduites (villes intelligentes, coaching numérique, etc.). Ce passage "de l'histoire subie à l'histoire conçue" ne se produit pourtant pas au niveau de la globalité d'un projet préconçu supposant un accord des subjectivités, mais au cas par cas des données et de dérives qui peuvent être corrigées. Aucun besoin d'une conversion des consciences, d'un homme nouveau, d'une réforme de l'entendement pour une causalité qui reste extérieure et ne dépend pas de nous mais seulement d'objectivations chiffrées, que cela nous plaise ou non. Le résultat risque d'être très différent du communisme rêvé, mais tout autant sans doute d'un libéralisme débridé.

S'il est bien difficile de se résoudre à ne pas pouvoir transformer la totalité du monde à notre convenance, tout au plus se ranger dans un camp, ce n'est certainement pas le cas de notre petit monde et de l'action locale qui dépendent cette fois bien de nous (opposition que Sartre fait entre groupes en fusion et collectifs "sériels"). Nos vies sont faites de projets à plus ou moins court terme et que nous pouvons atteindre en général. Ce qui nous identifie, c'est d'abord ce que l'on peut, à notre place. C'est à ce niveau que la subjectivité et la prise de conscience sont agissantes, que nous pouvons faire preuve d'autonomie et qu'on peut dire "comme la passivité fait son lit elle se couche".

Il y a beaucoup à faire, ce n'est pas le travail qui manque ni les luttes à mener qui ne sont pas sans répercussions globales (d'autant plus grandes qu'elles sont plus justes). Rien à voir avec le dialogue d'une conscience avec son dieu ni avec le héros révolutionnaire qui changerait l'histoire. Notre horizon comme notre rationalité sont bien plus limités mais c'est notre condition humaine écartelée entre la finitude du vivant et l'universalité de l'esprit, sujet divisé toujours inégal à son idéal et qui se laisse si facilement berner. Nous sommes cependant à l'aube de l'ère du numérique et d'une prise de conscience massive de nos déterminations dont il est difficile de mesurer l'impact sur nos subjectivités qui devraient en être, encore une fois, radicalement bouleversées.



[1] Lukàcs fait une critique sociologique de l'existentialisme (individualisme petit-bourgeois et idéalisme subjectiviste) alors que Sartre l'accuse de volontarisme dogmatique à l'opposé d'un supposé réalisme matérialiste mais ils tournent autour des mêmes questions comme on peut le voir avec "L'ontologie de l'être social" plus tardif (1971) et dont je rendais compte en 2009 :

La liberté comme "faculté de décider en connaissance de cause" (p337) est entièrement dépendante des potentialités de l'être, de ses marges de manoeuvre (p222), des choix alternatifs qui se présentent. Il ne s'agit donc pas de vouloir réaliser une utopie arbitraire (chacun la sienne) mais uniquement de libérer des potentialités historiques ("La classe ouvrière n'a pas à réaliser d'idéal mais seulement à libérer les éléments de la société nouvelle que porte en ses flancs la vieille société bourgeoise qui s'effondre", Marx). Naturellement, déterminer ces potentialités n'a rien d'évident, d'où l'importance d'une analyse scientifique préalable mais qu'il faut soumettre à la vérification pratique post festum, dans l'écart avec nos finalités premières. "Possibilité objective et possibilité subjective ne se distinguent ontologiquement que dans la praxis sociale" (p225).

[2] Depuis ses premiers écrits :

Il suffit que le Moi soit contemporain du Monde et que la dualité sujet-objet, qui est purement logique, disparaisse définitivement des préoccupations philosophiques. (La transcendance de l'Ego, Vrin, p86-87)

C'est un autre sens plus phénoménologique qu'il donne à la subjectivité dans "L'existentialisme est un humanisme", constituée entièrement par l'intentionalité, le désir, ce qu'il appelle plutôt son projet (noèse déterminant le noème comme l'amour transfigure son objet) :

L'homme est non seulement tel qu'il se conçoit, mais tel qu'il se veut [...] L'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait. Tel est le premier principe de l'existentialisme. C'est aussi ce qu'on appelle subjectivité. Mais que voulons nous dire par-là, sinon que l'homme a une plus grande dignité que la pierre ou que la table ? Car nous voulons dire que l'homme ex-siste d'abord, c'est-à-dire que l'homme est d'abord ce qui se jette vers un avenir, et ce qui est conscient de se projeter dans l'avenir. L'homme est d'abord un projet qui se vit subjectivement [...] et l'homme sera d'abord ce qu'il aura projeté d'être. Non pas ce qu'il voudra être [...] Mais si vraiment l'existence précède l'essence, l'homme est responsable de ce qu'il est. Ainsi, la première démarche de l'existentialisme est de mettre tout homme en possession de ce qu'il est et de faire reposer sur lui la responsabilité totale de son existence. Et, quand nous disons que l'homme responsable de lui-même, nous ne voulons pas dire que l'homme est responsable de sa stricte individualité, mais qu'il est responsable de tous les hommes. L'existentialisme est un humanisme, p22-24

L'homme est constamment hors de lui-même, c'est en se projetant et en se perdant hors de lui qu'il fait exister l'homme et, d'autre part, c'est en poursuivant des buts transcendants qu'il peut exister ; l'homme étant ce dépassement et ne saisissant les objets que par rapport à ce dépassement, est au cœur, au centre de ce dépassement. Il n'y a pas d'autre univers qu'un univers humain, l'univers de la subjectivité humaine. Cette liaison de la transcendance, comme constitutive de l'homme - non pas au sens où Dieu est transcendant, mais au sens de dépassement -, et de la subjectivité, au sens où l'homme n'est pas enfermé en lui-même mais présent toujours dans un univers humain, c'est ce que nous appelons l'humanisme existentialiste. p92-93

Pour revenir au premier Sartre, voir "La liberté contre l'identité chez Sartre". A signaler enfin qu'on peut aussi identifier la subjectivité à la reconnaissance et l'apprentissage individuel.

11 715 vues

36 réflexions au sujet de “Qu’est-ce que la subjectivité ?”

  1. Ce long article m'évoque la question des choix collectifs, c'est qu'un chien a beau avoir quatre pattes, il ne peut emprunter deux directions à la fois. Les abeilles qui forment un essaim choisissent un nouveau lieu selon une procédure très élaborée. Une fois l'essaim sorti de son ancienne ruche, il se pose à proximité. Les éclaireuses partent dans toutes les directions et reviennent raconter au groupe leurs trouvailles. Les lieux qui semblent les plus prometteurs sont à nouveau explorés par plus d'éclaireuses. Puis de proche en proche, un lieu s'impose et tout l'essaim s'y dirige. En général, il s'agit du meilleur lieu possible situé à une distance raisonnable. La combinaison des notions de subjectivité et d'objectivité peuvent très bien être perçues dans ce processus collectif. A un moment, on doit faire des choix et les épouser. On a à la fois besoin de mobiliser au mieux les données lors de l'élaboration de ces choix et ensuite de mobiliser au mieux les énergies, l'adhésion des membres, pour que ces choix réussissent au collectif. L'objectif et le subjectif jouent des rôles différents à différents moments, tour à tour.
    A une échelle locale, il est plus facile de faire jouer à plein le battement objectif/subjectif, à condition toutefois que des procédures élaborées, comme celle des abeilles pour leur choix d'un nouveau lieu de vie, soit mis en place.
    J'aurais aimé voir à l’œuvre dans votre texte, la notion d'individuation, celle d'identification, la question de la sécurité des individus liée à celle des places (des niches pour employer un terme écolo), les représentations en tant que réalité en interaction avec les autres réalités.

    • On peut dire effectivement que la subjectivité, c'est l'exploration et le cognitif, alors que le résultat est lui objectif, matériel, prédéterminé bien que non su au départ. Il faut quand même prendre la mesure de ce qui empêche dans nos subjectivités le type d'intelligence collective qu'on trouve dans les espèces sociales.

      Je ne crois pas que la question de l'identification soit absente de mon texte, ni la notion d'individuation dans les citations de Sartre du moins. La question de la sécurité, abordée dans les textes sur Heidegger, aurait pu y trouver place ainsi que le caractère dialectique des idéologies mais c'est effectivement déjà trop long pour les standards actuels... L'article visait surtout à prolonger celui sur la théorie de l'évolution comme théorie de l'information pour réfuter, contrairement à ce que je pouvais trouver évident, que ce soit la subjectivité qui se réalise dans l'histoire à laquelle elle participe seulement, en constituant le dynamisme par sa négativité mais n'en déterminant pas le résultat comme on le voudrait. S'y rajoute la question des Big Data pour une subjectivité identifiée à l'ignorance.

  2. oui tu as peut être raison , il n'y a pas de désir de savoir ( où alors seulement bloqué , dormant?? ), mais il y a parfois beaucoup de saveur au savoir , une zone érogène qui par le langage et toutes sortes de petites émotions fais vibrer et jouir et dériver le cerveaux , pas d'autre solutions que de voguer à vue : un genou à terre , au bord du précipice dis à la police que je les pisses quand eux ils me pistes !! dernier réflexe , s'en remettre à dieu !! car les belles choses se vendent toujours , même quand l'époque se met à la catastrophe .... de la saveur au savoir , allée savoir et au plaisir , à l'horloge de nos propres tempos et du plaisir comme de la liberté à apprendre !! le soucis de soi: car toi seul libérateur , c'est toi !!

    • en fait s'est peut être encore un peu prématuré pour la parrhésia et cette exigence de vérité dans l’existence qui travail aussi toute l’œuvre et la vie de Michel Foucault qui lui n'eut pas ce courage dans la vie ... en fait il faut revenir au local en se confortant à la dureté des choix du retour à un capitalisme national ( une connivence d'état qui va de l'extrême gauche à l'extrême droite , en passant par les syndicats ) .. mais assurément la parrhésia a de l'avenir jusqu'à devenir comme dans l'antiquité grecs ( 5è s av JC) une notions et une pratique sociale tout à fait naturelle , commune et ordinaire dans l’Athènes de cette époque ... moi la parrhésia m'a conduit à me retrouver tout seul et à me taire ( car cette philosophie du dialogue et trop ambitieuse et difficile à tenir dans une basse époque , comme les 30 dernières années ) car je devenait trop insupportable à bordeaux , trop vrai , trop direct , trop querelleur ; et procédurier ... ....c'est aussi un peu ce qui est arrivé à van Gogh lors de son internement d'office ) ....

      • quelques évocations chamaniques à l'ère 4 G et 2.0 !! une petite étincelle électronique et numérique , une petite graine pour redonner la palabre , wesh avec la petite abeille qui roupille hilare, tranquille et lovée sous la capuche !! et la poésie du ghetto ( vermeil) de la banlieue verte , désirante et numérique , une banlieue verte mais aussi rouge et noir ( pour éviter les bagarres) ....

        après l'époque semble ouverte mais tellement irréelle , nauséabonde , le vieux et le jeune : le vieux n'est pas encore mort , donc le jeune n'est pas encore né ...... pas d'autre solution de s'adapter à la nouvelle donne car on arrête pas le progrès ....

        en espérant bien entendu que pépé et mémé ne fassent pas trop de difficulté pour rétrocéder les clés et effacer, par un retour de l'inflation, la montagne de dette .... et tirer la chasse à la montagne de merde ... on crève toutes les bulles

      • Ô ma négritude , mon côté sombre et ténébreux , chaotique et virulent !! quand moi avec mon syndrome du sourire au vent , je crève l'écran et dépose le flingue de mon hip hop dans un écrin !! laissez le singe tranquille ( baiser fumer , boire rire , manger et ripailler ) laissez le choir à loisir et regrimper tout en haut de l'arbre en s'accrochant branche par branche !! et si tu porte la capuche et le kéfié fier , frère , nous on frappe le hip hop la casquette à l'envers !! et on revendique toujours dans l'ombre sur mélodies ou beat song ....

      • hard core de catalogue mais lui par la fonction dsk à su resté sincère et qu'au final la vérité éclate au grand jour en double pipe bien juteuse et un troussage général de domestiques quand on se veut des maîtres sans esclaves ...aux prochaines élections on ira déféquer sur leurs ondes et même qu'on leur bottera le fion comme du petit personnel domestique incompétent et mal aimable !! nous comme toujours, on se cogne , le cul nul , dans la nuit et dans l'hiver ... mais par d'autres côtés on est comme électrisé par les volutes bleues de mon hip hop , l’hélium glacé de la vérité comme les flammes de l'enfer !!! pauvre connard !! un story telling général qui milite pour le retour du Général !! voilà la gageure du délire !! une brazéro géant à l'ère 2.0 , un squat cognitif , un petit véhicule , car nous ne disposons au final que de documents dérisoires sur la vie privé , si pleines de subtilités métaphysique ... vient pisser ici sur facebook dans les bas fonds de l'évier du système par delà les pollutions électroniques de la média-sphères, on ne se bat pas contre des spectres et des ectoplasmes , on les écarte pour atteindre de la cible !! les temps sont dures , il faut regarder à hauteur d'hommes et avoir dans la bouche la bonne bite comme dans la poche la bonne bible !! les pirates : les seules à rester crédibles quand on est cerné par les cibles car les seuls à ne pas trop sacrifier l'intégrité au non de la stratégie , l'espace devient furieux , le meilleur y côtoie le pire , c'est à craindre , mais c'est aussi à espérer ... essayez ... essayez toujours , comme disait guillaume le TACITURNE ... ça y est : JE ME SOUVIENS !!! amnésie ambiante ?? des trous dans la tête , car l'histoire passe aussi sur des comas , voilà pourquoi le point cruciale est de se raconter sans trop se la raconter !! comme un réalisme révolutionnaire qui tente de s'adapter à la nouvelle donne et de marcher au pas de la réalité ... et plus que jamais , doutez de tout , car tout est faux ...

  3. C'est effectivement la grande question qui réfute la notion de "prise de conscience" aussi bien en politique que dans l'existentialisme sartrien remplaçant le refoulement par la "mauvaise foi", ce qui n'est pas du tout pertinent.

    Il y a incontestablement un plaisir de l'apprentissage, de la découverte, de la compréhension. L'illumination que procure la résolution d'un problème ou l'apparition d'une cohérence entre phénomènes séparés procure une grande jouissance, conformément à la fonction cognitive du cerveau. Sauf qu'on recherche tellement ce plaisir qu'on se satisfait facilement de réponses fausses, en particulier les théories du complot et la désignation d'un bouc émissaire qui donnent l'impression de faire partie des happy few, de ceux qui savent alors qu'on est au contraire complètement berné et qu'on ne comprend rien à rien. Les religions sont le catalogue de ces faux savoirs correspondant à ce qu'on veut croire, aussi contradictoire que la vie après la mort mais, ce qui est plus nouveau, c'est que, ce qu'on appelle dogmatisme témoignant de notre attachement à ces concepts contradictoires, n'épargne absolument pas les révolutionnaires athées ni, bien sûr, les "critiques du système" dont la bouillie idéologique s'étale au grand jour, mais pas non plus les philosophes (ce sont presque toujours les justifications éblouissantes les plus contradictoires qui provoquent l'admiration). En fait tout le travail de pensée consiste à se rendre compte de ces stupidités dont aucune pensée n'est épargnée, les abandonnant une à une, personne n'en étant exempt. Si tout apprentissage est individuel (on ne peut apprendre pour un autre), il n'est pas vrai que son contenu le soit, on ne fait à chaque fois que répéter les discours ambiants qui changent avec les saisons.

    Pour Freud, ce qui se présente comme désir de savoir (vouloir être chercheur par exemple) serait lié à la négation de la castration, désir de savoir visant le sexe de la mère et qui est un refus de savoir qu'il manque. Rien à voir avec une mauvaise foi quand c'est bien son propre être qui est mis en question et vacille.

    Non seulement la recherche de connaissances se limite presque toujours à vouloir conforter ses opinions (ce que certains appellent de l'auto-défense intellectuelle !), ce qui n'empêche pas d'acquérir de véritables connaissances en chemin, mais, comme je l'ai déjà souligné, la parrhésia ou devoir de dire la vérité est à peu près impossible, en tout cas en société, étant de l'ordre du suicide plutôt (ce que les Romains pratiquaient plus que nous). C'est un peu trop ma tendance sans doute, et qui m'a rendu asocial, mais je sais aussi que j'en dis de moins en moins et que ceux qui prétendent dire la vérité les yeux dans les yeux, sont ceux qui mentent le plus (voir l'aplomb d'un Cahuzac). Ce qui rend les relations sociales viables, ce n'est pas d'y penser et Sartre a raison au moins sur l'opacité du sujet à lui-même même s'il est trop naïf sur la prise de conscience. Ce sont les Big Data qui vont dire la vérité sur nous et à notre place.

    Ramener le savoir à son incertitude que manifestent notamment les théories économiques et la science du climat, oblige à réviser la conception de la démocratie, non pas à cause de l'ignorance du peuple par rapport aux experts, mais de l'ignorance des experts eux-mêmes, d'une absence de transparence qui nous soumet à une dialectique subie, jusqu'à des prises de conscience dans l'urgence de la menace nous permettant de corriger le tir, ou non, histoire chaotique sans sujet mais qui s'ajuste petit à petit aux réalités objectives, la seule garantie pour le vivant d'atteindre ses objectifs étant de juger au résultat (boucle de rétroaction), seule façon de faire avancer les sciences d'un savoir qui ne serait pas du semblant.

  4. "Les actes véritables et créateurs sont rares, étant forcément l'exception plus que la règle. Comme toute mystification, le culte de l'action tombe vite dans le ridicule de l'activisme si ce n'est de la grande paranoïa. Le désir individuel est certes structurant et actif mais il ne commande pas aux êtres et plutôt déterminé par les rapports sociaux. Ses effets de masse sont largement involontaires et plus souvent effets pervers qu'il faut corriger. Nous sommes toujours forcément plus passifs qu'actifs" JZ.. mais ça n’empêche que nous sommes tous devenus très joueur ( un je dans un jeu , le jeu étant le principal mode de connaissance et d'apprentissage dans nos société post modernes même si l'expression n'est pas forcément adéquat !! on s'en fou car sheila , elle a des couettes !! quand on s'en jette un petit derrière le kiki !!

  5. Un article intéressant surtout à faire du doute la caractéristique de l'intelligence humaine (d'une subjectivité plus qu'animale) :

    http://100futurs.fr/blog/intelligence-artificielle-le-crepuscule-dune-idee/

    Il est utile de lister les différences et les limites de l'intelligence artificielle actuelle mais il se trompe sur le fait qu'on n'arriverait jamais à une véritable intelligence même si ce n'est pas pour tout de suite. Il est vrai qu'il faudra faire tout autrement mais il y a déjà une électronique nouvelle qui imite les neurones et renonce à l'exactitude.

    Il restera toujours inaccessible d'avoir la même expérience qu'un organisme en développement ou alors il faudrait prendre le même temps, l'élever dans une famille, etc. Ce qui arrive étant toujours différent de ce qu'on attend, ce sera sans doute une autre forme d'intelligence mais il est trop présomptueux de prétendre qu'on n'y arrivera "jamais".

  6. la subjectivité c'est quand, sur le siphon de mes échecs , l'emporte le typhon de mon esprit et de ses délibérations / pérégrinations ... qui roulent sur le macadam comme une poignée de diadème !! la vérité en guise d'antenne quand le système de la hyène nous tisse une Kamisole , en guise d'étoile !! ?? il faut retourner la kabbale , briser la malédiction et la menace qui pèse sur nos âmes: cela débouche sur les carrefours du labyrinthe , une écriture commune exploratoire !! un dialecte !!! comme des princes du jargon !!! avec les bon mots éternués à la bière comme un dromadaire .... en un mot la bastos du ghetto au cerbère !!!

    • La formule est juste en tant que la pensée est inhibition, suspension du sens mais elle est fausse si on la comprend comme une pensée universelle plus du tout subjective alors que la pensée reste subjective, ce qui fait qu'il peut y avoir une pensée sur nos pensées, c'est seulement l'objet de la pensée qui est objectivé et tenu à distance le temps de la réflexion. Est-ce que rêver est une pensée ? ou se raconter des histoires ? Tout dépend de ce qu'on appelle penser mais moins il y a réflexion, ignorance et recherche d'information, et moins on se détache de sa subjectivité (ses préjugés, ses préférences, etc.).

      • Dans mon cas, le rêve du sommeil, car je rêve beaucoup pendant le sommeil, il y a une forme de pensée presque étrangère, au point que c'est celle d'un autre je. Ces rêves rebattent les cartes par rapport à la situation en éveil.

        C'est une façon différente de traiter l'information.

Laisser un commentaire