Du référendum et des conceptions naïves de la démocratie

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La révolte contre l'injustice et le mensonge des écotaxes, imposées de plus par celui qui apparaissait comme le président des riches, a manifesté un déficit de démocratie accaparée par les élites parisiennes. La revendication de justice fiscale s'est muée ainsi en revendication démocratique qui s'est fixée sur le référendum d'initiative citoyenne (RIC), vieille revendication qu'on retrouve de l'extrême-droite à la gauche populiste et qui semble évidente (qui pourrait être contre?) mais qui existe déjà et dépend largement de son cadre, n'étant pas l'instrument rêvé d'une démocratie directe qui serait l'expression du peuple (parmi les thèmes qu'on voudrait soumettre à référendum, on entend souvent le rétablissement de la peine de mort et la suppression du RSA, il n'est pas dit qu'ils obtiendraient la majorité mais il y a beaucoup de haine pour les plus pauvres aussi, plus que pour les riches parfois).

Comme c'est une revendication qui ne coûte rien au pouvoir, elle sera sans doute octroyée, occupant les esprits plus que les rond-points dans les mois qui viennent. On peut soutenir une forme de RIC mais il n'a pas l'importance qu'on lui donne. C'est une mauvaise réponse à l'aspiration légitime à plus de démocratie mais qui témoigne surtout de conceptions très naïves de la démocratie, s'appuyant d'ailleurs en grande partie sur l'idéologie officielle de notre république avec sa si belle proclamation des droits de l'homme et du citoyen.

Ainsi, les insurgés peuvent invoquer le récit national pour réclamer ce pouvoir du peuple promis et toujours confisqué par le parlementarisme, ce qui est en fait l'appel à un pouvoir fort et une dictature de la majorité, dont le référendum est l'instrument privilégié, alors qu'il faudrait défendre des politiques de dialogue, une démocratie des minorités et des municipalités, à l'opposé du mythe d'un peuple uniforme (qui se tourne contre les étrangers avant de se retourner contre l'ennemi intérieur). Le piège, c'est que chacun se croit majoritaire (être le peuple) mais finit par se découvrir minoritaire, la majorité ne pensant décidément pas comme nous ! Ce qui est étonnant, c'est que les intellectuels eux-même donnent foi à ces vieilles illusions unanimistes de la démocratie, toujours divisée pourtant (au moins entre droite et gauche), comme s'ils ne retenaient pas les leçons de l'histoire - la vraie, pas la reconstruite. Le démocratisme ne sort pas de la tête de quelques idéologues plus ou moins illuminés mais se nourrit de toute une littérature donnant l'impression d'une régression de la sociologie, de l'histoire et de la philosophie politique.

Reste que des référendums sont utiles parfois, comme celui de 2005 sur la constitution européenne, par contre vouloir faire croire qu'une constitution pourrait être écrite par tous au niveau national est un summum de démagogie, même si l'exercice n'est pas sans intérêt personnel. Que chacun pourrait décider du monde est une grande illusion que beaucoup se font un devoir de répandre. D'une part, c'est prétendre qu'on peut se passer de toute connaissance juridique et historique (pour se protéger des dérives, notamment du référendum), d'autre part c'est s'imaginer qu'une constitution serait arbitraire et ne serait pas le produit d'un rapport de force comme des exigences du temps, mais c'est surtout évidemment impraticable, porte ouverte à l'usurpation d'un petit groupe s'instituant les porte-paroles du peuple. Il y a incontestablement des améliorations qui peuvent être apportées à notre constitution, il ne faut pas en attendre beaucoup plus que du modèle Suisse.

De toutes façons, c'est une bêtise de croire qu'il pourrait y avoir une véritable démocratie au-delà de la démocratie locale, et qu'une prétendue volonté du peuple pourrait décider d'une organisation sociale qui est imposée par des facteurs économiques et matériels. La réalité de la politique, c'est son impuissance (le seul véritable pouvoir est de nomination, créant des réseaux d'obligés), changer la forme de la démocratie ne change pas cela et ne détermine pas son contenu. La prétendue souveraineté de la démocratie est une négation du réel et des contraintes extérieures qui ne peut mener qu'à des dictatures (comme l'étaient les prétendues "démocraties populaires"). Ce démocratisme fascisant se fonde apparemment toujours sur le même récit simpliste où tous nos malheurs viendraient des élites corrompues (comme des juifs) qui s'enrichissent sur notre dos. Dès lors, il suffirait de se débarrasser de ces parasites pour que se reconstitue l'unité supposée du peuple et l'harmonie sociale. La dénonciation des politiques et de leur corruption est aussi vieille que la démocratie. Certes, ceux qui sont élus sont rarement les meilleurs car les meilleurs n'aspirent pas au pouvoir ni surtout à tous les coups bas qu'il faut faire pour réussir. Pouvoir les révoquer est souhaitable mais ne changera rien ou presque, changement de personnel sans conséquences notables.

Le problème, c'est que la nature de nos démocraties semble ignorée de tous et bien trop idéalisée. Il est trompeur d'en faire l'héritage de la Révolution alors que la démocratie américaine l'avait précédée et que notre révolution a vite sombré dans l'Empire. Nos institutions sont plutôt héritées de la monarchie constitutionnelle (avec un président, un sénat et la séparation des pouvoirs). Cela n'a plus rien à voir avec les démocraties primitives ni avec Rousseau, ni avec presque tous les théoriciens de la démocratie, comme Aristote, qui la restreignaient à un nombre réduit de citoyens, une population limitée pouvant s'assembler sur une place. On a donc bien raison de dire que "nous ne sommes pas en démocratie" mais c'est qu'il n'y a de véritable démocratie, comportant une part de démocratie directe, qu'au niveau local, ce que Bookchin appelle une démocratie de face à face. C'est cette démocratie locale qu'il faudrait revivifier.

Notre démocratie représentative est tout autre chose et ne saurait se transformer en démocratie directe. Le prétendre est mensonger. Plus on a affaire à de grandes masses et plus s'imposent des réalités extérieures, des puissance matérielles, des contraintes économiques ou écologiques sur lesquelles la politique a peu de prise, impuissance politique qui est mise sur le dos de la trahison des élus n'arrivant pas à exécuter leur programme. La nation n'est plus de toute façon l'échelon pertinent, et c'est le monde qui va changer plus vite que nous dans les années qui viennent. On ne peut plus se distinguer tellement des autres pays, en particulier fiscalement, non seulement à cause de l'Europe mais de la mondialisation et de l'accélération technologique.

La démocratie se réduit finalement à des équilibres plus ou moins favorables à certaines catégories de la population, en fonction des élections. En tout cas, un référendum ne peut décider de ne pas payer ses dettes (comme en Grèce). Il n'y a plus de peuple ni de nation indépendante, nous sommes pris dans l'empire du Droit et un ordre mondial fait de traités et d'interdépendances. Plutôt que d'appeler démocratie notre type de régime, on devrait l'appeler une république tempérée combinant, comme Aristote le préconisait, démocratie (égalité juridique), oligarchie (prospérité publique) et aristocratie (mérite républicain ou élection). S'il faut encourager la passion de l'égalité, caractéristique des groupes en fusion, l'obstination à refuser toute hiérarchie fonctionnelle (et ses contre-pouvoirs) dérive forcément en dénégation des pouvoirs effectifs, tombant dans la manipulation, ce qui n'empêche pas que la hiérarchie produit ses propres pathologies avec ses présomptions de supériorité. L'égalité des citoyens est fondamentale, tout comme la lutte contre les inégalités sociales, mais on a toujours besoin des meilleurs dans leur domaine. On a besoin aussi de moyens financiers, toutes les sociétés développées protégeant la richesse (dans des proportions très changeantes). C'est difficile à admettre mais ce n'est pas une question morale car feindre de l'ignorer ne fait que couvrir une corruption souterraine au lieu de contrôler ou réguler au moins les puissances de l'argent dont on ne se débarrasse pas si facilement.

C'est donc un peu plus compliqué que le simplisme du complot des riches contre la démocratie intégrale et l'égalité réelle. Si la démocratie nationale ne peut pas incarner un véritable pouvoir du peuple, ni même une prétendue volonté générale, elle n'est véritablement qu'une procédure formelle de résolution des conflits par un vote majoritaire dans un Etat de Droit, non pas le régime idéal mais "le pire des régimes à l'exclusion de tous les autres". Du coup, il faut voir dans le vote, non pas tant l'expression de notre volonté qu'un outil de pacification sociale et de consentement (au résultat), ce qu'il était explicitement sous la royauté exigeant l'approbation de ses parlements par leur vote. Par contre, vouloir que tout le monde s'exprime, comme c'est la mode de l'affirmer actuellement, et depuis les "nuits debout", relève de l'absurdité au niveau national, ne pouvant déboucher sur rien sinon la frustration de ceux qui y auront cru. C'est simplement réduire la démocratie au "cause toujours" sans conséquences. Il faut le redire, on n'a guère le choix de l'organisation sociale, la longue litanie des doléances ne fait pas une politique. Il y a simplement des politiques plus ou moins justes ou efficaces (ce ne sont pas les bonnes intentions qui comptent mais le résultat). Ce dont on a besoin plus que de l'avis subjectif des citoyens, c'est d'une bonne connaissance de la situation objective, en particulier quand de tels bouleversements sont en cours. Hélas, il y a encore un manque de clairvoyance général sur le changement climatique comme sur le numérique qui rend pourtant impossible tout retour en arrière. Un grand débat national peut être malgré tout utile à condition de ne pas en attendre des miracles car il ne réduira pas la diversité des opinions, s'il peut en faire ressortir certaines ?

C'est en effet, avec la transition écologique, l'accélération technologique, le numérique et la robotisation qui vont changer le monde bien plus que la politique. Marx avait fondamentalement raison dans son matérialisme historique où c'est l'évolution technique qui détermine le système de production plus que les idéologies. Les hommes ne font l'histoire que très rarement, de même que nous ne décidons pas des guerres que nous subissons. Il ne reste qu'à s'y adapter mais cela peut être de façon plus ou moins injuste et les mouvements citoyens comme les grèves salariales restent bien indispensables pour rétablir un peu plus d'équité. Le message des gilets jaunes de l'exigence d'une justice fiscale vient donc à point nommé pour mieux orienter ces inévitables adaptations (avec notamment un revenu garanti) même s'il ne faut pas trop en attendre avec notre niveau de chômage, de prélèvements et le contexte international.

Il ne s'agit pas de médire de ce qui était une réaction saine qui devrait avoir des effets positifs. Une refondation démocratique est sans aucun doute nécessaire. Le danger, c'est que la démagogie mène au pire, la situation mondiale actuelle étant assez chaotique. Le monde semble se disloquer actuellement même s'il est matériellement de plus en plus unifié, ce qui rend d'autant plus important de se concentrer sur le local pour équilibrer cette mondialisation erratique. C'est aussi un monde où l'on est devenu transparent, de plus en plus surveillés, comme en Chine qui semble bien être notre avenir si l'Europe n'est pas en mesure de défendre nos libertés et de représenter une alternative mais se convertit aux pouvoirs forts des démocratures illibérales.

Au lieu de revenir aux vieux mythes révolutionnaires et démocratiques, les réflexions qui suivront le dernier soulèvement populaire devront plutôt servir à élaborer une pensée plus actuelle et prospective qui manque cruellement, dans la sphère politique au moins. Ce n'est pas une question de préférences individuelles ni de souveraineté du peuple mais du nécessaire et du possible. Les manifestations collectives ont le rôle irremplaçable de rendre publiques les souffrances individuelles et il est normal de se monter la tête en groupe mais c'est seulement en restreignant nos revendications au possible effectif, aux véritables brèches ouvertes, qu'elles pourront aboutir.

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25 réflexions au sujet de “Du référendum et des conceptions naïves de la démocratie”

  1. Il faudra hélas attendre encore un peu pour que soit perçu que la fraternité des ronds points et le droit de s'exprimer trouvent leur aboutissement réel et concret dans des démocraties locales de projet. Le mirage d'avoir les choses sans les porter soi même concrètement est encore vivace. Néanmoins les choses n'avancent pas d'une manière linéaire et on est obligé de tout prendre à la fois .Alors je prends .Et c'est bon que des gens puissent ainsi se révolter .
    Après , oui ,la grande inquiétude qu'on peut avoir , si des vraies issues ne sont pas trouvées , c'est le régime autoritaire . Tout peut basculer . Je pense que le local n'est pas un facultatif.
    Il faudrait donner envie par des projections plus ou moins sûres mais traçant quelques perspectives de ce que pourraient être ces démocraties locales.

    • Oui, JO, le régime autoritaire nous pend au nez si nous montons dans l'escalade de violence, le face à face, mécanisme du déni qui induit cette monté de violence. Il nous faudra être vigilent et je pense créer des portes de sorties, savoir perdre un peu et surtout ruser, ne pas être face mais toujours sur le côté, à l'instar des mouvements d'art martiaux. Le combat médiatique a déjà commencé sur les réseaux sociaux. La manipulation de l'image et des "angles de prises de vue" bat son plein.

      Chacun de nous doit je pense s'interroger sur ce qu'il est en mesure de vouloir perdre. Nous savons que certains quitteront cette vie.

  2. Merci d'avoir repris et reformulé votre pensé sur le RIC. Je trouve que c'est important d'avoir un exposé également écrit des intellectuels qui ont réfléchi à cette question de la démocratie, du travail et de l'écologie.

    Je me dis que les gens ont besoin de passer par là également:

    "
    monter la tête en groupe,
    revenir aux vieux mythes révolutionnaires et démocratiques, complot des riches contre la démocratie intégrale et l'égalité réelle,
    tous nos malheurs viendraient des élites corrompues (comme des juifs) qui s'enrichissent sur notre dos. Dès lors, il suffirait de se débarrasser de ces parasites pour que se reconstitue l'unité supposée du peuple et l'harmonie sociale. La dénonciation des politiques et de leur corruption est aussi vieille que la démocratie. Certes, ceux qui sont élus sont rarement les meilleurs car les meilleurs n'aspirent pas au pouvoir ni surtout à tous les coups bas qu'il faut faire pour réussir. Pouvoir les révoquer est souhaitable mais ne changera rien ou presque, changement de personnel sans conséquences notables, etc..."

    Comme pouvoir - dans ce monde fait d'abrutissement des masses depuis des années - élaborer une pensée sur ce qui est en train de se passer? C'est dans ces moments là de l'histoire, et je m'en rends de plus en plus compte, qu'il faut des outils pour le penser et pouvoir se détacher du "flot pulsionnel".

    Le contrôle insidieux de l'état depuis de nombreuses année sur tous les plans entraîne une détente physique et psychique sur un nombre important de personne.
    C'est étrange de penser que la voiture, comme moyen de locomotion, de liberté d'aller et venir ait été la cible d'un nombre important de mesure de contrôle ces derniers mois (radars toujours plus nombreux, contrôle technique toujours plus draconien, diminution de la vitesse et perte de temps engendrée - augmentation par conséquent des amendes, etc, et enfin augmentation des péages et de l'essence, j'en oublie peut être).
    Nous devons, je pense, passer par cette étape de mouvement, à savoir retrouver un déplacement un peu plus libre de circuler. Montrer aussi tout ce qui nous entrave: les péages, les ronds points, les radars.

    Après tout cela, ou cela fait pchit, le RIC muselé sous l'effet d'une belle propagande qui bat son plein avec l'arrestation et les futures menaces des leaders du mouvement, ou il peut se passer une prise de conscience plus forte, d'une sorte de gain qui permettrait que les rapports avec nos députés changent et plus généralement que notre rapport avec la connaissance du processus démocratique s'enrichisse.

    La démocratie du face à face comme vous dites, pour l'instant, nous restons dans le face à face avec l'état et ses représentants. C'est déjà un début on va dire un peu frictionnel où tout se déverse, les mots et les actes.

    Je m'interroge: peut on encore penser la relation face à face aujourd'hui, à savoir une relation d'échange mutuellement consentie dans le respect de la loi et de l'homme?

    Nous payons également, je pense, pour la plupart d'entre nous, un manque de clairvoyance sur les mécanismes démocratiques.

    Une dame que j'ai pris en stop récemment (toujours la voiture 😉 ) me disait que les gens n'était pas très nombreux car ils sont pris dans leur problème du quotidien et ne peuvent pas faire l'effort de comprendre ce qui se passe.

    Il y a beaucoup de chose à dire, les sujets sont nombreux, je me disais l'autre jours que cela manquait cruellement de poésie, cette pensé créatrice qui viendrait éclairer nos lendemains. Cela n'est peut être pas encore le temps.

    Enfin, je pense à Macron qui se maquille parait il de plus en plus, ce mécanisme du déni, cher à notre monde contemporain entrainera une escalade de la violence toujours plus grande.

    Le ciel pas d'angle: Dominique Fourcade, POL.

    J'ai toujours aimé cette pensée, notamment aujourd'hui du point de vue architectural.

    • Si j'ai trouvé nécessaire d'approfondir la question (même si c'est du rabâchage pour moi), c'est que je m'étonnais qu'on n'entende pas beaucoup de critiques mais il est effectivement important de souligner qu'il faut en passer par les illusions politiques dénoncées ici. Le faux est bien un moment du vrai, c'est le fondement de la dialectique.

      Hegel lui-même a commencé par un programme très idéaliste ("Le plus ancien programme systématique de l'idéalisme allemand") et un révolutionnaire enthousiaste que l'échec de la révolution a plongé dans une grande dépression avant de comprendre la dialectique historique à l'oeuvre. Pour comprendre le monde, il faut avoir voulu le changer, éprouvant sa résistance. On part d'exigences morales, de l'idée théorique, pour aboutir à l'idée pratique qui compose avec le réel dont elle n'est qu'une négation partielle. Avoir été révolutionnaire, c'est s'affirmer comme sujet moral, ne plus l'être c'est devenir responsable et perdre son narcissisme. Le communiste qui voit le régime qu'il a défendu devenir stalinien peut avoir honte d'avoir cru à des mirages, il n'en demeure pas moins supérieur au militant aveugle qu'il a été, exigence de résultat (et de vérité).

  3. Je suis d'accord à peu près sur tout votre article. Cependant je m'étonne qu'ici la démocratie ne soit abordée que dans un système de gouvernance. En effet on parle aussi de démocratisation des moyens, de production, de gestion et d'organisation, de l'instruction. Ça ne me semble pas être juste un abus de langage ou une allégorie, et finalement quand vous parlez de matérialisme historique, j'ai l'impression que vous pourriez aussi aborder cet angle-là.
    Nous sommes encore dans le système social du 20è siècle, et peut-être que nous n'en sortirons pas de si tôt. Cependant nos structures sont mises à mal par le fait que la quasi-totalité de la population soit alphabétisée et en capacité de saisir/tenir des raisonnements (sans angélisme, il y a tout de même un saut qualitatif du niveau d'instruction général), qu'un tiers de la population fasse des études supérieures (et je pense que le blocage à ce niveau soit dû justement à un défaut d'adaptation de nos structures sociales), et qu'il soit possible de posséder individuellement des moyens de calcul, de communication et bientôt de production qui autrefois étaient réservées à de grandes entreprises. Les systèmes de gouvernance sont en cours de réforme dans les entreprises pour essayer de prendre en compte ces réalités, et ce sont justement les représentations collectives par le suffrage et le vote qui sont aujourd'hui les plus réticentes à cette (très relative) démocratisation. Ces dynamiques ne déboucheront évidemment pas sur une démocratie absolue, pour toutes les raisons que vous donnez, pour autant je parleras bien de démocratisation dans ces réorganisations justement parce qu'elles sont contraintes et forcées par une démocratisation matérielle et culturelle.
    Le phénomène que vous appelez démocrature pourrait être aussi une phase dans laquelle la population chercherait de manière désorganisée (comment faire autrement ?) le périmètre d'exercice d'une démocratie maximum... plongés dans la culture de l'état-nation qui a confondu toutes les frontières pour trouver systématiquement un périmètre unique aux relations de toutes natures, nous ne serions pas prêts à concevoir différents espaces de négociation superposés (et auxquels il faut nécessairement trouver des protocoles de collaboration entre eux, il ne s'agit pas de recréer des silos symboliques sous prétexte de ne plus se contenter de silos territoriaux). Il faut bien avouer que dans des espaces totalement ouverts, certains acteurs profitent de ne pas pouvoir être identifiés pour tout simplement s'affranchir de toute négociation et de toute réciprocité ; c'est je pense la raison du fantasme d'un retour d'une souveraineté et d'une recherche de l'entre-soi (d'où, je crois, un glissement de la meta-appartenance nationale vers l'auto-identification).

    • Vous avez entièrement raison, la démocratie est une culture, une civilisation plus qu'une volonté générale souveraine et ce qui définit le mieux la démocratie, c'est la démocratisation, c'est-à-dire le chemin vers l'égalité réelle qui ne se décrète pas mais se travaille. J'ai failli l'ajouter, j'aurais dû, mais je parle bien d'égalité.

      Même si ce n'est pas très explicite dans le texte, je pense effectivement que les démocratures sont la mise à l'épreuve du mythe démocratique national qui a besoin d'être révisé de façon plus réaliste et moins colonialiste. La conception officielle de la démocratie française peut être dite délirante (ou trompeuse). Espérons que cela fera revenir à la véritable démocratie qui est démocratisation, pas à s'abandonner à un leader du peuple autoritaire.

      Sinon, les exigences d'employabilité et les compétences sont effectivement bien plus élevées. On a malheureusement la manifestation quotidienne que cela n'entame pas beaucoup notre connerie trop humaine (boucs émissaires, nationalisme, racisme, religions, idéologies, utopies). Les excellents instituteurs de la troisième république n'ont pas empêché la guerre de 14-18, savoir lire n'ayant servi qu'à exécuter les ordre (comme disait Lévi-Strauss). Il y a toujours un tel contraste entre notre représentation de nous-mêmes et de notre intelligence technique avec nos limites cognitives bien réelle tout comme l'absence cruelle d'intelligence collective...

      • A court terme, avec les incertitudes relatives aux bouleversements actuels, la volonté de s'en tenir à nos croyances et les inégalités qui prennent l'apparence d'un essentialisme, je pense que nous nous dirigeons vers un épisode autoritaire assez généralisé.
        J'aimerais pouvoir interpréter, comme Todd, le mouvement des gilets jaunes comme une sorte de sursaut du peuple français (même si je le crois pas spécialement optimiste non plus)... je crois qu'il ne s'agit que d'un épisode de ras-le-bol qui au mieux accélèrera la survenue de cet épisode autoritaire que je crains. Oui, je ne vois aucun signe d'une quelconque intelligence, et les adaptations cognitives en question n'ont jamais été trouvées dans l'Histoire que dans l'épreuve de la guerre, quand la réorganisation des systèmes de gouvernance est vitale... la réforme des systèmes civiles en étant une diffusion par répercussion. Enfin... j'en suis là de ma réflexion. Des fois je crois voir des signes d'espoir ; mais ce qui m'ennuie c'est que j'ai l'impression de ne pouvoir être que témoin de ce qui se passe, je n'ai réussi pour l'instant qu'à tenter une influence sur les événements que très localement et de manière absolument modeste. J'ai quand-même l'impression que des opportunités d'engagement dans une projection collective m'échappent, je ne suis pas certain d'avoir raison de rester dans mon coin à me contenter de mon impuissance.

        • Il y a des moments dans l'histoire où l'on ne peut rien faire, notamment quand se répand une peste brune même si, ensuite, s'engager dans la résistance s'impose. Le problème, c'est qu'il faut se cogner au réel, seule façon de démentir les idéologies et fausses promesses, mais ce qui se traduit le plus souvent par des guerres ou autres catastrophes.

          La seule chose qui pourra nous éviter l'expérience de l'extrême-droite et du populisme, c'est qu'elle tourne avant au désastre dans d'autres pays. C'est la dialectique, il n'y aura pas de renaissance de la gauche avant que la droite ne nous mène au pire, réévaluant les vertus de la social-démocratie si décriée. J'ai quand même l'impression qu'on est surtout dans les derniers soubresauts du monde ancien avant une unification mondiale plus assumée et la relocalisation qui va avec ?

          Ceux qui croient agir sur le monde en sont plutôt les pantins comme je l'étais quand je faisais de la politique, sans aucune influence sur le cours des choses, seulement sur de petits groupes.

          La compréhension que j'ai acquise sur l'évolution du monde m'a fait défendre quelques dispositifs sans recueillir une véritable audience sur ces sujets - ceux qui sont entendus, sur le revenu de base par exemple, sont les plus simplistes et doctrinaires. Il est clair que c'est uniquement la pression des faits qui pourra les imposer (comme les territoires zéro chômeurs) sans que je n'y sois pour rien, voire sans qu'on s'en rende compte. Le RSA en complément au smic pour ne pas l'augmenter ou même le faire baisser pourrait ainsi se transformer en ébauche de revenu garanti sans que cela vienne en quoi que ce soit des militants (critiquant plutôt leur idéal défiguré, leur enfant qu'ils ne reconnaissent pas, comme on a été sidéré par les 35 heures qui ont été finalement à l'opposé de notre revendication initiale des 32h, introduisant plus de flexibilité et de précarité dans le travail, ce qui était la nécessité du temps, pas nos belles idées).

          • Ce mercredi 9 janvier je vais défendre en référé , au tribunal administratif de Lyon, l’application d’une loi (article L5211-10-1 du code général des collectivités territoriales) qui fait obligation aux collectivités territoriales de + de 20 000 habitants d’élaborer un projet de territoire associant obligatoirement à titre consultatif les habitants via un conseil citoyen indépendant ; cette double obligation d’élaboration d’un projet et de participation me semblant être une avancée essentielle en terme d’organisation de notre démocratie. Cette loi, entièrement méconnue et inappliquée suscite la résistance des élus et l’indifférence de la société civile. Ce qui selon moi signe sa pertinence et tout son intérêt. Elle me semble être une traduction concrète de ce que nous souhaitions en matière de relocalisation.

  4. Un article intéressant d'un professeur de science politique sur le RIC. Je trouve qu'il minimise excessivement son caractère de prétendu "volonté du peuple" revendiqué par les Gilets jaunes, et prend trop appui sur la Suisse alors qu'en France, le référendum a toujours eu des tendances plébiscitaires depuis Napoléon III et le général Boulanger. Il ne constitue pas pour rien une revendication de l'extrême-droite.

    Reste que je suis favorable à la mise en place d'un RIC notamment pour dissiper les fantasmes de toute puissance qui donnent une importance démesurée à cette mesure comme véritable pouvoir du peuple. C'est la démocratie locale qu'il faudrait surtout revivifier (bien plus forte aux USA ou en Suisse) ce qui semble n'intéresser personne comme Jo en témoigne...

    https://blogs.mediapart.fr/raul-magni-berton/blog/030119/dix-erreurs-qui-circulent-sur-le-ric

    • Aux abois, Macron aimerait choisir ses adversaires. Et à tout prendre, ceux avec qui il débattrait d’identité nationale et d’immigration lui conviennent mieux que ceux qui crient justice sociale. Pour cela, ministres et médias lui apportent sur un plateau des porte-parole autoproclamés qui flirtent avec la fachosphère. Passage en revue des gilets bruns surfant sur la vague fluo.

      la manœuvre est basse en faisant cela macron livre le pays aux fachos et prépare la future élection de marine le pen

      la fachisation des esprits n'en sera que plus totale

      avec tout ça je me suis couché de fort mauvaise humeur !! ce matin comme d'hab réveil difficile branlette nocturne maigre flasque et sans grumeaux , acide et un rêve j'étais encerclé par l'armée de Donald trump qui venait de violer mon chien , replié dans une caverne peinte et étincelante , mais je mourrait au fond d'un tunnel , étouffé ... pas de pb d’apnée du sommeil j'ai fait une polygraphie ventilatoire il y a 2 ans , normale ... non juste en image le rabâchage cognitif nocturne sur le facho land , le grand land art parano de la terre mère... on est cerné par les cibles !! on va tous crever
      d'où une certaine envie d'exil ou de déserter

    • On peut dire que c'est son heure de gloire rencontrant son public avec ses conceptions simplistes de la démocratie qui est celle, spontanée, des petits groupes. Le problème, comme je le souligne, c'est que tout cela s'appuie sur l'idéologie officielle de la République et fait le jeu de l'extrême-droite malgré ses dénégations. C'est ce qui en fait un dangereux idéologue et il est risible qu'il fasse comme si le RIC n'existait pas déjà ailleurs et qu'il allait grâce à lui changer le monde. Le danger de ces idiots utiles comme disait Lénine, c'est qu'on ne peut mettre en doute ses bonnes intentions, il croit à ses conneries et que ce serait un rempart au fascisme, qu'il ne comprend pas du tout, alors que c'est justement l'instrument de l'abolition de la division des pouvoirs utilisé par les fascistes.

      http://sortirducapitalisme.fr/211-une-analyse-critique-des-idees-d-etienne-chouard

      Je l'ai rencontré aux journées d'été du revenu de base, il était mon voisin de chambre et prétendait déjà faire écrire la constitution par tous ! Il est incontestablement très gentil (virus) mais très ignorant, ce qui en fait le reflet de son public crédule qui affronte nos mythes démocratiques à leur impossible réalisation, moment sans doute nécessaire. On voit quand même comme la présence sur internet de théories fumeuses finit par se retrouver dans les mouvements sociaux mais déjà au moment de la Révolution, les fausses rumeurs étaient légions et provoquaient de violentes réactions.

  5. Laurent Mucchielli argumente pour une démocratie participative surtout au niveau local plutôt que des référendums nationaux.

    Au niveau national, le fonctionnement par referendum a toutes les chances de renforcer ce que l’étude des sondages d’opinion a déjà montré : le poids des arguments idéologiques, la constitution d’opinions binaires voire manichéennes interdisant de penser la diversité et la complexité des choses, l’exacerbation des imaginaires, des peurs et des émotions, le manque d’informations.

    https://blogs.mediapart.fr/laurent-mucchielli/blog/090119/le-referendum-d-initiative-citoyenne-ric-une-fausse-bonne-idee

  6. Une alternative qui me semble intéressante et plus facile à mettre en place, le droit d’initiative populaire en matière législative, qui passe par le parlement.

    1. Proposition d’une loi par un groupe de citoyens : l’initiative populaire
    2. Examen et adoption de l’initiative populaire par le parlement
    3. Organisation d’un référendum, en cas de rejet de l’initiative populaire par le parlement

    https://blogs.mediapart.fr/stephane-schott/blog/120219/grand-debat-national-et-referendum-instaurons-l-initiative-populaire-legislative

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