La domestication de l’homme par l’homme

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crâne humain et crâne néandertalienRené Riesel n'avait aucune idée d'à quel point il avait raison en parlant "Du progrès dans la domestication" puisque, plusieurs études semblent bien confirmer que notre espèce se caractérise justement par le fait que nous nous sommes domestiqués nous-mêmes (et féminisés) avant de domestiquer les animaux (d'abord les chiens). C'est un nouvel exemple de la façon dont nous avons été modelés par le milieu et la technique dans le sens d'une dénaturation culturelle nous séparant de l'animal sauvage en nous faisant plus dociles, capables de se retenir et de suivre des règles sociales, d'obéir enfin (c'est la capacité d'obéir qui donne sens à notre liberté).

Bien sûr, tout est relatif et progressif mais notre domestication signifie que nous avons dû apprendre à réfréner, voire refouler, nos instincts, ce qui se serait fait par élimination (de la reproduction au moins) des plus agressifs et impulsifs, c'est-à-dire principalement ceux qui avaient le plus de testostérone (cela se voit sur les crânes). La causalité hormonale n'est qu'un des aspects de cette sélection sociale mais elle constitue la condition nécessaire à une plus grande socialité, capable de remplacer la violence par le langage ou des rites (ce que Norbert Elias appelait la civilisation des moeurs, qui ne s'est donc pas arrêtée depuis). Il faut dire que les Bonobos aussi ont évolué dans cette direction mais en privilégiant la sexualité.

L'hypothèse intéressante ici, c'est que le développement de notre gros cerveau était antérieur à celui de la culture, précédant l'élimination des plus agressifs qui aurait été la conséquence de nos capacités cognitives permettant de se liguer contre les plus violents (condition de la culture). En d'autres termes, chez les humains, les gentils gagnent contre les méchants (contre la brute blonde néandertalienne), les fils peuvent tuer le père tyrannique de la horde primitive !

On peut d'ailleurs voir dans cette contestation des dominants et l'émergence de la force des faibles, la simple conséquence du perfectionnement et de la disponibilité des armes (qui permettent effectivement aux plus faibles de tuer les plus forts). C'est une hypothèse complémentaire à celle de l'extermination des autres populations consacrant la supériorité des armes et qui pouvait expliquer également l'accélération de l'évolution génétique constatée à cette époque, le rôle de la sélection interne ayant donc été tout autant déterminant, avec sans doute pour partie aussi une certaine domestication des hommes par les femmes (sélection sexuelle).

Ce processus de domestication a donné lieu à des changements génétiques, plusieurs études récentes suggèrent que cela nous a transformé de façon similaire à d'autres espèces domestiquées.

Dans les 200.000 dernières années, les humains ont commencé à éliminer les individus ayant trop de réactions agressives. Des compétences sociales de plus en plus complexes auraient permis aux premiers humains de se liguer contre les terreurs du quartier. Il est bien connu que les chasseurs-cueilleurs d'aujourd'hui font la même chose. Ceux qui s'entendaient entre eux, prenaient l'avantage.

Une fois que les humains ont commencé à s'auto-domestiquer, des changements dans la crête neurale auraient pu nous faire devenir une espèce plus communicative. Quelque chose de semblable se produit avec les oiseaux chanteurs: les oiseaux domestiqués ont des chants plus complexes que leurs homologues sauvages.

Il faut nuancer bien sûr et surtout ne pas réduire notre évolution à une production de l'homme par l'homme, comme le penseraient les marxistes, alors que c'est la pression environnementale qui a finalement sélectionné la domestication de l'espèce, permettant des groupes élargis, ce qui est la condition d'un langage et d'une culture évoluée (des techniques) qui sont les véritables vecteurs de l'humanisation du monde (comme elles le seraient sur d'autre planètes). Sinon, il ne faut pas oublier qu'il y a toujours des violences masculines. Françoise Héritier rappelle que "L'Homme est la seule espèce dont les mâles tuent les femelles". Les tyrans n'ont assurément pas disparus mais pour maintenir des communautés dans le temps, les dominants ont dû malgré tout intégrer une certaine modération (sagesse des anciens) par rapport aux sauvages. Le processus de domestication ne fait que continuer, notamment avec la sortie du patriarcat. La découverte récente de fossiles de Sapiens archaïques datés de 300 000 ans renforce cette idée que ce n'était pas un aboutissement mais le début de notre propre évolution, la baisse de la testostérone (visible notamment dans le menton) ne daterait même que de 80 000 ans, avec un refroidissement brutal (alors qu'on date la langue mère de 60 000 ans), et continue elle aussi.

Si la domestication a de quoi nous effrayer, nous destinant à l'obéissance (ce qui n'est pas une découverte!), il est quand même encourageant de voir possiblement inscrit dans le cerveau lui-même cette capacité de s'unir pour se révolter, possibilité qui n'est pas hormonale ni grégaire mais purement cognitive - capacité qu'il ne faut pas surestimer pour autant (cela n'a pas empêché l'esclavage, depuis la préhistoire, mais l'a au contraire permis), pas plus qu'il ne faut surestimer nos capacités cognitives justement, surtout lorsque les problèmes dépassent notre niveau local mais nous avons incontestablement été domestiqués par sélection culturelle (artificielle) comme par un long apprentissage de la culture et du langage qui ne sont plus biologiques. Cette répression de nos pulsions n'est bien sûr pas sans susciter des résistances ou des névroses voire de la rage mais refuser la domestication comme un cheval rétif, serait juste s'exclure de la communauté ainsi que du langage et de la raison pour revenir à l'arbitraire de l'automatisme instinctuel et d'une violence irresponsable.

Tout ceci n'est pas entièrement nouveau mais s'inscrit bien dans mes recherches actuelles. Il y a juste quelques études supplémentaires récentes comme celle qui repère dans l'évolution de notre génome le même “syndrome de domestication” que nos animaux domestiques (notamment dans la crête neurale), favorisant une néoténie plus adaptable qui maintient dans l'infantile et la dépendance. La toute dernière étude fait de la schizophrénie une pathologie de la domestication, mais l'article de ScienceNews, cité au début, donne des liens vers des études plus anciennes qui vont dans le même sens.

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32 réflexions au sujet de “La domestication de l’homme par l’homme”

  1. "Les espèces canis lupus et homo sapiens sapiens connaissent l'une et l'autre la substitution de mâle dominant, mais la grande différence de nature entre ces substituts est tout simplement que le premier, l'homme (pour le chien), appartient certes à une espèce prématurée, mais qui existe quand même dans la première nature, tandis que les seconds, les dieux (pour l'homme), appartiennent à une espèce fictive, inventée, relevant intégralement de la seconde nature. En bref, la domestication du chien passe par un transfert de dominant d'une espèce naturelle à l'autre, tandis que la domestication de l'homme passe par le transfert d'une espèce naturelle à une espèce surnaturelle".

    P 92 de "On achève bien les homme, de quelques conséquences actuelle et futures de la mort de dieu" de dany-robert Dufour

    • Je ne sais pas si c'est très intéressant. Il y a certes des différences entre un chien domestiqué et un homme civilisé mais il y a aussi des ressemblances, notamment des modifications génétiques qui font qu'il n'y a pas seulement substitut du dominant mais bien intégration de règles, ce qui est déjà surnaturel. Le chien n'est pas un animal sauvage soumis à son maître (il peut en changer) mais bien un animal qui sait qu'il vit dans un monde humain, surnaturel donc, avec des pouvoirs qui lui échappent et il sait qu'il a besoin d'un homme pour y accéder. Dans Croc blanc, un indien explique à son fils que pour le chien nous sommes des dieux, et je crois que c'est plus juste que de dire que nous sommes des animaux alpha pour lui.

      Il faut vraiment être très ethnocentrique pour s'imaginer que les mâles dominants ont été remplacés par "les dieux", il serait plus juste de dire par la culture, le langage, les mythes, la raison mais les dieux sont plus récents et, bien sûr, ce ne sont pas les mâles dominants qui ont disparu mais seulement leur sauvagerie.

      Notre seconde nature est certes fictive (culturelle) et elle est contraignante, mais c'est cette contrainte intériorisée qui permet de relâcher la contrainte extérieure et se défaire des excès des dominants (liberté objective). C'est la bonne nouvelle de cette théorie, la mauvaise, étant que la révolte collective est inséparable de l'obéissance au groupe des révoltés (le surmoi pour Freud), de la soumission à la communauté (contre la soumission personnelle). Autre mauvaise nouvelle qui en découle, c'est qu'il n'y a pas d'alternative justement, pas de retour à une nature qui ne serait que déchaînement de violence et rien de désirable.

      Il ne faut pas voir la domestication, c'est-à-dire l'intériorisation de l'ordre établi, de façon trop simpliste. Ainsi, je suis en rupture avec les révoltés comme avec la communauté, je n'adhère plus à leurs croyances, mais cela ne peut être qu'au nom de la révolte nécessaire et de la communauté perdue. On ne discute pas avec Calliclès mais ce sont les hommes raisonnables qu'il faut convaincre d'agir ensemble pour un ordre meilleur (encore faut-il que l'action soit raisonnable et puisse réussir), ordre qui est la condition du progrès (raison de la réussite de l'espèce malgré les guerres incessantes qui finissent d'ailleurs pour cela en Empire).

  2. « La sélection naturelle construit le cerveau de l’enfant en lui donnant une tendance à croire tout ce que lui disent ses parents et les anciens de la tribu.(…) Mais le revers de l’obéissance en toute confiance est la crédulité aveugle. Son produit dérivé inévitable est la vulnérabilité aux infections par les virus de l’esprit.(…) Il en ressort automatiquement que celui qui fait confiance n’a aucun moyen de faire la distinction entre les bons conseils et les mauvais » Richard Dawkins (Pour en finir avec Dieu).
    "La domestication de l'Homme par l'Homme" abouti essentiellement à la "servitude volontaire" dont parlait La Boétie. Il est désespérant de réaliser comme vous le soulignez qu'il n'y a pas d'alternative.

    • D'abord, il me faut rappeler que je ne fais qu'essayer de tirer les conséquences de nouvelles que je n'attendais pas et qui ne sont acceptées, comme toute nouvelle scientifique, que provisoirement mais qui apportent dans ce cas un nouvel éclairage qui mérite réflexion (et qui devrait faire la une des journaux!).

      Il est certain que la confiance et la pensée de groupe sont nécessaires à l'unité sociale bien que favorisant effectivement toutes sortes de délire. On le voit avec les religions ou les mythes qu'on apprend en même temps que le langage. Nos capacités cognitives se développent mais rencontrent leurs limites (puisque, justement, nous ne sommes pas des dieux). Que la domestication (et donc l'obéissance) soit associée à la révolte contre le tyran l'éclaire malgré tout sous un jour plus positif, une tendance démocratique de fond même si c'est ce que Nietzsche dénonçait du haut de son snobisme ridicule. En tout cas, des progrès sont encore possibles. L'obstacle, ce sont des révoltes inutiles, vaincues d'avance, car il ne suffit pas de se révolter pour avoir raison ou pouvoir se mesurer à des forces supérieures, mais le principal résultat des révolutions est bien en général d'abattre simplement le tyran.

      Le fait que La Boétie (l'analyse textuelle attribut le texte à Montaigne...) intitule son pamphlet Contr'un va dans le sens de la révolte contre le prince et il y a bien en toute action humaine, notamment collective, dans tout travail, une servitude volontaire mais si je n'aime pas du tout ce texte, c'est qu'il fait comme s'il suffisait de ne plus se soumettre au chef pour n'avoir plus de chef et comme si cette obéissance ordinaire n'était pas contrainte pas des nécessités matérielles. La servitude n'est pas si volontaire en général et l'alternative n'est pas si évidente qu'il suffirait de ne plus obéir !

      Les peuples au contraire savaient qu'il n'y a rien de pire que les guerres civiles et qu'on ne renverse un pouvoir que s'il passe les bornes mais tout dépend de l'échelle. Au niveau d'un groupe, du local, les marges de manoeuvre sont plus grandes, comme je le répète constamment. Aux autres niveaux, tout est question de coalitions et de puissances matérielles, on ne fait que suivre le mouvement et peser du côté qui nous semble préférable, y compris dans les rares moments révolutionnaires.

      • Votre réponse m'a poussé à relire le dernier chapitre de "La grande transformation" de Polanyi: "La liberté dans une société complexe". La réflexion de Polanyi est proche de la vôtre: "La résignation à toujours été la source de la force de l'homme, et de son nouvel espoir".

        • Oui, si la liberté, c'est la raison, elle suppose une maîtrise de soi, une auto-discipline, une auto-nomie. On ne peut être libre dans une société anomique où la violence règne. Cela n'a rien de nouveau et a été dit depuis les Grecs et les Romains jusqu'à Auguste Comte dont le Brésil a fait sa devise "ordre et progrès". Il faut immédiatement ajouter cependant qu'un certain désordre est tout autant nécessaire dans une organisation vivante. Ce que nous enseigne notre évolution n'est sûrement pas que nous devrions subir un ordre dictatorial, fasciste, mais au contraire qu'on peut se révolter contre lui au nom d'un ordre plus convivial (en fait la seule chose exigée, c'est la non-violence).

  3. D'abord bravo pour votre critique du Contr'un ! Effectivement, son auteur fait comme s'il était facile de se révolter, comme si la révolte n'avait pas un coût et la soumission des avantages ! J'ai toujours trouvé ce livre archi-nul.

    Mais je ne crois pas du tout à la thèse centrale selon laquelle les humains auraient éliminé d'eux-mêmes les individus les plus agressifs. Ce volontarisme aurait dû se maintenir pendant au moins 200.000 ans, et se retrouver dans des groupes très éloignés les uns des autres, comme s'il était génétiquement programmé. C'est hautement improbable. J'imagine plutôt que les plus agressifs se sont éliminés d'eux-mêmes, tout simplement parce qu'ils devaient se retrouver "aux premières loges" à la chasse comme à la "guerre", se retrouvant blessés plus souvent que les autres, mourant plus jeunes, et en laissant aux moins combatifs la nécessité de survivre avec d'autres moyens que la violence : donc avec l'intelligence.

    • On peut être agressif et intelligent, ou tout du moins malin.

      Les plus agressifs ne sont pas forcément les GEV( Grenadier voltigeurs ) qui vont en première ligne, mais ceux qui savent au contraire s'en préserver.

      Toute l'histoire des guerres montre qu'il faut une bonne dose d'agressivité combinée à une bonne dose d'ingéniosité.

      Ce sont donc les agressifs décérébrés qui ont pu être filtrés, mais pas les autres plus stratèges.

    • Il ne s'agit pas de volontarisme et même pas vraiment de génétique sinon comme résultat de la sélection sociale mais d'un effet de capacités cognitives supérieures, effet qu'on retrouve chez les chimpanzés, mais à moindre degré, où il se produit également des ligues des dominés contre le dominant, et qu'on retrouverait effectivement dans l'ethnologie mais dont les révolutions sont aussi la manifestation - tout comme l'enfermement qui isole les violents et ceux qui troublent l'ordre public. Il faut le comprendre comme un processus de civilisation des moeurs qui est toujours en cours et non pas achevé.

      Ce qui ne va pas avec la théorie de la mort des plus impulsifs au combat, aveuglés par leur fureur guerrière, c'est que cela aurait dû se produire depuis longtemps. Or, ce qui frappe, c'est qu'on ne verrait une baisse de la testostérone qu'à partir de 80 000 ans, ce qui est très tardif et précède de peu la langue mère ainsi que le goulot d'étranglement de l'espèce, mais est postérieur aux premières tombes.

      De toutes façons, il ne faut jamais oublier que sur le long terme, ce qui compte, c'est la sélection après-coup de l'avantage comparatif de pouvoir constituer des groupes plus nombreux et pacifiques, capables de collaborer avec des étrangers, ce qui permettra de constituer un langage évolué, une mémoire collective adaptative. Pour cela, un gros cerveau n'est pas suffisant, il faut les conditions sociales et hormonales de partage d'une culture complexe, ce qu'on appelle la domestication mais qui est plus de l'ordre de la maîtrise de soi, de l'obéissance au groupe plutôt qu'à un maître (même si l'esclavage devient dès lors possible), à la différence des animaux domestiques (même si nous partageons des modifications génétiques semblables, ce dont il faut bien tenir compte). On peut se demander si c'est vraiment nos capacités cognitives qui sont à l'origine de la baisse de testostérone, bien que ce soit probable, mais si la pacification n'avait pas amené, grâce à ce gros cerveau, langage, culture et progrès techniques, cela n'aurait pas duré ou nous aurait relégué au rang des bonobos.

      Ceci dit, je m'avance sans doute un peu trop, il faut apprendre à suspendre son jugement dans les sciences, surtout pour une préhistoire si changeante. Il faut se garder d'avoir des convictions mais juste rendre compte des nouvelles découvertes (y aller voir), ce qui n'empêche pas d'engager une réflexion pour tester l'éclairage inédit que cela donne sur notre histoire. Plus que la reconstitution simpliste de notre passé, ce qui est intéressant, c'est la déconstruction de nos anciennes représentations avec leur air d'évidence inquestionnée.

      • Les explications avancées dans le billet me semblent contradictoires. D'abord il est dit que : "Dans les 200.000 dernières années, les humains ont commencé à éliminer les individus ayant trop de réactions agressives. Des compétences sociales de plus en plus complexes auraient permis aux premiers humains de se liguer contre les terreurs du quartier. "

        Ensuite, je lis que : "ce n'était pas un aboutissement mais le début de notre propre évolution, la baisse de la testostérone (visible notamment dans le menton) ne daterait même que de 80 000 ans (alors qu'on date la langue mère de 60 000 ans) et continue elle aussi."

        Cela me fait dire que la possibilité (cognitive ou non) de "se liguer contre les terreurs du quartier" aurait duré 120.000 ans sans faire baisser la testostérone, donc sans effet notable sur l'auto-domestication. Au demeurant, s'il est vrai que "les chasseurs-cueilleurs d'aujourd'hui font la même chose", pourquoi ne se sont-ils pas depuis longtemps auto-domestiqués ?

        Je retire mon explication de l'auto-élimination des plus agressifs dans les combats, mais je ne peux pas accepter pour autant que l'on se serait auto-domestiqué par une capacité de révolte contre les dominants les plus agressifs. Je veux bien croire que ce phénomène de révoltes a eu lieu, (puisqu'il existerait encore), mais sans autre effet que remplacer le dominant contesté par un autre, et sans pouvoir faire baisser la testostérone.

        Je préfère penser que, à partir de 80.000 ans, les dominants parviennent à mater les révoltes, (en jouant sur nos "capacités cognitives"), ce qui a pour effet d'éliminer physiquement les dominants potentiels et leurs soutiens, et ainsi de faire baisser la testostérone des survivants.

        • Il ne s'agit pas de prétendre qu'on pourrait décrire exactement ce qui s'est passé et qui a dû comprendre des périodes différentes mais je ne trouve pas crédible une tyrannie émasculant les dominés, ne serait-ce que parce qu'une sélection génétique nécessite des périodes plus longues qu'une tyrannie (forcément limitée à quelques dizaines d'années au plus), basées sur des phénomènes de fond à bas bruit. Bien sûr que les dominants ne disparaissent pas, on passe juste à chaque fois d'une brute épaisse à une brute un peu moins tyrannique face à un groupe uni. Je trouve moi-même que 80 000 ans est très tardif et une dérive génétique spontanée, voire un virus dont la virulence serait liée à la testostérone (qui affaiblit l'immunité) pourrait avoir eu un rôle, l'essentiel étant le résultat permettant des groupes élargis mais l'hypothèse de coalitions est en phase avec l'éthologie.

          Les chasseurs-cueilleurs sont déjà auto-domestiqués, ce ne sont pas des sauvages, ils ont une culture, un langage et sont dirigés par les anciens, non par le plus violent. Si nous sommes plus civilisés, c'est sous la pression du milieu (guerres, empires, surpopulation, droit, technique, etc). De même, s'il n'y avait pas eu un avantage décisif autour de 80 000 ans, les Sapiens n'auraient pas évolué si vite. Nous descendons d'un tout petit nombre de cette époque qui a rapidement pris le dessus et s'est répandu sur toute la Terre, surtout grâce à la constitution de groupes plus nombreux et donc par domestication, quel qu'en soit la raison, raison qui a de bonnes chances d'être liée à un gros cerveau même si ce n'est pas un effet nécessaire ni immédiat, seulement une potentialité qui ne s'actualise qu'en fonction de changements environnementaux.

          • De toute façon, l'article initial en anglais, (que j'ai lu via Google), est déjà beaucoup trop vague. Et puis, l'on se mélange joyeusement les pinceaux entre : un processus censé s'être déroulé sur 200.000 ans, un autre survenu à 80.000, l'augmentation du cerveau qui est probablement imputable à des mutations plus anciennes, et la sélection naturelle qui n'a pu que sélectionner le résultat final, cad cet Homo sapien qui a appris à réprimer la violence. Cela va de pair avec des interactions sociales sophistiquées, mais les moyens sont multiples : on peut aussi imaginer que les opprimés ont fui les dominants insupportables, ont constitué des colonies moins violentes où les capacités cognitives étaient de surcroît stimulées par la nécessité de s'adapter.

          • Je détecte une erreur épistémologique à dire que l'espèce humaine se serait auto-domestiquée, car c'est en faire un acteur de sa propre évolution. Or, la sélection naturelle est le seul moteur de l'évolution, et elle opère au niveau des individus : ce sont eux qui doivent s'adapter, et vivre assez longtemps pour pouvoir se reproduire. L'espèce est entièrement passive à cet égard, elle ne représente qu'un ensemble d'individus. Donc, s'agissant des humains, il serait plus juste de dire que les moins violents se sont retrouvés plus enclins à jouer de leurs capacités cognitives et de leurs relations sociales, et qu'ils ont été sélectionnés.

            Qu'une espèce ne puisse être acteur de sa propre évolution, on le constate tous les jours par l'incapacité de la nôtre à se changer pour éviter les catastrophes qui s'annoncent. On ne voit que des groupes d'individus qui cherchent à s'adapter aux conditions de vie futures, mais sans pouvoir stopper le processus global.

          • ??? Je donne les liens dans le billet, pas besoin de passer par Google, mais il faut effectivement aller les chercher dans l'article mis en référence. L'étude de base date de 2014 (pdf), qui situe notre véritable émergence autour de 50 000 ans, au moment où la population est devenue assez nombreuse. Les études plus récentes montrent la similarité entre les mutations des animaux domestiques et les nôtres. C'est le sens de "l'auto-domestication", qui n'est pas inadapté car l'éducation est bien une domestication de l'homme par l'homme (de l'enfant par l'adulte).

            Cela ne dit pas que c'est une auto-évolution et il est exact que c'est le milieu qui décide finalement, après-coup, pas tellement au niveau individuel (les hommes prennent soin des handicapés) mais bien plutôt par sélection de groupe (notamment dans les conflits). C'est pourquoi on a un capitalisme universel que personne n'a voulu. Il n'empêche qu'on participe à notre propre domestication (de façon plus ou moins rigide). Le paradoxe de notre espèce, c'est qu'on agit, nous sommes bien des acteurs mais pas les auteurs de la pièce. Notre action a un rôle, elle est requise (en économie comme en politique) mais par des déterminations qui nous dépassent.

            On est dans le domaine scientifique, pas celui de l'opinion. Si on veut contester les spécialistes, c'est toujours possible en sciences mais il faut bosser, devenir spécialiste, pas s'imaginer qu'on sait mieux qu'eux par notre bon sens (ou autre dogme). Sinon, il faut admettre notre ignorance et accepter leurs résultats provisoirement en attendant les développements de la recherche (attitude difficile à tenir), voir quelles en seraient les conséquences. Bien sûr, on peut par contre tout-à-fait contester mes formulations, je ne suis pas du tout un spécialiste, moi, j'informe de résultats que je trouve indispensable de livrer à la réflexion au lieu de les dénier.

    • Oui, du côté de la vieille discipline. Au Moyen-Âge, on tapait sur les doigts des élèves pour leur faire mal car on apprenait mieux ainsi pensaient-ils... Des autistes sont soumis à ce genre de traitements de nos jours. Mais la domestication n'a rien de nouveau, ce qui est nouveau, c'est de pouvoir la lier à l'élimination des plus violents et aux capacités de révolte, de coalitions, ce qui s'éloigne du cognitivisme et de la psychologie de la soumission.

  4. 2 gènes semblent les principaux responsables de la domestications des chiens : https://www.sciencesetavenir.fr/sciences/deux-genes-expliqueraient-la-domestication-des-chiens_114918

    La suppression de deux de ces gènes dans cette même région de l'ADN chez les humains est responsable apparemment du syndrome de Williams-Beuren, une maladie génétique rare caractérisée notamment par des comportements hyper-sociaux et aussi d'autres problèmes de santé.

    Chez les chiens, des variations de ces mêmes gènes (GTF2I et GTF2IRD1) paraissent être à l'origine de leur hyper-sociabilité.

    On voit qu'il n'y a pas que la testostérone en jeu. Que ce soit ce qui se voit sur les squelettes ne veut pas dire que ce soit la première évolution génétique ni la plus décisive même si elle est indispensable.

  5. Un éléphant mâle a tué son dresseur/persécuteur :

    https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/grands-mammiferes/un-guide-a-ete-tue-par-un-elephant-au-zimbabwe_115047

    A cette occasion, ils parlent des sévices qui sont infligés pour domestiquer ces animaux et qui sont de véritables tortures visant à les casser. Il semble qu'en Asie les méthodes soient plus raffinées (avec un méchant qui enchaîne l'animal sauvage et un gentil qui le délivre). En tout cas, on ne peut penser que ces animaux ont été domestiqués génétiquement (sauf en Asie?) et le fait que des humains puissent subir aussi ce genre de mauvais traitements pour les réduire en esclavage laisse penser que ce sont les capacités cognitives qui permettent cette domestication, d'un part la mémoire des sanctions mais d'autre part la capacité d'inhibition qui est indissociable de la capacité de réflexion.

    A noter aussi que la domestication des renards s'est traduite par une infantilisation des comportements et de leur gueule, infantilisation qui est marquante chez les chats (qui n'ont pas beaucoup changé génétiquement).

    • Le dogmatisme n'est pas mort, on nous refait le coup de Lyssenko au nom d'une dialectique supérieure à la science ! Il est vrai qu'il est difficile d'abandonner une idéologie fournissant une explication du monde cohérente et complète mais, je le répète, on n'est pas ici dans le domaine de l'opinion ni des conceptions du monde, on est dans l'archéologie scientifique et les faits qui démentent nos représentations.

      Marx bien sûr ne savait pas que les premières pierres taillées ont précédé les humains, ni que les corbeaux comme les chimpanzés planifiaient leurs actions et utilisaient des outils. Certes, il y a bien une dialectique entre l'évolution humaine et la pression du milieu, il y a bien un lien entre la technique et le langage (accumulation des savoirs permettant sa complexification) mais qui nécessite des groupes élargis et donc une domestication précédant la culture même si elle est effectivement toujours inachevée.

      Le roman écrit par Engels sur l'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat est entièrement imaginaire malgré la séduction des principes explicatifs donnés. Pour Marx, dont je garde l'essentiel du matérialisme historique, j'ai montré dans mes articles récents sa survalorisation du travail (il n'a d'ailleurs effectivement jamais travaillé), notamment par rapport à la guerre, ainsi que d'une évolution humaine comme auto-détermination et marche vers la liberté alors qu'elle est le produit de l'extériorité matérielle, de la pression du milieu et de l'évolution technique (et scientifique), plus conformément au matérialisme (et plus manifeste aujourd'hui).

      En tout cas, la moindre des choses quand on se réclame d'une scientificité, c'est d'accepter les faits au lieu de les dénier pour les reconstruire par esprit de système en récitant son bréviaire (d'autant plus brillant qu'il arrive à escamoter complètement le réel et rendre les faits superflus).

  6. Réduction (non pas à Hitler) mais à Lyssenko.! Ne me dites pas que Patrick Tort n'est pas un scientifique. Pour le reste je laisse vos lecteurs juges. Le mot "dialectique" ne fait pas bondir tout le monde. Dans le contexte il pourrait aussi bien se remplacer par "reflétant la complexité du réel"

    • Avec retard, je reprécise que je donne une grande importance à la dialectique, ce qui est en question, c'est de la dogmatiser, de prétendre déduire le réel en refusant les faits et leur complexité réelle (ce que faisait Lyssenko, en effet).

      Les nouvelles découvertes en archéologie détruisent souvent les théories antérieures. Il est vrai que moins on en sait, plus il y a de place pour l'idéologie et les récits. J'ai cru moi-même à ces hypothèses erronées (pas moyen de faire autrement), y compris l'hypothèse marxiste (très séduisante), mais les nouveaux faits obligent à réécrire une toute autre histoire, ce qui est bien sûr dérangeant mais c'est à quoi sert la partie scientifique de ce blog. Il s'agit de tirer les conséquences des avancées de la science au lieu d'y opposer des idéologies ou opinions personnelles.

  7. Un article de Pour la Science sur le sujet :
    http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/article-l-homme-s-est-il-autodomestique-39017.php

    Les animaux sélectionnés pour leur docilité se sont révélés joueurs et non stressés, explorant bien plus longtemps l'espace, avec un taux de cortisol sanguin bien plus bas que chez les animaux sauvages. De plus est apparue une dérégulation de la saison de reproduction, la période de rut passant de moins d'un mois à plusieurs. Ainsi, la sélection portant sur un seul caractère, la docilité, s'était répercutée sur nombre de traits morphologiques et physiologiques qui, au premier abord, ne paraissaient pas corrélés.

    Les expressions de deux gènes particuliers, NPY et CALCB, présentent des différences notables entre le chien et les animaux sauvages. Or ils sont impliqués dans le contrôle de l'appétit, de l'anxiété et de la régulation de l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, qui commande la sécrétion du cortisol.

    Il a tout d'abord cherché les gènes sous sélection de domestication, c'est-à-dire qui diffèrent entre Homo sapiens et les hommes de Néandertal et de Denisova, puis, parmi eux, ceux communs aux autres animaux. Il en sort 5, dont 3 semblent cruciaux : si RNPC3 joue un rôle dans le fonctionnement de l'hypophyse, NR2F1 et BRAF régulent des gènes impliqués dans le développement et le fonctionnement des crêtes neurales.

    L'homme s'est donc autodomestiqué – sans doute en deux étapes, au Paléolithique et au Néolithique.

  8. Une nouvelle étude confirme cette domestication qui se voit sur le visage et la même maladie de Williams que les chiens (plus ou moins quand même le vrai syndrome de Williams rend débile).

    Dosage analysis of the 7q11.23 Williams region identifies BAZ1B as a major human gene patterning the modern human face and underlying self-domestication

    https://advances.sciencemag.org/content/5/12/eaaw7908

    Il faut souligner que la convergence évolutive entre espèces domestiquées plaide en faveur d'une évolution pouvant avoir des origines multiples.

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