La politique et le vivant

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Le principal problème politique est la surestimation de nos moyens, surestimation du pouvoir politique dans l'illusion que nous pouvons, car nous le devons, décider du monde, que ce ne serait qu'une question de volonté voire de morale (ou de religion). Il y a des raisons pour cela mais c'est au point que beaucoup de militants se satisfont de leur propre protestation, et qu'on s'imagine que se regrouper à 3 ou 4 pour crier notre indignation pourrait avoir une quelconque portée. On se console que cela ne serve à rien, voire rajoute à notre impuissance, en se disant que nous avons fait notre part, affirmé notre dignité, au lieu de se soucier de (basse) stratégie, de la majorité silencieuse et des puissances matérielles.

Laissons ces belles âmes à leur autosatisfaction n'ayant aucune prise sur la réalité et leur monde éthéré de l'idéologie, même si on peut s'étonner qu'on puisse encore donner crédit à ces conceptions théologico-politiques qui ont montré toute leur inhumanité quand elles ont tenté de se réaliser, confirmation sanglante du siècle passé que l'enfer est pavé de bonnes intentions. Bien sûr, on ne veut rien savoir de cette vieille maxime, pas plus que des horreurs précédentes qui nous empêchent de continuer à rêver, cherchant quelques arguments pour prouver que tous les échecs passés ne valent pas pour nous et que tant que nous serons vivants, l'utopie ne sera pas morte - nous sommes tellement supérieurs aux générations précédentes !

Ces égarements, que j'ai partagé, sont trop systématiques cependant pour ne pas reposer sur de profondes raisons qu'il faut élucider et qu'on peut attribuer au dualisme du discours (politique) et du réel (économique), du nécessaire et du possible, mais tout autant du local et du global. L'injustice du monde nous est insupportable, l'écart entre ce qui est et ce qui devrait être. Il n'y a pas à renier cette légitime indignation mais il ne faudrait pas se tromper de cause.

Apparemment, ce n'est pas si facile à comprendre que le groupe, le collectif, l'organisation, le monde ne sont pas des personnes, encore moins des êtres de raison, qu'ils ne peuvent agir comme un corps indivisible étant plutôt de l'ordre d'une écologie diversifiée. Vouloir changer le monde est souvent en ignorer l'écologie, la complexité des interdépendances et des équilibres jusqu'aux risques systémiques. L'écologie du milieu n'est pas du même ordre que notre intelligence avec sa capacité à faire des projets (planifier notre journée, notre année, notre vie) et qui caractérise notre humanité au point qu'on prête facilement aux choses une intentionnalité, attribuant tous nos malheurs à une volonté mauvaise. On a du mal à se défaire de l'idée que l'état actuel de la société est voulue, résultant d'un projet préalable sinon d'un complot, par exemple des néolibéraux. De leur côté, les jeunes pourront prétendre que c'est le monde des soixantehuitards et qu'ils en feraient un autre, mais comment en auraient-ils le pouvoir si ni la jeunesse ni la nation ni le monde ne sont unis dans la même volonté mais divisés au contraire et restant dépendants des puissances matérielles qui mènent le jeu ?

Ce n'est pas une raison pour ne rien faire et rester le spectateur passif de la destruction de notre environnement, comme si nous n'étions pas vivants, mais le règne des finalités qui nous a doté d'outils et d'un foyer, nous engageant dans l'artificialisation du monde par notre travail de transformation (néguentropique), toute cette efficacité technique (locale) contraste fortement avec ses effets pervers globaux et l'inefficacité politique, d'autant plus que les masses en jeu sont importantes. Même lorsque l'enjeu est vital, il y a de quoi être effaré de notre inaction collective et du manque de résultat tant que la catastrophe ne nous oblige pas à nous serrer les coudes et réagir dans l'urgence. Reconnaître cette réalité, serait déjà un progrès qui aiderait à la surmonter.

C'est pourtant dénié par tous, philosophes comme politiques proposant des réformes infaisables pratiquement. La présidence d'Obama aura illustré à quel point était faux son slogan "Yes we can", n'ayant réussi à rien malgré ses belles idées. Le volontarisme de Trump devrait lui aussi se briser sur à peu près les mêmes obstacles même si, pour l'instant, son bluff marche d'avoir juste à menacer de prendre des mesures qu'il ne pourra peut-être pas prendre... Son protectionnisme qui se veut dominateur cache mal la manifestation de son déclin (relatif), ce qui se présente comme une rupture politique ne faisant qu'entériner une tectonique des plaques antérieure. En effet, ce n'est pas qu'on ne puisse rien faire mais que seules réussissent les politiques exigées par les évolutions en cours, le volontarisme n'y est pour rien, si ce n'est d'aller au pire souvent. On peut en maudire le capitalisme, le libéralisme, l'oligarchie, la mondialisation, de quelque nom qu'on nomme notre propre impuissance politique face à des forces extérieures qui nous dominent, à un monde qui nous est étranger dans son injustice et sa folie.

Il est bien clair qu'il serait absolument nécessaire qu'il y ait une intelligence collective qui gouverne le monde et préserve l'avenir, nous fasse passer de l'histoire subie à l'histoire conçue. C'était au fond déjà le projet platonicien de "gouvernement des philosophes", et jusqu'à la technocratie d'un Auguste Comte. Personne ne peut renoncer à la construction de cette intelligence collective mais il faut bien constater son absence. C'est apparemment surévaluer nos capacités, notre prétention à être maîtres de la nature et d'une évolution dont nous restons pourtant les sujets, l'effet plus que la cause. Il y a, semble-t-il, une totale inversion des effets et des causes entre l'individu et le collectif ou le pouvoir. Alors même que la politique s'affiche comme volontarisme et domination de la pensée sur la matière, de la liberté sur le déterminisme, elle semble plutôt soumise à un jeu de puissances et un Etat de Droit qui ne laissent pas beaucoup de marges de manoeuvre - d'autant plus que progresse l'unification du monde, gauche ou droite faisant peu ou prou la même politique (ce dont on les accuse). De la même façon, alors que la technique décuple notre pouvoir sur les choses, elle ne nous sort pas pour autant de l'évolution à devenir évolution technique, évolution subie dont se plaignent tant de gens, devenue une seconde nature aussi menaçante parfois que la première.

C'est le point essentiel et qui n'est pas reconnu à sa juste valeur bien qu'il ait été revendiqué par des économistes libéraux depuis Spencer et dans un tout autre sens par les écologistes : nous ne sommes pas sortie de l'évolution et nous sommes confrontés comme tout vivant à un réel extérieur, un milieu en évolution, qui limite la volonté subjective et l'horizon temporel. Si l'histoire peut être interprétée comme l'histoire de l'émancipation, on peut tout autant dire que c'est le recul de la domination et l'affaiblissement du pouvoir, la liberté individuelle affaiblissant l'action collective, mais ce processus, comme l'abolition de l'esclavage, n'est pas tant le fait de la lutte des esclaves que des avantages du salariat pour l'industrie, ce n'est pas tant l'histoire de l'homme qu'un processus sans sujet.

Ainsi, il est absurde de penser que l'autonomie dans le travail viendrait des tendances libertaires des cadres, alors que c'est évidemment une question d'efficacité. La liberté s'impose naturellement, c'est un fait de nature plus qu'on ne croit, du moins dans le sens de l'autonomie des organismes et non d'une quelconque métaphysique. Le libéralisme n'est pas une idéologie qui aurait gagné les esprits mais une libéralisation ayant montré sa supériorité productive effective (avec tous les problèmes que cela pose) sur les régimes autoritaires (les Chinois l'ont bien compris). Cela n'empêche pas qu'il y a une idéologie libérale, parfois aussi délirante que les autres, mais il faut tirer la leçon de l'histoire, de la fin des idéologies totalitaires, comprendre le sens des démentis du réel à ces tentatives de remodelage de la société au nom d'une idée. La sélection naturelle n'a fait qu'opérer une nouvelle fois en sanctionnant l'échec de ces abstractions (des idées) au profit de l'autonomie, la variabilité, la diversité, l'adaptabilité plus appropriées qu'une raison simplificatrice et uniformisante à un avenir imprévisible.

Cette sélection après-coup par le résultat signifie bien la primauté du réel sur la pensée et, c'est ce sur quoi il faut insister, cela oblige à la réintégration des principes du vivant dans la politique. Mais tout dépend bien sûr comment on le comprend, il ne s'agit pas de passer d'un excès à l'autre. Il ne s'agit pas d'un vivant idéalisé et statique, originaire comme le voudraient écologistes et réactionnaires, ni d'une auto-organisation miraculeuse ou d'une loi de la jungle libertarienne sans règles ni régulations multiples (sans lesquelles pourtant il n'y aurait pas de vie). La vie doit être comprise dans son dynamisme et sa complexité en abandonnant ses conceptions religieuses créationnistes pour une construction interactive, modelée par le milieu et par l'histoire, dans sa nécessité comme dans sa contingence, où l'à venir n'est pas donné d'avance.

La difficulté est de ne pas tomber dans les simplismes idéologiques alors qu'il faut arriver à penser à la fois notre rôle (ré)actif et ses limites, notre puissance technique et notre impuissance politique, notre autonomie et l'hétéronomie du monde, sa transcendance, notre inscription enfin dans une évolution qui nous dépasse, course aux armements entre prédateur et proie qui s'impose de l'extérieur et se prolonge dans la technique. Tout cela peut paraître trop contradictoire et spéculatif alors que c'est très concrètement que les entreprises ont été obligés d'intégrer ces difficiles dialectiques, faisant la fortune des gourous du management, mais ce qui a bien plus de mal à pénétrer l'administration et la politique.

Il est étonnant qu'après les expériences désastreuses du XXè siècle, il reste autant de naïveté politique et de volontarisme de tribune, impossibilité avons-nous vu de se résoudre à l'injustice du monde et de le voir courir à sa perte, mais ce refus de l'histoire est aussi un refus de la science, de son déterminisme, et surtout de la théorie de l'évolution. Il est vrai que les différentes interprétations du darwinisme ont été toutes catastrophiques, que ce soit le libéralisme de la concurrence de tous contre tous ou le racisme comme lutte pour l'espace vital et la domination sur les autres races (ou cultures ou civilisations), et même la lutte des classes comme moteur de l'histoire, supposée donner le pouvoir aux masses. De nos jours encore la bioéconomie américaine, si différente de celle de René Passet, fait une interprétation beaucoup trop unilatérale du biologique comme auto-organisation. Il faudrait comprendre pourtant le darwinisme comme sélection par le résultat, par ce qui marche et se révèle soutenable, ce qui est tout autre chose et de l'ordre de l'intériorisation de l'extériorité tout au contraire d'un autodéveloppement. La sélection sert à la fois de régulation, par élimination, et d'amélioration, par reproduction, elle se fait par le réel effectif et sanctionne après-coup, selon différentes temporalités, les excès et autres errements de notre liberté très encadrée.

Pour aborder la véritable complexité du vivant, générée pourtant par un principe on ne peut plus simple de sélection naturelle, il faudrait revenir à la théorie des systèmes et la cybernétique qui se sont posé ces questions très concrètement mais dont on se méfie et qu'on ne considère pas assez sérieusement alors qu'on les utilise toujours sans y penser ! Même si on en trouve la préfiguration en économie avec le tableau économique de Quesnay (1766), le système de production de Marx (1859) ou les circuits économiques de Keynes (1936), on peut dire que tout a commencé avec la notion d'homéostasie (Walter Cannon 1929) qui va inciter dès 1937 le biologiste Ludwig von Bertalanffy à poser les bases de la théorie des systèmes comme généralisation des principes de fonctionnement des organismes aux autres organisations, introduction du concept de totalité dans la science (opposé au réductionnisme mécaniste, le tout est plus que la somme des parties). A la différence de la structure, un système est actif, c'est un processus et l'élaboration de la théorie de l'information sera essentielle pour comprendre qu'un système se constitue de circuits d'informations, d'énergie et de matières (système nerveux, sanguin, digestif). Précisons tout de suite qu'il y a des systèmes finalisés, comme les entreprises, et des systèmes qui ne le sont pas comme les écosystèmes, à ne pas confondre. En tout cas, c'est la cybernétique, comme "science des systèmes finalisé" qui rencontrera les limites de la programmation avec la nécessité de corriger le tir et de se guider sur le résultat - où l'effet (la température) devient cause (du chauffage) comme dans un thermostat. C'est par imitation du vivant que des boucles de rétroaction ont été intégrées aux automatismes pour atteindre leurs objectifs. L'application de ces méthodes de direction par objectif dans les entreprises se heurtera rapidement aux limites du pouvoir central et du commandement, débouchant sur la "cybernétique de second ordre" intégrant la nécessité de l'autonomie (de l'intelligence distribuée) et de la place qu'il faut laisser à l'auto-organisation pour s'adapter au terrain. Il y a eu là encore des excès, où le système se diluait dans une auto-organisation un peu trop miraculeuse mais la promotion de l'auto-organisation reste absolument décisive.

C'est tout cela dont le volontarisme autoritaire ne veut rien savoir, ignorant même qu'il rejette ainsi la théorie de l'évolution presque autant que les créationnistes à vouloir en faire un projet préconçu mais c'est l'erreur contraire d'en conclure au laisser-faire, au fatalisme, à la passivité alors que le vivant se caractérise par son activité et que l'intelligence sert à se projeter dans l'avenir. Les choses ne sont pas si simples, le libéralisme faisant bizarrement l'impasse sur l'existence des entreprises comme systèmes hiérarchiques, qui ne sont pas libéraux du tout et ne se limitent pas à réduire les coûts de transaction mais s'organisent pour la production ou le profit.

Il y a donc bien des raisons profondes (cognitives) qui limitent l'efficacité de la planification et du volontarisme, passant du paradigme mécaniste au paradigme biologique. Cela n'empêche pas pour autant toutes les entreprises d'investir dans leur développement et planifier leur avenir (à court et moyen terme) mais elles ont dû intégrer le feed back de leur action, le pilotage par objectifs avec un tableau de bord permettant d'être réactif et de corriger le tir. La maladie de l'évaluation vient de là, souvent mal faite et contre-productive. Tout est une question de mesure ! De même, le fait que les entreprises soient inévitablement des hiérarchies n'empêche pas les bienfaits d'une réduction de la hiérarchie et la productivité de l'autonomie. Il y a une dialectique entre top-down et bottom-up, ce n'est pas l'un ou l'autre mais leur combinaison. Puisqu'une entreprise est une hiérarchie, elle peut donc être aussi bien étatique mais si la pression du marché s'impose, c'est de pousser constamment à l'amélioration de la productivité et à baisser les coûts. On n'a pas affaire à un principe unilatéral, un parti-pris dogmatique, mais à un équilibre de processus contradictoires, exactement comme dans les organismes vivants et l'écologie des milieux.

Si on considère l'économie de marché comme le prolongement de la sélection naturelle, sélection par le résultat, il ne peut être question de supprimer le marché mais d'évoluer pour s'en protéger comme tout organisme vivant change pour se conserver. On ne pourra pas sortir du marché, du capitalisme, du productivisme au niveau mondial - à ce niveau le capitalisme industriel est d'ailleurs remplacé par un capitalisme numérique assez différent, sans que nous y soyons pour grand chose. Par contre, on peut comme toujours profiter de niches environnementales pour sortir du capitalisme (ou même de la technique) localement. Longtemps la Chine et le Japon se sont tenus à l'écart du progrès technique mais en ont payé le prix dans leur confrontation aux occidentaux. Il est même encore tout-à-fait possible d'aller vivre avec les derniers chasseurs-cueilleurs si ça nous chante, mais cela ne change rien bien sûr à l'évolution globale qui se poursuit sans nous (sauf effondrement valorisant ces modes de vie primitifs). Or, de l'écologie à l'économie, notre souci est celui du global (qui nous est commun) même si nos moyens sont très réduits d'influer à ce niveau et que les petits gestes individuels n'y changent absolument rien. La nécessité d'une écologie-politique plutôt qu'un moralisme écolo ne fait pas de doute, pas plus que son absence criante...

A l'absence de gouvernement mondial il faut ajouter que, non seulement les adaptations nécessaires ne dépendent pas de nos opinions mais qu'elles ne sont pas connues d'avance, finissant certes par s'imposer mais toujours après-coup et parfois avec un grand retard (d'autant plus qu'on se trouve dans une période de ruptures technologiques et d'évolution accélérée). Comment réduire ce retard, ce temps pour comprendre interminable ? Le numérique devrait sûrement nous y aider mais on peut douter que ce soit suffisant quand on voit notre incapacité d'agir face à des limites écologiques pourtant incontournables, matérielles, vitales dont les données sont bien connues. On touche bien aux limites du politique cette fois, limites certes cognitives mais tout autant sociologiques, relevant d'une sorte d'écologie sociale (pensée de groupe, conservatisme, intérêts). On ne peut que constater comme il est vain de vouloir convaincre d'un danger tant qu'il n'est pas imminent. Ce n'est pas qu'on reste inactif mais la plupart du temps une réaction à la mesure du problème ne se déclenche qu'au moment de la catastrophe, guère avant, et plus souvent après, pour éviter qu'elle ne se reproduise (on refait la dernière guerre au lieu de se préparer à la prochaine). On le voit avec le réchauffement climatique pris de plus en plus au sérieux à mesure qu'il se fait plus sentir (ce n'est rien à côté de ce qui nous attend) et provoquant du coup un développement rapide des énergies renouvelables qui dépasse désormais les gouvernements eux-mêmes, mouvement de transition énergétique devenu irréversible après avoir été à la traîne si longtemps mais qui ne nous évitera pas des températures extrêmes.

La première conclusion à en tirer est sans aucun doute qu'il ne faut pas surestimer la force des idées et prendre conscience des forces matérielles qui s'y opposent. Cela plaide pour une approche plus stratégique et opportuniste dont les finalités même peuvent changer en fonction des évolutions. On ne peut que s'engager à réduire les inégalités, défendre les travailleurs, limiter les risques écologiques, sans trop s'illusionner sur les chances d'y réussir mais décidé à tirer parti de toutes les opportunités qui se présentent. Si notre terrain d'action est essentiellement local, trop sous-estimé cette fois, il ne faut pas abandonner pour autant les autres niveaux, à notre petite échelle en sachant qu'on ne peut agir qu'avec les autres, en intégrant un mouvement actuel, la construction d'un rapport de force, et sans qu'on puisse en attendre plus qu'un progrès concret. Il faudrait suivre là aussi le principe d'équifinalité du vivant qui cherche à atteindre son but par tous les moyens disponibles, par la force de la diversité.

Cependant, il faudrait admettre que les finalités qui peuvent être atteintes ne sont la plupart du temps que les adaptations manquantes aux conditions qui nous sont faites, le plus souvent dans l’urgence, sous la pression des événements. Rêver à mieux, faire assaut de belles idées et de bonnes intentions n’est que disperser inutilement nos forces, tout le problème étant d'arriver à se rassembler, de dépasser nos diversités pour peser sur les évolutions en cours, sans pouvoir y imposer notre volonté. Il est assez désespérant de voir comme l'offre politique est éloignée de la synthèse nécessaire, tiraillée entre étatisme souverainiste et libéralisme dogmatique. A l'opposé du populisme, et d'une dictature de la majorité, l'écologie des milieux plaiderait tout au contraire pour une démocratie des minorités, assez mal vue ces temps-ci, et des alternatives locales, pas assez prises au sérieux. Ce sera incontestablement un progrès si on arrivait à une représentation du monde politique un peu plus conforme au monde du vivant qu'aux histoires qu'on se raconte pour soulever les foules...

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11 réflexions au sujet de “La politique et le vivant”

  1. Le libéralisme proposé est dogmatique, mais ne me semble pas non plus débridé. Il s'agit de déclarations éparses, je croix, mais qui ne me semblent pas non plus en empêcher d'autres qui veulent renforcer l'état-nation. Je ne suis pas trop trop, vu que les campagnes ne sont pas tout à fait commencées et qu'il y a encore pas mal de contradictions, de changements d'avis... mais je ne suis plus trop les flux médiatiques habituels alors peut-être suis-je en retard d'un train.
    Il n'empêche que chez Fillon par exemple le vernis (un peu poussiéreux) libéral me semble surtout servir une volonté de renforcer des systèmes hiérarchiques traditionnels qui s'affaiblissent et sont de moins en moins respectés (relativement aux dynamiques dont il est question dans votre article).

    • Oui, je n'étais pas très satisfait de ma formulation trop rapide en référence aux partis actuels (que j'ai failli retirer) et qui voulait juste dire qu'on ne peut être ni autoritaire ni libéral alors qu'il y a pas mal de conservateurs qui sont autoritaires en politique et libéraux en économie.

      Il y a en fait assez peu de libéraux extrémistes mais ce sont les principes théoriques et les politiques suivies qui le sont.

      • Une bonne politique s 'inscrit dans un équilibre avec une vision générale à long terme .
        Aujourd'hui la vision long terme bien décrite , l'équilibre et la stratégie manquent ; ainsi on peut dire qu'on est privé de politique et qu'on a affaire à autre chose (un cirque pourrait on dire). Il est évident que l'équilibre et la stratégie ainsi que la vision à long terme passe par le local ,le local comme finalité et moyen stratégique .
        On ne peut pas changer un monde mondialisé ni le gouverner autoritairement (du moins il faut espérer que ça n'arrive pas ) ; mais on ne peut pas accepter de subir ce monde qui par la force des choses va dans le sens inverse des intérêts humains. ( ce qu'on ne peut pas maîtriser est conduit par des forces matérielles et immatérielles pas du tout programmées pour le bien de tous)

        Sans se faire d'illusion sur notre capacité globale et définitive à changer le monde , le plus important est de passer du cirque à la politique . Il faut vraiment repenser notre manière de faire de la politique et cette approche ne peut pas être indépendante d'une vision long terme incluant le local comme finalité et comme moyen.

      • "il y a pas mal de conservateurs qui sont autoritaires"

        Ce qu'il me semble, c'est que l'autoritarisme se retrouve partout, quelques soient les partis ou les classes sociales, c'est viral ou fractal.

        Les pro FN ou Poutine sont autoritaires car en colère tout comme leurs opposants.

  2. L'absence de régulation de la lutte des places.
    Le manque d'intelligence collective que nous ne pouvons que constater provident en partie de l'absence de régulation de la lute des places. Sans en avoir bien conscience, non seulement le communisme n'a pas amélioré cette régulation, mais il a au contraire conduit à une exacerbation de ce phénomène commun. Alexandre Zinoviev, dans ses "confessions d'un home en trop" résume cette lute des places par ce qu'il a nommé "les lois du communalisme", lois qu'il dit avoir observe dans tous les groups humains, mais tout de même à l'état le plus pur en union soviétique. L'énoncé de la dialectique n'y est pas pour rien, il fait parti de l'outillage qui a permis à une nomenclature d'asseoir son pouvoir en son nom. Or l'intelligence collective passé par la mise en place de dispositifs propres à réguler cette lute des places. Elinor Ostrom a obtenu son prix Nobel d'économie avec une étude théorique et de terrain très fournie sur les dispositifs concrets viables permettant la coopération. Aujourd'hui, Patrick et Anne Beauvillard font un travail dans cette lignée avec leur "Observatoire de l'implicite". Ils disposent des moyens d'analyse et de compréhension des coopérations qui fonctionnent, des ressorts cachés, implicites, qui sous-tendent la viabilité et l'intelligence collective de ces groupes coopératifs.

    • Dans mon Prêt-à-penser, j'avais mis le Principe de Peter qui me semble assez pertinent. Ces dérèglements hiérarchiques peuvent être corrigés par le marché qui sanctionne le résultat, c'est le cas dans les entreprises pour lesquelles l'intelligence collective est vitale (et qui a affaire à tous ses ratés). Il faut jouer le marche contre l'Etat en même temps que l'Etat contre le marché.

      On ne peut pour autant tout réduire à un seul dérèglement ni en rester à une explication simpliste (comme le culte de la personnalité) pour ce qui relève de la confrontation de l'idée au réel, de ce qui marche ou pas.

      Il faut bien sûr mettre en place des procédures améliorant notre intelligence collective mais au niveau politique, ce qu'on récolte pour l'instant, c'est la post-vérité. Les forces sociales sont plus fortes que la vérité, n'acceptant pas le sort qui leur est fait, et d'ailleurs la stratégie du fou peut être payante, débloquant des situations.

      Nous ne sommes pas des experts de l'intelligence mais nous en manquons assez pour aller systématiquement au pire. Ainsi, des organisation ambitieuses comme ATTAC ou Nouvelle donne (ou même Podemos) deviennent plus oligarchiques et autistes que les anciennes organisations. Il y a une difficulté spécialement en politique où s'expriment les appartenances de groupe.

      J'ai conscience que ce n'est pas très positif de le dire mais si tous les intellectuels critiques pouvaient accepter qu'ils se trompent, ce serait un progrès dont on voit qu'il est impossible...

      • Je ne suis pas aussi pessimiste, peut-être à tort, mais la connaissance des ressorts et des moyens de maintenir durablement plus d'intelligence collective me semble faire des progrès importants (avec, sans ordre d'importance, Olinor Ostrom, Gerard Endenburg, Olivier Zara, Patrick et Anne Beauvillard...). Les échecs que vous citez coïncident avec une grande ignorance pratique des acteurs des processus de lutte des places en jeu et des moyens de les réguler. Or il n'est pas possible prétendre améliorer tant soit peu l'intelligence collective d'un groupe si on l'ignore. Les résultats peuvent être bien pires avec des intellectuels brillants, ayant une fibre sociale, qu'avec des groupes coopératifs plus ordinaires mais plus pragmatiques. Certaines réalisations très réussies, comme celle des Johad en Inde, comportent un volet de savoir-faire social coopératif important qui a le très gros avantage de pouvoir s'appuyer sur un intérêt collectif très bien identifié.

        • Je répète que ce qui est possible au niveau d'une entreprise ou association semble de l'ordre de l'impossible au niveau politique régi par des forces sociales prédominantes sur l'intelligence (d'où la post-vérité qui n'a rien de nouveau, religions et idéologies la pratiquant déjà beaucoup). C'est un fait d'expérience. Comment le dépasser est la question mais il faut comprendre cette difficulté supplémentaire de la politique sur laquelle on butte.

          • Je ne peux qu'être d'accord avec le fait que la politique comporte des difficultés supplémentaires aux organisations comme les entreprises ou les associations qui bénéficient d'entrée d'un objectif consensuel. Les représentants des partis, les élus, ont une situation particulière, tenant leur pouvoir autant des membres du parti que des électeurs. De plus ils baignent dans un environnement médiatique propice à la starisation, à la recherche de la moindre faille, transformant les questions dialectiques en alternatives sans solution, exacerbant la lutte des places. Ensuite les membres des partis sont très nombreux et ne sont pas du tout liés au parti comme peuvent l'être les membres d'une entreprise ou même d'une association, les liens sont très différents, plus une fraternité de conviction mais des liens contractuels faibles etc... Mais il existe tout de même de nombreux groupes ou sous-groupes à l'intérieur des partis qui pourraient très facilement s'inspirer des connaissances et des pratiques d'intelligence collective, ce serait déjà ça.

          • Tout le monde a son avis sur Trump ou sur Fillon ou etc mais personne ne s'intéresse à améliorer le processus d'intelligence collective en politique . Et on ne peut pas espérer répondre à une question que l'on ne se pose pas .
            Au local on peut néanmoins expérimenter ce problème en réunissant les acteurs territoriaux autour de l'aménagement développement de leur basin de vie ; si dans ce cadre et avec cet objectif commun les communautés de communes mobilisent élus et habitants dans l'application de leurs compétences, c'est concrètement que des mises en œuvres s'opèrent ; loin d'être simple à faire émerger , mais il y a des opportunités .

  3. Je ne crois pas qu'on puisse donner un entier crédit à l'interprétation de Nicolas Grimaldi d'un Socrate sorcier mais du moins il impute à Socrate (avec talent) le dualisme entre la réalité décevante et le langage idéaliste dont je fais état dans l'article comme cause de l'échec du volontarisme.

    Au monde matériel temporel et changeant d'Héraclite, il oppose le monde éternel de Parménide et de la pensée qui doit bien exister puisque le langage n'est pas de ce monde. Promesse d'éternité au-delà de la mort où Socrate semble faire le pari de Pascal nous guérissant ainsi de la peur de la mort. Ce n'est pas du tout ma pente qui est plutôt le devoir de récupérer du pouvoir sur le réel en prenant conscience de ce qui s'y oppose et en s'y adaptant, mais le tableau de la contradiction entre les belles idées (amour, beauté) et la triste réalité reste absolument saisissant (et on voit qu'il sent que parfois il exagère et s'inquiète un peu de son audace). On sait que Platon aussi ne se contentait pas de la vie éternelle mais était très concerné par la nécessité d'une politique plus rationnelle, sous une forme qu'on peut dire trop naïve qui sera celle des toutes les utopies mais que nous devons reprendre à partir justement de son échec historique.

    https://youtu.be/O1MPHTGzOUQ

    Lorsqu'à la fin de sa démonstration, si brillamment menée et remuant des émotions profondes, on lui indique qu'il faut finir et qu'on lui prend le micro, on sent que la redescente sur terre est brutale, il ne sert donc à rien de s'élever si haut ?

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