Combiner démocratie, oligarchie et aristocratie

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Aristote, Polybe, Montesquieu, Rousseau
Depuis Mai68, l'idéal d'une démocratie radicale (celle des assemblées générales) paraissait de l'ordre de l'évidence bien que sans arrêt confrontés à son échec et à toutes les perversions d'un démocratisme dont les Verts m'ont semblé un exemple caricatural (il y en a bien d'autres évidemment). Les réseaux sociaux ont redonné force à cette utopie vite déçue. Malgré ces échecs répétés, impossible d'abandonner l'exigence démocratique, mais il serait idiot, vu le résultat, d'en surestimer la réalité et les vertus, obligés de prendre conscience de la difficulté au moins.

Au-delà de la fiction juridique rousseauiste, qui garde toute son importance, si on adopte un point de vue plus matérialiste, on va voir que les plus grands penseurs politiques convergent sur la nécessité de ce que Aristote appelait une république tempérée, avec une division des pouvoirs. On avait souligné à quel point la Politique d'Aristote avait été réfutée par son élève Alexandre le Grand qui la rendait inutile dans l'Empire soumis par la force armée. La philosophie politique est de peu de poids par rapport aux puissances matérielles et le droit du plus fort (que Rousseau refusait de considérer comme un droit) mais justement, c'est bien la nécessité de reconnaître ces puissances effectives par le pluralisme qui justifie une constitution mixte, c'est-à-dire combinant les différentes constitutions démocratique, aristocratique voire oligarchique (c'est le point discuté).

Il est frappant qu'aussi bien Aristote que le grand historien gréco-romain Polybe, ou Machiavel qui s'en inspire après Cicéron, arrivent tout comme Montesquieu, à peu près à la même conclusion. Ce qui est encore plus frappant, c'est que notre régime démocratique en soit d'une certaine façon l'incarnation sans qu'on se l'avoue volontiers. Il faut dire qu'il y a une méconnaissance scandaleuse de la véritable histoire de notre démocratie et de l'origine de nos institutions qu'on fait remonter faussement à la Révolution alors qu'elles dateraient plutôt de l'Empire et de la monarchie constitutionnelle dont nous avons gardé l'essentiel (avec un monarque républicain, un sénat, etc.), certes de plus en plus démocratisé. Notre démocratie n'est pas si différente de la constitution anglaise combinant monarchie, aristocratie et démocratie avec une stricte séparation des pouvoirs. Même s'il y a des exceptions, personne ne semble remarquer que les monarchies constitutionnelles, qui semblent pourtant des survivances improbables, sont parmi les démocraties les plus durables...

D'abord, s'il y a une mythologie de la démocratie française, il y en a une aussi de la démocratie grecque. Ceux qui glorifient la démocratie athénienne la connaissent bien mal, souvent un véritable enfer où l'on pouvait avoir des votes contradictoires à quelques jours d'intervalle et surtout être condamné à mort un peu trop facilement pour des raisons religieuses ou sans beaucoup de preuves. Qu'il suffise de citer la condamnation à mort de Socrate ou des généraux victorieux de la bataille des Arginuses parce qu'ils n'avaient pas ramené les morts. Alcibiade, lui, était un jour condamné, l'autre célébré (lire la vie d'Alcibiade de Plutarque) ! En dehors du règne de Périclès, c'est une succession d'emballements et de remords au gré du talent des orateurs les plus médiatiques du moment. La démagogie est née en même temps que la démocratie, menant souvent à la tyrannie, au lieu d'être ce lieu rêvé de la discussion rationnelle. Les autres régimes aussi ont leurs dérives tout aussi graves mais ce n'est pas vraiment un modèle idéal à imiter, tout au plus une ébauche ayant besoin de pas mal de perfectionnements. Bien qu'elle apportait la dignité au citoyen libre (en opposition à l'esclave et en grande partie pour des raisons militaires), non seulement la démocratie n'était pas aussi belle en ce temps-là qu'on voudrait l'imaginer mais elle n'était pas du tout aussi exclusivement démocratique qu'on le dit. Certes, il n'y a rien de plus démocratique que le tirage au sort, que nous utilisons encore pour les jurys d'assise, mais cela n'était qu'un élément au milieu de procédures plus élitistes. On présente avec raison Solon comme fondateur de la démocratie mais on en fait un portrait trop unilatéral en ne retenant, par exemple, que l'effacement des dettes et l'abolition de l'esclavage pour dettes qui minait la société de l'époque, car ces mesures radicales étaient associées à la protection des richesses tout autant. Loin d'instituer un régime uniquement démocratique, il le combinait avec les intérêts de l'oligarchie et la sélection d'une élite. Comme dit Aristote :

Quant à Solon, c'est un grand législateur, aux yeux de ceux qui lui attribuent d'avoir détruit la toute puissance de l'oligarchie, mis fin à l'esclavage du peuple, et constitué la démocratie par un juste équilibre d'institutions, oligarchiques par le sénat de l'aréopage, aristocratiques par l'élection des magistrats, et démocratiques par l'organisation des tribunaux. [p158 1274a]

La démocratie extrême, en effet, est une tyrannie 1312b 5, quand le même homme devenait à la fois chef du parti populaire et stratège, les démocraties se changeaient en tyrannies, car on peut dire que la plupart des anciens tyrans sont sortis des chefs populaires 1305a 7

La démagogie est née presque toujours de ce qu’on a prétendu rendre absolue et générale une égalité qui n’était réelle qu’à certains égards. Parce que tous sont également libres, ils ont cru qu’ils devaient être égaux d’une manière absolue. p338 1301a 30

Aristote, reconnaissant aussi bien la valeur propre de différents régimes que leurs dérives, valorise leur synthèse qui permettrait de combiner leurs avantages et corriger leurs défauts. Il insiste à plusieurs reprises (p388 V 9, 430 VI 1) sur le fait qu'il ne faut pas pousser les principes d'une constitution jusqu'au bout mais les mélanger au contraire dans une "République tempérée" (IV, 8, 9), "combinaison de toutes les formes existantes" (II 6) comme à Sparte, mélange de monarchie, d'oligarchie et de démocratie. "La meilleure constitution est aussi celle qui réunit le plus d'éléments divers" (p114 II 6, 1266a).

Polybe (-200/-120) était un général grec en même temps qu'un grand historien de l'expansion romaine dont Cicéron et Machiavel s'inspireront. Il est surtout connu pour sa théorie cyclique de la succession des régimes politiques (anacyclose) reprise de la République de Platon et qui fait basculer la monarchie dans la tyrannie, à laquelle succède l'aristocratie qui se dégrade en oligarchie dont se débarrasse la démocratie avant de sombrer dans l'ochlocratie (pouvoir incontrôlé de la foule) et qu'un homme providentiel fonde une nouvelle monarchie (ce que César illustrera un siècle plus tard, l'Empire ensuite mettant un terme provisoire à ces cycles). Il ne faut pas voir dans ces cycles qui préfigurent la dialectique hégélienne une mécanique rigide mais seulement des tendances qu'on retrouve à chaque fois, succession de décadences et de renouveaux. Cette succession diachronique semble isoler chaque principe de gouvernement à un moment particulier mais Polybe voyait au contraire dans la combinaison synchronique de ces différents régimes la force de Rome (avant l'Empire qui sera surtout l'empire du Droit romain), rejoignant ainsi Aristote :

Toute forme simple, qui s'appuie sur un seul principe, ne saurait durer, parce qu'elle tombe bientôt dans le défaut qui lui est propre. (Polybe, liv. VI, § 10, édition Firmin Didot, page 343)

Mais à quoi tient pour Polybe cette excellence de la constitution romaine ? A une seule cause : elle a réuni et sagement combiné tous les principes que les autres États n'ont développés qu'isolément. La monarchie, l'aristocratie, la démocratie y sont si habilement mélangées, qu'il serait impossible de dire précisément si cet État est monarchique, aristocratique ou démocratique. Les consuls, le sénat, le peuple, ont chacun une juste part aux affaires, et l'exact équilibre de ces trois puissances a fait la stabilité et la grandeur de l'empire.

Pour Polybe, donc, la constitution parfaite serait celle qui renfermerait les trois formes principales de gouvernement, et qui unirait dans une juste mesure la monarchie, l'aristocratie et la démocratie (cf. Polybe, Histoire générale, liv. VI, ch. III). Après eux, Machiavel a repris cette théorie dans ses "Discours sur les Décades de Tite-Live" (liv. I, ch. II). Enfin cette combinaison des diverses formes politiques, est aussi le but visé par le gouvernement représentatif des Anglais, vanté par Montesquieu.

Chacun des gouvernements est bon ou mauvais; on peut préférer l'un à l'autre ou préférer à chacun d'eux la combinaison des trois. Cette dernière idée est celle que l'on trouve en germe dans Aristote, que Cicéron a développée après Polybe, et Machiavel après Cicéron. Nous la retrouvons dans l'analyse du gouvernement anglais; mais elle n'est pas l'idée fondamentale de la théorie, elle ne vient qu'en seconde ligne. La base de la théorie de Montesquieu n'est pas la distinction des gouvernements, mais la distinction des pouvoirs, non pas la combinaison des trois formes de gouvernements, mais la séparation des trois pouvoirs. Les trois pouvoirs sont-ils réunis, c'est le despotisme; séparés, c'est la liberté. Or, la constitution d'Angleterre est fondée sur la séparation des pouvoirs; elle est donc une constitution libre. (Barthélemy Saint-Hilaire)

Soulignons que Machiavel voyait la force de la constitution mixte romaine surtout dans la lutte des classes elle-même, "la désunion de la plèbe et du sénat", des dominés et des dominants, assurant un certain équilibre, plus que dans une synthèse des différents régimes. Avec Montesquieu, il y a aussi un glissement de la combinaison des régimes à la séparation des pouvoirs qui devient le point le plus important. De plus, sa démarche de juriste lui faisant chercher le principe organisateur des lois a tendance à surestimer l'unité du droit et négliger la cohabitation de plusieurs principes parfois contradictoires. Lorsqu'il dégage la valeur centrale d'un régime, on sent bien que c'est juste mais trop unilatéral ("Comme il faut de la vertu dans une république, et dans la monarchie de l’honneur, il faut de la crainte dans un gouvernement despotique ; la vertu n’y est point nécessaire et l’honneur y serait dangereux"). Mais n'y aurait-il pas d'honneur en République ? On peut y voir la préfiguration de la notion de discours (ou ce que Thévenot et Bolstanski appellent des "cités"), obéissant à leurs propres règles mais qu'il ne faut pas trop absolutiser. Cela n'empêche pas d'ailleurs Montesquieu de reconnaître les avantages d'un gouvernement mixte comme la monarchie constitutionnelle anglaise (Chapitre VI du livre XI). Il faut retenir enfin le matérialisme de Montesquieu contre le volontarisme (p30), non seulement sa théorie des climats mais sa conception de la Loi, presque aussi objective que les lois physiques bien qu'on puisse la transgresser (l'obligation morale n'est pas aussi contraignante que la loi physique). Il arrive même à définir (p29) l'essence des lois qui serait de servir à conserver (préfigurant le concept de nèguentropie), restreignant d'autant l'arbitraire de la loi qui relève bien de la nécessité la plus contraignante.

Avec Rousseau, c'est tout autre chose. On peut dire que la démocratie est devenue de l'ordre d'un devoir moral, de l'impératif catégorique qui, pour Kant, est inconditionnel sans égard aux circonstances effectives - ce qui a très vite été critiqué comme un faux devoir puisque ne pouvant être respecté pratiquement. Il faut savoir que Kant était un grand admirateur de Rousseau, pourtant considéré comme un philosophe mineur, justement parce que son Contrat social se situait au niveau des principes universels et non pas du réalisme politique ni des déterminismes sociaux. Dans ce livre, Rousseau se pose la question de ce que devrait être un gouvernement légitime pour des êtres de raison nés libres et égaux. Il ne se soucie pas tant de sa faisabilité dont il peut douter lui-même fortement. Ce qu'il élabore servira de fondement à la déclaration des droits de l'homme qui universalise la démocratie et constitue le véritable héritage d'une Révolution ayant pour le reste gravement échoué. Ce n'est donc pas rien, même si le droit formel de l'égalité est très loin d'un droit réel. Ne faisant qu'appliquer à la politique et aux lois légitimes les préceptes constants de la philosophie (pas seulement stoïcienne) - qui assimile en effet la liberté à la raison et au devoir moral - Rousseau en vient à prétendre que "L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est la liberté" (Livre I, Chapitre 8), "il n’y a donc point de liberté sans Lois" (8ème lettre). Kant reprendra la formule pour identifier la liberté à la loi morale alors que c'est ce qui permettra à Hegel de définir la Loi et le Droit comme liberté objective (productive, ce qu'on peut faire grâce à la loi) qui est en même temps aliénation de sa liberté subjective (interdit, respect de la loi). "Ce que l'homme perd par le contrat social, c'est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu'il peut atteindre ; ce qu’il gagne, c'est la liberté civile et la propriété de tout ce qu’il possède" (I-7). Le problème, c'est qu'on est dans la fiction d'un contrat originel (qui bien sûr n'a jamais existé) et d'un ordre rationnel ignorant les contradictions au sein du peuple, les puissances effectives ainsi que nos limites cognitives. Etant donné tous les malentendus sur Rousseau, en particulier sur la possibilité d'une démocratie réelle à l'échelle d'un grand pays, il me semble intéressant de citer in extenso le court chapitre IV du livre III sur la démocratie :

De la Démocratie.

Celui qui fait la loi sait mieux que personne comment elle doit être exécutée & interprétée. Il semble donc qu’on ne saurait avoir une meilleure constitution que celle où le pouvoir exécutif est joint au législatif : Mais c’est cela même qui rend ce Gouvernement insuffisant à certains égards, parce que les choses qui doivent être distinguées ne le sont pas, & que le Prince & le Souverain n’étant que la même personne, ne forment, pour ainsi dire, qu’un Gouvernement sans Gouvernement.

Il n’est pas bon que celui qui fait les lois les exécute, ni que le corps du peuple détourne son attention des vues générales, pour les donner aux objets particuliers. Rien n’est plus dangereux que l’influence des intérêts privés dans les affaires publiques, & l’abus des lois par le Gouvernement est un mal moindre que la corruption du Législateur, suite infaillible des vues particulières. Alors l’Etat étant altéré dans sa substance, toute réforme devient impossible. Un peuple qui n’abuserait jamais du Gouvernement n’abuserait pas non plus de l’indépendance ; un peuple qui gouvernerait toujours bien n’aurait pas besoin d’être gouverné.

A prendre le terme dans la rigueur de l’acception, il n’a jamais existé de véritable Démocratie, & il n’en existera jamais. Il est contre l’ordre naturel que le grand nombre gouverne & que le petit soit gouverné. On ne peut imaginer que le peuple reste incessamment assemblé pour vaquer aux affaires publiques, & l’on voit aisément qu’il ne saurait établir pour cela des commissions sans que la forme de l’administration change.

En effet, je crois pouvoir poser en principes que quand les fonctions du Gouvernement sont partagées entre plusieurs tribunaux, les moins nombreux acquièrent tôt ou tard la plus grande autorité ; ne fut-ce qu’à cause de la facilité d’expédier les affaires, qui les y amène naturellement.

D’ailleurs que de choses difficiles à réunir ne suppose pas ce Gouvernement ? Premièrement, un Etat très petit où le peuple soit facile à rassembler & où chaque citoyen puisse aisément connaître tous les autres : secondement, une grande simplicité de mœurs qui prévienne la multitude d’affaires & les discussions épineuses : Ensuite beaucoup d’égalité dans les rangs & dans les fortunes, sans quoi l’égalité ne saurait subsister longtemps dans les droits & l’autorité : Enfin peu ou point de luxe ; car, ou le luxe est l’effet des richesses, ou il les rend nécessaires ; il corrompt à la fois le riche & le pauvre, l’un par la possession l’autre par la convoitise ; il vend la patrie à la mollesse à la vanité ; il ôte à l’Etat tous ses Citoyens pour les asservir les uns aux autres, & tous à l’opinion.

Voilà pourquoi un Auteur célèbre a donné la vertu pour principe à la République ; car toutes ces conditions ne sauraient subsister sans la vertu : mais, faute d’avoir fait les distinctions nécessaires, ce beau génie a manqué souvent de justesse, quelquefois de clarté, & n’a pas vu que l’autorité Souveraine étant partout la même, le même principe doit avoir lieu dans tout Etat bien constitué, plus ou moins, il est vrai, selon la forme du Gouvernement.

Ajoutons qu’il n’y a pas de Gouvernement si sujet aux guerres civiles & aux agitations intestines que le Démocratique ou populaire, parce qu’il n’y en a aucun qui tende si fortement & si continuellement à changer de forme, ni qui demande plus de vigilance & de courage pour être maintenu dans la sienne. C’est surtout dans cette constitution que le Citoyen doit s’armer de force & de constance, & dire chaque jour de sa vie au fond de son cœur ce que disait un vertueux Palatin dans la Diète de Pologne : Malo periculosam libertatem quam quietum servitium.

S’il y avait un peuple de Dieux, il se gouvernerait Démocratiquement. Un Gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes.
Contrat social, liv. III, chap. IV

La position de Rousseau sur les gouvernements mixtes est ambigüe puisqu'il semble assimiler la République romaine à une démocratie sous prétexte que le peuple assemblé y a un rôle déterminant. Il prétend que "le gouvernement simple est le meilleur en soi, par cela seul qu'il est simple" mais c'est surtout parce qu'il refuse la division de la souveraineté au profit de la fiction d'une volonté générale détachée des intérêts particuliers (cela a mené à l'interdiction malencontreuse des corporations et syndicats) et supposant "l'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté" I-6. Si la résistance à la tyrannie et l'oppression est un devoir, il n'admet donc pas la résistance aux lois votées démocratiquement mais admet pourtant la nécessité de la division des pouvoirs, au moins entre le législatif et l'exécutif, ce qu'il préfère appeler un gouvernement tempéré plutôt que mixte, alors même qu'il commence le chapitre VII du livre III en disant que "à proprement parler, il n'y a point de gouvernement simple" (p123) ! On voit qu'il ne se soucie pas de réalisme et seulement de déductions logiques (comme la raison pratique de Kant). Son simplisme doctrinaire est ainsi dicté par sa visée d'un droit légitime qui ne serait pas contaminé par des forces illégitimes mais cette position purement théorique n'est pas tenable pratiquement, comme l'histoire nous l'enseigne depuis l'antiquité. Il n'y a pas de pouvoir complètement légitime, même démocratique, pouvoir qu'on peut toujours contester. La réalité est celle de l'affrontement des intérêts et de la division de la société. On l'a vu, lui-même l'avoue, "un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes" mais à des dieux.

Bien sûr, tout dépend du nombre, ce que Rousseau ne méconnaissait pas (en raison du nombre de citoyens, "plus l'Etat s'agrandit, plus la liberté diminue" III/I p104). Dans de petits groupes ou au niveau local la démocratie peut rester transformatrice et incarner une certaine volonté commune. La première leçon que j'avais tiré de mon expérience politique, et qui n'a rien d'originale, c'était effectivement qu'il ne pouvait y avoir de véritable démocratie qu'au niveau local, démocratie de face à face comme dit Bookchin prônant le municipalisme. C'est là que peuvent notamment se construire les bases d'une alternative au capitalisme. Ce n'est pas pour autant que cela garantisse une véritable démocratie tant on trouve de féodalités locales et autres réseaux clientélistes. Même dans les petits groupes la démocratie est problématique. Les dominants monopolisent la parole et les oppositions n'osent pas se manifester souvent, se laissant plus ou moins manipuler. Ce n'est pas, bien sûr, qu'il faudrait abandonner la démocratie (pour la remplacer par quoi?) mais au contraire l'améliorer et surtout admettre ses limites. En tout cas, au-delà du niveau local, la volonté générale devient une simple fiction juridique pour une loi qui est le résultat d'un parcours institutionnel. Du coup, il n'y a pas de démocratie parfaite et donc pas de légitimité incontestable mais seulement des procédures pour manifester ou concilier les oppositions.

Si l'on quitte l'idéal régulateur pour se tourner vers l'histoire et l'observation des régimes politiques tels qu'ils ont existé, le fait que Montesquieu et Machiavel rejoignent Aristote et Polybe ne peut être ignoré et se justifie par le fait que le réel s'impose des puissances effectives au-delà des principes (qu'il est dangereux de pousser à bout). L'enseignement qu'on doit en tirer, c'est que la dénégation du rôle de l'élite et de la richesse mène tout simplement à en faire des puissances souterraines, et donc à la corruption de la démocratie. Il y a certes de quoi indigner notre soif d'égalité et de justice mais il apparaît que, pour avoir une démocratie transparente, il faut donner une place explicite à la méritocratie mais aussi aux puissances d'argent et autres lobbies afin de les canaliser. S'y refuser au nom d'une démocratie intégrale n'est que se condamner à dénoncer vainement leur pouvoir occulte et la confiscation de la démocratie. Comme disait Sadi Carnot "Malheur à une république où le mérite d’un homme, où sa vertu même serait devenue nécessaire" ! Il ne s'agit pas de tout céder aux lobbies mais de les avoir à l'oeil, d'en rendre public les enjeux et surtout de délimiter les différents pouvoirs.

Il faut comprendre les vertus des différents régimes en fonction des objectifs poursuivis. Il ne s'agit pas, en effet, de se satisfaire d'une post-démocratie ni d'introduire honteusement des exceptions à l'expression démocratique mais d'assumer l'existence d'autres dimensions tout comme de limitations matérielles dont il faut tenir compte, sans renoncer pour autant à la démocratisation de la société. En effet, quoiqu'on dise, chacun reconnaît la valeur de la "monarchie" pour l'action. Il faut un général, un président, un directeur pour décider sur-le-champ. De nos jours on dirait plutôt animateur (après l'ère des managers), dépouillé du prestige monarchique et bien sûr de son hérédité. Malgré le rejet des élites, chacun reconnaît aussi la valeur d'une certaine "aristocratie" ou méritocratie dans son métier, compétence qu'on cherche chez un médecin ou un juge comme chez nos élus. Vouloir le nier, c'est juste le cacher, mieux vaut le reconnaître dans son domaine propre. Inutile d'insister sur ces deux points qui seront facilement admis, Aristote faisant cependant la juste remarque qu'une supériorité dans un domaine a la propension de se prendre trop facilement pour une supériorité en tout, totalement injustifiée.

Il paraît moins évident de défendre l'oligarchie financière et les grandes entreprises, bien qu'on en dépende plus qu'on ne croit, mais il n'est pas tenable de les ignorer ni même d'en faire uniquement des ennemis à combattre pour se faire applaudir. La réflexion sur l'oligarchie est sans doute la plus pauvre, toujours un peu honteuse. A strictement parler, tout pouvoir est oligarchique au sens du pouvoir d'une petit nombre sur le grand nombre, même en démocratie. D'après Robert Michels, "la loi d'airain de l'oligarchie" s'applique à toute organisation en premier lieu les partis, même socialistes, communistes, anarchistes, etc. Cependant, le sens qui sera privilégié ici ne sera pas celui d'une dégénérescence de l'aristocratie mais celui que lui donne Aristote d'un gouvernement par les riches ("quand les détenteurs de la fortune ont la haute main sur le gouvernement" 1279b15) au service de l'économie, de la production de richesses, et dont la ploutocratie constitue la perversion. Cela va de la République de Venise à la démocratie censitaire (en vigueur pendant la Révolution et qu'il ne s'agit pas de rétablir). Pour la plupart l'oligarchie ne fait que se gaver au détriment de la population, responsable désignée de tous ses malheurs, mais l'oligarchie ne se confond pas avec la prédation. S'il y a incontestablement des conduites frauduleuses, la vertu de l'oligarchie est de défendre des lois de conservation des richesses qui sont productives, facteur de prospérité. Faire de l'oligarchie les maîtres du monde et les responsables de l'évolution planétaire, c'est lui faire beaucoup d'honneur, participant du même soubassement que l'antisémitisme et les théories du complots qui cherchent un coupable à une évolution qui nous dépasse et un processus sans sujet. Pas plus que la démocratie l'oligarchie ne peut commander à l'économie qui a ses lois propres et qu'elle peut seulement servir (pour se servir). Ce qui est vrai, c'est que l'oligarchie est le contraire de la démocratie en tant que gouvernement de l'inégalité et qu'elle est donc fondamentalement injuste en tant que gouvernement simple, nécessitant d'être corrigée par la pression démocratique car "les hommes ne s'associent pas en vue de la seule existence matérielle mais plutôt en vue de la vie heureuse 1280a30".

Devant la contradiction entre le mythe démocratique et la domination oligarchique, il est naturel que la première réaction soit de dénoncer cet état de fait pour retrouver la pureté d'une démocratie intégrale. Sauf qu'elle se révèle comme tout absolu, impossible à mettre en oeuvre. La leçon est plutôt que, tant qu'elle existe, que son influence est décisive, il faut donner plus de visibilité à l'oligarchie et reconnaître les limites d'une démocratie toujours imparfaite au lieu de l'imaginer toute puissante. Plus on ignore l'histoire et plus les choses peuvent paraître simples, livrées à une surenchère démocratique refusant de reconnaître ses effets pervers (donnant le pouvoir aux plus actifs, aux plus organisés, aux plus magouilleurs, aux grandes gueules, aux démagogues, etc). Il s'agit de prendre au sérieux ces défauts, à rebours des tendances actuelles qui prétendent restaurer contre l'oligarchie une véritable démocratie. Non pas qu'il ne serait pas indispensable de vouloir le plus de démocratie possible mais, pour que ce soit effectif, il faut tenir compte des réalités et de l'expérience historique, pas s'imaginer être les premiers à caresser ce rêve. La naïveté en politique est un crime. Il n'est évidemment pas question de défendre l'oligarchie qui s'impose à nous sans nous demander notre avis, au même titre que la puissance militaire. Il ne s'agit pas de leur céder tout mais au contraire de limiter leur puissance, d'essayer de la contrôler et de l'orienter vers le bien commun, même si ce n'est pas gagné d'avance - pas de faire comme si elle n'existait pas.

Il est de grande importance de reconnaître les limites de la démocratie derrière la fiction et d'accorder une place aux puissances effectives. La démocratie réelle ne peut être confondue avec son idéal rousseauiste ou révolutionnaire dès lors qu'elle est intégrée à un gouvernement mixte qui ne peut avoir qu'une légitimité limitée. Le prix symbolique d'un tel réalisme démocratique est certes assez élevé. En premier lieu, on l'a vu, cela oblige à faire son deuil d'une prétendue volonté générale comme de l'unité politique au profit de la lutte des classes et du pluralisme des partis. Il faut bien dire que cette représentation de la démocratie est très moderne par rapport à l'ancienne conception, bien antérieure à la démocratie athénienne, du peuple en arme qui décide de la guerre et choisit son général. Désormais, dans une société des individus globalisée et régie par l'Etat de droit, la démocratie n'a plus rien d'un peuple uni derrière son chef comme le voudraient encore démagogues, populistes et fascistes, voulant faire croire à une unité de volonté qu'ils portent (ce que le peuple veut) et qui n'est finalement que la domination d'une partie du peuple (même majoritaire) sur les autres. Il n'y a rien de nouveau dans le populisme qui peut réprimer ses dissidences au nom d'une prétendue volonté générale s'attaquant à la "dictature d'une minorité" qui lui résiste. L'expérience politique réelle faite d'affrontements constants ne devrait plus permettre de croire à une volonté commune. Une véritable démocratie est d'abord pluraliste et contrairement aux tendances autoritaires qui voudraient en faire la dictature de la majorité, il faut défendre une démocratie des minorités et du pluralisme, véritable laïcité des identités et modes de vie - certes avec moins de pouvoir de transformation sociale car avec moins de pouvoir sur les personnes.

L'objet de la politique est depuis l'origine (les premières grandes cités-Etats) la construction d'institutions pour une diversité de populations et l'arbitrage entre intérêts opposés. Il y a certainement toujours eu, dans les grandes villes comme dans les empires, différents communautarismes, une multitude de pratiques et d'opinions qui divisent la société, de quoi nourrir la nostalgie de l'unité perdue. Cette unité ne peut pas cependant être une identité réelle, ce qu'on a du mal à accepter, seulement une diversité qui se rassemble dans la République, notamment pour les élections. L'unité civile est, comme le droit, purement formelle, elle est toute dans les institutions, y compris les fêtes nationales, et pas plus dans l'idéologie ou la culture que dans l'origine ou la race. Pas de quoi satisfaire le désir d'identification mais conséquence de la diversité et de l'autonomie, de l'Etat de droit et du pluralisme, c'est-à-dire de la liberté et de la paix civile. La division politique est au fondement de la démocratie élective et délibérative (un se divise en deux). Il n'est pas question pour autant d'abandonner notre besoin de communauté qui ne peut simplement être une communauté nationale mais aussi bien communauté humaine que communautés particulières (appartenances). Ce qui jusqu'ici forgeait tout de même cette unité nationale dans le réel bien plus que l'école, c'était la guerre (ou le service militaire), guerre qui était effectivement considérée comme indispensable par Hegel pour maintenir l'unité sociale. Dans une société pacifiée, vouée au service des biens, l'unité politique est plus abstraite. En l'absence de mobilisation générale, c'est à chacun de servir comme il l'entend la devise de la République, défendre ses droits et contester ou respecter sa loi sans devoir nier ses antagonismes.

La démocratie doit rester le socle de la politique mais il ne faut pas la mythifier et pour qu'elle ne reste pas pur semblant le préalable serait de partir de sa réalité historique avec tous ses échecs. Il faut absolument améliorer la démocratie, la rendre plus effective et intelligente mais les bonnes intentions ne suffisent pas et nous ne sommes pas les premiers à y prétendre. Plutôt que de grandes déclarations il m'a semblé utile de revenir à nos classiques trop méconnus et que les transformations considérables que nous avons subies ne rendent pas aussi dépassés qu'on pourrait le croire. Il ne serait pas mauvais en tout cas d'introduire dans les débats la question du gouvernement mixte qu'ils défendaient et qui est complètement absente au profit de purs et simples postulats de principe.

 

En admettant, dans le sillage des anciens, que le gouvernement mixte tenant compte des différentes puissances soit bien le meilleur des régimes, la question se pose de l'utilité de le dire dans le contexte actuel tout comme plus généralement du poids de la philosophie politique par rapport aux pouvoirs effectifs comme aux mouvements d'opinions pas toujours rationnels. De même, si la démocratie est une question de dignité, de liberté et de paix civile, il faut la défendre à tout prix contre toutes les tyrannies mais on est bien obligé de constater qu'en général notre action n'est pas aussi décisive qu'on le voudrait. D'Aristote à Montesquieu et sa théorie des climats, jusqu'à Marx et l'infrastructure économique, il faut bien constater que ce sont les causalités matérielles qui sont déterminantes en dernière instance et nous font plutôt les produits de notre milieu, y compris dans nos engagements. Il est bon d'en prendre conscience. Malgré ce qu'on nous serine, ce n'est pas l'homme qui fait l'histoire, évolution qui nous dépasse et n'est voulue par personne. Il vaut mieux tout de même en connaître les ressorts car on peut s'y adapter plus ou moins bien, éviter ou non le pire, notre action n'étant pas complètement inutile pour autant. On a vu avec Montesquieu que les lois peuvent être mauvaises mais ne sont pas arbitraires et ne dépendent pas de nos caprices puisqu'elles sont nécessaires à la reproduction sociale et même souvent productives, ce qui se juge au résultat et renforce ou non la loi. Il ne suffit certes pas de décider n'importe quoi sous prétexte que ce serait majoritaire, volontarisme qui se brise sur le réel comme si souvent les gauches au pouvoir. La démocratie a besoin d'être éclairée sur le nécessaire et le possible.

D'un point de vue matérialiste, dans ce monde complexe globalisé nous aurions besoin en effet non pas d'une démocratie directe impraticable en dehors des petits groupes mais bien plutôt d'une démocratie cognitive qui soit assez informée des contraintes écologiques et matérielles - sans tomber dans la technocratie. Plus facile à dire qu'à faire. Il y a du pain sur la planche à l'avenir pour construire une démocratie planétaire et revivifier la démocratie locale. Le problème sur lequel on butte encore une fois, c'est que la science n'est pas démocratique (pas plus qu'elle ne peut être prolétarienne). Déjà dans le Lachès Socrate montrait qu'on ne pouvait mettre la vérité aux voix mais qu'il fallait se mettre à sa recherche. Il faut là aussi composer entre science et démocratie sans confondre leurs champs propres. La séparation des pouvoirs n'est pas seulement un gage d'équilibre et de liberté, c'est aussi l'assurance de ne pas mélanger les genres et de réserver à chaque fonction la forme qu'elle exige.

Finalement, après ce parcours de la démocratie rêvée à la démocratie réelle, il faut bien avouer que, malgré tout, notre problème n'est pas tant d'un manque de démocratie qu'un problème cognitif justement : de mauvaises analyses et des solutions inadaptées, un refus du réel qui résiste à nos injonctions. On met sur le dos d'un manque de démocratie des transformations accélérées sur lesquelles nous n'avons pas de prise. Alors que tout change autour de nous, on s'accroche à des mythologies dépassées pour refuser ce changement (le numérique grand absent des discours), comme si la démocratie avait le pouvoir d'arrêter le temps voire de revenir en arrière. Il faudra tout au contraire se tourner à nouveau vers le futur et composer avec les puissances effectives afin de poursuivre une indispensable démocratisation aussi bien sociale que politique.

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28 réflexions au sujet de “Combiner démocratie, oligarchie et aristocratie”

  1. La manière dont nous organisons notre gouvernance dit ce que nous sommes - pas des dieux c'est évident et donc pas de gouvernance parfaite .
    Assurément la nature de notre gouvernance est ancrée dans une matérialité socio économique et culturelle et à l'état du monde humain ,son évolution , sciences et techniques etc à un moment donné de l'histoire , aussi à de nombreux facteurs , divers et variés ; tout cela faisant effectivement qu'on, ne maîtrise pas grand chose et qu'il est illusoire de rêver ou proclamer qu'en tirant au sort ou qu'en établissant une démocratie directe , tout irait mieux . Pour que tout ailles mieux (gouvernance y compris) il faudrait sortir de l'histoire humaine et effectivement c'est en cherchant à imposer ce totalitarisme du mieux que le pire arrive.

    Il faudrait donc aller vers une gouvernance la plus en adéquation possible au réel ; au réel humain , à ce que nous sommes dans notre imperfection et au réel du monde , celui des enjeux qui se présentent à nous aujourd'hui , en sachant que pour une bonne part nous sommes producteurs et responsables de ces enjeux .

    Bref , ce qu'il serait intéressant de rechercher , en partant du réel de la gouvernance actuelle , c'est de voir quels aménagements , mineurs ou plus radicaux , nous hisserait à la hauteur de ce qui se joue aujourd'hui ; cela en sachant que la nature même des enjeux leur donne un caractère de gravité inédite , et que oui , on a tout intérêt , sans sombrer dans le perfectionnisme d'une démocratie parfaite , à changer au plus vite la gouvernance pour lui donner de l'efficience .

    La mondialisation actuelle doit pouvoir s'équilibrer par le local et la démocratie représentative oligarchique actuelle par une démocratie cognitive ouverte à tous , productive d'interrogations et de décisions quant à l'orientation générale de nos sociétés ;
    je ne pense pas qu'il suffise de parler de démocratie tempérée et équilibrée , l'époque , sans sombrer dans l'idéalisme , impose plus et mieux de radicalité dans ce domaine .

    • Il faudrait certainement plus de radicalité démocratique à condition qu'elle ne se berce pas d'illusions. C'est sans doute plus de l'ordre d'un travail donnant la parole à ceux qui ne l'ont pas que de votes par des assemblées. Il est indispensable que cette démocratie se sache limitée, ce que ceux qui se veulent radicaux contestent en général. Il y a de grandes marges d'amélioration de la démocratie qui doivent être exploitées mais sans pouvoir prétendre à une démocratie réalisée. Il faudrait commencer toute procédure démocratique par l'énoncé de son déficit démocratique et des efforts à faire pour y remédier au lieu de crier en prétendant être le peuple et savoir ce qu'il veut.

      Comme je le dis dans le texte, si la question démocratique existe réellement elle prend actuellement le rôle de mythe trompeur, comme si elle était LA solution aux évolutions accélérées que nous subissons. C'est une impasse et détourne des radicalités nécessaires notamment écologistes ainsi que du local, pour investir une démocratie nationale fantasmée. Le simple fait d'investir plus le local garantirait une meilleure gouvernance.

      La question n'est vraiment pas de la démocratie, ce que veut le peuple étant de revenir en arrière. Le problème est bien cognitif, de savoir comment s'adapter au monde qui vient. Comme on ne sait pas ce qu'il faut faire ou qu'on n'arrive pas à se mettre d'accord, on se focalise sur les procédures démocratiques elles-mêmes. J'ai dit comment la relocalisation pourrait s'organiser d'après moi mais on entend surtout sinon des propositions régressives. Une fois qu'on saura comment rebattre les cartes, ce ne sera pas plus une question de démocratie, la question démocratique demeurant importante mais pas forcément décisive sur ce point.

      La question n'est pas, en effet, du monde qu'on veut mais de celui qui nous attend. Et cela ne sert à rien de le dire quand ce qui s'exprime, ce sont des colères, des intérêts, des illusions, des mensonges et la recherche de boucs émissaires sont il suffirait de se débarrasser pour que tout s'arrange...

      • Mon dernier commentaire est parti avant d'avoir lu votre réponse (étant resté site ouvert )

        Je suis d'accord sur la fait que le problème est bien cognitif . Mais pas seulement s'adapter au monde qui vient ; participer aussi à le construire ; et je pense que pour ce faire un nouvel outil démocratique serait nécessaire ; le fait qu'il soit accessible à tous et donc démocratique est selon moi une condition nécessaire à son efficacité .
        Sans se faire aucune illusion sur la démocratie et sur nous même , cet effort démocratique n'est pas selon moi une option facultative dans la période historique actuelle.

    • On voit bien avec l'élection américaine ou les nôtres que le système démocratique actuel est usé jusqu'à la corde et ne produit rien en terme de compréhension et résolution des problèmes ni en terme d'unité et paix sociale. Les élites de la mondialisation s'ils campent sur leurs positions arrogantes sont irréconciliables avec les populations et les territoires qui parce qu'ils sont en souffrance et décalage cherchent le repli sur soi, s'inscrivent dans le rejet et la haine ; au delà des baffes salutaires que des évènements comme l'élection de Trump donne au système , plus qu'utile d'aller au delà de la dichotomie mondialisme -nationalisme et pour se faire de se poser au moins la question prospective de : vers quelle mondialisation ? Cette réflexion publique supposant l'organisation d'un outil public de réflexion permettant d'avancer, de "baffer" l'arrogance et la stupidité des élites et de décrasser le regard court termiste et étroit des populations sans lesquelles rien ne sera possible.

      Beaucoup plus que de tirage au sort ou autres aménagement pourtant éminemment utiles , on a besoin d'une démocratie cognitive participative , un véritable outil de recherche sociétale , avec des points d'expérimentation au local.

      • La stupidité malheureusement n'est pas que celle des élites, c'est une qualité partagée. Tout de même l'élection de Trump est une honte, l'échec de la démocratie américaine. Il semble mettre de l'eau dans son vin mais si on me trouve trop optimiste à évoquer la possibilité que sa présidence soit moins catastrophique que l'annonçait sa campagne, les risques sont énormes. Au cas où il se révèlerait vraiment meilleur, ce ne serait pas moins un échec de la démocratie et la victoire du mensonge. La probabilité reste au pire.

        Il y a quand même là de quoi réfuter la "demande de démocratie" du populisme qui est la recherche d'un maître - qui ne sera pas le meilleur mais le plus menteur. La démocratie ne mérite décidément pas tant d'honneurs que de critiques, elle a tant de progrès à faire...

        • La démocratie américaine (comme la nôtre) est un échec permanant ; elle ne tient que pendant que le monde qui l'a généré tient ; son principe est de gérer "le progrès pour tous" ; ce progrès reposant sur le non sens d'une accumulation de biens matériels .
          Les électeurs de Trump ou Marine le Pen ne veulent rien d'autre que leur part du gâteau . Idem pour les mondialistes .
          Hors , sur le fond , dans la réalité , la démocratisation de l'enrichissement matériel est un non sens ; et c'est cette réalité qui est à l'œuvre et révèle ce non sens ; la relation au monde d'une humanité nombreuse et performante techniquement ne peut pas être une relation de profit et d'accumulation . Notre survie va dépendre de notre capacité à modifier notre relation à la planète et aux autres et donc notre conception et organisation de la démocratie.(de l'économie, de l'aménagement du territoire etc)
          Cette "démocratie" qui après tout n'est qu'un outil au service de valeurs : une démocratie même parfaite au service d'un monde peu enviable et non durable n'a que peu d'intérêt.
          Si comme chez nous l'élection reposait sur un scrutin universel Trump n'aurait pas été élu , Mais cela n'aurait rien changé sur le fond . Et Trump ou pas , le monde est aujourd'hui dangereusement dangereux : tout peut arriver.
          Le seul intérêt de Trump c'est d'être un révélateur ; eh puis qui sait , le pape a prié pour lui ! (sourire ) , on sera peut être surpris ; un vrai feuilleton américain.

        • La "honte" au niveau de l'élection de Trump , c'est le mode de scrutin et l'organisation de ces présidentielles ; en France c'est idem : les primaires vont nous imposer des candidats dont on ne veut pas : on peut très bien se retrouver avec Sarko -Lepen au second tour.
          Mais ici comme là bas on descend dans la rue pour crier "Trump doit s'en aller " au lieu de dire : on ne vote pas , il faut réformer les modes de scrutin et l'organisation des élections présidentielles.

          On voit donc l'entier déficit démocratique et malgré défauts et imperfections la nécessité de se rapprocher des principes .Il est entièrement indispensable de revoir tout ça .

  2. Si je suis bien la démonstration du 4ème paragraphe sur la démocratie grecque, Athènes combinait oligarchie et démocratie et ne peut donc être qualifié de démocratie "pure".
    Pourtant, il faudrait disqualifier la démocratie "extrême" parce qu'Athènes a condamné Socrate et tournait parfois à la tyrannie.
    Alors Athènes était une démocratie réelle ou pas ?

    Je maintiens pour ma part que qualifier nos régimes actuels de démocratie nous empêche de formuler un antidote. Personne ne fantasme sur une démocratie parfaite qui ne ferait pas d'erreur puisque dirigée par et pour le peuple. Au contraire, nous devrions revendiquer le droit de nous tromper nous-mêmes, plutôt que de laisser une élite se tromper pour nous. Si l'on veut devenir collectivement des adultes politiques, il est nécessaire que nous soyons confrontés directement aux conséquences de nos choix personnels.
    Le système actuel empêchant notre émancipation, nous ne grandissons plus politiquement.

    • Il y a plusieurs périodes de la démocratie athénienne et il n'y a pas qu'à Athènes qu'il y avait des périodes démocratiques plus ou moins extrêmes dont Aristote tire des enseignements. Lorsque Socrate a été condamné à mort c'était à cause des accusations du leader démocratique (Anytos) qui avait fait restaurer la démocratie contre la tyrannie des trente, et donc un moment révolutionnaire où la démocratie est plus extrême ce qui ne veut pas dire qu'en période normale cela se passerait beaucoup mieux.

      La démocratie extrême se disqualifie toute seule, Aristote comme Polybe se basent sur l'observation, ce ne sont pas des idéologues et seront confirmés à l’avenir par le césarisme (César, très populiste, Napoléon, Staline, etc). Que la démocratie extrême ne soit pas durable n'implique absolument pas qu'une démocratie tempérée serait idéale et qu'elle ne chercherait pas des boucs émissaires (pharmakos en grec). Il n'y a aucune perfection démocratique. La démocratie est nécessaire mais pose des problèmes que les procédures cherchent à atténuer seulement.

      L'exigence actuelle de démocratie repose sur l'illusion que ce serait le moyen de résoudre notre crise d'adaptation mise sur le dos de l'oligarchie qui en serait la cause. Tout cela est faux, simple refus de la réalité, mais est assez convaincant, donnant un espoir facile à ceux qui souffrent au lieu de prendre en main leur vie localement. Et cela n'empêche pas qu'il faut plus de démocratie (mandat unique, tirage au sort, jurys citoyens, etc), simplement cela ne supprimera pas les problèmes.

      J'ai relu un article de 2000 (la démocratie à venir) et j'ai été frappé par le fait qu'on n'attendait de la démocratie à cette époque pas grand chose d'autre qu'une démocratisation alors que dans cette séquence populiste, on en attend des miracles (une révolution).

      C'est bien gentil de revendiquer le droit de se tromper mais à l'échelle d'un grand pays cela se paye très cher, des populations en souffrent, et le sujet supposé faire son apprentissage me semble une pure fiction (il est plutôt historique que nous en soyons ou non les "acteurs"). Devenir adulte politiquement est certainement un devoir et la principale qualité de la démocratie (reconnue par Aristote) mais pour être adulte il faudrait aussi arrêter de rêver et connaître notre ignorance pas tomber dans le volontarisme et l'autoritarisme. Ce devenir adulte dans la démocratie, je le répète, ne se comprend vraiment qu'au niveau local (comme dans les cités grecques).

      Ce que je trouve extraordinaire dans le démocratisme, c'est que l'expérience concrète n'arrête pas de montrer que ça ne marche pas. Au niveau, des AG, des associations, des partis, des mutuelles, etc., c'est plus qu'approximatif et on prétend que ce serait une solution nationale ! Je suis d'accord sur le fait qu'il faut continuer de démocratiser à condition qu'on en reconnaisse la difficulté. L'émancipation est progressive et se heurte à chaque pas à ses contradictions, son négatif qu'il faut surmonter.

      On a d'autant plus besoin de devenir un peu plus adultes que nous sommes confrontés à des défis écologiques vitaux alors même que la politique se révèle de plus en plus impuissante. Ce que manifestent nos "démocraties", c'est qu'on est loin encore d'être adultes sur ce point notamment et qu'améliorer les procédures sera positif mais ne changera pas ce qui est dans les têtes.

      En 2000 je disais que la démocratie dépend du mouvement social plus que le mouvement social ne dépend des structures démocratiques. Le mouvement social est actuellement à la dérive et ne nous est pas favorable mais c'est sur ce terrain des idées, de ce qu'il faudrait faire (ce qu'on est obligé de faire), qu'il faudrait se situer, plus que sur la vie démocratique formelle (ce n'est pas comme si on n'était pas du tout en démocratie) qui doit être améliorée même si elle a perdu de son importance mais peut encore nous faire vivre un cauchemar très démocratique.

      • Ce qui me parait essentiel , avec la limite que cela ne s'improvise pas , ce sont les processus amont participatifs d'études, débats, réflexions et - c'est important-le fait qu'ils soient reliés à la possibilité de décider.
        Temps que la décision nous échappe complètement , il n'y a pas d'intérêt à réfléchir : nous ne pouvons que sanctionner après coup des personnes ou des groupes qui nous "représentent" ; ainsi le débat qui est la substantifique moelle de la démocratie nous échappe entièrement et nous restons à la porte de la chose publique.
        L'actuelle démocratie représentative telle qu'elle est organisée est selon moi un verrou puissant et efficace à la possibilité de vivre la démocratie dont le fondement est bien l'étude collective des problèmes .

        Je pense essentiel d'équilibrer la démocratie représentative - qui a toute son utilité - par une démocratie cognitive directe qui fonde cette démocratie représentative.
        Certes c'est au local que cet apprentissage peut le mieux s'opérer ; mais un outil national de démocratie est aussi très important .
        Ce n'est pas nouveau de dire qu'il faut faire rentrer le citoyen en politique mais c'est concrètement ,structurellement , en organisant des outils publics de recherche sociétale reliés à des processus décisionnaires qu'on peut avancer ; il faut susciter des processus vivants et concrètement actifs avant de parler sixième république.

        • Oui, mais il ne faut pas trop en attendre, il n'y a que des degrés de démocratie, ce n'est jamais complètement légitime (cf. le référendum sur l'aéroport de Nantes).

          On ne peut pas dire qu'il n'y a pas de démocratie cognitive dans nos sociétés hyperconnectées. Il est curieux de penser qu'on ne serait pas du tout en démocratie alors que les gens s'expriment en permanence, qu'on les sonde, etc. Il y a des analyses, des propositions, des modes. Elles sont hélas, du fait de la révolution que nous vivons, totalement inadaptées (la RTT en est pour moi un symptôme mais c'est toute l'organisation de la protection sociale qui est à repenser dans le nouveau contexte).

          Si les gauches partout dans le monde sont en recul, c'est parce qu'elles sont à côté de la plaque, enfermés dans leurs anciens dogmes, et n'arrivent à rien. Facile quand on est professeur de jouer à la madame yaka mais si tous échouent, il y a bien une raison !

          Ce qu'on peut attendre de la déroute de la gauche mondiale, c'est un approfondissement de la réflexion pour être prête lors du retournement de cycle. Si on donne le pouvoir aux moins compétents, c'est qu'on ne sait pas quoi faire, qu'on agit à l'aveugle, qu'il y a un déficit cognitif énorme qu'on arrive pas à combler. C'est cela notre réalité plus qu'un conflit d'intérêts.

          • Oui ,il ne faut pas trop en attendre ; je me nourris de votre réalisme et le vérifie souvent. Ce qui me semble essentiel dans ce réalisme , et je crois qu'on est d'accord là dessus aussi , c'est que le sens à lui donner est celui d'une recherche réaliste du mieux ,malgré tout ; le référendum de ND des Landes m'agace au plus haut point , moi qui suit pourtant un fervent défenseur du référendum . Il m'agace au plus haut point parce qu'il délivre une pratique du référendum à contre sens de ce qu'est un référendum . Il ne peut pas y avoir de référendums - qui ne sont au fond qu'un processus universel de décision : tout le monde décide - sans l'existence d'une structure permanente elle même publique ,ouverte à tous , de réflexion et étude des problématiques .
            Le référendum ne doit en aucun cas être au service de la démocratie représentative quand on en a besoin mais venir l'équilibrer et lui donner sens dans le cadre d'un outil public participatif cherchant à comprendre les grandes problématiques et à rechercher les meilleures orientations.
            Sans structuration d'un tel outil , sans pratique concrète , sans culture de la réflexion et du débat collectif , au local et au national , le référendum viendra juste seconder les "représentants" quand ils en auront besoin .ND de Landes n'est pas qu'une affaire de grenouilles , il y a là dessous toute une vision de la société à bâtir . C'est donc bien au niveau national que ce débat sociétal devrait pouvoir se dérouler ,en permanence, en prenant tout le temps nécessaire.
            Si l'on revient au réalisme on peut objecter que ça ne se passe pas comme ça .
            Je pense qu'effectivement on est loin du compte , mais c'est comme ça que ça devrait se passer.

            Oui les gens s'expriment en permanence mais c'est de l'ordre de la discussion de bistrot même si ce qui est dit est profond et juste ; c'est du vent , du "causes toujours" ; il faut une organisation de la parole publique et la liaison avec des processus décisionnaires .

            Oui il y a un déficit cognitif énorme et c'est un casse tête de comprendre et choisir de bonnes orientations ; mais on ne peut pas dire cela sans promouvoir un outil public de recherche ; confier notre destin aux cycles me semble irréaliste ; il faut préparer , sans doute surtout au local autour de projets locaux , ce plus démocratique , sans lequel on aura selon moi peu de chances de nous en sortir.

          • oui, il faut faire mieux, progresser pas à pas mais il y a un moment que je considère que le difficile préalable est de reconnaître notre commune connerie et notre rationalité limitée, revenir à Socrate, connaître notre ignorance (experts y compris) plutôt que de prêter à la communauté une intelligence divine.

      • "C'est bien gentil de revendiquer le droit de se tromper" => les élites se trompent, sans doute plus lourdement encore que ne le feraient des citoyens à leur place car elles sont plus sensibles aux lobbies qui financent leurs campagnes électorales et le spectacle qui les entoure. Il ne s'agit donc pas de s'accommoder des erreurs de la population, mais d'abord de faire mieux que maintenant, même si ce n'est pas parfait. Et personne ne pense que ce sera parfait.

        J'ai cru lire ici ou là qu'une étude avait démontré la prévalence de la diversité sur la compétence. Je n'ai pas pu mettre la main sur l'étude complète mais elle montrerait que dans certaines configurations, un groupe de personnes tiré au sort est plus compétent que des spécialistes du domaine (voir cette référence trouvée dans Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Tirage_au_sort_en_politique#cite_note-101 )
        Une oligarchie élective ne peut pas accoucher de la diversité suffisante.

        "Au niveau, des AG, des associations, des partis, des mutuelles, etc., c'est plus qu'approximatif et on prétend que ce serait une solution nationale !" =>
        Les partis, les associations, les syndicats ont encore un fonctionnement extrêmement vertical bien loin de l'idée qu'on peut se faire de la démocratie. On ne peut s'appuyer sur ces exemples pour démontrer que la démocratie fonctionne mal car ce ne sont simplement pas des fonctionnements démocratiques. En tout cas, les associations que je fréquente n'ont pas ce type de fonctionnement, loin s'en faut !
        En revanche, le monde des logiciels libres, les sites participatifs type Wikipédia, voire le fonctionnement d'internet dans son ensemble, même s'ils sont encore plein de défauts que je ne minimise pas, semblent montrer le potentiel de l'horizontalité.

        • Il y a toutes sortes d'études qui montrent l'intérêt de la diversité (notamment la mixité) ou que les experts se trompent plus que les incompétents (la bourse au hasard serait plus efficace qu'avec des traders) mais il ne faut pas conclure trop vite, passer directement à la valorisation de l'incompétence et à l'efficacité démocratique car, ce qu'on constate, c'est l'absence de l'intelligence collective promise.

          Il faut au contraire avoir des procédures différentes en fonction des sujets et des enjeux. Par exemple ce qu'on appelle des jurys citoyens, est-ce de la démocratie ou juste une procédure de décision par un petit nombre plus efficace qu'avec les experts ? Une consultation par internet, est-ce de la démocratie ? En tout cas, ce n'est pas la majorité qui a raison comme le prouvent les sciences et je ne me plierais pas à une majorité qui a tort.

          Certes, il ne peut être question de laisser le pouvoir aux élites élues sans surveillance. Si ont écrit l'histoire comme une confiscation de la démocratie par les élites, la solution est on ne peut plus simple ! Sauf que c'est illusoire. Il est incontestable que l'idéologie dépend de sa position et que l'oligarchie défend ses intérêts mais il est faux qu'elle n'en fasse qu'à sa tête comme si elle était toute seule et parlait d'une seule voix. La plupart des décisions sont des décisions forcées qui sont parfois idiotes (on l'a vu avec la Grèce) mais si les gauches trahissent toujours, c'est qu'elles se heurtent à du réel pas à cause de la corruption des élus.

          Il est assez impossible matériellement, Rousseau le reconnaît, de faire vivre une démocratie réelle et de se passer de délégation, donc d'une élite aristocratique mais sous contrôle électif. Il est donc à la fois faux qu'on ne soit pas du tout en démocratie, que les élites décideraient de l'état du monde à leur guise et qu'on pourrait se passer d'élites pour y substituer toute la population dans une véritable démocratie comme il n'en a jamais existé. Il reste vrai qu'il faut démocratiser la politique, y apporter des correctifs, y intervenir (notamment par le mouvement social) pas en attendre un changement notable.

          En 2000 je croyais moi aussi que les réseaux rendraient possible ce qui ne l'était pas jusque là. On a eu le temps de déchanter. Il y a quand même un progrès de la démocratie malgré tout, qui passe hélas par des erreurs pouvant être terribles (pas la peine d'attendre une démocratie extrême pour cela). L'existence des réseaux va à l'encontre de pouvoirs autoritaires mais on constate qu'ils arrivent à un contrôle renforcé. Le fait de favoriser l'horizontalité me semble devoir surtout profiter au local, aux initiatives citoyennes qui sont des initiatives minoritaires pas forcément reliées à la démocratie majoritaire. Dès le moment où l'on ne fait plus la guerre et qu'on est intégré à un empire et des réseaux planétaires, la démocratie change de sens assurément, elle devient plus concrète et moins idéologique.

  3. Les contradictions sont dans les mots, donc dès l’énoncé du titre. Comment « combiner » aristo-cratie et démo-cratie (modes contingents de gouvernement) avec olig-archie ( constat du « très peu » de permanence au « commandement »)? D’où la difficulté de mixter , loin des combines politiciennes ?
    Autant d’interprètes, autant de sens aux états de choses et aux mots : le partage du pouvoir par le démos (le peuple grec antique), comme vous le dîtes très justement, ne concernait ni les esclaves ni les métèques : le souhait de donner à chacun une même voix concernait en réalité seulement les aristoï ( les dits meilleurs ?). Pour que le pouvoir appartienne au peuple dans son ensemble ( le mixte de l'égalité en droits proposé par Rousseau et la gauche -dont on n'a plus parlé entre 1795 et 1946 - il faudrait revenir au sens profond du mot oligarchie : on conçoit différemment de sens de arkhè s’il est en français utilisé comme suffixe : ce qui est premier devant , dans la monarchie un seul, ou bien personne devant comme dans l’anarchie. Ou bien comme préfixe ( ce qui est ancien comme dans archaïque ou archéologique ) où il suggère l’idée d’être premier non pas selon l’espace mais selon le temps. Ne pas en tenir compte, c’est négliger qu’à la source (« Ur-sprung ») de l’art de se gouverner collectivement il y a les valeurs permanentes de l’Ethique. Je crois utile de souligner pour vos lecteurs l’importance, comme vous le faites ici, de suivre « le sillage des anciens » dans la recherche d’un équilibre entre des pouvoirs mixtes, quand c’est plutôt aujourd’hui la mode de combattre l’esprit des Lumières en décrétant l’entrée dans le post-humanisme et de confier l’économie aux « logiciels », c'est-à-dire à la branche la plus fragile de la philosophie occidentale: la Logique.

  4. Texte très intéressant donné en lien par Michel Martin , et qui m’interpelle. Mais « … l’homme se fait homme en se déprenant de lui-même, en direction de l’être comme en direction des autres. Ce qu’il conquiert n’est pas le soi, mais tout au contraire l’oubli de soi… non pas la présence à soi mais le monde en sa présence ». Cette phrase d’Etienne Bimbenet est donnée en fin de son livre "L’animal que je ne suis plus ", après avoir analysé comment avec la danse des abeilles, le chant des oiseaux, le tambourinage du chimpanzé, ces sémantiques animales ont bien un intérêt collectif, mais sans contenu informationnel au sens de l’humain : qui soit relatif à une connaissance de l’environnement comme milieu de vie (plus que comme "compost"?). Leur communication collective peut se dire " holomidale" , mais qui s’ordonnerait cependant sur l’axe d’une réassurance seulement affective entre partenaires ? C’est un niveau essentiel ( que David Abram met à jour dans son ouvrage « The Spell of the Sensuous »- en tant que « magie du sensible »). Mais on ne peut parler que pour l’être humain d’une « attention conjointe intersubjective »au sens de Bimbenet , ayant pour objectif de laisser se manifester la présence du monde extérieur? Plutôt pour le pire, à son égard ?

      • Si je ne m'étais limité aux classiques, j'aurais effectivement dû parler de la "tyrannie de l'absence de structure" de Jo Freeman.

        Les procédures pour améliorer l'intelligence collective sont indispensables mais il faut être conscient de ce qui les empêche. En premier lieu l'investissement que cela demande mais il y a aussi les interventions extérieures qui forcent les décisions (on n'est pas dans une bulle), le poids des dogmatismes ou croyances et surtout, dans la période actuelle, la résistance au changement (qui se comprend, "ralentissement" qui est même nécessaire si on en croit Schelling mais pas pour autant possible dans la révolution technologique actuelle).

        On ne voit pas comment contourner les idéologies, comment abandonner une société salariale encore majoritaire pour construire les protections sociales de l'avenir. Il y a tellement d'obstacles que c'est rarement l'intelligence qui a le dernier mot. Il n'y a pas que les luttes d'intérêts, nos limites cognitives sont encore plus difficiles à surmonter (il n'y a pas les sachants d'un côté et les crétins de l'autre mais une commune connerie, les intellectuels de gauche ne valant pas mieux). C'est ce qui semble nous condamner à n'apprendre que des catastrophes que nous produisons, et donc la nécessité d'aller au pire...

        • Enfin, là, on reste au seuil, dans les conjectures. A un moment, faut y aller voir de plus près, expérimenter et se rendre compte du possible, comment ça peut fonctionner, comment ça peut déraper...comment ça peut se corriger etc... y aller quoi!
          C'est certain que notre culture très verticale descendante (je ne sais pas très bien évaluer la justesse de la représentation en lien, mais je n'en ai pas d'autres, avis...) n'y est pas très propice, mais, bon, c'est un point de départ.

          • J'expérimente une nouvelle fois la catastrophique mentalité française managériale dans une big pharma en Suisse.

            Le gars à qui je reporte est un français alsacien, d'environ 38 ans, complètement à côté de la plaque sur le plan de la communication, agressif, autoritariste, chiant une pendule et faisant un fromage pour des virgules, pour un détail avec toute cette saloperie de comedia del arte de l'indignation théâtrale latino franchouille surfaite, totalement conne et improductive, se noyant dans des détails...

            Le mec incapable d'aborder les problèmes calmement, incapable de comprendre qu'on ne fait jamais bien du premier coup et qu'il y a des itérations nécessaires à l'élaboration de quoi que ce soit.

            Il a viré une consultante tellement elle était incapable de produire quoi que ce soit, tétanisée par son attitude crétine de petit chefaillon.

            Il y un véritable problème de management en France ou des français, probablement issu d'une éducation et culture jacobine impérialiste élitiste obsolète.

            Quand je compare avec les allemands ou anglo saxons, l'attitude du management franchouille est exécrable, c'est une pure horreur d'une connerie innomable, aucune courtoisie, aucune politesse, aucune facilitation de l'échange, une vraie pathologie.

          • oui, on part de loin. C'est pourtant un français qui a produit un des meilleurs bouquin sur la méthode scrum, Claude Aubry. Comme très bon connaisseur et praticien de méthodes très coopératives, Yves Caseau, vraiment très en pointe, et aussi Christian Morel, l'entreprise Favi, Olivier Zara etc... mais ces personnalités ne font pas encore beaucoup bouger la majorité. Mais ça finira par se faire. Le Cnam a animé un séminaire MOOC sur le management Agile, sur France Université Numérique (FUN) dans lequel il y avait 15 ou 20 managers d'assez grosses boîtes qui étaient en phase avec des méthodes collaboratives. Tu finiras bien par te trouver une boîte comme ça.

          • Il y aurait donc une identité nationale dans le rapport au pouvoir (la constitution). Cela s'applique sans doute plus aux grandes entreprises et institutions qu'aux petites, plus diverses. En tout cas, de ce point de vue, on serait les pires autoritaires (ce qu'on a du mal à croire quand même). Il est par contre certain que l'élection à la présidence de la République est le summum de la verticalité et que chaque président est obligé de promettre la révolution à chaque fois (comme aux USA où le président a quand même moins de pouvoir).

          • De fait, l’éducation nationale avec ses romans nationaux et grandes écoles, le MEDEF, les syndicats français produisent une forme d'identité nationale très différente de ce qui se passe ailleurs. On est loin d'une prétendue homogénéisation mondiale qui serait produite par la mondialisation, style Mac Do, même sur le plan des habitudes culinaires.

          • "Il est par contre certain que l'élection à la présidence de la République est le summum de la verticalité" dit Jean

            Oui telle que cela se présente aujourd'hui ; mais non si le rôle du président n'est pas de gouverner mais de permettre , animer ,structurer la gouvernance nationale par le bas : nous les citoyens.
            Le pouvoir s'articule autour d'un équilibre entre l'élection pour des représentants (qui gouvernent et légifèrent) et un outil politique horizontal de réflexion citoyenne pouvant quand besoin est amener des référendums .

            C'est en tout cas ce que je lis dans les premiers articles de notre actuelle constitution qui selon moi n'est donc pas du tout appliquée.

  5. Finalement, dans votre conclusion à propos de la démocratie cognitive vous n'êtes pas si éloigné de Spinoza pour lequel la démocratie va nécessairement de pair avec la Raison commune (qu'il faut construire, toujours en mouvement au travers des affects de la multitude). Où la question des médias s'impose en tant qu'instrument principal de diffusion des savoirs et connaissances scientifiques, sociales ou politiques. Je constate par ailleurs que dans votre texte vous ne parlez pas de la démocratie en entreprise (notamment des entreprises coopératives, comme si vous aviez, vous aussi, intégré cette idée que la démocratie s'arrête à la porte des entreprises). c'est pourtant le cadre idéal pour poser la relocalisation de la démocratie, et peut être d'expérimenter le mélange évoqué entre monarchie, oligarchie et démocratie directe.

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