La raison dans l’histoire

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Toute philosophie part de la bêtise humaine, celle de l'opinion, des préjugés, de l'erreur, de l'imaginaire, de l'émotion, des passions, de la subjectivité enfin, pour nous conduire vers la vérité d'une raison universelle et réflexive surmontant le premier égarement, levant le voile de l'ignorance sur un réel nous apparaissant soudain dans sa clarté originelle. On a vu pourtant comme l'histoire de la philosophie va mettre en cause petit à petit la souveraineté de la raison et la prétention de vérité des discours, jusqu'à remettre en cause semble-t-il la philosophie elle-même. La difficile prise de conscience par la philosophie de notre rationalité limitée devrait effectivement lui être fatale. Sauf qu'il ne s'agit pas de tomber dans un scepticisme encore plus imbécile dont la science se distingue comme savoir en progrès (ni dogmatisme, ni scepticisme), y compris le savoir de nos limites et de notre ignorance. Qu'on ne sache pas tout ne signifie pas qu'on ne saurait rien alors que nos connaissances s'accumulent toujours plus. Que les vérités soient codifiées par les discours et contaminées par l'idéologie ne peut vouloir dire qu'il n'y aurait plus ni vérité ni mensonges. Que notre rationalité soit limitée ne veut pas dire que nous n'aurions aucune rationalité - ce que l'expérience immédiate suffit à démentir. Il est notoire que notre intelligence surpasse celle de tous les autres animaux, ce n'est pas rien même s'il ne faut pas pour cela se prendre pour des dieux !

La difficulté est de tenir les deux bouts d'une rationalité à la fois bien réelle et limitée, comme toute existence effective (même si elle rêve d'infini). Car la raison existe objectivement, en dehors de nous. La plus grande partie de notre intelligence nous est en effet extérieure, dans la culture, le langage, les sciences et techniques, les livres et les réseaux. Les oeuvres de l'esprit font partie intégrante de notre réalité humaine. On ne peut pas nier cette masse de rationalité acquise, pas plus qu'on ne peut nier la connerie humaine, hélas, mais il n'est pas tant question de l'humanité que de processus extérieurs et historiques nous faisant dépendre entièrement de l'époque qui nous a vu naître, pour nos croyances comme nos modes de vie. Nous ne sommes ainsi que des purs produits de notre milieu.

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