A la place de la République

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On ne devrait jamais vieillir, c'est certain. Le mouvement des places m'évoque l'enthousiasme de ma jeunesse pour ces rassemblements solidaires et autogérés où l'on se sent si bien à croire refaire le monde avant de prendre le métro pour retourner chez soi. Il y a bien peu de temps encore, j'aurais couru les places, voulant y croire malgré le si petit nombre (quelques milliers seulement), porteurs de l'esprit du temps croit-on, d'un renouveau tant espéré depuis si longtemps. On voudrait qu'il se passe quelque chose et faire plaisir à ses lecteurs avec de belles espérances, oublier la montée du Front National et la droitisation de la société. C'est pourtant le privilège de l'âge de ne plus pouvoir croire à une opération militante certes bien menée mais gonflée par les médias et comme se regardant soi-même sur les réseaux.

Passer de bons moments ensemble est toujours bon à prendre mais, s'il y a effectivement l'attente d'autre chose et d'une sorte de miracle (qui ne se produira bien sûr pas), ce qui s'exprime est plutôt un désir de changement mais sans contenu partagé, manifestant la désorientation et l'état de décomposition de l'extrême-gauche tout autant que de la gauche avec cette mise en scène spectaculaire de la démocratie à la place de la république et de ses institutions. Certes on pourra toujours dire que toutes les conneries qu'on entend avec ces histoires à dormir debout sont le germe de futures recompositions mais je crois plutôt qu'on assiste à une tentative ultime de revenir aux vieilles utopies politiques - avant de, peut-être, les abandonner enfin pour s'engager dans la politique effective à l'ère de l'accélération technologique ?

Le plus frappant, c'est qu'on voudrait se persuader qu'on est ici dans une première fois, que c'est une mobilisation inédite alors qu'il n'y a pourtant, à l'évidence, qu'imitation de ce qui a déjà échoué - que du déjà vu et du déjà bien entendu. Certes, on peut dire que ce mouvement d'occupation des places prolonge le printemps européen, mais comme l'arrière-garde de ses défaites. Ce mouvement ni spontané ni nouveau n'est pas l'étincelle qui met le feu à la prairie mais plutôt les dernières braises fumantes, avec quelques années de retard, de bien plus grandes manifestations d'aspirations démocratiques, sans plus de résultat.

Dans notre contexte actuel, le plus étonnant sans doute avec cette résurgence tardive, c'est d'en attendre du neuf et qu'on prétende libérer une parole qui désormais (c'est la grande différence avec Mai68) coule à flot continu et qu'il suffit d'un clic pour pétitionner ! Certes, cela fait du bien de retrouver une parole vivante mais les idées exprimées sur les places sont inévitablement celles qui circulent déjà sur les réseaux et de façon conflictuelle, avec pas mal de dérives douteuses dont on ne voit pas pourquoi elles disparaîtraient de l'expression citoyenne. Si les discours qu'on entend sont moins contradictoires, c'est que n'y participe qu'un tout petit segment de la population (si on s'y sent entre-nous, c'est qu'on y est entre nous). Les manifestations sont normalement des rapports de force sur des enjeux sociaux et non pas l'endroit où une foule pourrait délibérer pour savoir pourquoi elle est venue là ! Ce n'est pas n'importe qui qui vient (pas tout le "peuple").

Ce qu'on attend des "rassemblements citoyens", c'est d'arriver à s'unir sur un certain nombre de luttes sinon il n'y a aucune chance de dépasser nos oppositions ou diversités qu'en les niant abstraitement. La figure du "citoyen ordinaire" est supposée incarner cette unité de base, mais un citoyen ordinaire, cela n'existe pas. Chacun est engagé dans des partis, des associations, des syndicats. En dehors des simples curieux, il y a bien des nouveaux venus, avec toute leur naïveté politique. C'est quand même surtout un rassemblement de militants de diverses causes (revenu de base, constitution, gauchistes, libertaires). Nous ne sommes pas d'accord et nous le savons bien, on nous le répète à longueur de sondages ou élections qui sont loin de nous être favorables. Il n'y a donc sur les places, et malgré tous leurs bons côtés (l'expression de nos colères et de nos aspirations sociales), qu'un semblant de démocratie, pas du tout représentative à l'évidence, une démocratie pour rire où l'on joue à la république (comme les exercices de rédaction d'une constitution d'Etienne Chouard).

Au risque de désespérer la jeunesse, il faut bien dénoncer un démocratisme ambiant assez inconsistant, notamment la prétendue démocratie directe des Assemblées générales et cette dictature du vote majoritaire sur toutes les questions (les sciences montrant bien que la vérité ne se décide pas à la majorité contrairement aux impôts). En 1998, l'assemblée des chômeurs de Jussieu avait au contraire supprimé les votes, chacun suivant ou non les propositions d'action, ce qui avait l'avantage, outre de ne pas s'arroger une fausse légitimité, de moins perdre de temps. D'abord, il faut dire de quoi cette mise en scène est la caricature, car la véritable démocratie, c'est effectivement la démocratie de face à face et donc qui s'exprime d'autant mieux sur des places, démocratie directe légitime en tant que démocratie locale mais qui n'a aucun sens à vouloir décider pour les autres (un pays tout entier si ce n'est le monde) ! On oublie presque toujours qu'aussi bien Aristote que Rousseau considéraient impensable une démocratie qui dépasse la cité, et encore, assez peu nombreuse pour qu'on puisse couvrir l'assemblée du regard. La démocratie représentative nationale est tout autre chose, régime mixte hérité de la monarchie constitutionnelle après l'échec de la Révolution et qui n'est que le moins pire des systèmes pour préserver la paix sociale, pas l'union mystique de la Nation. Occupez donc les places de votre commune pour décider du destin communal (où beaucoup peut être fait pour une production alternative et la solidarité sociale). Pour le reste, le débat politique se poursuit sur les réseaux ou dans les médias et ne change guère.

C'est bien la faiblesse de la gauche dont ces débats témoignent, la difficulté à y faire émerger de "nouvelles" revendications comme le revenu de base (je défends plutôt le revenu garanti depuis presque 20 ans) qui commence seulement à être pris au sérieux. Même si on ne peut dire que ce soit nouveau, le mouvement actuel participe sans doute à répandre ces idées défendues depuis des années, c'est déjà ça, mais l'enjeu principal me semble de devoir faire son deuil de la société industrielle comme du romantisme révolutionnaire et de ces conceptions naïves de la démocratie pour construire des stratégies réalistes d'adaptation aux nouvelles forces productives et de réduction des inégalités au lieu de croire au Père Noël. Ce n'est pas à partir des rêves de chacun que pourra se construire quoi que ce soit. Il ne s'agit pas de médire des mobilisations en cours ni de les réduire à leurs errances mais de souligner la nécessité de dépasser leur impuissance et de se recentrer sur le local. Il faut bien dire que la prise en compte de l'évolution technologique semble bien difficile pour une gauche française trop nostalgique du passé et qu'on peut conjecturer que la mise à jour de la gauche viendra plutôt du pays central de la technologie ?

La première nécessité, en tout cas, est bien de s'appuyer sur les rapports de force et les dynamiques effectives (en premier lieu les nouvelles forces productives). Il ne suffit ni d'un rapport technocratique ni d'un jugement moral pour redessiner le pays à notre convenance sans tenir compte à la fois des réalités économiques et politiques, de l'inertie sociale et de nos divisions. Le radicalisme purement verbal confond le juste et désirable avec le nécessaire et praticable. L'économie n'est pas un discours mais un système de production matériel qu'il n'est pas si facile de changer comme en témoigne l'échec des politiques économiques menées. De plus, ce n'est pas tant à notre bien-être que l'économie se juge mais à la puissance qu'elle donne et ne se discute pas. Il n'y a pas d'idée plus trompeuse que de s'imaginer qu'une démocratie pluraliste pourrait choisir le monde dans lequel on vit et qui ne s'arrête pas à nos frontières, monde de la technique, du commerce et du climat qui nous dépassent et auxquels on doit plutôt s'adapter dans l'urgence (il ne s'agit pas de ne rien faire ni surtout de se laisser faire). Il y a des choix politiques importants, notamment dans la réduction des inégalités, les niveaux d'imposition et les protections sociales mais il faut rompre avec les idéologies du XXè siècle nous promettant l'union des coeurs et un paradis inatteignable (au prix de massacres inouïs), pour nous atteler aux enjeux vitaux du pic démographique, de la transition énergétique et des transformations du travail à l'ère du numérique.

Au lieu de cela, ce qui se manifeste, c'est plutôt une ignorance sûre d'elle-même car revendication purement morale justifiant cette propension de chacun à se prendre pour le peuple, parler au nom de tous alors même qu'on est hyper-minoritaire et qu'on ne représente que soi. En fait, pour Hegel, cet élan s'expliquerait par le fait que "la conscience de soi se reconnaît dans la conscience des autres (un Je qui est un Nous)". Il s'était lui-même enthousiasmé pour la Révolution française qu'il mythifiait lui aussi à l'époque et voyait comme la réalisation de la philosophie. Son échec, avec la corruption du Directoire l'avait complètement déprimé mais la leçon qu'il en a tiré n'est pas qu'il s'était bêtement trompé et devait rejoindre la réaction. La position initiale était juste et nécessaire, simplement elle était trop naïve et devait être dépassée pour affronter un réel hostile, intégrer le négatif. En tout cas, il faut d'abord avoir voulu changer le monde pour en éprouver la résistance, enclencher ainsi la dialectique menant à une politique efficiente par la reconnaissance de l'échec de l'action morale, enfer de bonnes intentions n'ayant fait qu'ajouter au désordre du monde et à nos divisions. Ce n'est pas se renier mais, tout au contraire, prendre au sérieux le bien collectif et la nécessité de l'action politique, passer d'une éthique de conviction à une éthique de responsabilité, de l'ignorance à l'expérience. Le renoncement à l'immédiateté de la loi du coeur est un préalable à tout radicalisme qui ne serait pas du semblant (absorbé par la contemplation de son audace) mais ambitionne à changer le monde concrètement (ce qui veut dire localement et en fonction des possibilités du moment). L'échec du mouvement ne sera donc pas uniquement négatif mais se prouvera comme moment nécessaire s'il nous réveille enfin de nos rêves alors que l'extrême-droite est à la porte du pouvoir et ne fait que se renforcer des violences groupusculaires.

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68 réflexions au sujet de “A la place de la République”

  1. Ne pouvant participer à ces manifestations pour des raisons géographiques, je n'ai d'information que via le réseaux sociaux et les médias traditionnels. Je ne suis donc pas en très bonne position pour juger, mais je n'ai pas la même impression négative. Il y a sûrement un peu d'illusion à vouloir faire démocratie entre soi. Mais on pourrait aussi y voir un embryon d'organisation démocratique jouant un rôle dans un rapport de force bien réel, qui est celui des idées politiques. Je ne pense pas que les combats d'idées soient entièrement fictionnelle, ce qui me semble être une forme de dualisme (il y aurait la machine économique international, réelle, concrète, qui nous demande de réagir sans espérer la modifier parcequ'elle "ne se discute pas", et le discours abstrait sur les valeurs et les utopies, simples épiphénomènes).
    Les idées ne changent peut être pas le monde tel qu'il est, mais au moins orientent sa course au moment d'agir.

    Dans ce cas précis il se joue au moins un rapport de force politique sur la "loi travail", mais aussi peut être plus durablement sur l'orientation des débats d'idées en France (médiatique, ...) en donnant une légitimité supplémentaire à une certaine façon de voir le monde, peut-être aux contours imprécis, mais non dénuée d'influence. (Certes il y a le filtre de la "machine médiatique" mais des choses finissent par passer). Il n'est pas vrai que le débat est "le même" : il évolue (et pas toujours dans le bon sens), au moins en terme de rapports de forces, et en réaction aux événements de ce type comme à d'autres. Et ceci vaut à l'échelle internationale puisque ce type de manifestation s'est produite en différents endroits du monde avec un certain retentissement. Enfin rien n'exclut qu'il en ressorte quelque-chose de concret, par exemple sous la forme d'une organisation politique ou par le simple fait d'avoir fait se rencontrer des gens qui mèneront à bien des projets. C'est une manière (indirecte, mais il n'y en a pas d'autres) d'agir sur la "machine économique", à notre échelle.
    Je ne veut pas nier la pertinence de l'action locale. C'est un fait malheureusement qu'elle est moins mobilisatrice, et dans ce cas aussi mieux vaut ne pas être trop utopiste. Mais les deux n'ont rien d'incompatible.

    • Le problème, c'est le tout petit nombre. J'ai attendu pour publier ce texte car je ne voulais pas décourager un possible élan qui n'est pas venu. Il est bien sûr trop tôt pour cela mais je crois qu'on aura plus besoin de rompre avec ces illusions que d'en prolonger l'expérience. Comme d'habitude j'essaie de dire des évidences qu'on refoule, montrer comme on se ment, même si cela se sert à rien dans l'immédiat.

      Je ne crois pas du tout que l'idéologie soit un simple épiphénomène, seulement qu'elle est déterminée et n'est pas déterminante en dernière instance, sur le long terme (matérialisme et idéologie). A court terme, l'idéologie peut faire beaucoup de dégâts. Je montre depuis quelque temps qu'il y a plus de connerie que de raison.

      Ce que j'ai le plus de mal à comprendre, c'est qu'on fasse comme si on était majoritaire alors que le problème, outre l'effondrement de la gauche, c'est le score du FN déjà oublié, ce qui est effarant.

      • Le beau temps arrive, cela va permettre de continuer cette réunion de plein air, et faire venir plus de monde car en ce moment 3 à 10°, cela ne motive pas les idées... joindre l'utile à l'agréable et le terre à terre.

        Malgré l'arrivée du beau temps, il est peu probable que cela enclenche quoique ce soit car la répétition est de mise. mais rien est impossible.

        • Oui, la semaine prochaine sera chaude, on verra bien, avoir un point de rassemblement peu être positif mais de mon point de vue le démocratisme est une impasse. On ne changera rien ou presque avec une meilleure démocratie ou constitution. Même le rejet de la loi travail est douteux (et dépend plutôt des mobilisations salariales).

          Ce qu'il faudrait, c'est que le mouvement fasse sécession. On peut créer un autre monde à côté du capitalisme financier, on ne le supprimera pas. C'est l'erreur des Grecs et des Espagnols de tout miser sur la politique nationale au lieu de s'organiser localement.

          • Le problème c'est que quelque soit l'échelon , national ou local , ce sont les mêmes gens , les mêmes modes de vie et de pensée, les mêmes structures de travail et production, les mêmes pratiques politiques....
            Ce n'est donc pas l'échelon local en soi qui peut impulser quelque chose , mais bien la perception de la pertinence d'activer cet échelon comme nécessaire rééquilibrage de la mondialisation . C'est bien l'analyse de la situation , des périls et des possibles qui fait émerger cet échelon comme une planche de salut .
            Ce que Chouard ne comprend pas avec cette idée de s'entraîner à écrire la constitution , c'est que se constituer n'est pas un acte d'écriture collective( qui ne vient qu'en aval. Après coup, la constitution s'étant déjà opéré dans les faits) ) mais la réunion réelle et concrète des acteurs autour d'un objectif commun ; cette réunion agissante prend du temps et c'est bien au ras des pâquerettes , au local , autour de réflexions actions concrètes que ça peut commencer à frémir ; la démocratie , ou régime politique où les acteurs décident par eux mêmes de l'organisation et des objectifs de la société et des productions , n'a AUCUNE chance d'émerger du libéralisme mondialisé ;c'est être , oui , très naïf que de déconnecter le processus politique du processus socio économique réel.
            Pourtant je continue à penser qu'on ne peut pas opposer local ou national ou européen ..... Le local n'est pas seulement un lieu mais un retournement de politique et vision du monde : on a aujourd'hui le choix entre un monde à exploiter et visiter ("on profite du monde ") ou un monde à vivre (on en fait parti intégrante et l'enracinement local est une nécessité sociale, économique et écologique).

          • J'ai dit local mais j'aurais dû parler d'autogestion, ce qui est un peu la même chose. Au lieu de vouloir changer la République pour pas grand chose (alors qu'on est si minoritaire), le refus des chefs et de la représentation devrait mener à faire soi-même, s'organiser en dehors de l'Etat, construire l'autre monde (ce que font un peu les ZAD). Je suis persuadé qu'il faut municipaliser ces alternatives pour les sortir de l'insignifiance mais je crois plus à une société duale, une économie parallèle au capitalisme mondialisé, qu'à une révolution rêvée (ou à une sortie de l'Euro, etc).

          • L'idée de développer une économie parallèle à l'économie dominante paraît séduisante, c'est d'ailleurs peut être en effet la seule piste possible, en particulier au niveau municipal. Mais encore une fois l'objectif des méga-traités ultra-libéraux fait en sorte que désormais tout de domaine de droit assoit la domination des multinationales sur nos vies. Je ne suis pas optimiste sur les chances de voir le TAFTA abandonné, et en particulier le fameux article sur l'ISDS qui met en place un tribunal privé au dessus des états. Il est d'autre part, clairement dit dans l'avant projet du Traité qu'il concernera tous les échelons de la vie économique (article 4 du projet de l'UE). Bref, même l'alternative municipale c'est pas gagné, nous sommes cerné. Concrètement on fait quoi ces traités de m... ?

          • Je ne pense pas que la stratégie soit simplement de créer un deuxième monde ; bien qu'il ne faille pas s'en priver quand on peut ; il faut impérativement que ce deuxième monde soit soutenu et financé par le monde existant : le riche doit comprendre que laisser aller les choses selon les logiques systémiques actuelles n'est au final pas une bonne opération pour lui , que bien au contraire le monde qui se construit sera bientôt invivable pour lui aussi ; c'est par souci de son intérêt que le riche doit faciliter la création du second monde .
            Là encore les politiques doivent être cohérentes et poursuivre le même objectif ; on aura bien du mal à construire quelque chose sans cela.
            Il faut donc politiquement montrer le sans issue et la connerie des solutions diverses et variées ainsi que la nécessité d'ouvrir le champ du local .

          • "Il faut donc politiquement montrer le sans issue et la connerie des solutions diverses et variées ainsi que la nécessité d'ouvrir le champ du local ." Toute la question est là.

  2. Merci pour cette analyse des plus pertinentes.

    Le je-nous n'a en effet que bien peu de (ré[flex)ion] motrice constructive sous le choc d'un marteau sans maître. L'ensemble reste donc systémique, avec déplacement réflexe. Mais ces simples mouvements pendulaires peuvent parfois devenir prémices au changement vrai et cette catharsis rhétorique initiale est peut-être un début nécessaire. Reste néanmoins à coordonner les mouvements des membres opposés pour que la marche devienne effective vers un objectif qui doit être commun et réalisable. C'est justement là en effet que le "bas" de contention blesse. Le problème reste donc de taille, car jamais des bottes de sept lieues ne peuvent déplacer la montagne que nous sommes. Mais puissent-elles au moins en créer l'envie...

    Je m'inquiète toutefois de la décrédibilisation apportée à ces mouvements de gauche citoyenne, par exemple par la surmédiatisation d'un Finkielkraut pris à parti par quelques-uns.
    A croire que toute contestation, toute opposition quelles qu'elles soient, ne peuvent être qu'épidermiques...

    • Ce n'est pas toute contestation en tout temps qui se réduit au semblant mais notre moment historique de décomposition où la gauche doit être anéantie pour renaître à l'avenir. Ce qu'on voit ici, c'est que l'extrême-gauche est dans le même désarrois que le reste de la gauche à jouer à une révolution de paccotille. Evidemment, je préférerais éviter le désastre qui s'annonce mais c'est ce qui semble impossible, et dramatique, personne ne voulant céder sur ses positions périmées.

  3. Il ne semble pas y en avoir beaucoup des banlieues sur cette place, tandis que le mouvement d'émeutes de 2005 était un précurseur, certes un peu plus musclé comme l'est la cheville ouvrière de la société.

    Quitte à s'opposer à la loi Khomeri, déclencheur des nuits, il aurait été plus habile de la prendre au mot, comme au Judo, et de demander des conditions similaires au Danemark en échange de la flexibilité, du donnant-donnant. Ça aurait été le moment de ressortir la mode danoise pour faire passer la mode allemande actuelle.

    Ceci dit, les 25% de TVA danoise ne sont pas non plus du goût de la gauche française...

    Ces nuits ressemblent pour l'instant plus à de l'hébétude qu'à un remue ménage, ou remue méninge prémisse de lutte.

  4. C'est vrai que face au réel structurant ( la mondialisation, la métropolisation, les modes de vie, l'organisation économique et financière : les multinationales, l'organisation de la vie politique et médiatique : élections de représentants , absence d'outils de démocratie cognitive etc) les rassemblements restent des gesticulations emprisonnées dans un système qui insupporte mais qu'on ne parvient pas à dépasser. Il ne suffit pas d'écrire des constitutions pour se constituer ; toute réparation s'appuie sur un diagnostic et un temps de travail ; se réunir sur les places c'est à la fois dire qu'on veut un autre monde mais c'est aussi dire son impuissance à le faire émerger. Si le local ne séduit pas assez , c'est qu'on est encore dans l'impatience et l'idéologie . Ne pas oublier que le local est global et que les politiques nationales et européennes devraient se retourner dans ce sens d'ouvrir le chantier du local . La mondialisation fondée sur les métropoles et les multinationales , bien que réalité structurante du moment , est un sans issue écologique et social , qu'il s'agit de combattre au delà des places , par la proposition de politiques nationales et européennes de relocalisation et par l'engagement concret au local au sein des territoires et des structures publiques existantes , à savoir les communes et communautés de communes.

  5. Je ne suis pas d'accord avec la première partie de votre billet. Si j’avais vingt ans je participerais aussi aux Nuits Debout , me posant cette question cruciale pour un jeune en 2016 :« C’est quand qu’on va où »? Question cruciale déjà pour moi en 1956, et déjà nous étions trop peu nombreux à accepter ( et jusqu’à quel point ?) les risques de nous tromper, plutôt que d’éviter tout engagement sous couvert de scepticisme.

    • Je ne critique pas vraiment ces nuits, mais je vois pas bien leurs revendications-propositions et méthodes de combat efficientes.

      Si ils veulent faire une brèche dans le consensus mou-dur actuel, il va falloir qu'ils adoptent une stratégie à base de coins de bois stratégiques pour fissurer l'édifice. Et ca passe par des revendications qui peuvent paraitre au ras des pâquerettes, mais plus déstabilisatrices qu'en appeler au grand cœur qui est faire le jeu des langues de bois dominantes.

      Pour casser les langues de bois, il faut des stratégies down-up. Les résistants de la 2WW ne faisaient pas des longs discours, ils pétaient des trains ou autres circuits de communication, sans prévenir...

      Pour le moment, je ne vois aucun réel poseur de "mine", et Daech avec son idéologie foutraque reste néanmoins bien plus efficace sur le plan tactique pour foutre la trouille aux puissants de pacotille de notre système en déperdition.

      Il ne s'agit pas de dézinguer des gus à la kalach, mais de sérieusement penser à des moyens efficaces pour casser le blablabla pourri actuel.

  6. Nouvelles formes de négociations :

    https://www.youtube.com/watch?v=Yb4zmhI5oZg

    Pour ma part, je l'ai mauvaise. Partout où je passe, j'amène des idées qui rapportent un paquet de pognon et je me fait jeter comme du purin. Seule l'Allemagne a reconnu mes idées avec rémunération conséquente.

    3 semaines dans une connerie de start up française, je leur apporte des idées qui peuvent supprimer la majeure partie de leurs problèmes, des dizaines de millions d'euros économisés et la sauvegarde de leurs emplois, et hop dégage. Même les ingénieurs japonais du financeur japonais trouvaient mes idées très valables, mais ce n'étaient pas mes donneurs d'ordre...

    Ca commence à faire vraiment chier grave ce niveau de connerie dans les boites françaises où ce sont des putains de malades du cortex qui ont le pouvoir.

  7. Je suis souvent d'accord avec vous et là votre billet exprime très bien ce que je pense avec une certaine tristesse. La nuit debout m'évoque des souvenirs chers mais je crains qu'il y ait une forte différence avec 68. Ce qui fait chaud au cœur c’est de nouveau une jeunesse qui s'intéresse à la politique mais pour combien de temps ? Se rassembler et dire n'importe quoi sans ligne directrice, est-ce vraiment de la politique. A-t-on entendu parler quelque part d'un "Mouvement 22 mars" ? la spontanéité et la revendication des besoin immédiats ne remplace pas l'idéologie. La fausse ""notion-ramasse-tout" de la "gauche", cette pauvre gauche massacrée par ceux la même qu'on a amenés au pouvoir pour la représenter, humaniste et idéal de justice, peut-elle revivre sans idéologie par l'agitation nocturne de bonnes volontés, et reprendre le combat contre incivisme de l'évasion fiscale, la course au profit, la déstructuration du travail et de son code, l'injustice des chances et l'exploitation des plus faibles ?
    Je n'habite plus Paris et même si mon grand age n'était pas une excuse, je n'aurais pas le gout d'aller palabrer, alors que j'ai du mal dans le paradigme actuel à envisager une solution viable.

    Puissent jaillir et se concrétiser place de la République des idées qui sans oublier les avancées de la critique marxiste et en oubliant les erreurs commises en son nom ouvrent un réel avenir à nos jeunes dans un idéal humaniste.

    • Moi je ne suis pas si triste que les grands élans révolutionnaires ne soient plus de mise, ces grandes bonnes intentions dont l'enfer est pavé. Par essence, la gauche libertaire qui peut aujourd'hui se développer et profiter des nouvelles technologies constitue une nébuleuse. Il me semble que cette gauche qui se cherche depuis la révolution (les utopistes, l'autogestion...) peut compter sur la domestication de l'intelligence collective appliquée aux groupes humains, en particulier au niveau local, mais aussi dans les entreprises.

        • Il y a pire dans le confusionnisme, cet interminable texte des antifas qui mettent au même plan tous ceux qui ne sont pas aussi pleins de certitudes anarcho-marxistes qu'eux. Ce qui est dommage, c'est que les nécessaires dénonciations se perdent dans la liste de tout ce qui bouge, et certes avec souvent des critiques méritées mais jusqu'à faire de tous de dangereux fascistes. Tout y passe, y compris le revenu de base et les monnaies locales (mais pour eux le système de production n'a pas changé avec le numérique!). En tout cas, ils offrent un bottin utile pour savoir qui est qui et si on ne peut pas identifier les nuits debout à tous ces militants (pas plus qu'à leurs fondateurs qui en ont perdu la maîtrise), cela montre quand même qu'on a bien là un rassemblement de tout ce qui existait précédemment (ce qui pourrait être l'intérêt de l'affaire) et malgré une part de petits nouveaux, surtout des quasi professionnels de la politique.

          En Mai68, on aurait fait un papier comme cela, tous les groupuscules manipulateurs en auraient pris (justement) pour leur grade. Cela n'a pas empêché Mai68 d'être tout autre chose, les groupuscules étant vite largués. Si le mouvement dure (ce qui serait étonnant), il peut en sortir aussi du positif malgré toutes les conneries qu'on entend. C'est quand même très différent aujourd'hui car il y a un véritable risque fasciste, ce qu'on appelle rouge-brun et qui est une tentation réelle de la gauche souverainiste (ce pourquoi il faut critiquer Lordon-Ruffin-Todd), récupérant aussi le démocratisme de Chouard (entre autres), les nationalistes et les fachos ayant comme dans les années 1930 la prétention de représenter le vrai peuple contre un parlementarisme corrompu. Il y a dans la naïveté enthousiaste un vrai risque, au moins celui de se tromper de combat si ce n'est renforcer cette fascisation des esprits avec la nostalgie d'une unité retrouvée. La seule chose sûre, c'est qu'on est bien dans la merde (connerie partout, justice nulle part).

          http://www.lesenrages.antifa-net.fr/ruffin-et-lordon-une-nuit-a-dormir-debout/

          • Je ne prends pas position en faveur du "souverainisme", autant pour des raisons culturelles (la France n'étant qu'un territoire sans homogénéité particulière autre que politique, le reste relevant d'une construction imaginaire, seule la langue est en partage ..), mais surtout pour des raisons économiques, dans un monde globalement dépendant.

            Par contre, il faut tout de même se souvenir que l'Union Européenne est elle même souverainiste, du point de vue de Bruxelles, même s'il s'agit d'une entité souverainiste particulière. Je la qualifierais même bien volontiers d'impérialiste et les exemples ne manquent pas de la manière dont les dirigeants de l'UE imposent leur vision politique et économique au reste du monde à commencer par l'Afrique et les traités iniques qu'on lui impose.

            J'en dirais autant de la domination que les pays du Nord de l'Europe exercent sur ceux du Sud par l'intermédiaire de la "déficitophobie" de Berlin (pour reprendre l'expression de Varoufakis) avec le consentement actif des dirigeants français.

            Il y a donc un souverainisme européen mais d'un nouveau genre qu'il faudrait qualifier et analyser: intrinsèquement lié à l'oligarchie financière. Une sorte de jacobinisme de l'oligarchie financière, la volonté centralisatrice des traités ultra-libéraux en est la criante illustration. permettant un nouveau cadre légal à l'ultra-libéralisme.

          • Fab

            Le souverainisme est une notion très floue, au plus précis c'est d'avoir une armée, et l'UE n'a pas d'armée unifiée, pas même de budget commun.

          • Il est vrai que la struture militaire de l'U.E. est l'OTAN, donc en partie les USA, ce qui complique singulièrement la tâche de définir ce "machin" qu'est l'UE.

            Je ne sais plus qui disait que l'Histoire évolue (je n'ose écire "progresse", je ne sais pas s'il y a du progrès en hisoire) de manière hélicoïdale, c'est à dire en revenant par des phases antèrieures, mais de façon homologue.

            Il est clair que si nous définissions une souveraineté par la communauté politique, concernant l'UE c'est loupé, il n'y a pas le début du commencement d'une communauté politique européenne ... sauf celle des élites.

            Mais l'Etat 3.0 que représente l'UE est peut être l'homologue de l'Etat 1.0 que représentaient ceux des monarchies, avant que ces derniers ne cèdent la place à des Républiques. Ici l'homologue de l'aristocratie est l'aristocratie financière d'après moi, et le "machin" qu'est l'UE est totalement adapté à cette nouvelle forme d'aristocratie (celle des "1%").

            Qu'il y ait un parlement européen c'est une bonne blague on l'a vu lors du vote sur le "secret des affaires".

            Donc nous voila dans une sorte de souverainisme hybride spécifiée par une énorme structure centralisée par le haut qui cependant épouse "par le bas" la fluiditié du capitalisme (réseaux d'entreprises filiales des grands groupes etc.) totalement adapté au capitalisme financier.

            Ce machin est en fait à l'avant garde des nouvelles structures étatiques et en ce domaine même les USA font figure de has been. Même la constitution de l'UE (les Traités) sont largement plus cadrés, économiquement que la constitution américaine qui en est resté au stade de la vieille démocratie "bourgeoise" comme l'on disait auparavant (attention ici je ne sur-estime pas non plus les constitutions, je ne fais pas du "Etienne Chouard"). Ce nouvel modèle d'état totalement adapté au nouveau capitalisme n'a pas encore trouvé de définition.

          • (suite) les résultats de élections autrichiennes signent clairement la suite des événements. Comme il s'agit de définir l'Ue , il s'agit également de définir ce néofascisme de l'isoloir, parce que la grande différence d'avec les fascismes des années 30 consiste dans l'absence d'une base militante (ce sont des partis qui sont à mon avis intrinsèquement liés aux médias). Ici, la notion d'individu-sériel me semble adapté. L'individu-sériel du sondage, l'individu-sériel du vote, ou même de l'abstention. Il ne s'agit pas de groupes organisés mais de machines électorales (et de petites affaires commerciales comme on le constate pour le FN). Ceci dit, je ne crois pas que la progression de l'extrême droite signifierait une éclatement de l'UE: malgré les contradictions que représentent ces partis qui pour une part, ne satisfont pas une partie des élites dirigeantes, celles-ci cependant n'hésiteront pas à passer des compromis avec eux: c'est d'ailleurs déjà le cas, l'UE se gardant bien d'émettre la moindre réserve envers le gouvernement hongrois ou polonais, et certains gouvernements sont déjà des gvt de coalition avec l'extr. droite. Cela étant, il est intéressant de noter que si- dans une certaine mesure le fascisme des années 30 était une réponse au "bolchévisme", et en réaction de peur de la révolution chez une parti des élites, ce néofascisme (qu'il faudrait définir mieux, tout comme l'UE d'ailleurs), ne progresse pas en réaction au "communisme" cette fois, mais en réaction aux immigrés, dans le contexte de crise du capitalisme que l'on connaît.

          • (suite) l'historien Enzo Traverso a écrit des analyses intéressantes sur ce néofascisme. mais je crois que le concept d'individu-sériel (notamment celui de l'isoloir, celui du consommateur isolé et impuissant etc.) qui n'est pas tout à fait l'individu-grégaire des années 30, permet aussi d'en cerner les contours.

    • Si nuit debout sert de labo de savoir faire démocratique local, "de face à face", c'est pas si mal.
      L'apprentissage pour éviter les grandes idéologies (illusions), éviter de subir la starisation et l'élitisme, si c'est bien ce qui se passe d'important à nuit debout, pas étonnant que les médias aient un peu de difficultés à décrypter.

  8. C'est bien .

    La limite est que l'intercommunalité semble bouder .
    C'est une grosse épine dans le pied parce que certaines compétences sont du ressort de l'intercom , par exemple le développement économique .
    Je pense , mais peut être le font ils ? que c'est très important de travailler (activement) le sujet . Il est très important que "l'essaimage " se fasse , non seulement au niveau de ceux qui souhaitent la démocratie participative , et sont donc tout prêt à accueillir le message , mais aussi au niveau de la dure réalité de ceux qui ne la veulent pas ; parce que par principe la démocratie participative ne peut se trouver en se transformant en un parti de démocratie participative. On en revient donc au global et à la stratégie à mettre en œuvre pour élargir le cercle communal , qui en soi est la bonne échelle , à condition que le cercle ne se referme pas ; l'objectif de démocratie participative dépasse la commune .

  9. Fab fait référence ci-dessus au "concept d'individu sériel". C'est quoi l'individu- sériel? Difficulté aujourd'hui: on utilise des concepts empruntés ici ou là en partant du principe qu'ils n'ont pas besoin d'être explicités pour l'auditeur ( en A.G. par exemple) ou pour le lecteur ( commentaires sur réseau d'information).

    • Il y a deux sortes de modalités chez les individus: les "séries" ou les "groupes". Dans le premier cas, les individus sont passifs, dans le deuxième ils sont actifs. La série se caractérise sous le signe de l'Autre (Sartre), c'est à dire en tant que chacun devient autre que soi. Il s'agit donc d'une co-existence des individus qui se vivent comme isolés et extérieurs les uns aux autres, sans concertation. Les médias de masse sont sériels, mais aussi le marché. Cela peut être une file d'attente à l'autobus etc. Ces concepts ont été développés aussi par Deleuze/Guattari ou encore Benasayag ("l'individu-masse"). Il s'agit d'une forme de lien d'inertie entre les individus.

      • Il n’empêche que les philosophes ou sociologues que vous citez me semblent ainsi quitter le vivant pour enfiler les perles de purs concepts ? Je préfère l’adjectif sériel appliqué aux arts plastiques plutôt qu’aux sociétés humaines. Le sculpteur de Bourgogne du sud Maxime Descombin a initié le terme d’art sériel dans les années 1950.
        http://www.atelier-descombin.org/page/42497
        Pour M. Descombin l’œuvre sérielle se constitue à partir d’un « simple » ( une forme géométrique, comme un carré plié, ou une forme plus complexe qu’il crée) dont l’exécution mécanisée d’un certain nombre d’unités en série était toujours confiée à une entreprise locale ! Voilà qui va dans le sens des souhaits de Di Girolamo ? Adaptation dûe par l’artiste aux techniques de son temps ! L’espace plastique construit à partir du module unitaire constituait ce que l’artiste appelait par exemple une « Modulation sur le carré n°3 ». Beaucoup de cosmisations uniques sont accessibles au(x) sens à partir d’un simple carré plié mis en situation dans le paysage ou dans la cité! Le multiple ainsi qualitativement agencé, paradoxalement l’Un donné à voir, mis en situation dans son biotope ( préférons dire prosaïquement dans son « lieu de vie » approprié) n’est une modulation du simple présenté sous différents aspects possibles. Cela me rappelle les recherches de Michel Martin sur la gestion intelligente d’un collectif dans l’entreprise, c'est-à-dire dans un tout autre domaine ?
        Mais le concept d’art sériel peut désigner une démarche toute autre, comme chez Andy Warhol qui répète en série le même motif, ( par ex. l’image d’une star) avec des variantes de l’un à l’autre ( un peu comme les Meules de Claude Monnet), dans une série de même nature qu’une série télévisuelle.

        • Pour prendre un exemple réel, je ne partage pas cette vision d'un collectif qui serait intelligent au sens d'une créativité toujours en mouvement. Au sens du Capital, qu'on le veuille ou non, il y a un ensemble de règles figées et indiscutables face auxquelles tout collectif intelligent se heurtera. Et l'individu/les individus doivent composer avec ces règles qui ne sont pas simplement les exigences du réel. Mais ces facteurs d'inertie existent pour le meilleur comme pour le pire, parce qu'un coopérative autogérée reproduit également des règles répétitives. Il ne s'agit pas de taylorisme, il s'agit de règles indiscutables et profondément intégrées par les personnes, y compris sur le plan inconscient si l'on veut. Mais il peut y avoir des seuils localement à partir desquels des contre effets viennent perturber la répétition (même une apparence "d'innovation" peut être en réalité répétitive). Mais la sérialisation ou bien les liens d'inertie n'est qu'un concept en effet, cela veut dire qu'il marque l'un des pôles extrêmes des modalités de groupes, l'autre pôle étant le mouvement et la créativité permanente si l'on veut. La réalité se situe toujours un peu entre les deux.

          • je ne partage pas cette vision d'un collectif qui serait intelligent au sens d'une créativité toujours en mouvement.
            Bien d’accord : c'est un souhait, mais un tel collectif d’individualités chacune à leur poste selon leurs compétences propres, a peu de chances de survivre dans un état de notre monde où les choses ont pris le pouvoir sur la personne humaine. Et il faut remonter bien plus avant que par exemple le taylorisme. Peut-être au XVIIeme siècle lorsque les philosophes ont forclos l’intelligence basée auparavant sur l’interprétation des sensations, pour verser dans l’illusion du libre-arbitre( jugement et volonté) comme déterminants de l’action ? On peut dire qu’à partir de cette erreur (car l’arbitrage du jugement n’est pas libre, qui n’intervient qu’après coup, pour faire le bilan d'un résultat que le corps aurait de lui-m^me pressenti) l’individu perd la maîtrise du ressenti, pour devoir se soumettre aux règles sociales convenues, objet qu’il est d’une machination : il n'agit plus que machinalement. Exemple : même pour sortir à gauche, on doit ne peut quitter la route que sur la droite; nous sommes en toutes choses et de plus en plus conditionnés de l’extérieur.

          • Je vous encourage à vous documenter sur l'entreprise FAVI pour vous faire une idée de que l'intelligence collective peut donner. Ce n'est pas que ce soit un modèle indépassable, ni qu'il soit assez stabilisé (il se peut que ça tourne mal et cette entreprise perdra très vite de son efficacité), mais c'est un cas très documenté.

  10. Est-il utile de relire Michel Crozier aujourd'hui? Il me semble que oui, je crois qu'il serait assez content de Nuits Debout, quand bien même le déblocage ne se fait pas de la façon dont il l'avait envisagé, mais d'une façon moins volontariste (il voulait inciter les élites à changer), plus évolutionniste, par un effet de transformation induite par le matériel.

    • Je ne crois pas comme lui que les blocages ne viendraient que du sommet (des élites, de l'oligarchie), il y a aussi bien une résistance de la base aux bouleversements que nous subissons. Il faut dire que lui prend modèle des entreprises mais ce qui est intéressant, c'est qu'il ne met pas le blocage sur le compte des positions acquises ou des résistances au changement mais, tout au contraire, dans le volontarisme étatique qu'on retrouve chez nos économistes hétérodoxes, comme chez Attali et tous les petits utopistes qui ont leur solution à tous les problèmes (une constitution, la sortie de l'Euro, etc).

      L'image idéale du dirigeant français, c'est celle de l'homme qui analyse très vite les difficultés ou les opportunités, qui en fournit une brillante synthèse et qui édicte immédiatement les solutions ou les actions appropriées : clarté d'esprit, simplification et rapidité de décision. C'est ainsi qu'on provoque les grandes catastrophes - il n'est malheureusement que trop facile d'en trouver des exemples dans les mésaventures récentes de certains de nos grands groupes. Le deuxième corollaire, c'est la priorité donnée à la conception sur l'exécution. Elle sert d'excuse à l'ignorance du terrain

      PS : ce portrait fait bien penser à Bolloré !

          • Crozier avait fait l'analyse de la bureaucratie très tôt et son bouquin de 1970 sur la société bloquée en faisait état. Ce n'est que bien plus tard, vers 1995 qu'il se décide de faire porter le chapeau aux élites, les jugeant plus responsables que la base dans le maintien des blocages. Mais il était conscient qu'il avait à faire à un blocage ou une stabilisation systémique, il a seulement décidé d'essayer d'attaquer par le point d'entrée des élites. C'est sans doute une erreur, parce que les élites tendent à conserver leur pouvoir et donc à être conservatrices. Le changement provient bien du changement du milieux, des conditions matérielles externes qui rendent impossibles les anciennes pratiques hiérarchiques.
            Liste non exhaustive de boîtes qui peuvent se réclamer du management "agile" (en vrac), UGC Cinécity; Lexis-Nexis; Loréal; Microsoft; Alcatel; CISCO; Sanofi; L'Alliance Française; Hispano-Suiza; Extia; Vinci Park; Orange; Le Slip Français; Google for Work; Accor; Total; Axa ...
            Bon, le périmètre de décision s'arrête au seuil du capital dans ces entreprises, mais quand même elles font des efforts pour débureaucratiser leur management, pour être en phase avec leur époque, la génération Y, pour l'efficacité...

      • J'ai eu un prof collègue de Crozier, Philippe Bernoux.

        Son approche se fondait sur l'analyse du système d'action concret d'une entreprise qui est toujours informel, contrairement aux organigrammes et procédures formelles. Il s'agissait de définir à la suite d'entretiens avec les acteurs leurs positions de forces, motivations... et un schéma global d'interactions.

        Cette façon assez réaliste de voire presque cynique, pouvait scandaliser, mais était plus concrète.

        https://lectures.revues.org/18153

    • Un article qui date de juste avant l'écroulement de l'URSS et qui vient d'être mis en ligne montre que la bureaucratie est conservatrice, on peut dire comme tout le monde. Ce qui différencie le système capitaliste, qui explique l'avance qu'il a prise sur le système collectiviste, ce sont les "destructions créatrices". C'est-à-dire que, ce qui semble condamner le capitalisme, la destruction d'emplois et la fermeture d'entreprises, c'est ce qui lui donne avantage dans l'accélération technologique et le productivisme qu'une économie étatisée apparemment plus rationnelle ne peut suivre.

      http://revueperiode.net/stalinisme-et-capital-economie-politique-dun-effondrement/

      Je ne crois pas que ce soit vraiment une question d'organisation car ce qui nous fait changer vient de l'extérieur. Il faut se fracasser sur le réel, n'avoir pas le choix. On ne devient pas agile par plaisir mais parce que la concurrence et l'écosystème numérique nous y obligent. C'est un peu le même problème que le climat, on ne réagira vraiment que lorsque cela deviendra intenable. Ce n'est pas nous le moteur de l'évolution, nos désirs ni notre savoir, mais un réel qui nous agresse et nous fait souffrir jusqu'à ce qu'on s'y adapte et qu'on en tire profit.

      • "On ne devient pas agile par plaisir mais parce que la concurrence et l'écosystème numérique nous y obligent."
        Entièrement d'accord avec ça. Si la plupart des grandes entreprises et les entreprises créées récemment viennent au management agile, c'est par nécessité d'adaptation, pas par philantropie. Le MOOC récent de FUN (France Université Numérique) sur ce sujet a intéressé plus de 100 000 personnes et interviewé une vingtaine de manager d'entreprises engagés dans un mode de management agile. Mais à ouvrir ainsi la participation aux décisions, il devrait arriver un moment où les décisions concernant le capital lui-même devraient se poser, être revendiquées. C'est un sujet qui me semble devoir être suivi avec attention parce qu'il touche à une définition de la propriété, cad un des fondements du capitalisme. La propriété devrait continuer d'exister, mais son contour devrait changer.

    • Moi, je trouve que c'est n'importe quoi, au niveau des moyens (il n'y aura pas de grève générale) comme des fins (un changement de constitution ne changera pas grand chose) et prouve encore une fois notre profonde connerie qui nous fait croire à ce qui n'existe pas pour nous faire plaisir.

      Ce qui est le plus curieux, c'est que cet économiste ne semble rien comprendre à l'économie réelle naviguant entre un réformisme nationaliste (sortie de l'Euro) et un fantasme collectiviste (un peu comme le Mitterrand du programme commun) mais cela lui permet de parler une langue qui semble familière aux anciens révolutionnaires.

      Il est bien sûr impossible, très mal vu, de dire du mal du leader du moment, un peu comme une déclaration de guerre empêche toute critique devenue trahison...

      • Ce qui est consternant, c'est que ces nuits debout et leurs mentors pourraient faire un appel à réformer l'Europe, comme le demandent des mouvements en Grèce, Espagne, Italie et même en GB.

        C'est la première urgence, mettre la pression sur le gouvernement francais pour peser de tout son poids, deuxième économie de l'Euro, pour modifier la zone Euro et préparer la transition énergétique.

        Au lieu de ca, on a un florilège de revendications dispersées et hétéroclites. Le gouvernement francais fait des pieds et des mains pour vendre sa technologie nucléaire en pure perte dont quasiment plus personne ne veut au moment où toutes sortes d'alternatives énergétiques émergent.

        La France est devenu un curieux pays, un canard sans tête, côté gouvernement ou de ses opposants.

    • Je voulais surtout parler de ce paragraphe qui montre que Lordon a saisi un des aspects importants de Nuit Debout, c'est à dire ce mouvement de reconstruction par le bas, par le local, qui tente de ne pas se faire déposséder par des leaders (Lordon s'est aussi fait chahuter, ce sont surtout les médias qui le starisent, recherchant à se repérer selon leurs repères préconçus):
      "Ce que je vais dire a sans doute tout pour prendre à rebrousse-poil les inclinations spontanées de la Nuit debout mais tant pis. Je pense qu’à l’échelle macroscopique il n’y a pas de politique sans une forme ou une autre d’institutionnalisation, et même de représentation. Au demeurant l’AG de la Nuit debout n’est même pas conforme au modèle d’horizontalité pure qu’elle revendique d’accomplir. Par exemple, il n’y a pas d’AG sans règles — règle du tour de parole, règle du temps de parole, respect de la personne modératrice, règles gestuelles de manifestation des opinions, etc. — et ces règles ont par définition un caractère institutionnel et verticalisé puisqu’elles s’imposent à tous, qu’elles font autorité, que tous les reconnaissent — conceptuellement, la verticalité c’est cela. Nous avons donc d’emblée affaire, et dès cette échelle, à de l’institutionnel-verticalisé, ce qui prouve bien l’inanité d’un mot d’ordre maximaliste d’horizontalité pure, en fait intenable. La vraie question n’est pas dans d’absurdes antinomies « institutions vs. pas d’institution » ou « horizontal vs. vertical » mais dans la manière dont nous agençons nos institutions et dont nous parvenons à contenir la verticalité que nécessairement nous produisons du simple fait de nous organiser a minima collectivement. Quoiqu’elle se verticalise de son propre mouvement, la Nuit debout peut cependant se maintenir fermement dans une configuration aussi proche que possible de ses idéaux d’horizontalité et de démocratie directe. Mais elle ne le peut sans doute qu’en raison de sa taille et de l’échelle réduite à laquelle elle opère. Il faut donc tenir ensemble deux idées qui en réalité n’ont rien de contradictoire : d’une part la configuration institutionnelle d’une collectivité à l’échelle macroscopique, disons nationale, ne saurait être le simple décalque du modèle expérimenté à l’échelle de la place de la République ; mais inversement la Nuit debout illustre en elle-même des principes génériques qui doivent guider l’élaboration d’une configuration institutionnelle globale : subsidiarité maximale, c’est-à-dire la plus grande délégation d’autonomie possible aux niveaux locaux, méfiance à l’égard du potentiel de capture que représente toute institutionnalisation, contrôle serré des représentants et des porte-parole — contrôle qui signifie révocabilité permanente (quoique réglée) —, organisation de l’écoute constante des niveaux d’organisation inférieurs par les niveaux supérieurs, en particulier pour ne pas laisser aux niveaux supérieurs le monopole de l’initiative qui transformerait les niveaux inférieurs en simples chambres d’approbation : les idées doivent circuler dans les deux sens, et les niveaux supérieurs continuer de s’inspirer des niveaux inférieurs."
      Je vois dans ce paragraphe beaucoup de points communs avec ce que vous défendez (permanence des hiérarchies, subsidiarité/autogestion, local...)

      • Certes, je ne suis pas en désaccord avec tout ce qu'il dit mais ce n'est pas du tout le coeur de son projet qui est uniquement national aussi bien pour la monnaie que pour la constitution. Il ne parle de l'horizontalité locale que pour défendre la "verticalité" nationale. Il n'y a pas besoin sinon de changer la constitution pour avoir une démocratie locale, des monnaies locales et une municipalisation de l'économie locale (plus fédérative que subsidiaire).

        • OK,
          le degré fédératif/subsidiaire mérite d'être approfondi au cas par cas. Dans le cas des structurations d'organisations type sociocratie, c'est un sujet de débat et surtout d'expérimentation/ajustement. Les deux notions sont très combinables, en gardant à l'esprit que ce qui est inutile nuit souvent à ce qui est indispensable.

      • C'est assez simple : une démocratie qu'elle soit locale ou nationale se reconnaît à la présence de structures institutionnelles actives ouvertes à tous , ces structures permettant d'étudier et de débattre des problématiques et étant directement relié à un processus décisionnel universel (référendum )

        Le reste c'est du pipeau .
        Il se trouve qu'au vu de la "nature humaine" et de la matérialité du système , de cela tout le monde s'en fout et les revendications (sauf quelques profs intello) ne portent pas du tout là. Ce thème de la réelle démocratie revenant périodiquement quand le confort économique fait défaut.

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