Les salauds au pouvoir

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C'est une tendance bien connue dans les moments de crise de rechercher des boucs émissaires et de rendre les pauvres et précaires responsables de leur propre sort. La montée du chômage qui en fait un phénomène social, macro-économique, le rend aussi forcément trop lourd à financer, charge qu'on va imputer aux chômeurs eux-mêmes, devenus une surpopulation indésirable dont on aimerait bien se débarrasser. Il y a toute une tradition anglo-saxonne complètement décomplexée qui va dans ce sens, de Malthus et Spencer à Thatcher et ses successeurs qui en rajoutent sur la culpabilisation des pauvres même si on ne va plus jusqu'à prôner ouvertement leur élimination au nom de la science lugubre que serait l'économie ! Chez nous, cette brutalité était moins bien admise par notre égalitarisme républicain, restant l'apanage de l'extrême-droite ou de petits salauds ambitieux genre Wauquiez. C'est pourquoi il faut s'alarmer de voir ces discours repris par un gouvernement, censé de plus être de gauche !

Certes, il n'y a là rien de neuf, dira-t-on. Les pauvres ont constamment été soumis à l'état d'exception, l'oppression et le mépris : ce sont les perdants, les losers, une race inférieure que les winners, très contents d'eux-mêmes et de leur réussite sociale, contemplent de haut. Il faudrait bien faire changer la honte de camp, rendre plus honteux ces véritables salauds qui nous accablent de leur morgue et de leurs petits esprits mais, par définition, on ne pourra jamais mettre les perdants (prolétariat) au pouvoir. La seule force des pauvres est le nombre - ce qui ne veut pas dire hélas qu'il suffirait de faire nombre pour ne pas se croire du côté des dominants, mettre encore plus salauds au pouvoir et chercher d'autres boucs émissaires : juifs, musulmans, immigrés, étrangers. Le ressentiment peut être ravageur, mieux vaudrait ne pas l'attiser par la haine des chômeurs.

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