Les trous noirs de la gauche

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trou_noirL'état de la gauche est on ne peut plus désastreux. C'est de notoriété publique désormais. On s'attend même à son effondrement complet au moment où l'on aurait tant besoin pourtant de politiques de réduction des inégalités et de protections nouvelles contre une précarité qui se généralise à grande vitesse. C'est bien sûr la faute de la gauche elle-même, dans toutes ses composantes, gouvernementales ou non, même à ne pas vouloir se l'avouer ni pouvoir sortir de ses archaïsmes qui la plombent, ni de ses illusions qui profitent surtout aux démagogues de l'autre bord.

Il ne s'agit en aucun cas de je ne sais quels "tabous" de la gauche qu'il faudrait lever sous prétexte que cela aurait fait le succès de l'extrême-droite, que ce soit la nostalgie de la Loi, de la morale et des anciens interdits (sinon du patriarcat), ou le retour au national avec la sortie de l'Euro et de l'Europe d'un côté (dont les avantages sont très largement surévalués), le protectionnisme et le rejet des immigrés de l'autre (impossible de sortir de cette logique binaire). Sous prétexte de se donner un cadre de souveraineté censé nous sortir de notre impuissance actuelle, le peuple ne désigne plus dorénavant les dominés mais les nationaux, électeurs supposés assez avisés (dans leur prétendue common decency) pour nous donner leurs voix et auxquels on cherchera inévitablement à donner une identité culturelle plus ou moins foireuse qui nous rendrait tous identiques et solidaires malgré nos différences et oppositions de classe, de cultures ou de religions. De quoi justifier forcément la collaboration de classes entre bons français tout comme en quatorze on a pu mener des paysans au massacre pour défendre leurs si patriotiques capitalistes et marchands de canon !

L'argument nationaliste est absolument imparable dès lors qu'on prétend à une alternative radicale qui nous isole du reste du monde et se réduit tout bêtement à l'étatisation de l'économie, comme si cette merveilleuse solution n'avait pas déjà échoué partout et comme si on était en état de le refaire ! On croyait qu'ils avaient disparus avec l'URSS mais pour ces nouveaux staliniens, étatistes autoritaires (démocratiques et populaires bien sûr) qui rêvent de s'emparer du pouvoir pour nationaliser nos multinationales et imposer leur propre modèle (à rebours du monde des réseaux), il n'y a aucun doute dans leurs rêves sur la valorisation du niveau national qu'ils s'imaginent, un peu légèrement, pouvoir être à leur portée alors qu'ils travaillent plutôt pour l'extrême-droite montante. Jusqu'à finir, pour certains, par rejoindre les ennemis d'hier. C'est, du moins, ce que le fascisme a illustré à une autre époque, certes bien différente de la nôtre mais selon une même logique.

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Heidegger, sauveur du monde

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Apports à la philosophie. De l'avenance (1936-1938)
ou Contributions à la philosophie. De l'événement
apports à la philosophie
Après avoir dénoncé sa compromission avec le nazisme, dans sa philosophie même, j'ai essayé de rendre compte des origines, largement religieuses, de la pensée heideggerienne dont l'existentialisme s'est nourri mais à partir de ce qu'on peut appeler son moment athée. Celui-ci commence avec son cours sur l'Ontologie et prendra toute sa force dans Être et Temps. Il s'agit avec ce livre posthume, qui est en même temps, surtout dans sa première moitié, une critique du nazisme réel (par rapport au sien), d'aborder ce qu'on appelle le "tournant" et qui est plutôt de l'ordre d'une conversion (ou re-conversion!) puisqu'il s'agit bien d'un retour au religieux sous la forme du "Dieu à venir", incroyable personnification de la totalité de l'Être et de l'histoire qui prend la place de l'humanisme existentialiste en refondant l'appel à une transcendance capable de donner toute sa valeur à l'existence.

Le plus paradoxal (il n'est d'ailleurs pas sans en éprouver la contradiction et vouloir en sortir, par exemple p517), c'est qu'on peut considérer que son errance tient malgré tout à la surévaluation de la place qu'il laisse à l'homme dans l'histoire (berger de l'Être). En quoi il se révèle finalement solidaire des errements de son temps (et de son nihilisme), à rebours des critiques qu'il en fait de la façon la plus explicite (dans "la lettre sur l'humanisme" notamment) et de ce qui constitue l'objet même de son "tournant" :

Ce retournement où ce n'est pas l'étant qui est fondé par l'homme, mais où, tout au contraire, c'est être homme qui se voit fondé par l'Etre. (p214)

Malgré un vocabulaire abscons et des pages illisibles (par exemple p322), ce qu'on peut considérer comme un délire pénible et répétitif a du moins l'intérêt de pousser jusqu'au bout les conséquences (religieuses) de positions qu'on retrouve largement dans l'écologie et les discours technophobes, tout comme chez les critiques de l'aliénation ou les discours élitistes qui se croient subversifs, tous ceux enfin qui se voudraient effectivement les sauveurs du monde (et ils sont nombreux). Le plus tragique, en effet, c'est que tous ces utopistes à côté de la plaque sont de nouveau prêts à s'allier avec les pires populistes et réactionnaires au nom de leurs rêves de retour au passé sous couvert d'avenir et d'une nature idéalisée, sinon de croyances ouvertement religieuses, sans voir qu'ils prêtent ainsi main forte à des périls bien plus grands et qui n'ont rien d'imaginaires cette fois !

Il ne peut s'agir pour autant de réduire à rien les apports d'un des si rares grands philosophes sous prétexte qu'il a été un nazi convaincu - avant certes de le regretter amèrement (mais sans véritable repentir, ne s'offusquant pas tant de "la brutalité de la violence" p279, encore moins comme on le verra dans les cahiers noirs de l'antisémitisme qu'il partage ou la régénération de la race allemande, et prônant plutôt une désertion de la politique). Cela prouve à quel point les philosophes peuvent se tromper et comme la recherche de la vérité peut égarer les plus grands esprits et pas seulement les masses incultes comme on voudrait s'en rassurer. Lorsqu'on touche à l'essentiel, le risque de l'erreur en est décuplé, la moindre déviation, une négation de trop, peut porter à de lourdes conséquences. Il ne suffit pas pour autant de se délecter d'une critique facile et moralisante qui s'imagine pouvoir, au nom de ses propres certitudes, rejeter de l'histoire comme nuls et non advenus tous ces errements, simplement les oublier comme s'ils n'avaient jamais eu lieu, faire un trou dans nos mémoires...

Au contraire, il n'est pas possible de se soustraire à l'exigence de faire du faux un moment du vrai, ce qu'on essaiera pour finir dans ce qu'on peut appeler une inversion matérialiste ou scientifique de son idéalisme mystique ouvertement anti-scientifique. La subjectivité de l'être-parlant, qui n'est effectivement plus cause de soi - ce sur quoi on s'accorde - peut être renvoyée au désir de désir et à l'énonciation plus qu'à un Etre mythifié (et sans nous réduire à nos neurones). Ces dimensions sociale et symbolique sont partie intégrante de notre monde, très matériellement, même si elles structurent la part subjective, le fait d'y être concerné dans son être et dans l'urgence, ce qui constitue bien l'expérience de l'existence sur laquelle il nous éclaire, engagée dans les rapports humains et sociaux, les paroles trompeuses, les promesses non tenues et la manie de se raconter des histoires. Qu'on ne puisse nier nos déterminations, et qu'on soit bien obligés d'admettre que nous sommes forcément limités à l'état des savoirs et des représentations de notre temps, n'est pas une raison pour autant d'adopter un point de vue extérieur, de surplomb, indifférent, ni de se dérober à la nécessité de fonder la dignité du sujet et la valeur de l'existence - sans avoir besoin pourtant d'un Dieu qui nous les donne (mais l'Autre, garant de la vérité, qui n'existe pas?).

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Revue des sciences juin 2014

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