La valeur et le prix

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Paul Jorion, Le Prix, éditions du croquant, 350 pages
Paul Jorion est un acteur important de notre conjoncture, d'une façon qui peut faire penser au rôle d'Etienne Chouard lors du referendum sur la constitution européenne pour sa place sur internet, bien que ce soit très différent. Il porte, en particulier, l'interdiction des paris sur les prix afin de limiter la volatilité spéculative et ne pas confondre la finance avec un casino. Rien de révolutionnaire là-dedans, juste de très nécessaire. Nous sommes assez proches dans l'analyse de la crise (bien que je donne plus d'importance au retour de l'inflation) mais je ne suis pas aveuglement pour autant toutes ses propositions qui sont d'ailleurs assez loin des miennes. Cela ne m'empêche pas de lire régulièrement son blog avec intérêt.

Sa soudaine notoriété s'est traduite par une activité éditoriale intense débordant la crise elle-même et n'ayant pas peur de faire preuve de la plus grande ambition théorique puisqu'il va jusqu'à s'attaquer à la question de "Comment la vérité et la réalité furent inventées". L'originalité de son approche, c'est de combiner des références philosophiques (Aristote, Hegel, Kojève) à ses expériences ethnologiques et financières. Son dernier livre sur "Le prix" en fait d'une certaine façon la synthèse apportant une contribution importante sur la formation des prix qui relativise la loi de l'offre et la demande par l'inégalité des rapports sociaux en même temps que la philia des partenaires. On ne peut dire que ce soit vraiment nouveau puisque François Perroux, les institutionnalistes, etc., l'avaient déjà montré mais il est certain que l'économie doit tenir compte de la sociologie, ne pas se contenter d'un regard macroéconomique et passer de la statistique à l'organisation sociale. On peut trouver cependant exagéré de vouloir en faire le seul déterminant en recouvrant tout l'économique par le sociologique, de même qu'on ne peut faire de la valeur une simple abstraction inutile. C'est d'ailleurs ce qu'on discutera principalement ici, le rapport de la valeur au prix et leurs temporalités différentes.

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L’optimisme de la raison

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Quelque critiques que puissent être la situation et les circonstances où vous vous trouvez, ne désespérez de rien; c’est dans les occasions où tout est à craindre, qu’il ne faut rien craindre; c’est lorsqu’on est environné de tous les dangers, qu’il n’en faut redouter aucun; c’est lorsqu’on est sans aucune ressource, qu’il faut compter sur toutes; c’est lorsqu’on est surpris, qu’il faut surprendre l’ennemi lui-même. (Sun-Tse, L’Art de la Guerre)

On peut prendre pour une provocation de parler d'optimisme de la raison au moment de la montée de tous les périls, pourtant c'est justement dans ces moments qu'il ne faut pas céder à la panique mais préparer les "lendemains qui chantent", car les beaux jours reviendront même si beaucoup en doutent. On peut dire qu'on en voit déjà les premières lueurs, un peu comme les premiers résistants annonçaient la libération au coeur de la nuit nazie.

Aujourd'hui, la situation est loin d'être aussi dramatique, bien qu'on n'ait rien vu encore, la succession des interventions pour repousser une crise systémique de plus en plus insoluble ayant épuisé tous les moyens des Etats (taux d'intérêts minimum, déficits maximum) jusqu'à se fragiliser eux-mêmes et se retourner contre leurs citoyens pendant que s'amorce une guerre des monnaies. Cependant, l'expérience de la crise de 1929 nous donne un coup d'avance, peut-on dire, la répétition du krach de la dette ayant déjà provoqué un retournement idéologique très sensible. Certes, ce qui domine pour l'instant, c'est plutôt la désorientation et une confusion des esprits qui peut mener à toutes sortes de dérives autoritaires et xénophobes, mais qui met tout de même un terme à une lente descente aux enfers, période de désocialisation et d'individualisme exacerbé où le dogmatisme néolibéral nous a fait entrer dans une des périodes les plus noires pour l'intelligence. Le remake des années folles avec les années fric avait de quoi nous dégoûter d'un monde qui bafouait tous nos idéaux et inversait toutes les valeurs mais quand le désespoir se transforme en colère et qu'il faut passer à l'action, il n'est plus temps de se complaire aux éructations de quelques vieilles badernes atrabilaires qui nous prédisent inlassablement la fin du monde, alors que ce n'est que la fin du vieux monde à laquelle nous assistons et qui ne mérite pas tant de remords.

On peut, tout au contraire, espérer à nouveau et discerner les immenses potentialités de l'époque, époque révolutionnaire comme il n'y en a jamais eu dans l'histoire à cette rapidité et cette ampleur, avec une conjonction inédite des crises (économique, écologique, géopolitique, technologique, anthropologique, idéologique) où tout est bouleversé de fond en comble en quelques dizaines d'années seulement, au point qu'on peut légitimement avoir l'impression que le sol se dérobe sous nos pieds, des idéologies dépassés ne permettant pas de comprendre quoi que ce soit à ce qui se passe. Il y a un nouveau langage à inventer. C'est dans ces périodes pourtant qu'il est peut-être le plus exaltant de vivre, c'est là que s'ouvrent des possibles et que notre action peut être décisive pour orienter l'avenir et peser sur les choix futurs. C'est dans ces commencements qu'il est le plus important de savoir déceler la richesse des possibles, en évitant de s'égarer sur des voies utopiques sans issue pour saisir plutôt les véritables opportunités qui s'offrent à nous. Il s'agit de construire une stratégie politique pour une sortie de crise qui ne sauve pas seulement les meubles mais qui soit la conquête de droits nouveaux et d'une société pacifiée, d'une économie plus soutenable au service du développement humain, prenant en compte les conditions de sa reproduction. Vraiment de quoi retrouver une bonne dose d'optimisme pour notre avenir et les jeunes générations.

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Le travail fait la santé

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Pour une écologie du travail
travailsanteOn ne peut séparer l'écologie du social, comme le voudrait l'écologie libérale, pas plus qu'on ne peut séparer l'homme de son milieu. Ce sont bien les effets désastreux sur notre qualité de vie et notre santé qui nous alertent sur les problèmes écologiques, cependant les causes sont le plus souvent du côté de la production, des procédés et substances employées mais aussi du travail lui-même, responsable en grande partie de la dégradation de nos conditions de vie car s'il est avéré que "le travail, c'est la santé" quand c'est un travail valorisant, c'est loin d'être toujours le cas.

Une écologie du travail, attentive à l'amélioration des conditions de travail, devrait constituer une priorité de santé publique dès lors qu'une grande partie des maladies se révèlent être, à l'origine, des maladies du stress potentialisant les pollutions toxiques et les déséquilibres biologiques. On commence tout juste à s'en apercevoir devant les dégâts d'une gestion par le stress qui a révélé toute son inhumanité, seulement le problème est bien plus général que les "suicides au travail" qui n'en sont que les martyrs les plus visibles. La société, la citoyenneté démocratique et les droits de l'homme ne s'arrêtent pas à la porte de l'entreprise qui est au contraire un des principaux lieux de socialisation et de vie commune bien que ce soit de façon plus ou moins temporaire, à la différence des villages d'autrefois. C'est un territoire qu'il faut reconquérir et civiliser en s'opposant aux nouvelles barbaries comme les luttes ouvrières ont combattus les anciennes. On ne peut accepter l'extra-territorialité du travail qui est une bonne part de notre vie, aussi bien d'un point de vue politique que des répercussions écologiques ou sur notre santé. Il faut s'en persuader, la question du travail devrait constituer avec la relocalisation l'axe principal d'une véritable politique écologiste.

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Revue des sciences 11/10

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