Le caractère révolutionnaire de la science

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Carlo RovelliQu'est-ce que le temps ? Qu'est-ce que l'espace ? Carlo Rovelli

Il y a parfois d'excellentes surprises comme ce petit livre d'une centaine de page et qui se lit comme un roman bien que le sujet en soit des plus difficiles puisque c'est "la gravité quantique à boucles" ! Certes on ne fait que survoler la question, et on ne saura pas vraiment à la fin ce qu'est le temps ni ce qu'est l'espace. On a plutôt affaire au récit de cette recherche avec toutes ses incertitudes.

Carlo Rovelli, qui a été un militant révolutionnaire dans l'Italie des années '70, participant entre autres à une des premières radios libres, radio Alice, insiste sur le caractère révolutionnaire de la science, bouleversant nos conceptions comme la "révolution copernicienne" nous obligeant à reconnaître que nous ne sommes pas le centre de l'univers et que c'est nous qui tournons (2 fois même!), et non pas le Soleil autour de nous (absolument inimaginable!). Copernic parlait de la "révolution des planètes" mais c'était un tel renversement de nos représentations que le terme a pris un sens "révolutionnaire".

Cette capacité de remise en cause qui maintient tout en doute montre qu'il n'y a pas de véritable différence entre science et philosophie. S'il y a une opposition c'est entre scientisme (ou technique) et philosophie, c'est-à-dire un savoir qui se voudrait objectif, sans place au subjectif et au processus d'apprentissage, réduisant l'homme à l'animal ou même à un automate. La physique fondamentale, devenue tellement spéculative, se rapproche au contraire de la philosophie, offrant un terrain où l'esprit révolutionnaire peut s'exercer et triompher des conservatismes sociaux. Bien maigre consolation sans doute d'une société qui se délite, mais où se nouent de façon exemplaire science, philosophie et démocratie autour du caractère révolutionnaire de tout apprentissage et du travail du négatif, d'un scepticisme qui fait progresser le savoir plutôt que de le détruire.

Il y a bien sûr un danger à ce que la physique tombe à la philosophie à mesure qu'elle touche aux limites de l'expérience, mais des vérifications expérimentales de la gravitation en boucles semblent possibles, ce qui n'est pas encore le cas de la théorie des cordes qui est le candidat actuel à l'unification des forces. En fait l'enjeu, c'est la validité de la relativité générale, vérifiée de toutes sortes de façons pourtant (indispensable au GPS par exemple), et dont le trou noir est une conséquence théorique. C'est-à-dire le fait que la gravitation résulte d'une déformation de l'espace-temps et que la matière crée l'espace de relations, alors que dans la théorie des cordes (et la théorie quantique) on en reste à un espace newtonien (même s'il a bien plus de 3 dimensions). Dans un cas comme dans l'autre, la résolution de la contradiction appelle une révolution de nos conceptions (tout autant que la théorie holographique de la gravitation qui a le vent en poupe actuellement).

Il n'est pas question de prétendre trancher dans un débat qui nous dépasse mais il est important de savoir qu'il y a un débat et de ne pas considérer la question comme close (en faveur de la théorie des cordes par exemple). Rien de plus passionnant que la science en train de se faire. Ce que j'en ai compris, c'est que pour la gravitation quantique en boucle, il n'y a pas d'espace ni de temps mais seulement des relations entre les corps et leurs mouvements relatifs. Idée qui est loin d'être nouvelle puisqu'elle est à la la base de la relativité générale. Dire que le temps n'existe pas signifie simplement qu'il n'y a que des relations temporelles entre un processus et les oscillations d'un pendule par exemple. J'ai sans doute tort mais il me semble qu'on ne réfute ainsi ni le temps ni l'espace mais qu'on leur dénie seulement toute signification physique. L'espace de la physique c'est le champ et ses boucles, plus ou moins déformées par l'interaction d'autres champs, le temps physique est la mesure d'un mouvement par un autre mouvement. Ce sont les interactions qui sont quantifiées mais il y a bien un espace continu sous-jacent où se déployer, espace de vibration ou de mouvement, et il y a bien un temps qui s'écoule continûment malgré tout, temps de succession des interactions, temps du devenir même si on ne peut l'unifier et que ce n'est pas une réalité indépendante du mouvement.

Le temps n'est le mouvement qu'en tant que le mouvement est susceptible d'être mesuré. (Aristote, Physique XVI, 8)

Or, ce n'est pas dans le temps que tout naît et périt, mais le temps lui-même est ce devenir, ce naître et ce périr. (Hegel, Enc. §258)

- L'espace-temps comme champ gravitationnel

aimantLes boucles de la gravitation quantique sont tout-à-fait comparables aux "lignes de Faraday" d'un champ électromagnétique qui se reboucle sur lui-même (entre les deux pôles d'un aimant par exemple). Il n'y a que le champ qui existe (un espace dépourvu de champ n'a aucune signification physique disait Einstein) et c'est donc ce champ qui est déformé. L'existence du champ électromagnétique n'est pas si mystérieux qu'il paraît car il n'y a rien de plus visible au contraire même si on ne voit pas les ondes radios par exemple, situées au-delà du "spectre visible" :

Un coup de génie de Maxwell est d'avoir compris que la lumière n'est rien d'autre qu'un des mouvements ondulatoires rapides des lignes de champ. On dit souvent que les champs sont "invisibles", alors qu'en réalité nous ne "voyons" que le champ ! Nous voyons la lumière réfléchie par les objets, et non pas les objets eux-mêmes directement. p22

La meilleure façon de décrire la grande découverte d'Einstein est de dire que l'espace de Newton n'existe pas : c'est en réalité le champ gravitationnel (...) Ce qui existe, c'est le champ gravitationnel : un objet physique élastique et dynamique du même genre que le champ électromagnétique. p24

Jusqu'il y a vingt ans, la relativité générale était considérée comme une théorie très belle mais exotique, connaissant peu d'applications et peu de confirmations expérimentales. Depuis lors, cependant, on a assisté à une explosion de confirmations expérimentales et des applications de la relativité générale. p27

D'une part, Einstein a découvert que l'espace est un champ, comme le champ électromagnétique. D'autre part, la mécanique quantique nous apprend que tout champ est formé de quanta, et qu'on ne peut décrire que le "nuage de probabilité" de ces quanta. Si l'on met ensemble ces deux idées, il s'ensuit immédiatement que l'espace, c'est-à-dire le champ gravitationnel, doit lui aussi présenter une structure granulaire, exactement comme le champ électromagnétique. Il doit donc y avoir des "grains d'espace". De plus, la dynamique de ces grains doit être probabiliste. Donc, l'espace doit être décrit comme un "nuage de probabilités de grains d'espace"... p30

Einstein a également découvert que l'espace et le temps ne peuvent être décrits qu'ensemble (...) Donc, quand j'ai dit que la notion d'espace devait être remplacée par le champ gravitationnel, ce n'était pas précis : c'est en fait la notion d'espace-temps qui doit être remplacée par celle de champ gravitationnel. Et donc c'est l'espace-temps qui doit devenir granulaire et probabiliste. p31

Ces boucles constituent les lignes de Faraday du champ gravitationnel quantique. On avait des lignes individuelles au lieu de l'ensemble continu de lignes du champ classique, parce qu'il s'agissait ici de la théorie quantique : dans la théorie quantique, le champ gravitationnel se brise en lignes de champs séparées les unes des autres, comme le champ électromagnétique se brise en photons. Mais puisque le champ gravitationnel est l'espace, nous ne pouvons dire que ces boucles sont immergées dans l'espace : elles sont l'espace elles-mêmes ! L'espace est constitué de ces boucles. p37

Pour représenter notre monde, il suffisait de superposer un grand nombre de solutions constituées d'une seule boucle chacune. On obtenait ainsi un "tissu" formé d'un nombre fini de boucles. contrairement au champ classique, où les lignes de Faraday sont en nombre infini, on peut compter le nombre de boucles dans le champ gravitationnel quantique (...) En l'absence de masses, les boucles restent fermées sur elles-mêmes. Au voisinage d'une masse, les boucles s'ouvrent, tout comme les boucles du champ électromagnétique s'ouvrent sous l'action des charges. p38

On pourrait dire que cette théorie réussit à quantifier l'espace, que celui-ci est devenu granulaire. Je préfère dire qu'il n'y a plus d'espace. Il n'y a que des particules, des champs et des boucles de champ gravitationnel, le tout en interaction. p39

- Le temps n'existe pas

Jusqu'ici je n'ai parlé que de l'espace, le moment est venu de parler du temps. p75

Le temps devient encore plus variable avec la théorie de la relativité générale. Un champ gravitationnel plus fort (au voisinage de la Terre, ou du Soleil, par exemple) fait fonctionner les horloges plus lentement. c'est d'ailleurs là la raison des corrections dues à la relativité générale qu'il faut introduire dans le fonctionnement du GPS. Le GPS est basé sur la mesure très précise du temps de parcours de signaux entre la terre et des satellites en orbite. Ceux-ci se déplacent à grande vitesse, et en plus ils sont un peu plus à l'extérieur du champ de gravité terrestre que nous. Donc leur temps n'est pas exactement le même qu'au sol : il s'écoule un tout petit peu plus lentement. Si l'on ne corrige pas les calculs des distances, en tenant compte de cette différence, le résultat sera totalement faux. Pour la petite histoire, la réalité de ces phénomènes est tellement contraire à notre intuition que lors du développement du système GPS, les généraux de l'armée américaine - qui étaient les responsables du projet - ont eu du mal à y croire (...) Pour être sûre, l'armée américaine a testé le système avec les deux options : une sans correction et une avec correction. p76-77

Que signifie cette idée que le temps n'existe pas ?

Cela signifie que nous ne mesurons jamais le temps lui-même. Nous mesurons toujours des variables physiques A, B, C... (oscillations, battements, et bien d'autres choses), et nous comparons toujours une variable avec une autre. p82

Tout comme l'espace, le temps devient une notion relationnelle. Il n'exprime qu'une relation entre les différents états des choses. p84

L'inexistence du temps dans les équations fondamentales de la théorie n'empêche pas que nous puissions faire des prédictions précises. Par exemple, au lieu de prédire la position d'un objet qui tombe "au bout de cinq secondes", nous pouvons prédire sa chute "après cinq oscillations du pendule". La différence est faible en pratique, mais grande d'un point de vue conceptuel, car cette démarche nous libère de toute contrainte sur les formes possibles de l'espace-temps. p84-85

- Boucles et cordes

A côté de la théorie des boucles, il existe aujourd'hui une autre théorie bien développée de la gravitation quantique : la "théorie des cordes". Celle-ci suppose que les particules élémentaires ne sont pas des particules, mais de petites cordes. Bien qu'il y ait un air de famille entre les cordes et les boucles, la différence est énorme : les cordes sont des petits segments qui bougent dans l'espace, tandis que les boucles sont elles-mêmes l'espace.

L'avantage de la théorie des cordes est qu'en plus de chercher une solution possible au problème de la gravitation quantique, c'est une théorie qui tente d'unifier toutes les forces et toutes les particules de la physique. Elle affiche donc une ambition de généralité plus grande que la théorie des boucles. p93

Dans la théorie des cordes, la gravitation réside simplement dans les excitations d'une corde qui se trouve plongée dans un espace (...) Il s'agit d'un espace fixe, classique, newtonien - dont on sait qu'il ne correspond pas à la réalité (...) En outre, pour fonctionner, la théorie des cordes a besoin d'un espace à dix dimensions ainsi que de particules supersymétriques, autant d'hypothèses très fortes et sans le moindre début de confirmation expérimentale à ce jour. p94-95

Au final, la théorie des cordes et la théorie des boucles pourraient s'avérer complémentaires (...) Malgré leur différence de perspectives, les deux théories ont indéniablement des points communs, en particulier l'idée centrale selon laquelle ce sont des objets à une dimension qui sont le support du champ gravitationnel à l'échelle fondamentale - qu'on les appelle cordes ou boucles. p97

Ma conclusion est que je ne serais pas du tout surpris si la géométrie non-commutative (d'Alain Connes) faisait partie, d'une manière ou l'autre, de la synthèse que nous cherchons. p98

Il est très important de dire que toutes ces théories restent hypothétiques. Chacune court le risque de s'avérer complétement fausse. p98

- Science, philosophie et démocratie

Même si c'est le signe de l'importance grandissante de la spéculation en physique, la défense de l'esprit scientifique et d'une philosophie du doute m'a paru tout aussi intéressante que la théorie elle-même. On peut effectivement délirer sur la science, on ne s'en prive pas, alors qu'elle devrait surtout servir à réfuter nos préjugés, toutes ces certitudes qu'on n'imaginait même pas pouvoir être remises en cause, comme le fait que le Soleil tourne autour de la Terre. Rien de plus subversif que la science dont la dimension philosophique est trop souvent ignorée (ce qui n'empêche pas la science de fonctionner comme discours normatif et de sombrer dans le scientisme le plus plat).

La science est une poursuite continue de la meilleure façon de penser le monde. C'est une exploration de formes de pensées. C'est là qu'elle puise son efficacité. Cela ne veut pas dire que les réponses scientifiques sont toujours justes. Mais que, dans les domaines dans lesquels la pensée scientifique fonctionne, les réponses scientifiques sont, par définition, les meilleurs qu'on a trouvées jusque-là.

Cette image d'une science fluide, en révolution permanente, toujours suspendue entre la connaissance et le doute, toujours en quête et jamais bêtement heureuse de ses résultats, est profondément différente de celle que nous avait laissé le XIXè siècle. celle-ci est encore très répandue dans la société et, à bien regarder, c'est elle la vraie cible des critiques de l'anti-scientisme et du relativisme culturel. Dans un sens, il n'y a rien de plus profondément conscient du relativisme de notre culture que la science elle-même. La science évolue en continu précisément parce qu'elle a une pleine conscience des limites de toute connaissance. Sa force réside dans son manque de confiance en ses propres concepts. Elle ne croit jamais complétement en ses résultats. p49

La base même de la science est donc la pensée critique : la conscience forte que nos visions du monde sont toujours partielles, subjectives, imprécises, provinciales et simplistes. p58

La pensée scientifique est consciente de notre ignorance. Je dirais même que la pensée scientifique est la conscience même de notre grande ignorance et donc de la nature dynamique de la connaissance. C'est le doute et non la certitude, qui nous fait avancer. p60

Je pense qu'un grand tort est fait à la science lorsque des vulgarisateurs présentent des théories comme établies alors qu'elles sont seulement hypothétiques. p101

Le jeune monde grec est extrêmement dynamique, et en évolution continue. Il n'a pas de pouvoir centralisé. Chaque cité est indépendante, et au sein de chaque cité le pouvoir se renégocie en permanence parmi les citoyens. Les lois ne sont ni sacrées ni immuables : elles sont continuellement discutées, expérimentées et mises à l'épreuve. Les décisions sont prises en commun lors des assemblées. p106

Dans ce climat culturel profondément neuf est née une nouvelle idée de la connaissance : la connaissance rationnelle critique (...) Les règles de base de la recherche scientifique sont simples : tout le monde a le droit de parler. Einstein était un obscur commis au bureau des brevets lorsqu'il a produit des idées qui ont changé notre vision de la réalité. Les désaccords sont bienvenus : ils sont la source du dynamisme de la pensée. Mais ils ne sont jamais réglés par la force, l'agression, l'argent, le pouvoir ou la tradition. La seule façon de gagner est d'argumenter, de défendre son idée dans un dialogue, et de convaincre les autres. Bien sûr, je ne suis pas en train de dépeindre ici la réalité concrète de la recherche scientifique (...) mais plutôt les règles idéales auxquelles la pratique doit se rapporter. p107

Ses relations avec la démocratie, née dans le même lieu et au même siècle, sont évidentes. Idéalement, la démocratie est le processus dans lequel la personne qui prend les décisions est celle qui a été capable d'argumenter ses idées et de convaincre suffisamment de gens. La démocratie est un idéal qui commande de ne pas écraser ses ennemis, mais de les écouter, de discuter avec eux, de chercher un terrain commun et une compréhension commune. p108

Dans les deux cas, la règle centrale est la conscience que nous pouvons nous tromper (...) Chaque pas en avant dans la compréhension scientifique du monde est aussi une subversion. la pensée scientifique a donc toujours quelque chose de subversif, de révolutionnaire. p109

C'est la rébellion des générations précédentes face aux visions du monde acquises, leurs efforts à penser le neuf, qui a fait notre monde. Notre vision du monde, nos réalités, sont leurs rêves accomplis. Il n'y a pas de raison d'avoir peur du futur : nous pouvons continuer à nous rebeller, à rêver d'autres mondes possibles, et à les chercher. p116

Si je ne puis qu'exprimer mon entier accord sur le rapprochement de la science et de la démocratie, il y a malgré tout une différence importante entre les deux : ce n'est pas un vote qui tranche en dernière instance dans le domaine scientifique mais l'expérience et le consensus. Dans le "Lachès" Socrate s'oppose à ce qu'un vote détermine qui a raison dans une controverse au lieu de s'engager dans une recherche commune. Le vote est aussi une forme de violence pour clouer le bec à l'opposition, comme le montrait Bourdieu dans son dernier texte publié de son vivant. La démocratie ne peut signifier que n'importe qui pourrait décider n'importe quoi au nom d'une prétendue volonté générale (qui ne pourrait pas plus se tromper qu'un concile inspiré par l'esprit de Dieu!) alors que nous sommes plutôt dans une démocratie des minorités où l'on ne doit rien décider sans l'avis des intéressés et une enquête approfondie. C'est ce qu'on pourrait appeler une "démocratie cognitive" où la place du vote devrait être réduite par rapport à celle du consensus (principe de la palabre africaine), se rapprochant ainsi du fonctionnement scientifique même si on ne peut vouloir ramener l'un à l'autre, identifier savoir et pouvoir. Faute de mieux il faut bien recourir au vote pour décider dans l'action.

On ne peut absolument pas ramener la démocratie à une science. La démocratie doit tenir ensemble des réalités contradictoires : ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de "volonté générale" qu'il n'y a pas de solidarité politique ni de représentations collectives. On ne peut se passer du sentiment de communauté et d'appartenance, ni de la réflexion sur nos comportements globaux et sur nos responsabilités envers les autres communautés politiques. Contrairement à la science, la solidarité doit donc s'affirmer dans une mobilisation sociale effective, mais pas pour imposer sa volonté à tous, seulement pour se mettre au service de tous et du développement humain dans le respect de la diversité des situations et des gens. Position difficile à tenir entre démagogie et technocratie. La seule volonté générale, c'est la volonté de vivre ensemble qui ne doit pas rester implicite mais doit devenir explicite. En effet, et contrairement à un corps, les finalités d'une société ne sont pas données mais construites, finalités qu'elle doit se donner elle-même. Mais le contenu n'en est pas libre, il n'est pas arbitraire, pas plus que dans les théories scientifiques, il est dicté par le temps et la connaissance des faits (le nécessaire et le possible). L'objectif de la démocratie n'est pas livré au caprice de l'opinion, son objectif c'est l'autonomie de l'individu et l'épanouissement de ses potentialités (son bonheur comme on dit!), ce qui reste en débat ce sont les façons d'y parvenir. Les vrais choix sont éthiques mais personne ne détient la vérité d'avance, ce n'est pas une question de rapport de forces ni de vote majoritaire.

C'est même cette indétermination de l'avenir, en attente de nouvelles révolutions, qui fait tout le poids de notre existence, son enjeu historique, son rapport au temps, le rôle qu'on peut y jouer et qui est toujours un pari sur l'incertain, une projection dans le futur. Le temps qui passe est celui de notre intelligence collective, cumulative sans aucun doute mais lente et fragile, le dur apprentissage historique qui nous fait passer d'un extrême à l'autre. Le temps humain, c'est aussi la vie qu'il nous reste à vivre et les peines qu'on doit endurer encore, bien loin du temps enchanté de la physique qu'on nous ferait croire immobile en son éternité ou même réversible...

(Voir une discussion ultérieure des conceptions du temps et des thèses de Carlo Rovelli, ainsi que le bien plus récent "Déterminisme quantique, entropie et liberté").

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6 réflexions au sujet de “Le caractère révolutionnaire de la science”

  1. bien maigre consolation d'une société qui se delite , en effet. mais où trouvez vous vous la force de continuer et d'y croire ? alors que tout semble déjà perdu d'avance . je ne serais pas aussi affirmatif que vous sur l'indifférence de la sience et de la philosophie , l'une procedant par fonction et l'autre par concept pour arracher du pensable au non pensable . il y a aussi l'art , ne l'oublions pas où le genie révolutionnaire parvient parfois à s'incarner . si une révolution des représentations peut parfois changer le cours de l'histoire (copernic , galilée , ) il faut bien constater la plus part du temps que ça ne suffit pas et que gens d'étude et gens de pouvoir se rencontrent rarement . cette démocratie cognitive est en revanche très séduisante : que les chose soit faite par ceux la même qui les font , sachant ce qu'il font (marx ?). on est bien loin de la dictature des sondages dans l'orientation de la politique , dictature que certain voudrait prendre pour la démocratie participative même .
    cela dit la révolution exigent que des genie colèriques s'organise en une sorte d'intelligentia. la thése du poste précédant qui dit que la révolution vient des élites pour s'appuyer sur le peuple me semble très convenable . mais là encore il me semble qu'il n'y a rien à l'horizon... j'espère me tromper .

  2. Je vous rassure tout de suite, je n'y crois plus du tout et si je continue c'est "au petit bonheur" et sans plus d'illusions (et tant que je peux, ce qui veut peut-être dire pas longtemps encore). La présidentielle est un leurre qui bouche le paysage. Pas la peine de parler des écolos ! mais la gauche de la gauche est inconsistante et ridicule, Ségolène n'est qu'un trompe-l'oeil et une créature des médias, Sarkozy un dangereux doctrinaire des sondages... Qui peut s'intéresser à ce que j'écris ? J'ai bien pensé à me retirer du réseau, si décevant comme toute innovation, et entrer dans la clandestinité, mais pourquoi pas rester quand même accessible à quelques uns ? Pour l'instant je continue...

    Je ne crois pas qu'on puisse dénier que la physique théorique procède par concepts ! Bien sûr ce n'est pas le cas de toute la recherche scientifique, loin de là. On sait qu'il y a la "science normale" qui vérifie les théories établies et la science révolutionnaire qui change de paradigme (voir Kuhn). Il est certain qu'il y a une différence entre science et philosophie, bien établie par Kojève dans sa théorie des discours. Les sciences ne rendent pas compte d'elles-mêmes mais seulement de leur objet alors que la philosophie est philosophie du sujet, philosophie morale et épistémologie qui rend compte du sujet de l'énonciation et de sa responsabilité. Il n'empêche que les sciences dépendent du sujet, des conditions sociales d'un libre débat scientifique contradictoire, et donc de la philosophie comme voie vers l'accord intersubjectif par la critique du savoir.

    Pour l'Art, j'ai plutôt l'impression qu'il est mort à trop vouloir singer la rupture révolutionnaire. Il y a une tradition révolutionnaire à suivre et renouveler mais lorsque la révolution s'institutionalsie (comme le Parti Révolutionnaire Institutionnel du Mexique) on tombe dans le ridicule le plus complet (et le double langage). L'Art ne peut renouer avec l'audace de ses grands artistes qu'à renouer avec la critique sociale et l'engagement révolutionnaire. J'ai parlé à un moment d'élever le slogan à l'oeuvre d'art mais on a compris que je voulais réduire l'art au slogan ! Ce qui fait la valeur de l'expression artistique c'est qu'elle soit risquée et s'oppose au conformisme dominant même si le conformisme est de se complaire dans l'opposition...

    Je parle de démocratie cognitive comme d'un rêve, comme ce qu'il faudrait, comme une direction. Je dis ça comme ça me vient, sans penser à mal, mais rien en vue, non, sinon de passer de désillusions en désillusions jusqu'à ce qu'on se serre les coudes à nouveau, au milieu du désastre...

    Le but est bien "que les choses soient faites par ceux-là mêmes qui les font, sachant ce qu'il font", ce qui est très hégélien, mais en donnant toute leur importance aux conditions matérielles de production et aux divisions sociales, comme Marx.

  3. Voilà un moment que je compile vos textes comme autant d' ''éclairs d'intlligence''... vos positions m'ont invité à aller voir de plus près les auteurs que vous citez. Je ne comprend pas tout ce que vous écrivez, mais j'ai comme une sympathie (en phase,souffrir et être avec ) pour ce que vous faites.Ce n'est pas ce petit message qui va vous faire ''remonter'', mon message est tout simple: j'aime ce que vous faites, je ne suis pas toujours en accord avec vous, mais ma sympathie, je souhaite qu'elle diffuse des bonnes choses... je ne suis pas un homme de conseil, je vous propose de ne pas baisser les bras... et si je peux contribuer à cela, dites moi ce qui est possible...

  4. > Qui peut s'intéresser à ce que j'écris ? J'ai bien pensé à me retirer du réseau,
    > si décevant comme toute innovation, et entrer dans la clandestinité,
    > mais pourquoi pas rester quand même accessible à quelques uns ?

    Sans le réseau, je ne vous aurais pas lu 🙂

    Nous autres voyageurs de nuit, avons besoin de lucioles pour éclairer nos pas, même si elles ne savent pas où on va, même si elles n'ont pas conscience qu'on est là, à dépendre de leur fanal.
    Qu'une luciole s'éteigne, et on perd ses repères, on trébuche, on se laisse attirer par les feux follets, et on finit enlisés dans les marais...

    Luciole, notre idole, continue d'illuminer nos foulées, nous ne savons pas où nous allons, mais nous marchons, à tatons, vers l'horizon, dondaine dondon

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